LES DOSSIERS DE LA RECHERCHE Nº 18 |FÉVRIER 2005 | 85
1935
INTRICATION
Un premier pas dans cette aventure
remonte au début des années 1960,
lorsque Rolf Landauer, du laboratoire
de recherche d’IBM à Yorktown
Heights, défendit l’idée que l’informa-
tion n’est pas un concept mathéma-
tique détaché de toute réalité
matérielle : elle est de nature physique,
ne serait-ce que parce qu’elle a un sup-
port, les molécules d’encre de cette
page, la magnétisation des atomes sur
un disque d’ordinateur, ou encore le
flot d’électrons dans un fil téléphonique.
Il n’y a pas d’information sans support
physique, et tout procédé de traitement
de l’information (stockage, calcul, trans-
mission) est, en définitive, un proces-
sus matériel indissociable de la
thermodynamique du système physique
au sein duquel il se déroule. Landauer
montra, en particulier, que l’efface-
ment d’un bit, unité élémentaire d’in-
formation à laquelle on attribue
Notre société a justement été qua-
lifiée de « société de l’informa-
tion » : les nouvelles techniques
de communication, en particulier l’or-
dinateur et les réseaux informatiques,
tel Internet, ont transformé, et trans-
formeront encore, nos manières de
vivre. Du codage de la musique sur des
disques compacts à la réception des
images lointaines des anneaux et des
satellites de Saturne observés par la
sonde spatiale Cassini, toutes ces réa-
lisations reposent en grande partie sur
la théorie mathématique de l’infor-
mation établie par Claude Shannon
peu après la Seconde Guerre mon-
diale[1]. Malgré ce spectre remarqua-
blement vaste d’applications, Shannon
ne soupçonnait sans doute pas que des
chercheurs allaient découvrir, quelques
décennies plus tard, un prolongement
surprenant de ses travaux à l’échelle
atomique.
84 LES DOSSIERS DE LA RECHERCHE Nº 18 | FÉVRIER 2005 |
Nicolas Cerf
est professeur
à l’école
polytechnique
de l’Université
libre de Bruxelles,
où il dirige
le Centre for
Quantum
Information and
Communication.
nicolas.cerf
@ulb.ac.be
Nicolas Gisin
est professeur
à l’université de
Genève, où il
dirige la section
d’optique du
Groupe de
physique
appliquée.
nicolas.gisin@
physics.unige.ch
L’étrange pouvoir
de l’intrication
quantique
Une expérience de pensée proposée par Einstein pour mettre en défaut la mé-
canique quantique a conduit, paradoxalement, à l’une des plus fascinantes ap-
plications de celle-ci. Grâce à l’intrication quantique, on peut copier parfaite-
ment, et à grande distance, les propriétés d’une particule sur une autre. La
téléportation n’est plus de la science-fiction.
«Plus on fait la chasse aux quantas, mieux ils se cachent.» A. Einstein
AKG-IMAGES
[1] C.E. Shannon
et W. Weaver, The
Mathematical
Theory of
Communication,
University of
Illinois Press,
Urbana, 1949.
3
SOURCE DE PHOTONS utilisée dans une expérience de téléportation menée par l’équipe de Nicolas Gisin à l’université
de Genève. ©GROUPE DE PHYSIQUE APPLIQUÉE DE L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE
Les particules grégaires
Père fondateur de la physique quan-
tique, Einstein en a ultérieurement
rejeté certaines implications. L’im-
possibilité de prédire les résultats des
mesures autrement qu’en termes pro-
babilistes était selon lui la preuve que
la théorie quantique était « incom-
plète », qu’elle oubliait de prendre en
compte certains aspects de la réalité.
Dans le but de mettre à l’épreuve
les principes de la physique quantique,
il propose une expérience de pensée,
dans un article qu’il cosigne en 1935
avec son jeune assistant, Nathan
Rosen, et un autre physicien, Boris
Podolsky, qui maîtrise mieux que lui
l’anglais. L’argument (dit « EPR »,
d’après les initiales des auteurs) est
le suivant : telles quelles, les lois de
la mécanique quantique permettent
la formation de paires de particules
« intriquées », pour lesquelles la
mesure des propriétés de l’une per-
met de connaître instantanément les
propriétés de l’autre, quelle que soit
la distance qui les sépare.
Pour Einstein, une telle situation est
impossible, et la physique quantique
ne décrit donc pas correctement la
réalité. Niels Bohr pense le contraire,
et leur controverse, essentiellement
philosophique, restera comme l’une
des plus profondes de la physique du
XXesiècle. Une expérience clé a per-
mis de trancher : en 1982, le physi-
cien français Alain Aspect, en
s’appuyant sur les travaux de l’irlan-
dais John Bell, a démontré que l’in-
trication des particules existe
effectivement, avec toutes les pro-
priétés annoncées. C.M.
A.Einstein, B.Podolsky et N.Rosen, Physical
Review, 47, 777, 1935.
1935
Le paradoxe EPR
conventionnellement les valeurs 0 ou
1, dissipe toujours une quantité mini-
male d’énergie proportionnelle à la
température du support.
Aujourd’hui, les supports de l’infor-
mation que nous manipulons sont des
systèmes physiques assez grands, qui
obéissent aux lois de la physique clas-
sique : une charge de 10000 à 100000
électrons est, par exemple, nécessaire
au stockage d’un bit au sein de la
mémoire vive d’un ordinateur. Toute-
fois, pris individuellement, chaque
électron a aussi des propriétés phy-
siques mesurables : pourrait-il servir
de support à un élément d’informa-
tion?
L’information bouleversée
Cette proposition n’est pas un simple
exercice intellectuel. D’abord motivés
de Bell celle-ci se trouve, et donc de
connaître la valeur des deux bits qu’Alice
souhaitait lui communiquer.
De façon remarquable, l’information
cachée dans cet unique q-bit transmis
est donc égale à deux bits. Il s’agit bien
d’une transmission d’information
puisque, même si Bernard possède l’al-
ter ego du q-bit d’Alice, il ne peut savoir
laquelle des quatre possibilités a été
choisie par Alice qu’au moment où il
reçoit le q-bit qu’elle détenait. L’intri-
cation quantique augmente ainsi le
taux de transmission d’un facteur deux.
Une manière d’interpréter ce phéno-
mène est de considérer que la paire de
q-bits intriqués se décompose en un q-
bit d’information virtuelle, détenu à
l’avance par Bernard, et un « trou »
d’information (–1 bit) détenu par
Alice[4]. En codant les deux bits clas-
siques dans son q-bit, Alice comble ce
trou d’information et hérite d’un bit en
excès (–1 + 2 = 1 bit). Lorsque le q-bit
est transmis à Bernard et mis en com-
mun avec le deuxième q-bit de la paire
initiale, on retrouve les deux bits clas-
siques. Tout se passe donc comme si le
q-bit détenu initialement par Bernard
contenait à l’avance un bit d’informa-
tion virtuelle sur ce qui sera encodé
par Alice dans le futur. Cependant,
aussi étrange soit-elle, cette propriété
ne viole pas le principe de causalité
énoncé par Einstein : Bernard ne pos-
sède aucune information sur la valeur
des deux bits tant qu’il n’a pas reçu le
q-bit d’Alice qui, porté par un support
matériel, par exemple un photon, ne
peut pas être transmis instantanément.
Une version simplifiée de ce protocole
a d’ailleurs été vérifiée expérimentale-
ment en 1996[5].
Annonce scientifique
L’exposé de ce procédé de codage dense
fut suivi de peu par la découverte de la
« téléportation quantique », annoncée
au cours de l’été 1992 par une équipe
de six chercheurs participant au congrès
de l’Institut pour l’échange scientifique
de Turin[6]. En dépit de son nom, la
téléportation quantique n’est pas un
nouveau mode de transport futuriste :
elle est limitée à la communication de
nication, ils se partagent une paire de
q-bits intriqués, préparée dans un état
de Bell fixé à l’avance. Lorsque Alice
souhaite transmettre deux bits à Ber-
nard, elle transforme le q-bit qu’elle
détient à l’aide de l’une des quatre opé-
rations possibles (l’inversion de bit, l’in-
version de signe, leur combinaison, ou
simplement la conservation du q-bit
original) en fonction de la valeur des
deux bits, afin que la paire se trouve
désormais dans l’état de Bell corres-
pondant à ses deux bits. Pour ce faire,
Alice et Bernard ont associé à l’avance
chacun des quatre états de Bell avec
l’une des quatre chaînes possibles de
deux bits (00, 01, 10, 11). Ensuite, Alice
transmet à Bernard le q-bit qu’elle a
manipulé. Il suffit alors à Bernard de
mesurer conjointement les deux q-bits
de la paire, afin de savoir dans quel état
action simple sur un seul des q-bits
(inversion de bit, inversion de signe*
ou combinaison des deux) transforme
de façon univoque chacun de ces états
de Bell en l’un des trois autres. C’est
cette dernière propriété qu’ont exploi-
tée Charles Bennett, d’IBM, et Stephen
Wiesner, pour proposer, en 1992, un
processus de communication quantique
utilisant l’intrication de q-bits [3]. Leur
« codage dense » permet l’encodage (et
l’échange) de deux bits classiques en
un seul q-bit. Il s’agit là d’un processus
qui va à l’encontre de toute intuition
classique : comment un système quan-
tique à deux états, le |0> et le |1>, peut-
il contenir plus d’un bit d’information?
Supposons que deux personnes nom-
mées Alice et Bernard souhaitent échan-
ger des informations en utilisant ce
procédé. Préalablement à la commu-
LES DOSSIERS DE LA RECHERCHE Nº 18 |FÉVRIER 2005 | 87
[2] A. Einstein, B.
Podolsky et N.
Rosen, Phys. Rev.,
47, 777, 1935.
[3] C.H. Bennett et
S.J. Wiesner,
Phys. Rev. Lett.,
69, 2881, 1992.
[4] N.J. Cerf et C.
Adami, Phys. Rev.
Lett., 79, 5194,
1997.
[5] K. Mattle et al.,
Phys. Rev. Lett.,
76, 4656, 1996.
*L’inversion de
signe d’un q-bit
correspond à la
rotation d’un
angle de 180°
(dans le plan
complexe) de
la phase
quantique
de l’état |1>.
Toute particule
possède
une phase
quantique qui
donne lieu à
des propriétés
ondulatoires,
par exemple les
interférences
qui se
manifestent
dans une
expérience de
diffraction
d’électrons. Un
q-bit est donc
caractérisé par
une phase
quantique, qui
perd sa
signification
une fois la
mesure
effectuée et n’a
pas d’analogue
en théorie
classique de
l’information.
1935
INTRICATION
spectaculaire lorsqu’on l’associe avec
une autre caractéristique de l’infor-
mation quantique, sa non-localité : deux
q-bits peuvent être corrélés de manière
quantique et le rester, même s’ils
empruntent des chemins différents et
s’éloignent l’un de l’autre. Au contraire,
l’information classique est locale : la
lecture d’un bit localisé en un point de
l’espace est indépendante des bits pré-
sents en d’autres points.
Photons intriqués
L’illustration typique de la non-locali-
sation est le cas où deux q-bits sont por-
tés par une paire de photons dits
« intriqués », produits simultanément
par un même processus physique et
décrits par une seule fonction d’onde
de la forme |0>x|1> - |1>x|0>. Dans cet
état quantique particulier, décrit sous
une forme analogue par Einstein,
Podolsky et Rosen [2], en 1935, la
mesure individuelle de l’état d’un seul
q-bit ne révèle rien :
on obtient seulement
0 ou 1 avec une pro-
babilité égale à 1/2.
En revanche, on peut
immédiatement pré-
dire que la mesure de
l’autre q-bit donnera
le résultat opposé,
quelle que soit la distance qui sépare
les deux photons au moment de la
mesure. Même si cet état intriqué res-
semble à celui de deux q-bits aléatoires
simplement corrélés, la nature de cette
« intrication » quantique est plus sub-
tile qu’il n’y paraît : toute l’information
sur l’état de la paire est répartie sur les
deux q-bits à la fois.
Plus généralement, on peut définir
quatre états intriqués particuliers, nom-
més « états de Bell »*, qui ont cette
même propriété. On ne peut pas les
distinguer les uns des autres si l’on ne
mesure que l’un des deux q-bits de la
paire, car une telle mesure résulte tou-
jours en un bit aléatoire, comme on l’a
vu ci-dessus. En revanche, la mesure
conjointe des deux q-bits, nommée
« mesure de Bell », suffit à la détermi-
nation sans ambiguïté de l’état dans
lequel se trouvait la paire. En outre, une
intermédiaire entre la vie et la mort
tant que l’on n’a pas ouvert la boîte où
il est enfermé, lire l’article de Serge
Haroche, Jean-Michel Raymond et
Michel Brune, p. 76). Un q-bit décrit
de cette manière n’a pas d’analogue
classique : un bit classique est soit un
0, soit un 1, mais jamais un état inter-
médiaire. Si l’on mesure un q-bit dans
un état de superposition, on a une cer-
taine probabilité d’obtenir la valeur 0
et une autre probabilité d’obtenir la
valeur 1, la somme des deux probabi-
lités étant égale à 1 [fig. 1].
Ainsi, un q-bit associé à un photon qui
se trouve dans un état de polarisation
diagonale (dont l’orientation fait un
angle de 45 degrés avec l’horizontale)
peut être interprété comme étant dans
une superposition*uniforme des états
de polarisation horizontale et verticale,
notée |0>+|1>. Si un filtre polarisant
vertical est placé sur la trajectoire du
photon, la probabilité que ce dernier
soit détecté en aval (donc que l’on
obtienne la valeur 1) est de 1/2, tout
comme la probabilité que le photon
ne soit pas détecté (et que l’on obtienne
la valeur 0). Toutefois, le q-bit dans
l’état |0>+|1> n’est pas une sorte de bit
aléatoire, comme s’il résultait du tirage
au hasard de boules portant les chiffres
0 ou 1. En effet, on détecte toujours le
photon de polarisation diagonale en
aval d’un filtre polarisant diagonal, tan-
dis qu’un photon polarisé horizontale-
ment ou verticalement ne serait détecté
qu’avec une probabilité de 1/2 derrière
un filtre polarisant diagonal : l’état |0>
ou |1> est une superposition uniforme
des états de polarisation diagonale
(|0>+|1>) et antidiagonale (|0>–|1>).
Ce principe de superposition rend le
traitement de l’information quantique
très différent de celui de l’information
classique. Cet effet est d’autant plus
par la recherche de traitements de l’in-
formation économes en énergie, les
physiciens qui se sont intéressés au
codage de l’information sur des parti-
cules isolées, comme un atome ou un
photon, ont rapidement découvert que
le concept même d’information en est
bouleversé. À cette échelle, ce sont en
effet les lois de la mécanique quantique
qui s’appliquent. On observe alors des
phénomènes étranges. Ils ont en par-
ticulier découvert et mis en pratique
un concept totalement nouveau, la télé-
portation quantique. Le terme, popu-
larisé par les scénaristes de la série
télévisée Star Trek pour désigner un
mode de transport par dématérialisa-
tion, est passé dans le langage scienti-
fique depuis cette découverte.
Ainsi, comme souvent, la mécanique
quantique déjoue l’intuition classique
en donnant lieu à des propriétés sin-
gulières et totalement insoupçonnées
de l’information portée par une parti-
cule individuelle. L’état de polarisa-
tion*d’un photon peut, par exemple,
représenter un « bit quantique », que
l’on nomme q-bit. On identifie, de
manière conventionnelle, la polarisa-
tion horizontale du photon à l’état quan-
tique que l’on note |0>, et la polarisation
verticale à l’état que l’on note |1>*.
À première vue, il n’y a là rien de très
différent de la manipulation classique
de l’information : si l’on mesure le q-
bit en disposant un filtre de polarisation
verticale sur la trajectoire du photon,
la détection du photon derrière ce filtre
sera associée à un 1, alors que sa non-
détection équivaudra à un 0.
Superposition d’états
Toutefois, les lois de la mécanique quan-
tique ont une conséquence remar-
quable : un photon peut être dans un
état de polarisation intermédiaire entre
la polarisation verticale et horizontale,
et la valeur associée au q-bit reste alors
indéterminée jusqu’à sa mesure. On
décrit un tel état comme la superposi-
tion des états de polarisation horizon-
tale et verticale (la manifestation la plus
célèbre de ce principe de superposi-
tion quantique est le « chat de Schrö-
dinger », qui reste dans un état
*La
polarisation
d’un photon
est la direction
du champ
électrique
de l’onde
électromagnéti
que associée.
*La notation
|Ψ>a été
proposée par
le physicien
britannique
Paul Dirac pour
écrire le
vecteur d’état
qui caractérise
tout système
quantique.
*Une
superposition
des états |0>et
|1>est, de
façon générale,
notée
α|0>+β|1>, où a
et b sont des
nombres
complexes tels
que la somme
des carrés de
leurs modules
est égale à 1
(|α|2+|β|2=1). Si
l’on mesure un
tel q-bit, on
obtient le
résultat 0 avec
la probabilité
|α|2ou 1 avec la
probabilité |β|2.
Pour alléger les
notations, on a
omis le facteur
√2 dans les
exemples
concernant
l’état de
polarisation
diagonale d’un
photon que l’on
écrit |0>+|1>au
lieu de
(|0>+|1>)/√2.
86 LES DOSSIERS DE LA RECHERCHE Nº 18 | FÉVRIER 2005 |
1935
INTRICATION
EN MÉCANIQUE QUANTIQUE, L’ÉTAT D’UNE PARTICULE INDIVIDUELLE peut être
une superposition de deux états. Par exemple, l’état de polarisation diagonale d’un
photon (|0>+ |1>, en orange) est la superposition d’un état de polarisation horizon-
tale (|0>, en vert) et d’un état de polarisation verticale (|1>, en violet) : des photons
polarisés diagonalement sont détectés une fois sur deux derrière un filtre de polari-
sation verticale. Cette superposition diffère d’un mélange statistique de photons po-
larisés verticalement et horizontalement : la moitié seulement des photons d’un tel
mélange est détectée derrière un filtre de polarisation diagonal, tandis que tous les
photons polarisés diagonalement sont détectés derrière un tel filtre (en bas).
Fig.1 Une superposition quantique est distincte
d’un mélange statistique
100%
0% 100%
50%
50%
détecteur
filtre
polarisant
superposition
mélange
statistique
Une caractéristique
fondamentale
de l’information quantique
est sa non-localité.
3
3
*Les états
de Bell, ainsi
nommés en
l’honneur du
physicien
irlandais John
Bell, sont
de la forme
|0>x|0>+
|1>x|1>, |0>x|0>
– |1>x|1>,
|0>x|1>+
|1>x|0>, et
|0>x|1>
|1>x|0>.
fois vues seulement comme sources de
paradoxes, et des énoncés formulés dans
le but même de mettre en défaut la
mécanique quantique deviennent ainsi
des outils permettant de réaliser des
opérations sans équivalent classique au
niveau des quanta d’information.
N.C. et N.G.
eux seuls, aucune information sur l’état
du q-bit qu’Alice veut téléporter, car le
contraire perturberait nécessairement
celui-ci. D’ailleurs, le q-bit intriqué que
Bernard possède initialement ne
contient pas non plus d’information
puisqu’il existe avant même qu’Alice
ne mesure le q-bit inconnu. L’infor-
mation quantique ne se situe donc ni
dans les deux bits classiques ni dans le
q-bit de Bernard. Seule leur connais-
sance simultanée permet à Bernard de
reconstituer l’état quantique original,
bien que son q-bit n’ait jamais interagi
directement avec le q-bit qu’Alice veut
téléporter.
Quand cette technique de téléporta-
tion quantique fut proposée, en 1992,
peu de physiciens imaginaient qu’une
démonstration expérimentale serait pos-
sible rapidement. Toutefois, le côté spec-
taculaire et fascinant de l’entreprise était
tel que, dès la fin de 1997, trois équipes
88 LES DOSSIERS DE LA RECHERCHE Nº 18 | FÉVRIER 2005 |LES DOSSIERS DE LA RECHERCHE Nº 18 |FÉVRIER 2005 | 89
1935
INTRICATION
1935
INTRICATION
3C.H. Bennett, G. Brassard, A.K. Ekert,
Scientific American, 267, 50, 1992.
3C.H. Bennett, Physics Today, 48, 24, 1995.
3A. Steane, Report on Progress in
Physics, 61, 117, 1997.
3A. Zeilinger, Physics World, 11, 3, 1998.
3G. Alber et al., Quantum information : An
introduction to basic theoretical concepts
and experiments, Springer Tracts in
Modern Physics, Vol 173, Springer, Berlin,
2001.
www.larecherche.fr
POUR EN SAVOIR PLUS
L’INTRICATION QUANTIQUE, SOURCE DE PARADOXES, À DES APPLICATIONS
PRATIQUES. En mécanique quantique, deux particules peuvent être « intriquées » :
elles restent interdépendantes quelle que soit la distance qui les sépare; l’état de
la paire (parmi quatre états de Bell possibles) ne peut être déterminé que par la
mesure simultanée des deux particules (la mesure dite « de Bell »). Le partage d’une
paire de q-bits dans un état de Bell connu permet à Alice et Bernard d’échanger des
informations, grâce à la correspondance entre les quatre états de Bell et chacune
des quatre chaînes de deux bits possibles, et grâce à la possibilité qu’ils ont de pas-
ser de l’un de ces états de Bell à un autre par une action sur un seul des q-bits.
Ainsi, dans le codage dense (a), Alice modifie son q-bit de façon que l’état de la
paire corresponde à deux bits qu’elle souhaite transmettre (ici, par exemple, 10).
Puis elle envoie ce q-bit modifié à Bernard qui, en mesurant les deux q-bits simul-
tanément, en déduit l’état de la paire, donc la valeur des deux bits. La téléporta-
tion (b) est le scénario symétrique : Alice mesure, par une mesure de Bell, son
q-bit intriqué et le q-bit à téléporter, et en déduit deux bits (ici, par exemple, 11),
qu’elle envoie à Bernard. Celui-ci n’a plus qu’à modifier son q-bit en fonction des
deux bits reçus d’Alice : son q-bit se retrouve alors exactement dans le même état
que le q-bit d’Alice.
Fig.2 Codage dense et téléportation
Cet article est la version
revue et mise à jour
par ses auteurs du texte
paru dans le numéro 327
de La Recherche.
10
00
01
10
11
BernardAlice BernardAlice
Q-BITS BITS
rien
inversion
de bit
inversion
de signe
inversion
de bit et
de signe
ACTIONS
10
ab
11
11
Q-bit à
téléporter
Trois équipes ont réussi à démonter expé-
rimentalement le principe de téléporta-
tion quantique, en 1997. Du point de vue
expérimental, la principale difficulté de
la téléportation quantique est la réali-
sation par Alice de la mesure simulta-
née du q-bit qu’elle souhaite téléporter
et du q-bit intriqué qu’elle possède
(mesure de Bell), de telle sorte qu’elle
n’obtienne aucune information ni sur l’un
ni sur l’autre des deux q-bits mesurés,
mais uniquement sur leur corrélation
quantique.
Pour réaliser cet exploit, le groupe de Fran-
cesco De Martini, de l’université de Rome,
a exploité le fait qu’un photon peut porter
deux q-bits[7] : le q-bit téléporté et l’un
des deux q-bits intriqués. Dans ce cas, la
mesure de Bell n’implique plus qu’un seul
photon, ce qui simplifie l’expérience.
Le groupe d’Anton Zeilinger, de l’uni-
versité d’Innsbruck, a utilisé trois pho-
tons pour coder en polarisation les trois
q-bits intervenant dans le procédé de
téléportation[8]. Le plus simple est de
partir de deux paires intriquées, donc de
quatre photons, et de n’en utiliser que
trois, le quatrième servant pour la syn-
chronisation. Une difficulté de cette
approche est qu’Alice doit alors effec-
tuer la mesure sur deux photons prove-
nant de paires différentes. Afin de
surmonter cette difficulté, une mesure
simplifiée a été utilisée, ne permettant
de distinguer qu’un seul des quatre états
de Bell.
Finalement, le groupe de Jeff Kimble, de
l’Institut de technologie de Californie, n’a
pas utilisé une variable discrète, comme
un q-bit, mais une variable continue :
l’amplitude complexe d’un mode du
champ électromagnétique [9]. Il est en
effet plus facile d’effectuer la générali-
sation de la mesure de Bell sur de tels
systèmes. En revanche, il semble que les
distances sur lesquelles cette réalisa-
tion du protocole est possible soient intrin-
sèquement limitées.
Ces trois expériences ont ensuite stimulé
de nombreux travaux, et aujourd’hui la
téléportation d’un q-bit de lumière via
une fibre optique [10] ou encore la télé-
portation d’un q-bit atomique [11] sont
devenues des réalités expérimentales.
LA TÉLÉPORTATION QUANTIQUE DÉMONTRÉE
3La Recherche
a publié :
[I] A. Barenco,
A. Ekert, C.
Macchiavello
et A. Sanpera,
« L’ordinateur
sous le charme
quantique : un saut
d’échelle pour
les calculateurs »,
La Recherche,
novembre 1996.
[6]C.H. Bennett
et al., Phys. Rev.
Lett., 70, 1895,
1993.
[7] D. Boschi et
al., Phys. Rev.
Lett., 80, 1121,
1998.
[8] D.
Bouwmeester
et al., Nature,
390, 575, 1997.
[9] A. Furusawa
et al., Science,
282, 706, 1998.
[10]I. Marcikic et
al., Nature, 421,
509, 2003.
[11] M. Riebe et
al., Nature, 429,
734, 2004 ; M. D.
Barrett et al.,
Nature, 429, 737,
2004.
l’état d’un q-bit par l’échange de deux
bits classiques.
Principe de causalité
Comment téléporter un q-bit? Comme
pour le codage dense, Alice et Bernard
partagent initialement une paire de q-
bits intriqués dans un état de Bell
connu. Alice mesure simultanément
son q-bit intriqué et le q-bit à télépor-
ter : le résultat est l’un des quatre états
de Bell*. Elle peut alors transmettre
à Bernard la chaîne de deux bits clas-
siques correspondante par un moyen
quelconque de communication clas-
sique : ces deux bits indiquent à Ber-
nard laquelle des quatre opérations il
doit réaliser sur son propre q-bit intri-
qué pour que l’état résultant de celui-
ci coïncide exactement avec l’état initial
du q-bit qu’Alice voulait téléporter.
L’usage de l’intrication quantique rend
donc possible la transmission d’infor-
mation quantique par l’intermédiaire
de bits classiques. À nouveau, le prin-
cipe de causalité n’est pas remis en
cause par ce scénario, car la télépor-
tation du q-bit n’est pas instantanée :
les deux bits classiques sont transmis
au mieux à la vitesse de la lumière, qui
a une valeur finie.
De plus, les deux bits classiques trans-
mis d’Alice à Bernard ne donnent, à
indépendantes sont parvenues à véri-
fier expérimentalement, et de façon
presque simultanée, la téléportation
quantique (voir l’encadré « La télépor-
tation quantique démontrée », p. 88).
Nouveaux horizons
Ces réalisations ne sont sans doute
qu’un avant-goût des développements
qui pourraient, dans le futur, exploiter
ce prodigieux aspect des communica-
tions quantiques. On est encore loin
de coder de la « musique quantique »
sur des disques compacts de taille ato-
mique ou, plus sérieusement, de réa-
liser un hypothétique ordinateur
quantique[I]. Toutefois, on assiste aux
premiers balbutiements d’une théorie
passionnante de l’information quan-
tique, qui ouvre de nouveaux horizons,
totalement insoupçonnés au regard des
principes classiques de traitement de
l’information. Des lois quantiques, autre-
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