PERMIS DEMISSION NEGOCIABLES ET
COMMERCE INTERNATIONAL DANS
DES MARCHES DE CONCURRENCE
IMPARFAITE
Julien Bueb
, Sonia Schwartzy
Résumé
Les analyses qui étudient la manipulation par exclusion supposent
que les entreprises appartenant au marché des permis de pollution
participent au même marché de biens. Dans cet article, nous cher-
chons à savoir si des comportements stratégiques peuvent émerger
lorsque cette condition n’est pas satisfaite. Nous considérons ainsi des
entreprises se faisant une concurrence à la Cournot sur un même mar-
ché international de biens mais appartenant à des pays di¤érents. Seul
l’un des pays met en place un marché de permis pour réduire ses émis-
sions polluantes. Nous montrons ainsi que l’entreprise dominante sur
le marché des permis utilise ce dernier pour obtenir un avantage sur le
marché du bien, alors que les entreprises concurrentes n’appartiennent
pas à ce marché. Ce résultat élargit donc les possibilités de comporte-
ments stratégiques des entreprises sur le marché des permis en levant
une condition jusqu’ici jugée nécessaire par toutes les analyses. Par
ailleurs, nous montrons que les pouvoirs publics exercent un compor-
tement stratégique en utilisant deux outils, le plafond de pollution et
la dotation initiale accordée à l’entreprise dominante. Contrairement
aux analyses des politiques commerciales stratégiques où les pouvoirs
CRESE., Université de Besançon, 45D avenue de l’observatoire, 25030 Besançon cedex,
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publics agissent seuls pour octroyer un avantage à leur pays, nous mon-
trons que ces derniers délèguent à l’entreprise dominante, en partie,
cette fonction. Au …nal, le bien-être du pays domestique est plus élevé
lorsque le marché des permis est soumis à une position dominante
que lorsqu’il est concurrentiel. Toutefois, nous notons que l’ensemble
de ces stratégies n’est pas favorable à l’environnement, puisque, au
nal, le plafond de pollution est plus élevé qu’à l’équilibre concurren-
tiel. Néanmoins, il s’avère que ces stratégies peuvent conduire à un
niveau global de pollution qui se rapproche de celui correspondant à
l’optimum de premier rang.
Mots-clés : permis de pollution, manipulation par exclusion, poli-
tique environnementale stratégique
Classi…cation JEL : D43 ; F12 ; H23 ; L12 ; Q28
1 Introduction
Le protocole de Kyoto, entré en vigueur en février 2005, vise à lutter
contre le réchau¤ement climatique. Les pays de lannexe B de ce protocole se
sont engagés sur une réduction moyenne de 5,2% de leurs émissions de gaz
à e¤et de serre par rapport au niveau atteint en 1990. Les pays en dévelop-
pement ne se sont pas, à ce jour, engagés sur des réductions quanti…ées de
leurs émissions. Pour aider les pays à respecter leurs engagements, le proto-
cole prévoit l’instauration d’un marché international de permis de gaz à e¤et
de serre, qui doit être mis en place pour la période 2008-2012. Toutefois,
l’Union européenne s’est déjà dotée, depuis le 1er janvier 2005, d’un marc
du CO2. Cette première phase, qui s’achèvera …n 2007, a une vocation essen-
tiellement expérimentale. Lobjectif a¢ ché est de familiariser les entreprises
avec le marché de permis de pollution, encore peu utilisé en Europe compa
à d’autres continents. Ce type dinstrument a e¤ectivement été souvent re-
tenus ces dernières années pour réduire des problèmes de pollution. A titre
d’exemple, nous pouvons citer le programme de lutte contre les pluies acides
aux Etats Unis. Il a été le premier grand programme de marché de droits à
polluer et s’est avéré e¢ cace pour réduire les émissions polluantes à moindre
coût.
L’inrêt des marchés de permis de pollution est multiple. Les pouvoirs
publics …xent le plafond de pollution et laissent libre aux entreprises le choix
du nombre de permis à détenir. Ainsi, la possibilité d’échanger des permis
permet aux entreprises de faire un arbitrage entre réduire ses émissions et
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payer le coût correspondant, et continuer à émettre des substances polluantes
et acheter des permis au prix prévalent sur le marc. Ainsi, le marché conduit
les entreprises à choisir, de façon décentralisée, le niveau de réduction des
émissions qui minimise le coût global de la réglementation. Les réductions
choisies satisfont ce que lon appelle le critère d’e¢ cacité par les coûts. De
plus, cette répartition est obtenue quelle que soit lallocation initiale des
permis. Les pouvoirs publics peuvent ainsi distribuer les permis selon leur
objectifs - c’est-à-dire obtenir ou non un revenu - ou selon leur sens de l’équité
- dans le cas dune distribution gratuite - sans modi…er ce résultat de¢ cacité.
Toutefois, ces résultats sont remis en cause lorsquil existe des imperfec-
tions de marché que ce soit des coûts de transaction (Stavins, 1995), ou des
pouvoirs de marc1. A cet égard, il existe deux types de manipulation du
marché des permis. Par la "manipulation simple", une entreprise cherche à
utiliser sa position dominante sur le marché des permis pour minimiser son
coût de mise en conformité dans le domaine environnemental. Dans ce cas,
le critère d’ cacité par les coûts n’est plus respecté et l’allocation …nale des
permis dépend cette fois de l’allocation initiale (Hahn, 1984).
La "manipulation par exclusion" correspond à une autre logique. Une
entreprise, déjà dominante sur le marché des permis, utilise cette position
pour obtenir, ou renforcer, un pouvoir de marché sur le marché des biens. Si
Oates (1981) a été l’un des premiers à évoquer la possibilité de cette stratégie
lorsque les entreprises soumises au marché des permis appartiennent au même
marché de biens, ce problème a fait l’objet de plusieurs études, menées entre
autres par Misiolek et Elder (1989), Sartzetakis (1994, 1997) et Schwartz
(2007). Pour augmenter le coût des entreprises rivales sur le marché des biens,
il faut acheter plus de permis qu’à l’équilibre concurrentiel, exerçant ainsi un
comportement de sur-achat des permis. Si l’entreprise exerce initialement
un comportement de type monopole sur le marché des permis, les objectifs
de la manipulation simple et par exclusion coïncident et le prix du permis
résultant est toujours plus élevé que son niveau concurrentiel. Dans le cas
où l’entreprise dispose d’un pouvoir de type monopsone sur le marché des
permis, le prix issu de la manipulation simple le conduit à être plus faible
que son niveau concurrentiel, alors que le comportement d’exclusion le pousse
dans le sens contraire. Ainsi, selon la valeur de l’exclusion contenue dans le
permis, le prix peut se rapprocher, ou non, de son niveau concurrentiel.
Ces résultats sont obtenus en supposant que les entreprises intervenant
1Pour une revue de la littérature sur cette question, se référer à Schwartz (2006).
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sur le marché des permis participent au même marché de biens. A ce jour, au-
cune étude n’a cherché à savoir s’il existe des possibilités de comportements
stratégiques lorsque cette hypothèse nest pas véri…ée. Toutefois, la multipli-
cation récente des marchés de permis de pollution doit créer des situations
où des entreprises soumises à ce marché se retrouvent en concurrence sur le
marché des biens avec des entreprises qui nont aucune obligation de réduire
leurs émissions.
Par ailleurs, les di¤érentes études ont, à chaque fois, considéré le plafond
de pollution comme une donnée. L’intervention des pouvoirs publics n’est
donc jamais considérée dans ces analyses. Néanmoins, dans la lignée des
travaux sur la politique commerciale stratégique, ces derniers peuvent aussi
exercer un comportement stratégique lorsque les entreprises nationales sont
soumises à une concurrence internationale sur le marché des biens (Brander et
Spencer, 1985). Notamment, Kennedy (1994), Conrad (1993) et Ulph (1996)
montrent comment une taxe sur les émissions polluantes peut être utilisée
par le régulateur pour pro…ter d’une situation de concurrence imparfaite sur
le marché des biens.
L’objectif de cet article est donc de remédier à ces faiblesses de l’analyse
économique. Nous utilisons un modèle inspiré de Brander et Spencer (1985) et
Pratlong (2005). Dans un modèle de concurrence à la Cournot, nous étudions
ainsi le comportement dentreprises qui appartiennent à des pays di¤érents,
mais qui interviennent conjointement sur un marché international de bien.
Seul l’un des pays - le pays domestique - décide de mettre en place un marc
de permis de pollution. Sous cette hypothèse particulière, nous cherchons à
savoir si une entreprise dominante sur le marché des permis peut obtenir des
avantages sur le marché des biens. Par ailleurs, nous considérons explicite-
ment le comportement des pouvoirs publics en endogénéisant le plafond de
pollution. Nous essayons alors de déterminer si, dans ce contexte, les pou-
voirs publics exercent ou non un comportement stratégique. Nos travaux, de
ce point de vue, peuvent être considérés comme une extension de ceux menés
par Sartzetakis (1994,1997).
Nous montrons ainsi que l’entreprise dominante sur le marché des permis
utilise ce dernier pour obtenir un avantage sur le marché du bien, alors que
les entreprises concurrentes n’appartiennent pas à ce marché. Ce résultat
élargit donc les possibilités de comportements stratégiques des entreprises
sur le marché des permis en levant une condition jusquici jugée nécessaire
par toutes les analyses. Par ailleurs, nous montrons que les pouvoirs publics
exercent un comportement stratégique en utilisant deux outils, le plafond de
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pollution et la dotation initiale accordée à l’entreprise dominante. Contraire-
ment aux analyses des politiques commerciales stratégiques où les pouvoirs
publics agissent seuls pour octroyer un avantage à leur pays, nous montrons
que ces derniers délèguent à l’entreprise dominante, en partie, cette fonction.
Au …nal, le bien-être du pays domestique est plus élevé lorsque le marché
des permis est soumis à une position dominante que lorsqu’il est concurren-
tiel. Toutefois, nous notons que l’ensemble de ces stratégies n’est pas favo-
rable à l’environnement, puisque, au …nal, le plafond de pollution est plus
élevé qu’à l’équilibre concurrentiel. Néanmoins, il s’avère que ces stratégies
peuvent conduire à un niveau global de pollution qui se rapproche de celui
correspondant à l’optimum de premier rang.
L’article est structuré de la façon suivante. La section 2 présente les hy-
pothèses du modèle et la section 3 détermine l’équilibre de marché lorsque le
marché des permis est concurrentiel. Dans la section 4, nous introduisons de
la concurrence imparfaite sur le marché des permis et nous évaluons, dans
ce nouveau contexte, l’équilibre de marché. Nous comparons les résultats
obtenus dans la section 5. En…n, la section 6 conclut ce papier.
2 Le modèle
Les hypothèses du modèle que nous utilisons sont inspirées des travaux de
Pratlong (2005) qui introduit un marché de permis dans le modèle de Bran-
der et Spencer (1985)2. Nous considérons deux pays indexés par k,k=h,
f. Le pays hest le pays domestique et le pays freprésente le pays étran-
ger. Dans chacun de ces pays coexistent deux secteurs. Chaque secteur i,
i= 1;2est composé dune seule entreprise. Les entreprises d’un même pays
appartiennent à des secteurs d’activités di¤érents : deux entreprises, l’une do-
mestique, h, l’autre étrangère, f, constituent le secteur 1, les deux autres le
secteur 2. Dans chacun de ces secteurs, les entreprises produisent un bien sub-
stituable en quantités xk
i:Le coût de production est donné par les fonctions
ck
i(xk
i);avec ck
ixk
i
>0; ck
ixk
ixk
i
>08k; 8i: On pose ck
i(xk
i) = xk2
i
2. La production
totale en bien ipour chaque secteur est donnée par Xi=xh
i+xf
i:Le prix
du bien iest représenté par la fonction de demande inverse Pi=Pi(Xi)
2Contrairement à Pratlong (2005), nous supposons que le polluant réglementé est un
polluant local et qu’un seul pays décide de mettre en place un marché de permis. L’auteur
suppose que le marché des permis est concurrentiel, alors que notre article introduit une
entreprise dominante sur ce marché.
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