27 janvier 2017 Science au LAB : News & Co Conséquences de la condensation d’eau sur la convection dans l’atmosphère des planètes géantes Dans l’atmosphère des planètes géantes du Système solaire, l’eau présente sous forme de vapeur dans les parties profondes se condense aux températures plus basses des couches plus hautes. Dans un article à paraître dans Astronomy & Astrophysics une équipe du LAB a étudié une conséquence jusque là négligée de la condensation : en altérant la distribution verticale de la masse moléculaire moyenne du gaz, la condensation de l’eau peut bloquer la convection et générer une couche d’isolation entre une atmosphère supérieure très pauvre en H2O et l’atmosphère profonde chaude et riche en vapeur d’eau. Ce travail revoit fortement à la hausse les températures de l’atmosphère profonde de Uranus et Neptune et identifie une cause possible aux violentes tempêtes de Saturne. Sur Terre et les autres planètes telluriques dotées d'une atmosphère, on appelle troposphère la partie la plus basse de l'atmosphère, en contact avec la surface. La chaleur déposée à la surface par le rayonnement solaire rend instable la structure verticale de la troposphère, générant de la convection. Des cellules d'air chaud peu dense montent tandis que d'autres chargées d'air froid plus dense descendent, mélangeant ainsi l'atmosphère et transportant la chaleur de la surface vers le haut. Dans les planètes géantes, dénuées de surface, la troposphère se prolonge vers les hautes pressions de l'enveloppe gazeuse sans frontière définie. La convection y transporte la chaleur déposée par le Soleil mais aussi le flux de chaleur interne que les planètes géantes génèrent en se contractant. En l'absence de phénomène de condensation, le gradient vertical de température dans la troposphère est dit adiabatique et ne dépend que de la capacité c a l o r i q u e C p d u m i l i e u . E n p ré s e n c e d e condensation, la convection transporte aussi de la chaleur latente mais l’expression du gradient reste connue. On parle d'un gradient humide ou sec selon que l'on est en présence ou non de condensation. Par l’observation, la température n'est accessible dans les planètes géantes que dans les couches de pression inférieure à quelques bars. Le calcul du gradient théorique est utilisé pour extrapoler la température dans les couches plus profondes. Toutefois, dans cette approche, un facteur était négligé : le changement du poids moléculaire moyen qui accompagne la condensation. Dans les parties profondes et chaudes de l'atmosphère, les molécules constituées des éléments les plus abondants (H, He, O, C, N) sont toutes à l'état gazeux et leur mélange confère au gaz une masse moléculaire moyenne qui ne varie quasiment pas avec l’altitude. En effet, outre la chaleur, la convection transporte la matière et homogénéise la composition de l'atmosphère. Mais en montant vers les couches plus froides, certains composés condensent, formant des nuages de gouttelettes liquides ou de particules glacées qui grossissent, tombent et se vaporisent plus bas. Le gaz ascendant s’appauvrit donc en espèces et éléments chimiques, ce qui modifie la masse moléculaire moyenne. Ce p h é n o m è n e s e p ro d u i t s u r Te r re p u i s q u e l'atmosphère s'appauvrit fortement en vapeur d'eau entre sa surface et le haut de la troposphère. Mais dans ce cas le gaz devient plus lourd à mesure qu'il monte car l'atmosphère est en majorité constituée de N2 et de O2 qui sont plus lourds que H2O. L’effet est déstabilisant et favorise la convection mais puisque la condensation se passe dans une atmosphère déjà convective, la structure thermique ne s'en trouve pas affectée. Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux : http://www.obs.u-bordeaux1.fr [email protected] 27 janvier 2017 La situation est différente dans les planètes géantes dont l’atmosphère est dominée par H2 et He, tous deux plus légers que les composés qui condensent : le méthane (CH4), l'ammoniac (NH3) et l'eau (H2O). En perdant ces composés condensables le gaz montant s’allège ce qui tend à stabiliser la structure verticale et peut inhiber la convection dans certaines conditions. Le transport de chaleur ne s'effectue alors plus que par échanges radiatifs tandis que seule la diffusion des molécules transporte et mélange la matière dans ces couches stratifiées. Ce phénomène avait été proposé dès 1995 par Tristan Guillot (Lagrange, Nice) mais il manquait un cadre théorique général incluant tous les ingrédients physiques. Cet article, écrit par Jérémy Leconte, Franck Selsis et Franck Hersant du LAB, en collaboration avec Tristan Guillot, pose les bases théoriques de ce phénomène et présente un critère général de mise en place ou d’inhibition de la convection en présence de condensation. Le cadre théorique étant posé, les auteurs l’ont appliqué au calcul du profil vertical des atmosphères des quatre géantes du système solaire : Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune, en s'intéressant en particulier à l'inhibition de la convection par la condensation de l'eau. Au-delà d’une certaine abondances en oxygène (et donc en H2O), la variation de masse moléculaire moyenne produite par l’appauvrissement en H2O devient suffisante pour stopper la convection et créer une mince couche stratifiée. Cette couche radiative stable agit comme un isolant qui limite le refroidissement de l'intérieur et résulte en des températures internes plus élevées. C'est pour Uranus et Neptune, très riches en H2O, que les conséquences sont les plus dramatiques. Le phénomène peut en effet isoler une région très pauvre en eau de l’enveloppe inférieure chaude très riche en eau, séparées par une couche de ~1 km d’épaisseur et dans laquelle la température augmente de 200 K. Science au LAB : News & Co Profils verticaux de température (à gauche) dans l’atmosphère de Saturne et Neptune pour différentes valeurs de l’abondance profonde de H2O (qint, exprimée en masse d’eau/masse de gaz). Les profils bleus sont calculés par la méthode classique, ceux en rouge avec le nouveau formalisme incluant la variation de masse moléculaire moyenne. En dessous d’une teneur critique en eau, les courbes rouges et bleues sont confondues. Mais au-dessus de ce seuil, apparaissent une couche radiative et un saut en température. A droite c’est la quantité d’eau qui est donnée en fonction de la pression (et donc de l’altitude). Les implications de ce phénomène sont nombreuses. Il pourrait notamment expliquer l'apparition de tempêtes périodiques sur Saturne, et devrait nous conduire à réviser fortement nos hypothèses sur le refroidissement, la structure thermique et la composition chimique des enveloppes des planètes géantes. Il conviendra dans le futur d’étendre ce type d’étude à des modélisations 3D et non plus seulement 1D comme dans ce travail. Pour aller plus loin : https://arxiv.org/abs/1610.05506 Contacts au LAB : Jérémy Leconte, Franck Selsis, Franck Hersant Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux : http://www.obs.u-bordeaux1.fr [email protected]