INTRODUCTION HISTORIQUE Découverte des rayons X et premiers travaux de radiocristallographie Rayons X et « rayonnement cathodique » : un couple très lié Le 8 novembre 1895, W.C. Röntgen a découvert, de façon fortuite, un nouveau type de rayonnement. Alors qu’il utilisait un tube de Crookes, il a observé une lueur sur une plaque recouverte de platinocyanure de baryum, placée relativement loin du tube. Röntgen qui travaillait à cette époque sur l’étude des rayonnements cathodiques émis par les tubes de Crookes, constate immédiatement que le phénomène qu’il a observé ne peut pas être dû à ces rayonnements. Comprenant l’importance de sa découverte, avant de l’exposer devant la communauté scientifique, il tente durant sept semaines de déterminer la nature de ce nouveau type de rayonnement qu’il appelle luimême X-Strahlen. Le 28 décembre 1895, W.C. Röntgen présente ces observations devant l’académie royale de physique et de médecine de Würztburg [RON 95]. Sa découverte est illustrée par l’observation photographique des os de la main de sa femme (voir figure 1). Röntgen déduit de ses expériences que le tube de W. Crookes émet des rayons qui se propagent en ligne droite et traversent la matière solide [RON 95, RON 96a, RON 96b, RON 96c]. Très vite ces « rayons de Röntgen » ont été utilisés dans le domaine médical pour réaliser des radiographies [SWI 96]. Dès 1895, la recherche de la nature de ce nouveau type de rayonnement va susciter un grand nombre de travaux. W.C. Röntgen cherche des analogies entre ce nouveau type de rayonnement et la lumière visible. Il tente ainsi des expériences, infructueuses, de réflexion des rayons X sur du quartz et de la chaux, il croit observer cette réflexion sur du platine, du plomb et du zinc [RON 95, RON 96b]. Il remarque que, à la différence du rayonnement électronique, les rayons X sont 12 Diffraction des rayons X sur échantillons polycristallins insensibles au champ magnétique. W.C. Röntgen tente même, sans succès, de produire des phénomènes d’interférence des rayons X en faisant passer le faisceau X par des trous [RON 95]. L’analogie entre les rayons X et la lumière visible incite très rapidement les chercheurs à étudier le comportement des rayons X vis-à-vis des lois bien connues de l’optique. Ainsi, S.P. Thomson [THO 96], A. Imbert et H. Bertin-Sans [IMB 96] ainsi que A. Battelli et A. Garbasso [BAT 96] montrent dès 1896, confirmant ainsi les travaux de W.C. Röntgen, que les rayons X ne semblent pas être réfléchis de façon spéculaire. Ils établissent de plus, en accord avec les travaux de G. Sagnac [SAG 97a], que la déviation des faisceaux de rayons X par réfraction est soit nulle, soit extrêmement faible. Figure 1. Première observation radiographique En novembre 1896, G.G. Stokes présente devant la société philosophique de Cambridge une courte communication qui donne plusieurs propriétés fondamentales des rayons X [STO 96]. Il affirme que, de la même façon que les rayons γ, les rayons X sont polarisables. Cette remarque faite en novembre ne tient pas compte des travaux, pourtant présentés en février de la même année, de S.P. Thompson [THO 96a] qui a conclu à l’absence de polarisation des rayons X en faisant passer ceux-ci au travers de lames cristallines orientées. Le caractère polarisable des rayons X sera montré de façon définitive en 1905 par C.G. Barkla [BAR 05, BAR 06a]. G.G. Stokes notant ensuite l’absence de réfraction des rayons X, assimile ces rayons à des vibrations qui se propageraient dans la matière solide entre les molécules de cette matière. Enfin, Introduction historique 13 analysant l’absence de phénomène d’interférence de ces rayonnements, il conclut que soit la longueur de cette propagation est très faible, soit le phénomène n’est pas périodique. L’auteur qui se prononce à tort pour cette deuxième hypothèse considère que chaque « molécule chargée1 » qui arrive sur l’anode émet un rayonnement dont la pulsation est indépendante de celle des rayons émis par les autres molécules. W.C. Röntgen ayant montré que les rayons X sont des rayonnements secondaires induits par ce que l’on appelle à l’époque le « rayonnement cathodique », l’étude de la nature des rayons X est très liée à la détermination de la nature du rayonnement électronique. Depuis la mise en évidence par W. Crookes de l’existence d’un rayonnement émis par la cathode et attiré par l’anode, la détermination de la nature de ce rayonnement cathodique suscite une importante activité. Au moment de la découverte des rayons X, deux théories s’affrontent. Les uns considèrent que ce rayonnement cathodique est dû à un processus vibratoire qui se produit au sein du gaz raréfié enfermé dans le tube (l’« éther ») [LEN 94, LEN 95], les autres pensent que ce courant est dû à la propagation de particules chargées émises par la cathode [PER 95, THO 97a]. En 1895, J. Perrin montre ainsi expérimentalement que les rayons cathodiques sont porteurs d’une charge électrique et que cette charge est négative [PER 95]. Cette conception est celle défendue par J.J. Thomson [THO 97a, THO 97b] qui publie en 1897 un article considéré comme fondateur de la découverte de l’électron [THO 97b]. Il observe en effet que le rayonnement cathodique peut être dévié par un champ électrique. Cette constatation lui permet de démontrer expérimentalement que ce rayonnement est dû au déplacement de particules chargées dont il estime le rapport de la charge sur la masse. Il constate que ce rapport e/m est indépendant de la nature du gaz enfermé dans le tube et conclut donc à l’existence de « corpuscules chargés » qui sont les éléments de base dont l’assemblage constitue les atomes [THO 97b]. C’est donc en étudiant le rayonnement électronique que J.J. Thomson s’est intéressé aux rayons X. En janvier 1896, il présente une analyse que l’on pourrait qualifier de « découverte théorique des rayons X ». Il reprend les équations de Maxwell en y introduisant la contribution d’un courant de convection induit par le déplacement de particules chargées. Il montre, par le calcul, que le ralentissement brutal de ces particules chargées doit induire la création d’une onde électromagnétique se propageant dans le milieu avec une longueur d’onde extrêmement faible [THO 96b]. L’auteur note lui-même que les propriétés des rayons découverts par W.C. Röntgen sont trop peu connues pour que l’on puisse conclure que les ondes électromagnétiques qu’il a mis en évidence sont les rayons de Röntgen. Deux ans plus tard [THO 98a], J.J. Thomson est plus affirmatif et conclut que le rayonnement lié au ralentissement brutal de particules chargées – on parlera plus tard de rayonnement de freinage – est un type de rayonnement X. 1. La notion d’électron ne sera admise définitivement que l’année suivante. 14 Diffraction des rayons X sur échantillons polycristallins Par analogie avec les caractéristiques du rayonnement électronique, de nombreux auteurs vont imaginer que les rayons X correspondent eux aussi à la propagation de particules. Ce débat sur la nature corpusculaire ou ondulatoire des rayonnements électromagnétiques ne sera clos qu’avec l’avènement de la physique quantique. A la suite des travaux de J.J. Thomson, plusieurs auteurs comparent donc les propriétés respectives des rayons X et des électrons [LEN 97, RIT 98, WAL 98]. P. Lenard [THO 97] montre d’une part que l’irradiation de plaques photographiques par des rayons X induit un effet beaucoup plus faible que celui observé lorsque les mêmes plaques sont irradiées par un faisceau électronique et d’autre part que les deux types de rayonnement diffèrent notablement en ce qui concerne leurs propriétés électriques. J. Ritter von Geitler [RIT 98] irradie des écrans métalliques plats par des faisceaux de rayons X afin de mettre en évidence une éventuelle charge électrique portée par ces particules. Il n’observe pas de signal électrique, mais ne conclut pas vraiment que les particules ne sont pas chargées. Dans le même numéro des Annalen der Physik und Chemie, B. Walter [WAL 98] est plus affirmatif et considère que les particules associées aux rayons X n’ont pas de charge électrique. De plus, en considérant le caractère très pénétrant des rayons X, il réfute une théorie alors en vigueur où l’on imaginait que les rayons X pouvaient être les électrons incidents sur l’anode qui auraient perdu leur charge électrique lors de cet impact [VOS 97]. Ainsi, avant le début du XXe siècle, il est admis que la nature des rayons X est très différente de celle du rayonnement électronique qui leur a donné naissance. On sait que s’il s’agit de particules, celles-ci ne sont pas chargées car elles ne sont pas déviées par un champ magnétique [STR 00] et les travaux théoriques de J.J. Thomson lient la propagation des rayons X à un phénomène ondulatoire dont la longueur d’onde est très faible. De plus, ces rayons X semblent ne pas être réfléchis ou réfractés sous les conditions habituellement utilisées pour observer ces phénomènes avec la lumière visible. Parallèlement à ces travaux tendant à établir la nature des rayons X, d’autres auteurs, parfois les mêmes, étudient l’influence du passage d’un faisceau X dans des gaz. En 1896, J.J. Thomson et E. Rutherford [RUT 97, THO 96c] montrent que l’irradiation d’un gaz par un faisceau de rayons X induit la formation d’un courant électrique au sein du gaz. Ils établissent que l’intensité de ce courant dépend d’une part de la différence de potentiel appliquée entre les deux bornes de la chambre contenant le gaz et d’autre part de la nature du gaz. E. Rutherford [RUT 97] établit de plus que la décroissance d’intensité du faisceau de rayons X par absorption par le gaz suit une loi exponentielle qui dépend d’un coefficient propre à chaque gaz. A partir de cette constatation, E. Rutherford mesure le coefficient d’absorption linéaire de plusieurs gaz et établit une corrélation entre ce coefficient et l’intensité du courant électrique produit par l’interaction entre ce gaz et les rayons X. Dans un commentaire de l’article de Rutherford, J.J. Thomson [THO 97c] remarque que les Introduction historique 15 travaux de son collègue montrent que les rayons X présentent une très forte analogie avec la lumière visible et qu’il s’agit très probablement d’ondes ou d’impulsions électromagnétiques. De plus, il attribue la décroissance de l’intensité du faisceau X observée par Rutherford à la production d’ions à partir des molécules du gaz, chaque ionisation induisant une faible diminution de l’intensité du faisceau. A partir de ces travaux précurseurs, l’ionisation des gaz est utilisée pour étudier la nature des corpuscules créés par l’interaction entre les rayons X et le gaz. A l’aide d’une chambre à brouillard mise au point en 1897 par C.T.R. Wilson [WIL 97], J.J. Thomson [THO 98b] utilise l’ionisation des gaz par les rayons X pour mesurer la charge électrique portée par les électrons2 créés lors du passage du faisceau de rayons X. En mesurant le courant électrique produit par l’ionisation de différents gaz polyatomiques, le même auteur montre que les électrons correspondent à une modification des atomes eux-mêmes plutôt qu’à une simple dissociation des molécules de gaz [THO 98c]. Ce résultat est confirmé par E. Rutherford et R.K. McClung [RUT 00] qui mesurent en 1900 l’énergie nécessaire à l’ionisation de différents gaz. Ils établissent ainsi que la masse des électrons produits est une très faible partie de la masse des atomes. Nous avons rappelé plus haut qu’à l’aube du XXe siècle, la nature des rayons X était déjà bien connue. La mise en évidence de l’ionisation des gaz par les rayons X va rapidement permettre la mise au point de détecteurs quantitatifs de l’intensité des faisceaux de rayons X. Ainsi, les chercheurs du début du siècle vont pouvoir étudier en détail l’interaction entre les rayons X et la matière solide et ces travaux vont conduire logiquement à l’observation et à l’analyse quantitative de la diffusion puis de la diffraction des rayons X. Diffusion, fluorescence et prémisses de la diffraction des rayons X Diffusion et fluorescence En 1897, G. Sagnac [SAG 97a, SAG 97b] remarque que lorsque l’on irradie un miroir métallique par un faisceau de rayons X, celui-ci émet une radiation de même nature que le faisceau incident mais beaucoup moins intense. Ce rayonnement se propage dans toutes les directions et ne peut donc pas être assimilé à un phénomène de réflexion spéculaire. G. Sagnac note que l’intensité de ce rayonnement diffus dépend de la nature du matériau irradié par le faisceau X primaire [SAG 97b, SAG 99]. Ces expériences sont confirmées par J.S. Townsend 2. Dans les articles concernés, J.J. Thomson et d’autres auteurs utilisent le terme « ion » mais il s’agit en fait des électrons créés lors de l’ionisation induite par les rayons X. Le terme ion est simplement ici le participe présent du verbe grec ienai, ion signifie donc allant, il désigne des corpuscules qui se déplacent.