© Musée d’art contemporain de Lyon - 2010
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bonne table lyonnaise. Joseph Kosuth a entrepris un tour européen des nouveaux lieux
consacrés à l’art et des bastions dévolus à la gastronomie. Le contact s’est fait par Philip
Nelson de la galerie Gaston/Nelson
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. Le Musée, ou ce qui en tient lieu, est ouvert depuis cinq
mois
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. Cette question de la qualité de l’œuvre est au cœur du débat avec l’artiste puisqu’une
pièce de Joseph Kosuth intitulée Zéro & Non, récemment conçue pour une exposition au
120 West Broadway (New York), vient d’être écartée par Leo Castelli.
Alors que nous n’avions aucun projet particulier avec l’artiste encore quelques minutes
auparavant, ce refus nous convainc de produire l’œuvre, afin d’en faire l’expérience (car elle
n’existe pas encore) et de l’acquérir (si elle est « bonne », évidemment) pour conserver
l’intégralité de ce moment particulier. Cette œuvre est la première incarnation de notre projet
muséographique : elle est l’expression d’un moment et elle est une œuvre générique
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.
Sur la possibilité du Musée de collectionner des moments et sur leur « invention » (comme on
le dit d’un trésor), voir les notices consacrées à Abramović/Ulay, Baldessari, Buren, Fabre… Au
sujet de l’œuvre générique, nous la définirons comme un ensemble clos correspondant à une
temporalité spécifique ET à un projet artistique saisi dans sa totalité. Si l’on devait faire une
analogie avec le texte, on écrirait que l’œuvre générique relève moins de la phrase que du
chapitre. L’œuvre générique, complète (mais fragmentaire par rapport à une représentation
biographique par exemple), est une alternative au modèle de la collection générique incarnée
en France par le Louvre, collection encyclopédique, qui vise l’exhaustivité des œuvres, du
temps et de l’espace, exhaustivité que la globalisation, le temps réel et le couple
universalité/communautarisme rendent caduques aujourd’hui.
Dans Zéro & Non, Kosuth met en
place un jeu visuel et textuel qui
joue sur plusieurs niveaux. L’œuvre
se présente sous forme de papier
peint sur lequel est imprimé
plusieurs fois un extrait d’Au-delà du
principe de plaisir de Freud. Le texte
est totalement biffé et comprend un
système de chiffres et de bandes
colorées qui dessinent la possibilité
d’un espace linguistique donné.
L’œuvre occupe 800 m
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de murs et
répète vingt-deux fois le fragment
de Freud. Inaugurant une nouvelle
« série » de l’artiste, Zéro & Non est
produite par le Musée et présentée
du 15 juin au 15 juillet 1985
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, puis
elle sera reprise dans son principe
et exposée à travers le monde. Sa
première réapparition se fera à
Chambre d’Amis, à Gand, en 1986
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.
Conçue sous la forme d’une exposition temporaire, puis acquise par le Musée dans sa totalité,
Zéro & Non échappe au principe de recomposition, de reconstruction et d’échantillonnage qui
caractérise les collections encyclopédiques.
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Galerie Gaston/Nelson – 99, cours Émile-Zola, Villeurbanne – jusqu’en 1987. Philip Nelson (1956-
2006).
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Voir l’hommage rendu au « moment », incarné par l’exposition organisée par Seth Siegelaub à New
York et intitulée January 5-31, à laquelle participent Joseph Kosuth, Robert Barry, Douglas Huebler.
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Zéro & Non est la « première production » conçue afin d’être conservée dans la collection. Mais la
première production à être suivie par le Musée est celle de 4-8-84 de Georges Adilon entre avril et août
1984.
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Aux mêmes dates, le Musée expose aussi Lawrence Weiner.
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Exposition organisée par Jan Hoet, 21 juin-21 septembre 1986.
Joseph Kosuth, Zéro & Non, 1985. ©Blaise Adilon ©Adagp,
Paris 2010