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Géosciences • numéro 3 • mars 2006
edito
Christian Brodhag
Délégué Interministériel
au Développement Durable
Ministère de l’Ecologie et
du Développement Durable
© Eric Nocher
Sciences éclairantes, coutumières des échelles tem-
porelles géologiques, les géosciences nous donnent
les principales clés d’analyse du phénomène des
changements climatiques. La connaissance des
paléoclimats,rendue possible grâce aux échantillons
d’atmosphère piégés dans les glaces, est sans doute
l’élément le plus déterminant et immédiat dans la
compréhension et la mobilisation des décideurs. Les
modèles complexes et leurs incertitudes ne parlent
pas aussi clairement à l’opinion que des «bulles fos-
siles». La bonne connaissance des évolutions du
climat,sa modélisation et une observation fine nous
permettent d’identifier la contribution anthropique
et,par conséquent,les responsabilités directes de nos
modes de développement non durables.
La plupart des phénomènes actifs de ces changements
se produisent aux interfaces entre les grands
réservoirs, atmosphère,hydrosphère,biosphère et litho-
sphère. Ils ne peuvent être compris que par des
approches transdisciplinaires, par le couplage entre
des modélisations toujours plus complexes alimen-
tées par des observations toujours plus diversifiées.
Certains de ces domaines d’interface sont traités dans
cette édition, comme le retrait–gonflement des sols
argileux,l’érosion du littoral et la dynamique des traits
de côtes ou les eaux souterraines... Une bonne anti-
cipation de ces changements est la condition d’un
dimensionnement correct des politiques d’adaptation.
La stratégie française d’adaptation aux changements
climatiques, dont la rédaction vient d’être achevée,
trace des premières pistes mais elle n’est qu’une pre-
mière étape qui appelle à la mise en œuvre d’études
régionales mobilisant largement les géosciences.
Sciences agissantes, les géosciences portent leur part
de responsabilité dans les changements climatiques
puisque l’exploration et l’exploitation des richesses fos-
siles du sous-sol ont permis l’utilisation massive des
énergies fossiles carbonées ; ces gisements fossiles que
les activités photosynthétiques du passé lointain ont
pu péniblement retirer de l’atmosphère. Les mêmes
connaissances vont nous permettre de stocker le CO2.
Mais cette application d’avenir prometteuse risque tou-
tefois d’apparaître comme la solution ultime permettant
d’exploiter sans compter le charbon. Elle ne nous dis-
pense pas de prendre des mesures d’économie d’énergie
et de diversification vers les énergies renouvelables.
Dans ce sens les géosciences peuvent aussi apporter
leur contribution à la diète énergétique par la
géothermie et l’exploitation des énergies marines sur
lesquelles la France et la Grande Bretagne mobilisent
conjointement leur expertise.
Le monde qui s’ouvre est profondément différent de
celui que nous devons abandonner. Au-delà des pro-
ductions alimentaires, les agroressources seront
mobilisées sur l’énergie (biocarburant et biocombus-
tibles), les matériaux ou la chimie. Les tensions sur
l’utilisation des terres s’accentueront notamment
en compétition plus forte avec les espaces naturels
qui procurent de nombreux services écologiques.
Ces services des écosystèmes,dont une récente étude
des Nations Unies a montré la fragilité et l’importance,
mériteraient d’être étudiés de façon approfondie.
La planification de l’usage des terres et la gestion des
services écologiques et des agroressources devront
s’appuyer sur un recours accru aux géosciences.
Le développement d’approches nouvelles,comme l’éco-
logie industrielle, vise finalement à réguler les grands
cycles biogéochimiques comme celui du carbone en
intégrant une nouvelle sphère :la socio-technosphère.
Si le protocole de Kyoto et la directive européenne sur
les quotas ouvrent la piste à un marché des émissions
de carbone, ce marché repose sur la capacité à définir
des entités,des systèmes pour lesquels on pourra établir
des bilans captation /émission de CO2et construire un
système d’allocation vérifiable. Le Plan National-
d’Allocation des Quotas (PNAQ) ne concerne aujourd’hui
que les grandes installations industrielles ; multiplier
les projets domestiques, dans le domaine de l’agricul-
ture, des transports ou du bâtiment, nécessite cette
capacité de faire un bilan fiable et peu coûteux.
En effet les méthodes développées par les géosciences
en termes d’observation, de modélisation,de gestion
d’informations géoréférencées ou de représentation
mériteraient d’être mobilisées plus largement dans
la prise de décision et dans le soutien à des politiques
innovantes.
Il faut en effet à la fois que la vérité sociale et éco-
nomique s’appuie plus sur la vérité scientifique quand
celle ci est fondée,et sur des processus de précaution
quand elle ne l’est pas. Les sciences en général, et
les géosciences en particulier, sont au cœur des stra-
tégies de développement durable, les connaissances
scientifiques doivent donc être au cœur de la société,
mais pour cela elles doivent apprendre à dialoguer
avec les profanes, mettre leurs doutes et leurs certi-
tudes sous les feux des interrogations profondes de
la société. Il n’y a de connaissance scientifique aboutie
qu’une fois partagée largement par la société.
Cette présente édition contribue à ce partage de
la connaissance.
Géosciences
et changements
climatiques