JULIEN RENAUD
julien.renaud@lequotidien.com
CHICOUTIMI — Noël, c’est la société de consom-
mation poussée à son extrême. Et l’esprit de la
consommation est aux antipodes de l’esprit de Noël.
Voilà les postulats que pose le professeur de marke-
ting au Département des sciences économiques et
administratives de l’Université du Québec à Chicou-
timi (UQAC), Damien Hallegatte, invité à commen-
ter le caractère commercial de cette célébration.
« Noël, c’est le paroxysme de la société de consom-
mation, la jouissance sans limites, la perte de contrôle
accepté et même encouragé par la société. Ça démon-
tre que nous sommes moins civilisés, moins rationnels
que l’on pense. On a des pulsions de consommation »,
fait valoir le spécialiste en matière de marketing et
d’habitudes de consommation.
Mais comment expliquer un tel aveuglement ? Eh
bien, les activités de marketing des entreprises
pèsent énormément dans la balance, certes, mais les
consommateurs ne sont pas étrangers à la déforma-
tion de cette célébration. « Les gens ont envie d’ache-
ter, de se faire plaisir, de faire plaisir aux autres.
Mais la réponse à quels cadeaux acheter, pour quel
montant et de quelle qualité, vient de la publicité.
Elle suggère des modes de vie souhaitables », sou-
tient-il. Publicité intensive, promotions spéciales,
assortiments de produits spécialement pour Noël :
tous les moyens sont bons pour faire miroiter l’offre
exceptionnelle et à ne pas manquer qui attend les
consommateurs.
« Après cela, il y a un effet boule de neige, poursuit
M.Hallegatte. Il devient de plus en plus normal, ça
devient une norme, d’acheter une tablette numérique
à un jeune adolescent par exemple. En posséder une il
y a un an ou deux pouvait être perçu comme un signe
ostentatoire de richesse. Ne pas en posséder après le 25
décembre 2013 sera peut-être le signe qu’on est ‘‘loser’’. »
Ainsi, tout le monde accourt au centre d’achat pour se
procurer le produit de l’heure. Et devant un tel enthou-
siasme, ça devient la bonne chose à faire.
Consommer plus que d’habitude
Selon Damien Hallegatte, Noël a toujours été lié à
une consommation excessive. « C’est de consommer
plus que d’habitude, à commencer par la nourriture.
Et le rituel des cadeaux existe depuis longtemps »,
mentionne-t-il. Par contre, ce qui est plus récent,
c’est l’augmentation de la pression commerciale, esti-
me le professeur de marketing à l’UQAC depuis 2007.
« Les affaires de Noël sont installées juste après
l’Halloween, la musique est omniprésente dès novem-
bre. On conditionne avec l’esprit des Fêtes, qui repré-
sente la joie, l’insouciance, notamment l’insouciance
du compte de carte de crédit de janvier », ajoute celui
qui a récemment mis sur pied un blogue offrant une
critique de la société de consommation.
Le spécialiste explique cette augmentation des
techniques de marketing dites agressives par la
faible croissance économique qui caractérise le pays
et la province depuis la fin des Trente Glorieuses.
Selon lui, chaque compagnie redouble d’ardeur pour
profiter du peu de croissance dans un contexte où la
capacité de production excède les besoins réels des
gens.
Division, angoisse et compétition
Psychologiquement, ce caractère commercial peut
générer un certain stress et aussi une frustration.
Selon M.Hallegatte, les consommateurs sont frus-
trés quotidiennement par la consommation, puisqu’ils
aimeraient avoir toujours plus et qu’ils se comparent.
« C’est dommage de vivre une angoisse à l’aube de
Noël, ça devrait être un moment de détente », se
désole le professeur.
« Noël, c’est le rassemblement des familles. Mais la
consommation, c’est le contraire, ça divise les gens.
Il y a ceux qui peuvent se payer telle chose, ceux qui
ne peuvent pas et ceux qui l’achètent quand même. La
consommation fonctionne selon la compétition sociale.
Et c’est à cette période que la compétition est à son
niveau le plus élevé. Ça différencie les gens plutôt que
les rapprocher », renchérit le Français d’origine.
Damien Hallegatte estime que la consommation
devrait avoir une place plus marginale, à la faveur de
l’amour et du partage. Pour rééquilibrer la situation,
le professeur propose l’achat de services plutôt que
de biens et la conception de cadeaux personnalisés.
« Osez ! Par exemple, n’acceptez que l’argent pour
une cause, avertissez vos proches que vous remettrez
les cadeaux à une œuvre de charité, faites-vous des
cadeaux usagés, offrez-vous des coupons pour un
souper à la maison », invite le spécialiste. « Si on ose,
si on n’a pas peur de ce que les autres vont penser, on
devient beaucoup plus libre », renchérit-il.
« C’est à chacun de nous de changer, de rendre cette
fête moins commerciale. Ce n’est pas très facile, ce
n’est pas très difficile non plus. Il faut changer petit à
petit, éviter les changements radicaux. On ne se libè-
re pas d’un coup de mauvaises habitudes de consom-
mation prises au fil du temps. Ça se fait petit à petit,
ensemble », affirme M.Hallegatte.
Le mot de la fin : « On peut consommer moins,
dépenser moins, et passer de merveilleuses fêtes de
Noël ! La joie, le bonheur, le plaisir ne sont pas pro-
portionnels à la dépense. Plus on est heureux, moins
on a besoin d’acheter. »
o
Noël, une fête commerciale
Le professeur Hallegatte y voit la société de consommation poussée à son extrême
Le professeur de marketing Damien Hallegatte estime que la
fête de Noël représente la société de consommation poussée à
son extrême.
(Photo Rocket Lavoie)
Les gens ont envie d’acheter, de se faire plaisir,
de faire plaisir aux autres. Mais la réponse à
quels cadeaux acheter, pour quel montant et de
quelle qualité, vient de la publicité. »
- Damien Hallegatte
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LE QUOTIDIEN - LE SAMEDI 14 DÉCEMBRE 2013
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