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Eté 2014 - Numéro 22- La lettre de l'I-tésé
Dossier
futurs plus moins enracinés dans le présent et, parfois,
dans un passé assez reculé (ainsi du déclin de la fécondité
et des gains de l’espérance de vie observées dans le passé
qui déterminent pour une part l’évolution à venir de
notre pyramide des âges).
Cette philosophie se résume souvent par cette phrase :
l’avenir ne se prévoit pas ; il se construit. Il se construit
notamment, à partir de décisions et d’actions humaines,
individuelles et collectives, engagées plus ou moins
librement sous réserve que l’on fasse preuve de la
prévoyance sans laquelle nous serions en permanence
exclusivement acculés à gérer les urgences.
L’exploration des futurs possibles
La prospective nous invite à considérer l’avenir à la fois
comme un territoire à explorer et comme un territoire à
construire. Je l’illustrerai à l’aide d’une métaphore, certes
simplificatrice mais, à mes yeux, assez parlante. Nous
sommes tous, en quelque sorte, comme individus et
comme responsables d’organisations, dans une position
semblable à celle du capitaine d’un bateau qui
normalement dispose à bord de deux instruments – la
vigie et le gouvernail – dont les fonctions sont distinctes
mais complémentaires.
Le rôle de l
la
av
vi
ig
gi
ie
e est d’essayer de déceler le vent qui se
lève, l’iceberg avant que le Titanic ne le percute et, plus le
navire est lent à virer de bord, plus la vigie doit avoir la
vue perçante (incidemment, elle doit aussi pouvoir alerter
le capitaine sur les dysfonctionnements internes au
bateau). Je veux ici parler de ce que nous appelons à
Futuribles la veille prospective sur l’environnement
stratégique des organisations telle que nous l’avons
développée d’ailleurs sous le terme de «vigie».
Le défi en l’espèce est d’essayer de nous représenter le
présent au travers de sa dynamique à long terme, donc de
distinguer les faits de nature conjoncturelle, voire
anecdotique, qui feront sans doute la une des média, des
faits qui nous semblent – sans que l’on dispose de
méthodes miracles pour y parvenir – symptomatiques,
révélateurs de tendances lourdes ou émergentes, ceux que
Pierre Massé appelaient «les faits porteurs d’avenir» et
que l’on dénomme plus souvent aujourd’hui sous le
terme de «signaux faibles».
Se représenter correctement le présent au travers de
l’ensemble de ses dimensions, donc en recourant à
l’analyse systémique, est un premier défi car cela
implique de pouvoir mobiliser l’expertise de personnes
fort différentes qui, en se spécialisant ont souvent perdu
en largueur de vue ce qu’elles ont gagné en profondeur
d’analyse. Se représenter le présent dans sa dynamique
temporelle longue exige au demeurant que l’on ne se
trompe pas trop sur les facteurs d’inertie et de
changement. Or j’estime, par exemple, que trop souvent,
au prétexte que les phénomènes démographiques sont
empreints d’une grande inertie, l’on accorde une
confiance excessive à la seule variante médiane des
projections en oubliant que celles-ci sont surdéterminées
par le choix d’hypothèses discutables sur la fécondité,
l’espérance de vie et le solde migratoire. Inversement,
étant fascinés par la rapidité des progrès scientifiques et
techniques, l’on est trop souvent enclins à penser que la
société va changer au rythme de ces progrès. Or la
disponibilité d’une technologie est une chose, les
conditions de sa diffusion dans le corps social en est une
autre, et les usages qui en seront faits, une troisième qui
dépend de facteurs économiques, sociaux, politiques et
culturels.
Enfin, il faut prendre garde au fait que l’on est trop
souvent tenté de ne tenir compte que des phénomènes
mesurables alors que les chiffres dont nous disposons ne
sont pas nécessairement exacts et pertinents,
qu’inversement l’on a souvent tendance à sous-estimer
les variables dites molles au prétexte qu’il est plus difficile
de les appréhender. Mais les variables molles (par
exemple, le portefeuille de compétence d’une
organisation, la capacité des dirigeants à mobiliser les
talents) sont souvent très déterminantes au regard des
performances des entreprises .
La vigie, pour le dire autrement, doit déceler ce que le
présent recèle comme germes d’avenir ou comme racines
de futurs possibles. A partir de là, il nous incombe
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» qui recourt à des
méthodes différentes de celles utilisées dans les
prévisions.
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on
n repose essentiellement sur l’extrapolation
des tendances observées dans le passé. Elle suppose que
demain diffèrera d’aujourd’hui comme aujourd’hui
diffère d’hier. La méthode la plus couramment utilisée
consiste à examiner comment un sous-système, isolé de
son contexte, a fonctionné dans le passé, quelles sont les
variables et les relations entre ces variables qui ont été
déterminantes dans son évolution. Sur cette base sont
construits des modèles de simulation qui permettent
d’élaborer des prévisions.
Mais cette méthode – dont les vertus sont incontestables
dans certains cas - et les prévisions ainsi établies sont
sujettes à trois limites : la première tient au fait que l’on
raisonne comme si la dynamique du sous-système était
pérenne, qu’il n’y avait pas, par exemple, d’effets de seuil
au-delà desquelles le système, morphologiquement et
physiologiquement, se trouverait modifié. La seconde
tient à l’hypothèse, résumée par l’expression «toutes
choses égales par ailleurs», selon laquelle on fait
abstraction de facteurs exogènes qui viendraient modifier
radicalement le sous-système. La troisième tient à l’effet
dit «GIGO» (Garbage in/ Garbage out) voulant dire, en