Quand le pharmacien téléguide le pilulier

publicité
PARTAGE DE COMPÉTENCES
Expérimentation Paerpa en Lorraine
Quand le pharmacien
téléguide le pilulier
Dans le cadre des expérimentations
des parcours de soins de personnes âgées
en risque de perte d’autonomie, l’agence
régionale de santé de Lorraine teste
actuellement la mise à disposition
gratuite de piluliers électroniques,
E
Inspiration61-Fotolia.com
pour favoriser l’observance.
Par Véronique HUNSINGER
Expérimentatrice des Paerpa, les parcours de soins des personnes âgées en
risque de perte d’autonomie, depuis cet
automne, la Lorraine a décidé de mettre
le paquet sur le médicament et le rôle du
pharmacien. Avec notamment une action
emblématique, même si le dispositif en
est encore à ses balbutiements : la mise
à disposition gratuite d’une centaine de
piluliers électroniques. « C’est pour nous
l’occasion de tester dans la vie réelle l’utilisation d’un objet connecté qui incarne
la silver économie », explique Philippe Romac, chef de projet Paerpa pour l’agence
régionale de santé (ARS) de Lorraine.
En effet, le dispositif Paerpa a pour but
d’améliorer le parcours de soins des plus
de 75 ans via un certain nombre d’expérimentations qui se mettent en place progressivement sur neuf territoires dans
toute la France, depuis l’automne dernier.
Parmi leurs objectifs principaux, figurent
l’aide au maintien à domicile et la réduction des hospitalisations évitables, dont
un certain nombre est lié à l’iatrogénie. En Lorraine, l’expérimentation se
concentre aujourd’hui sur la communauté urbaine du Grand Nancy, où vivent
20 000 personnes de plus de 75 ans, un
territoire qui a la particularité d’avoir une
densité médicale comparable à Paris et
qui compte 107 officines. « Nous avons été
associés par l’ARS à la réflexion sur les
Paerpa dès le début, raconte Christophe
Wilcke, président de l’URPS pharmaciens.
Nous avons ainsi pu proposer un certain
nombre d’actions autour du médicament
avec l’idée de valoriser l’acte pharmaceutique dans un souci de sécurisation de la
délivrance du médicament. »
D’où l’idée du pilulier électronique,
un produit développé par la société
N°104 • mars 2015 •
39
PARTAGE DE COMPÉTENCES
22Décryptage
✔✔C’est positif !
●●L’utilisation du pilulier électronique assure une meilleure sécurisation de
la dispensation pour le patient, une aide à l’observance pour les patients
qui le souhaitent. Il présente une grande simplicité d’usage aussi bien
pour le pharmacien que pour le patient.
●●Cette expérimentation constitue un nouveau rôle pour le pharmacien.
●●Les différents acteurs sont gérés par la coordination territoriale d’appui.
●●La collaboration avec le médecin traitant s’est accrue à cette occasion.
●●Cette proposition est gratuite pour le patient.
✘✘Reste à améliorer
●●Les infirmières libérales ont montré quelques signes de résistances
à participer au projet.
●●Les proches du patient ne comprennent pas toujours l’intérêt
du dispositif.
●●Le modèle économique reste à trouver.
●●L’extension du dispositif sera forcément limitée.
40
• N°104 • mars 2015
DR
nancéienne Pharmagest et fabriqué par
Domedic. Depuis décembre, 8 officines
ont déjà proposé un premier pilulier à l’un
de leur patient intégré dans le programme
Paerpa et auquel le médecin traitant l’a
prescrit dans le cadre du « plan personnalisé de soins » (PPS). Cet objet connecté,
dont le financement est entièrement pris
en charge par l’ARS, est un gros boîtier
(d’environ 30 x 40 cm) qui comprend 28
cases. Le pharmacien remplit un pack
qui contient le traitement du patient et
qu’il lui suffit de placer dans le boîtier.
À chaque fois que le patient déchire le
blister de la case du jour, l’information
est transmise au pharmacien. « La mise
à disposition du DO-Pill ne nécessite
aucune installation particulière chez le
patient car les données sont transmises
par une puce présente dans la machine »,
explique Pascal Grandjean, responsable
client e-santé chez Pharmagest. « Le pilulier électronique permet de transmettre
une information qualitative sur l’observance du patient et d’engager un dialogue
entre le médecin, le pharmacien et le patient », souligne Erwan Salque, directeur
des opérations e-santé chez Pharmagest.
Le boîtier sert en premier lieu de pensebête au patient car il sonne à l’heure prévue de la prise. Si au bout d’une heure, la
case n’a pas été ouverte, une notification
Le pilulier électronique DO-Pill comprend une puce
qui transmet les informations sur l’observance.
est envoyée sur le serveur du pharmacien – sur un site web dédié –, de même
si plusieurs cases sont ouvertes en même
temps.
Portrait-robot du patient type
Les informations peuvent également être
transmises, si besoin, à un proche du patient, par mail ou par SMS. « Avec les premiers DO-Pill expérimentés, on constate
très peu d’erreurs de prise mais plutôt des
retards ou quelques oublis », souligne Pascal Grandjean. Tout l’enjeu est de fournir ce type de dispositif au patient qui
en a réellement le besoin. Quel est son
portrait-robot ? « Le pilulier électronique
ne convient pas à tous les patients âgés,
explique le Dr Éliane Abraham, gériatre,
coordinatrice du réseau gérontologique
Gérard-Cuny de Nancy. Il faut que ce soit
un patient a priori compliant mais qui fait
quelques erreurs ou oublis dans la prise
de ses traitements. Si un patient n’en a pas
envie, ce n’est pas le pilulier électronique
qui va le faire devenir observant. ».Les
premières erreurs de « casting » – notamment des patients souffrant d’une maladie
d’Alzheimer déjà trop avancée – servent à
affiner la cible des piluliers. « Il doit s’agir
d’un patient polymédiqué, avec une ordonnance d’au moins cinq lignes, et dont
les troubles cognitifs sont très légers,
encore relativement autonome mais qui
reconnaît avoir besoin d’aide pour être
observant », souligne Christophe Wilcke.
Le pilulier peut également être proposé
pour quelques semaines seulement, le
temps pour le patient de s’habituer à de
PARTAGE DE COMPÉTENCES
L’arrivée du « pharmacien traitant »
Une centaine de piluliers devraient être
prescrits et distribués dans les prochaines
semaines. L’expérimentation est prévue
pour 18 mois. Il est plus facile de s’inscrire dans la démarche pour les officines
de quartier qui connaissent bien leur patientèle âgée que pour les grandes pharmacies de centre-ville ou de zone commerciale. Pharmagest estime à 500 000 le
nombre de patients âgés et/ou chroniques
qui seraient susceptibles d’utiliser un pilulier électronique dans toute la France. « Le
pilulier électronique ne se substitue pas
nécessairement au pilulier classique et il
n’est pas utile à tout le monde, relativise
Christophe Wilcke. Cependant, on peut
imaginer qu’une officine puisse gérer au
maximum entre 10 et 15 piluliers électroniques à la fois. D’où l’intérêt de cette
expérimentation pour déterminer à qui et
comment ils sont utiles. En cas de généralisation, c’est aussi à la question du modèle économique qu’il faudra répondre. »
Pour réaliser cette mission, le pharmacien
est rémunéré actuellement 1,30 euro par
jour et par patient, en plus de sa rémunération de 30 euros lorsqu’il participe, le
cas échéant, à l’écriture d’un plan personnalisé de soins avec le médecin traitant et l’infirmière. « Avec le Paerpa, on
attend aussi du pharmacien qu’il joue un
rôle de repérage de la fragilité du patient
âgé, il est ainsi une porte d’entrée dans
le dispositif complémentaire au médecin
traitant », souligne Philippe Romac.
D’autres projets d’actions impliquant le
pharmacien sont aujourd’hui dans les
tuyaux à Nancy, en particulier la « conciliation médicamenteuse ». Cette expérimentation sera une adaptation à la ville
de ce qui a déjà été testé au Centre hospitalier (CH) de Lunéville. Elle consiste
à reconstituer la liste de tous les médicaments que prend réellement un patient.
Au CH, lorsque la question est posée lors
d’une entrée aux urgences, les informations données par le patient sont confrontées par le pharmacien hospitalier avec
celle du DP, auquel l’établissement a aujourd’hui accès, et aux ordonnances du
médecin traitant. Sur les 2 000 patients
passés aux urgences en un an, le pharmacien a relevé une erreur significative par
jour et une erreur potentiellement grave
VH
nouveaux traitements, par exemple après
une hospitalisation. Aujourd’hui, c’est le
pharmacien qui livre le matériel au domicile de son patient. La logistique est assurée par la coordination territoriale d’appui (CTA), une sorte de chef d’orchestre
des parcours Paerpa. « Lorsque le médecin traitant propose un pilulier dans un
PPS, nous contactons le pharmacien pour
lui proposer de participer à l’expérimentation si ce n’est pas déjà le cas », explique
Amina Benyahia, infirmière coordonnatrice de la CTA.
« Le pharmacien joue aussi un rôle
de repérage de la fragilité du sujet âgé »
Philippe Romac
par semaine, comme un patient qui ne dit
pas qu’il est sous AVK. « On est en train
de réfléchir à un dispositif similaire pour
la ville sous la houlette du pharmacien
d’officine, explique Christophe Wilcke. Il
serait en situation, en croisant plusieurs
sources, d’établir la liste complète des
médicaments pris par un patient et prescrits par le généraliste et les spécialistes,
en ajoutant ­l’automédication. La liste
pourra ensuite être transmise au médecin traitant et le pharmacien, à chaque
dispensation de médicaments, sera en
mesure de vérifier qu’il n’y a pas de divergence avec cette liste. » Sont aussi
prévus, à terme, des ateliers d’éducation
thérapeutique dédiés à l’observance médicamenteuse des patients âgés, initiés à
l’hôpital et prolongés en ville. Dans tous
les cas, les pharmaciens de la capitale lorraine semblent aujourd’hui très intéressés
par la démarche Paerpa, qui fait d’eux,
en quelque sorte, des « pharmaciens traitants » de leurs patients âgés. Comme une
préfiguration de l’évolution du métier du
pharmacien. n
N°104 • mars 2015 •
41
Téléchargement