La détresse après l`alerte Le 10 septembre au matin, à 7h30, sur

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La détresse après l’alerte
Le 10 septembre au matin, à 7h30, sur une route, à Ravine Plate, en Martinique, ma vie
est bouleversé. Trou noir. Aucune reconstitution n’est possible due à l’amnésie posttraumatique. Un grave accident de voiture dont j’étais la conductrice arrête le temps
alors que je suis une jeune journaliste en pleine effervescence professionnelle. Je
travaille alors pour ATV, une chaîne privée martiniquaise. Ma première embauche suite
à mon stage de fin d’études.
Suite à cet accident, le coma. Le diagnostic vital est très engagé. Je suis prise en charge
par l’équipe médicale de l’hôpital de La Meynard, à Fort de France. C’est le début d’une
longue et difficile épreuve. Après 7 jours de coma, je refais surface, à la grande surprise
des médecins qui préparaient déjà mes proches, mes parents surtout, qui étaient venus
me soutenir, à ce que je meurs ou reste « un légume » pour le reste de ma vie.
La question du rôle des médecins se pose alors. Doivent-ils se prononcer, préparer les
familles au miracle ou au pire ?
A cette étape de réveil, la seule séquelle visible outre la fracture du bras est l’hémiplégie
gauche provoquée par le traumatisme crânien.
Quelques jours plus tard, je suis rapatriée en métropole à l’hôpital de la Pitié Salpetrière
à Paris. C’est là, qu’après plusieurs jours, ma conscience se réveille. Sous morphine pour
vaincre les douleurs de fracture, mon esprit voyageait loin du réel depuis mon réveil du
coma. C’est alors le retour à la réalité qui commence par le récit de ce qui m’est arrivé. Je
vois dans le regard de mes parents mon nouveau statut de miraculée dont je n’ai que
peu conscience.
A aucun moment, je n’ai imaginé que cette situation de patiente, notamment patiente
hémiplégique, n’était définitive. Il m’est toujours paru comme une évidence que j’allais
guérir quelque soit le temps que ça prendrait et l’énergie qu’il faudrait que je mobilise.
Ce voyage de nouvelle miraculée débute d’abord en service de réanimation où je suis
très bien entourée et ma famille aussi. Le personnel soignant est présent, attentif,
souriant et ne montre pas de compassion. Juste une volonté et un devoir d’effectuer leur
travail en restant dans une relation d’humain à humain. Cette attitude est positive pour
le patient qui prend suffisamment conscience de sa fragilité et des conséquences d’un
accident par son état physique. Garder un statut d’adulte, quand il n’est pas trop touché
neurologiquement, est essentiel pour se projeter et garder un but ou des repères
référents pour la vie qu’il veut avoir après.
Dans ce genre d’expérience, telle celle que j’ai vécu, la période d’hospitalisation n’est que
l’introduction d’une longue histoire ou le début d’un long combat.
Dans mon cas, comme pour beaucoup d’autres patients, la suite se passe dans un centre
de rééducation.
Ainsi, un mois après être revenue dans l’hexagone, l’équipe médicale et mes parents
choisissent pour moi, le centre de rééducation fonctionnelle et neurologique de l’hôpital
Raymond Poincaré, à Garches. L’établissement est réputé pour la qualité des soins qu’il
propose, notamment pour les graves accidentés de la route.
Un mois, jour pour jour, après mon arrivée à l’hôpital de la Pitié Salpetrière, je suis
admise à Garches. C’est le début d’un nouveau chapitre dans ma rééducation et ma
récupération. En effet, Même si elle ne permet pas de revenir à la vie d'avant, la
rééducation est indispensable pour retrouver ses capacités et son autonomie. C’est
souvent conseillé qu’elle commence le plus vite possible, dans un centre de
réadaptation. Les objectifs s’énoncent au pluriel : retrouver son autonomie, s’adapter
améliorer les capacités fonctionnelles, apprendre à vivre avec son handicap. Cette étape,
qui est aussi une reconstruction est souvent longue et fait appel à différents
professionnels, tels que les ergothérapeutes, les kinésithérapeutes et les orthophonistes.
L'ergothérapeute, par exemple, a ici un rôle prédominant pour aider le malade à
retrouver une autonomie. Disponible également pour les proches, il intervient dans un
premier temps avant le retour au domicile pour préparer la sortie de l'hôpital et
anticiper la suite et, dans un second temps, au moment du retour au domicile.
Concrètement, il procède à des mises en situation pour apporter des réponses pratiques
et spécifiques. Pour les activités du quotidien (habillage, préparation des repas,
démarches administratives), il propose des manières de faire, des aides techniques et
aménagements du domicile (fauteuil roulant, barres d'appui sur les murs, sièges de
baignoire) et des soins à domicile (pour le ménage, les repas). Pour retrouver une vie
sociale, l'ergothérapeute apporte des solutions pour mieux accepter le regard des
autres, surmonter les difficultés de communication, pour se déplacer et s'orienter à
l'extérieur…
Le kinésithérapeute a bien sûr un rôle essentiel. Même si une personne hémiplégique
retrouve difficilement toutes ses capacités, elle peut faire de gros progrès avec la
kinésithérapie afin d'utiliser au mieux son corps. En pratique, cette rééducation vise à
retrouver une motricité par différents exercices (renforcement des muscles,
amélioration de la circulation du sang, exercice physique...) ou à stabiliser les positions
(assise, debout), mais aussi à retrouver l'usage du membre atteint : utiliser la main
atteinte pour des petits gestes, développer le toucher et parfois les sensations et la force.
Dans mon cas, la kinésithérapie m’a apporté plus que je n’imaginais. Grâce à cette
pratique, j’ai remarché en un mois et mon hémiplégie s’est résorbée. Seule une paralysie
de mon poignet gauche est restée gênante et contraignante. J’apprendrai par la suite,
lors de ma dernière opération, que ceci était dû à l’écrasement du nerf radial gauche.
L'orthophoniste a aussi un rôle essentiel. En fonction du traumatisme subi, les séquelles
varient. Elles peuvent être les troubles du langage (aphasie). Concrètement, le malade
éprouve des difficultés pour construire des phrases, exposer sa pensée, prononcer les
mots et aussi comprendre. Le travail de l'orthophoniste consiste alors à rééduquer
parallèlement le langage écrit et le langage oral. L’orthophoniste prépare et habitue le
patient à ne pas faire semblant de comprendre lorsqu'un message est incohérent, mieux
vaut que la personne en prenne conscience. Autre diagnostic possible (notamment
quand c’est la partie droite du cerveau qui est touchée), le cerveau du patient peut ne
plus faire de connexions. Ainsi, il se cogne souvent, il cherche les objets placés à sa
gauche, son champ visuel occulte le côté gauche… L'orthophoniste va donc l'aider, petit à
petit et sur une longue période, à réduire ses troubles de lecture, à écrire, à mieux
s'orienter par exemple.
Dans une telle expérience, une étape essentielle est aussi d’accepter son corps diminué,
d’affronter les difficultés du quotidien comme se sentir envahissant pour ses proches...
Au-delà de l’handicap physique, il faut faire face à une souffrance psychique. De ce fait,
les dépressions ne sont pas rares. Le danger, est bien sûr qu'elles soient des freins à la
récupération, la rééducation. Il me semble que dans mon cas, la question ne s’est pas
réellement posée sous cet angle là. Cela grâce à la présence et au soutien de ma famille et
de mes proches qui m’ont donné la force de ne pas baisser les bras et le courage de
croire en cette récupération. Je ne me suis jamais retrouvée seule face à une difficulté ou
face à une prise de conscience douloureuse de mon état.
Dans le centre de rééducation de Garches, les rééducateurs font bloc avec les patients
contre l’anéantissement et pour les progrès. L’équipe médicale rééducatrice est
vraiment formidable pour son savoir-faire, l’énergie que chacun met dans la pratique de
son métier. La réputation de l’établissement ne s’est pas faite par hasard.
Il y a tout de même un aspect lésé dans ce chapitre commun à tous les patients
concernés. Il est reconnu qu’un soutien psychologique, aussitôt que possible, est très
utile pour surmonter cette épreuve. Il permet d'évacuer les angoisses et les sentiments
négatifs. Même en cas de troubles de la parole, les psychologues peuvent intervenir via
d'autres moyens de communication. Notamment et surtout pour les patients isolés qui
n’ont pas la chance d’être entourés par leurs proches. Dans le cas d’une hospitalisation,
telle que je l’ai vécue, la majorité de la journée se passe dans la chambre, alité, même si
les séances de rééducation se suivent. Le rythme de cette rééducation, soutenu mais
nécessaire, incite les patients à se reposer entre les séances. C’est une organisation
quotidienne où l’on a moins de temps pour soi. Le personnel soignant (infirmières et
aides-soignantes) a ainsi un rôle essentiel dans cette organisation. Il entoure le patient
dans le milieu hospitalier et l’aide à palier à ses incapacités pour le pousser sur le
chemin de l’autonomie.
Cependant la confrontation à cette relation soignant/soigné pousse à réfléchir et à
s’interroger sur cette organisation humaine.
En effet, un aspect est flagrant. La déshumanisation du personnel soignant, qui
contrairement aux rééducateurs, ne laisse pas le patient existé par sa réelle et propre
identité. Ces soignants considèrent que les soignés d’un même service s’équivalent,
qu’ils aient ou non les mêmes traumatismes. La communication entre soignants et
soignés est donc, par ce fait, déséquilibrée.
La manifestation d’un pouvoir et de contraintes, nourrie par ce déséquilibre, favorise un
ressenti de dépendance et d’inégalité entre le patient et le soignant.
Cet aspect néfaste et difficile à gérer, humainement parlant, se vit et s’observe au
quotidien. Que ce soit par un comportement globale ou par des petites réflexions faites
aux patients, le personnel soignant, même si ce n’est pas par méchanceté, n’épargne
aucun patient et rappelle à chaque instant cette situation d’handicap ou d’handicapé.
Le plus étonnant et choquant est que cette attitude se retrouve à tous les niveaux
hiérarchiques.
L’ importance de retrouver le bonheur dont beaucoup de médecins parlent, ne soucie ni
les soignants en contact avec les patients, ni les cadres de service qui ont plutôt
tendance à se cacher derrière leur fonction et leur responsabilité administrative.
Les centres de rééducation sont maintenant appelés « centres de soins de suite et de
réadaptation ». Pour beaucoup de patients qui ont subi un violent traumatisme, le
monde extérieur ou le retour à la « vraie vie » fait peur. Le sentiment d’être une charge,
animé par le comportement des soignants, est difficilement supportable. Pendant
l’épreuve de la rééducation, l’avenir se construit sur et avec une série de petites victoires
comme un muscle qui refonctionne, une zone qui redevient sensible, le retour de la
mémoire, du souvenir, de l’attention. Tout cela donne l’espoir et le courage de continuer
à mobiliser son énergie pour progresser encore.
Il faut mettre en œuvre beaucoup pour se reconstruire physiquement et
psychologiquement.
La perte de confiance en soi est une conséquence courante pour un patient qui traverse
cette épreuve. On se retrouve, même si le physique progresse, dans un détresse morale
telle qu’on ne sait plus dire qui nous sommes. Il est difficile de se projetter et l’attitude
du personnel soignant n’aide guère.
Une observation est certaine. Il y a un réel manque de formation du personnel soignant
pour leur apprendre à faire face et à réagir aux nombreux doutes des patients.
Ce personnel soignant est censé, « logiquement », aider les patients à lutter contre
l’égoÏsme de se laisser aller. Il doit les aider à ne pas sombrer.
Or l’ambiance des services animés par ce personnel pousse le patient à se questionner
sur lui-même et sur le « pourquoi » de sa situation. Mais ceci n’a rien de très constructif.
Ceci n’est que le témoignage d’une expérience vécue. Il ne s’agit pas de porter un
jugement mais juste de réfléchir et mettre le doigt sur une désorganisation humaine de
certains services. Désorganisation qui peut et a, sûrement, des conséquences sur
l’évolution de patients.
Cette aventure de 7 mois arrive à sa fin pour moi. C’est avec beaucoup de joie que je
peux aujourd’hui écrire que c’est une fin « heureuse » même si l’épreuve a été difficile et
douloureuse.
Ce témoignage est la réflexion extérieure d’une patiente qui restera reconnaissante pour
les soins qui lui ont été prodigués même si certaines situations humaines animent une
colère qui est loin daider à la reconstruction.
S’il fallait résumer les étapes d’une telle rééducation, je le ferai ainsi : le corps perdu, le
corps épuisé, le corps éprouvé, le corps réveillé, le corps espéré.
Je clôture cet écrit par des mots essentiels à l’évolution positive après un traumatisme
qui est synonyme d’alerte pour l’idée que l’on se fait de la vie : l’espoir, la force, les
sourires, l’échange équilibré.
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