BARRACUDAS, ESPADONS ET BALISTE TITAN Existe-t-il d'autres animaux marins, suffisamment volumineux et agressifs pour inquiéter baigneurs, pêcheurs, plongeurs, chasseurs sous-marins ou toutes personnes susceptibles de croiser leur chemin ? Dans le registre des poissons potentiellement dangereux, ont été parfois évoqués les barracudas, les espadons et un poisson de récif connu surtout par les plongeurs : le baliste titan. Mais ici aussi, il est nécessaire de démystifier le risque et de clarifier leur situation. En effet, dans le milieu marin, les animaux ont rarement, en dehors du crocodile et peut être du requin-bouledogue et du requin-tigre, une pulsion ou un comportement prémédité d'emblée agressifs à l'encontre de l'Homme, à condition toutefois d'être prudent et de ne pas les approcher de trop près pour ne pas les effrayer. Lors de la plupart des rencontres, fortuites ou recherchées, ces animaux fuient ou nous observent à distance et se mettent en posture défensive à la moindre alerte, mais il est exceptionnel qu'ils déclenchent une attaque inopinée. Attention cependant car un accident peut toujours se produire, quand un animal surpris ou acculé, se sent en danger, surtout s'il a été blessé par un chasseur ou un pêcheur. A- Les barracudas Les Sphyrènes, plus communément appelés barracudas ou encore bécunes, sont des prédateurs carnassiers, dont le genre Sphyræna réunit une trentaine d'espèces. Présents dans les mers tropicales et subtropicales, ils ont colonisé depuis quelques années les côtes du nord ouest de l'Afrique et la Méditerranée, via le canal de Suez. Le corps du barracuda est allongé, fusiforme, gris argenté. Son ventre est blanc et ses flancs striés de bandes sombres. La mâchoire inférieure, prognathe, dépasse celle du haut, et met bien en évidence ses dents en forme de crocs acérés. La taille adulte de certaines espèces peut dépasser deux mètres. Ils vivent ou en solitaire, ou en banc important d'une centaine d'individus disposés en parallèle et presque immobiles près de la surface, ou forment en pleine eau une spire tournant lentement sur elle-même. Les plus vieux, les plus imposants, sont solitaires et réputés les plus dangereux. Le barracuda ressemble au brochet d'eau douce, comme le sanglier de nos forêts au phacochère des savanes africaines. Ces animaux sont des prédateurs redoutables à l'activité essentiellement nocturne. Ils séjournent en général assez près des récifs, mais on peut aussi les croiser en pleine mer lorsqu'ils sont en chasse. Ils sont capables de développer des vitesses de pointe phénoménales pour capturer les poissons, les poulpes et les calmars, dont ils se nourrissent. Ils ne connaissent que deux ennemis, les requins et l'Homme, qui les chasse au fusil à harpon ou les pêche à la ligne de traîne à partir du pont d'un bateau. Leur chair délicieuse est très prisée, mais elle est parfois contaminée par les toxines de la ciguatera, toxi-infection dont nous avons largement parlé, fréquente aux Antilles, dans l'Océan Indien, dans l'est africain, le sud-est asiatique et les îles du Pacifique. 300 Grand barracuda ou Sphyræna barracuda La réputation dangereuse du barracuda est due à son aspect figé, et à ses gros yeux qui ne vous perdent jamais de vue, donnant toujours l'impression qu'il est prêt à bondir sur vous. En fait c'est un grand curieux ! Curiosité qui le pousse à suivre les plongeurs dans leurs déplacements et à s'en approcher sans la moindre hésitation, même parfois de très près, si des objets ou des bijoux brillants attirent son attention. Comme les requins, le barracuda, perçoit de très loin les odeurs de sang et de chair de poisson. Il peut mordre par manque de précision, les chasseurs imprudents qui accrochent les prises à leur ceinturon ou les traînent à une distance trop proche de leurs mollets. C'est la cause principale des accidents. Ils ne sont pas mortels, mais ils donnent des plaies souvent délabrées, fréquemment surinfectées, comme les morsures de murène de congre ou de chien. Un barracuda blessé par une flèche peut se retourner contre le chasseur malhabile et l'attaquer. Sur un bateau de pêche, les morsures se produisent en général, au moment où on tente d'immobiliser le poisson sur le pont et de retirer l'hameçon de sa gueule. Quand il mord, le barracuda ne fait que se défendre. Attention danger en plongée ! Ne jamais stationner trop longtemps dans le territoire d'un grand barracuda solitaire, car il s'agace rapidement d'une présence étrangère. Pour exprimer son ressentiment, il lui arrive d'entreprendre un simulacre d'attaque et de foncer droit sur l'indésirable, la gueule ouverte et les dents bien en dehors. C'est 301 simplement pour impressionner, car habituellement il s'arrête net devant le plongeur et se sauve aussitôt. Mais il peut lui arriver de donner un coup de dents dans une des palmes, avant de prendre la fuite. Morsure chez un pêcheur A titre préventif, pour éviter de se trouver dans ce genre de situation particulièrement anxiogène, il faut, en toutes circonstances, toujours faire face au barracuda et bien sûr rester sur ses gardes et le plus serein possible. La prudence impose de ne jamais se baigner dans les endroits où les barracudas abondent, ni dans les eaux troubles à forte turbidité, ni la nuit, ni de porter de bijoux ou objets brillants au fort pouvoir attractif. B- Les espadons Avec l'espadon, animal emblématique des adeptes de la ''pêche au gros'' et le marlin qui lui ressemble, la probabilité pour un plongeur autonome de subir une attaque sous l'eau est à peu près aussi faible que celle de gagner le pactole au loto national. Et encore ! Espadon ou xiphias gladius 302 L'espadon est en effet un poisson pélagique. Il vit plutôt loin des côtes, à des profondeurs souvent importantes et ne remonte en surface, que pour se nourrir, essentiellement de calmars et de poissons. Très impressionnant par sa taille, jusqu'à 4 mètres de long, il en impose aussi par son poids, atteignant parfois 500 kg et par sa vitesse de pointe frisant les 100 km/h. Sa mâchoire supérieure osseuse et pointue, est aplatie comme une épée et mesure un peu moins du tiers de sa longueur, jusqu'à 1,30 m de long. Il est souvent confondu avec le marlin, qui appartient à une famille différente et dont le rostre est conique. L'espadon s'en différencie également, par une absence de dents et d'écailles chez l'adulte, par deux gros yeux ronds adaptés à la prédation nocturne et à la vision à de plus grandes profondeurs, par la présence d'une carène unique, sorte d'arête horizontale stabilisatrice de chaque côté devant la queue, alors que le marlin en a deux et enfin par l'absence de nageoires pelviennes. L'espadon est un animal très combatif. Quand il est ferré au cours d'une partie de ''pêche au gros'', il n'hésite pas à se servir de son rostre pour sa défense et à se précipiter sur l'agresseur. Il lui arrive même de foncer sur le bateau de pêche et de le percuter à pleine vitesse, pour tenter de le détruire. Le British Museum conserve dans ses réserves, une coque de bateau en bois perforée de part en part, par un rostre d'espadon de 56 centimètres de longueur ! Un espadon pris à l'hameçon n'abandonne jamais. Il est capable de faire des bonds spectaculaires hors de l'eau pour tenter de se libérer, faisant courir le risque de retomber sur le pont. Il est aisé d'imaginer les dégâts matériels à bord de la vedette et la gravité des blessures encourues par l'équipage. La seule agression directe connue date de 1966. Les causes de l'attaque n'ont jamais été bien définies. Elle concerne un chasseur, violemment heurté en plein visage par un espadon, par trente mètres de fond au large du sud de la Sicile. Sous la force de l'impact, le rostre de l'animal se fracture. La blessure perforante est profonde, allant du nez à la colonne vertébrale, et traverse les os de la face. Le plongeur parvient néanmoins à gagner son embarcation et à alerter les secours. Il est évacué vers l'hôpital le plus proche, où le chirurgien parvient avec la plus grande minutie et sans la moindre lésion hémorragique, à extraire l'extrémité du rostre. Elle mesure 16cm de long sur 4cm de large et 8mm d'épaisseur. Les suites sans séquelles ont permis au chasseur sous-marin de reprendre quelques mois plus tard ses activités. C- Le baliste titan Le baliste titan ou Balistoides viridescens est surtout connu des plongeurs et des nageurs, qui ont déjà eu l'occasion de faire l'expérience inoubliable de son agressivité. Ce poisson, dont la taille peut atteindre 80 cm de longueur, vit dans les lagons sablonneux, souvent à faible profondeur. Il est très présent en Mer Rouge, dans l'Océan Indien, mais aussi dans le Pacifique, en Nouvelle Calédonie et autour des atolls de Polynésie. Son corps de forme ovoïde, est aplati, de couleur vert olivâtre, et est orné d'un maillage bleu sombre formant des petits losanges. Sa tête, où prédomine la couleur jaune, porte deux gros yeux globuleux exorbités. Une bande 303 sombre, presque noire, surligne sa lèvre supérieure, d'où le nom commun de baliste à moustache, qui lui est attribué. Il a une bouche assez petite pour sa taille, munie de grandes dents adaptées à broyer le corail. Rien ne paraît inquiétant a priori, quand on l'aperçoit... Pendant la période de reproduction, les choses changent... Le baliste titan creuse tout d'abord un nid dans le sable, une sorte de cratère d'environ un mètre de diamètre, y dépose sa ponte et commence aussitôt à en assurer la défense, de façon aussi redoutable qu'inattendue. Pour se faire, il définit un ''no man's land'', un territoire de sécurité, sorte de cône tronqué virtuel, dont le sommet est le nid, la hauteur la profondeur de l'eau et la base la surface. Il va dès lors, systématiquement attaquer tout individu qui en franchit les limites, homme ou animal. C'est ainsi qu'on peut voir fondre soudain sur soi, si on est plongeur, sans sommation préalable et sans comprendre pourquoi, un baliste titan dont le dessein évident est de mordre, ce qu'il réussit à faire, si on ne l'a pas vu arriver ou si on n'a pu s'en débarrasser à coups de palmes ou de tuba. Et tant que ''l'indésirable'' n'aura pas quitté la zone interdite, sans jamais renoncer, ni fatigue apparente, le baliste titan enchaînera les assauts. Les morsures peuvent emporter quelques petits lambeaux de chair et même si ce n'est pas trop douloureux, l'expérience est particulièrement désagréable. Par précaution, pour préserver l'intégrité de ses doigts et de ses oreilles, même si ce sont les palmes ou la combinaison de plongée, habituellement les premières victimes, il est conseillé de s'éloigner prudemment, dès qu'on aperçoit un baliste titan dans son champ visuel. Baliste titan ou balistoides viridescens 304 Beaucoup d'animaux, comme les tortues avec leur bec puissant, ou les otaries et autres mammifères marins, aux mâchoires armées de dents coupantes sont susceptibles de mordre s'ils sont apeurés ou importunés. Ces organes leur servent à se nourrir, mais aussi à se défendre et à montrer à un ennemi potentiel, les limites à ne pas dépasser. Ainsi pour éviter accidents fâcheux et vilaines plaies, il importe de ne pas approcher de trop près les animaux, que nous sommes à même de rencontrer. Ce ne sont ni des bêtes de compagnie ni des animaux de cirque. Il faut respecter leur liberté et leur sens de la territorialité, sans jamais apparaître à leurs yeux comme une menace. Il ne faut ni les toucher ni les caresser et encore moins comme on le voit trop souvent dans certains clubs de plongée sous les tropiques, s'accrocher aux carapaces des tortues de mer. Un doigt est vite sectionné ! N'oublions pas que pour tous les animaux sauvages cités dans cet ouvrage, l'homme est un intrus dans l'environnement marin qui les entoure. Si nous dérogeons aux règles élémentaires de prévention, rappelées ici à plusieurs reprises et avec insistance, nous serons à chaque fois considérés comme des prédateurs et des ennemis potentiels. Nous sommes finalement, consciemment ou inconsciemment en partie responsables des accidents qui peuvent se produire et qui résultent le plus souvent d'une réaction bien naturelle de l'animal à vouloir se défendre, à préserver son territoire ou d'une malencontreuse erreur d'appréciation dans sa quête alimentaire. 305