La mémoire
collective
a zappé la
famine, ce n’est
pas une raison
pour tuer le
paysan.
L
a famine ravage le pays.
C’est au début du XIXe
siècle. Le Valais vient
d’être rattaché à la Suisse.
Lagriculture valaisanne nest
pas en mesure de satisfaire les
besoins essentiels; elle est affai-
blie par un archaïsme récurrent
et une plaine du Rhône réguliè-
rement inondée.
Les paysans sont livrés à eux-
mêmes, dans une société où rè-
gne l’apathie, faute de réelle vo-
lonté politique, faute de moyens
et, surtout, faute d’instruction.
Le Valais ne vit pas, il survit.
Conséquence, cette époque
marque le début des émigrations
vers le continent américain,
nord et sud, jusqu’à la fin du
XIXe siècle.
Isolement rompu,
le paysan relève
la tête
Deux événements majeurs
vont modifier en profondeur la
vie socio-économique du canton
dont 76% des travailleurs sont
occupés dans le secteur pri-
maire: larrivée du chemin de fer
entre 1850 et 1878 et la pre-
mière correction du Rhône dès
1864.
Le chemin de fer permet de
rompre l’isolement et d’amorcer
une politique d’échanges. Quant
à la correction du Rhône, tout en
assurant la viabilité du chemin
de fer, elle donne plus de 6000
hectares à lagriculture.
Léconomie rurale se déve-
loppe et le monde paysan sorga-
nise. Dès 1868, des sociétés
d’agriculture se mettent pro-
gressivement en place dans tout
le canton. Le verger et la vigne
prennent le pas sur les céréales.
En 1891 est créée la première
école d’agriculture, à Ecône.
Progrès techniques, structures
professionnelles, formation et
essor commercial permettent
de lutter contre la sinistrose
ambiante amplifiée par des
guerres, des épidémies, des ca-
tastrophes naturelles, puis plus
tard le phylloxéra et, surtout,
l’extrême morcellement des ter-
res.
Maurice Troillet
ou la révolution
agricole
Il faut cependant attendre l’ar-
rivée de Maurice Troillet au gou-
vernement (1913 – 1953) pour
que la révolution agricole se
mette en marche.
Ses objectifs sont d’une limpidi-
té évidente: «intensifier les tra-
vaux d’améliorations foncières,
réaliser le remaniement parcel-
laire, promouvoir lenseignement
professionnel et structurer le
monde agricole».
Il donne les impulsions indis-
pensables pour moderniser l’agri-
culture, augmenter les surfaces
cultivables, diversifier et rentabi-
liser la production, améliorer la
qualité des produits et organiser
leur écoulement.
Le Valais va enfin émerger de sa
pauvreté ancestrale. Le fait qu’une
bonne partie des habitants sont à
la fois paysan et ouvrier est égale-
ment bénéfique à l’économie.
Revers
de la médaille,
trois décennies
d’affrontement
Dans ce Valais nouveau à forte
progression industrielle, les fa-
milles d’agriculteurs vivent
mieux. La terre produit plus mais
la concurrence étrangère com-
promet lécoulement des produits
indigènes.
Les premiers signes de crise in-
terviennent en 1946 déjà, les to-
mates et les poires sécoulent diffi-
cilement. Le marasme atteint son
paroxysme en 1950 et les paysans
déterrent la hache de guerre. La
résistance musclée durera trois
décennies. Les principaux coups
d’éclat: la marche sur Berne en
1950, les émeutes de Saxon en
1953, les vignes maudites en
1961, les tomates au Rhône à Fully
en 1967, la «Guerre du fluor» de
1963 à 1983 et le dynamitage des
pylônes du coteau en 1980, l’af-
faire des pêches du Grand-Saint-
Bernard en 1976.
Mutation sociale
Durant cette période mouve-
mentée, les autorités réagissent.
A partir de 1951, le système des
trois phases permet de réglemen-
ter les importations en fonction
de la production indigène. En
1952 est institué l’Office de propa-
gande pour l’agriculture valai-
sanne (OPAV), puis en 1974 naît
la Chambre valaisanne d’agricul-
ture.
La mutation sociale saccélère. A
une société profondément rurale
se substitue une société socio-
professionnelle plus diversifiée,
encore accentuée par une nou-
velle révolution, le boom immobi-
lier touristique dès le milieu des
années 60.
Nouvelle ère
agricole, nouveau
souffle
En 1994, le nouvel accord géné-
ral sur les tarifs douaniers et le
commerce (GATT) va profondé-
ment modifier la politique agri-
cole fédérale.
La Confédération abandonne
progressivement le soutien aux
prix des produits pour passer à
une politique basée sur les paie-
ments directs. Ceux-ci sont versés
pour des prestations écologiques,
impliquant des activités plus res-
pectueuses de l’environnement.
Loin d’être un privilège accordé
aux agriculteurs, les paiements di-
rects constituent une part indis-
pensable de leur salaire. Sans eux,
les produits de lagriculture se-
raient plus onéreux car il faut bien
reconnaître que le labeur agricole
nest pas rémunéré à sa juste va-
leur.
Roland Puippe/CVA
Source: «Valais économique d’hier, d’aujourd’hui et de
demain – 200 ans d’histoire économique», Editions Valais
Valeur Ajoutée, publié dans le cadre du 200e anniver-
saire de l’entrée du Valais dans la Confédération.
TERRE
VALAISANNE
PAGE DE LAGRICULTURE VALAISANNE
www.agrivalais.ch
PUBLIREPORTAGE
La question qui tue
Invité dans le cadre de l’Exposition universelle de Milan à
s’exprimer sur «Comment garantir à l’humanité entière une
alimentation saine, suffisante et durable?», l’entomologiste et
biologiste valaisan, Hans Rudolf Herren («Suisse de l’année»
en 2014), a osé la question qui tue: «Pourquoi les
agriculteurs ne gagneraient-ils pas plus qu’un avocat
ou un ingénieur car leur travail est assurément plus
important puisque la nourriture est vitale pour tout
un chacun?»
«Il faut valoriser le travail des paysans afin qu’ils puissent
sortir de la pauvreté. Et cela n’est pas uniquement valable
dans les pays du Sud», argumente le créateur de la
Fondation Biovision. «En Suisse également, de nombreux
paysans ont du mal à s’en sortir et abandonnent leur
exploitation. Les prix des produits alimentaires ne
correspondent pas à leur valeur réelle.»
200 ans
d’agriculture
A l’origine des civilisations
«…les historiens ont toujours minimisé le travail têtu des paysans
qui avaient modelé le paysage et nourri ceux qui pouvaient se
consacrer à d’autres tâches plus visibles et plus prestigieuses.
C’étaient eux, les hommes attachés à la terre, qui avaient sustenté
les rois et les empereurs, qui avaient permis à Charlemagne ou à
Napoléon de manger à leur faim…»
Extrait du roman «Le milieu de l’horizon» de Roland Buti, qui célèbre le paysan à l’origine des
civilisations et de la Suisse (Agri, 31 juillet 2015)
Les conditions de travail et
d’existence ont drastiquement
changé pour les familles paysannes
(XIXe et XXIe siècles). Par contre,
ce qui n’a pas changé, c’est que la
population dans son ensemble a
besoin des agriculteurs tous les
jours, trois fois par jour.
CHARLES KREBSER, MÉDIATHÈQUE VALAIS - MARTIGNY
POUR PLUS D’INFOS:
Chambre valaisanne d’agriculture
Tél. 027 345 40 10 | www.agrivalais.ch
ÉCLAIRAGE
PIERRE-YVES FELLEY
DIRECTEUR DE LA CHAMBRE
VALAISANNE
D’AGRICULTURE
En deux siècles, le nombre
d’agriculteurs et le nombre
d’exploitations ont fortement
diminué suite à des restructu-
rations intelligentes, tout en
maintenant une capacité de
production couvrant la moitié
des besoins alimentaires de la
population du pays. Lagricul-
ture sest énormément diversi-
fiée et a réussi des mues positi-
ves.
Aujourd’hui, le monde pay-
san reste une des professions
les moins rémunérées de ce
pays alors que c’est celle qui
apporte à chacun d’entre nous
les aliments nécessaires à l’ac-
complissement de nos tâches.
Comprenne qui pourra! Mais
attention, la politique agricole
actuelle qui a tendance à trop
privilégier l’entretien paysa-
ger au détriment de la produc-
tion pourrait entraîner une
désagrégation hautement
dommageable de la société ru-
rale. Le monde politique doit
être beaucoup plus attentif à
ce danger qui guette l’agricul-
ture suisse en général et valai-
sanne en particulier.
La mémoire collective a zap-
pé la famine, ce nest pas une
raison pour tuer le paysan.
L’indispensable
paysan
En 1955, le 61% des exploitations
(13145) était géré à titre principal.
Cette proportion a chuté jusqu’en
1969 (17%) puis a augmenté
jusqu’à près de 45% en 2014.
Rendement
et revenus
Le rendement brut de
l’agriculture valaisanne
s’est élevé à 320 millions
de francs en 2013, soit
moins de 2% de PIB
cantonal (17 milliards
de francs).
Quant aux revenus de
l’agriculture, ils sont bien
plus faibles que les
salaires payés dans les
autres branches
économiques.
En plaine, ils dépassent à
peine 50 000 francs pour
un salaire de référence
de 72 000 francs. En
montagne, la situation est
encore plus douloureuse
puisque le salaire atteint
à peine 30 000 francs,
soit 30 000 de moins que
le salaire de référence,
p
aiements directs compris.
PHOTO VALAIS-WALLIS PROMOTION
NFOGRAPHIE NF
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