Maladie d’Alzheimer, perspectives DOSSIER 1 Nouvelles thérapeutiques dans la maladie d’Alzheimer Le point sur l’immunothérapie n Les traitements actuels de la maladie d’Alzheimer (MA), inhibiteurs de l’acétylcholinestérase et mémantine, ont démontré une indiscutable efficacité sur les essais cliniques. Cependant, leur bénéfice reste très limité et leur impact réel dans la pratique clinique fait l’objet de controverses. Les progrès récents dans la compréhension de la pathogénie de la MA ont conduit au développement de nombreux agents susceptibles de modifier le cours de cette affection. La voie de recherche actuellement privilégiée est celle de l’amyloïdogenèse (1). C’est dans ce cadre que se situent les essais d’immunothérapie actuels. L’espoir qu’avait suscité leur mise en œuvre au début des années 2000 a pu être tempéré par les difficultés inattendues liées à leurs effets indésirables. La voie ouverte reste cependant d’actualité, avec une diversification des approches et des avancées majeures attendues dans les prochaines années. L a MA est caractérisée par une signature neuropathologique, maintenant bien établie. Le cerveau des malades présente une réduction substantielle de la population neuronale dans les cortex limbiques et associatifs, ainsi que dans les noyaux sous-corticaux qui se projettent sur ces aires corticales. Les lésions les plus évidentes et les mieux décrites dans les régions affectées sont les plaques amyloïdes et les dégénérescences neurofibrillaires (DNF). Ces deux types de lésions se retrouvent dans les régions hippocampiques, amygdaliennes, les aires associatives et certains noyaux gris. Elles sont fréquemment accompagnées, à des degrés variables, d’une pathologie amyloïde des microvaisseaux (angiopathie amyloïde congophile, AAC). *Centre de Recherche Clinique du Gérontopôle, Service de Gériatrie, Hôpital Purpan-Casselardit, CHU de Toulouse 494 Pierre-Jean Ousset et Julien Delrieu* Il existe actuellement un faisceau d’arguments solides pour penser que le primum movens de la MA est lié au métabolisme anormal de la protéine bêta-amyloïde, avec pour conséquence finale la formation des plaques amyloïdes dans le parenchyme cérébral. On distingue deux types de plaques amyloïdes, ou plaques séniles : les plaques diffuses et les plaques compactes. Les plaques diffuses sont retrouvées dans les régions extracellulaires, entre les prolongements neuronaux, les corps cellulaires paraissant, eux-mêmes, morphologiquement non altérés. En contraste, les plaques compactes s’accompagnent d’une altération du tissu cérébral avec activation microgliale et astrocytaire et sont généralement entourées de neurites dystrophiques contenant de la protéine tau. Le composant principal de ces deux types de plaques est le peptide bêta-amyloïde (Aβ) qui représente ainsi une cible majeure d’intervention. Les agents susceptibles de prévenir sa formation, sa déposition ou d’augmenter sa clairance pourraient in fine montrer un bénéfice thérapeutique. La voie de l’inhibition des β et γ secrétases, enzymes impliquées dans la production d’Aβ, est en cours d’investigation, mais la piste d’intervention actuellement la plus prometteuse est celle de l’immunothérapie (2). Les différents types d’immunothérapie Plusieurs approches d’immunothérapies dans la MA font l’objet des recherches en cours : • la première, celle de l’immuniNeurologies • Novembre 2011 • vol. 14 • numéro 142 Maladie d’Alzheimer, perspectives DOSSIER Tableau 1 - Avantages et inconvénients des différentes approches d’immunothérapie. Avantages Inconvénients Immunothérapie active avec Premier médicament à avoir montré Effets secondaires (méningo-encéphalite, Aβ42 synthétique entière une efficacité sur la charge amyloïde 6 % pour AN1792) chez les souris transgéniquesRéponse en termes d’anticorps : - 19,7 % pour AN1792 - la réponse à un auto-antigène peut être faible chez les sujets âgés -p as de maîtrise des titres d’anticorps chez les répondeurs Risque de réaction croisée avec l’APP Non réversible Immunothérapie active avec Évite les problèmes potentiels liés La réponse à un auto-antigène peut être des fragments synthétiques à une réponse T lymphocytaire faible chez les sujets âgés d’Aβ conjugués à une directement dirigée contre Aβ Risque de réaction croisée avec l’APP protéine porteuseRéponse en termes d’anticorps Non réversible Immunothérapie passive Pas de nécessité pour le patient de Effets secondaires : avec des anticorps développer une réponse immunitaire - œdème cérébral vasogénique monoclonaux dirigés au peptide Aβ (9,7 % pour le bapineuzumab) contre Aβ - microhémorragies Nécessité d’être répétée avec un risque de réponse secondaire anti-idiotype Aβ : peptide β-amyloïde ; APP : protéine précurseur de l’amyloïde. sation directe avec le peptide Aβ42 entier, synthétiquement produit, d’abord appliquée sur des modèles murins transgéniques, a fait l’objet de la première tentative d’immunothérapie anti-Aβ chez des patients MA ; cette voie met en jeu les réponses immunitaires des lymphocytes T, des lymphocytes B et de la microglie ; • la deuxième technique d’immunisation active fait appel à l’administration de fragments synthétique d’Aβ conjugués à une protéine porteuse, de manière à éviter les problèmes liés la survenue d’une réponse immunitaire, médiée par les lymphocytes T, directement dirigée contre le peptide Aβ ; • la troisième voie d’immunothérapie actuellement explorée, est celle de l’administration passive d’anticorps monoclonaux. Ces diverses approches présentent des avantages et des inconNeurologies • Novembre 2011 • vol. 14 • numéro 142 vénients qui sont résumés dans le tableau 1. Plusieurs hypothèses de modélisation des mécanismes mis en jeu ont été avancées : 1. dissolution des plaques : les plaques sont phagocytées par les cellules microgiales activées via le fragment Fc (fragment cristallisable) ; les anticorps pénètrent le tissu cérébral et par opsonisation de l’Aβ induisent un phénomène de phagocytose par la microglie activée via le récepteur Fc ; 2. “vidange périphérique” : la formation des complexes antigène-anticorps en périphérie attire hors du tissu cérébral l’amyloïde et prévient la formation de nouvelles plaques ; l’augmentation de la concentration sérique en Aβ, essentiellement liée aux anticorps, suggère de plus un passage direct de l’Aβ du tissu cérébral dans le sang circulant par accroissement de la clairance de l’Aβ soluble ; 3. inhibition de l’agrégation : la formation des complexes antigène-anticorps préviendrait l’accumulation de l’Aβ sous forme de plaques. la Place croissante des biomarqueurs Actuellement, dans les essais sur la MA, on utilise comme marqueurs d’efficacité les indicateurs cliniques de l’évolution de la maladie, qu’ils soient cognitifs, fonctionnels ou globaux. L’inflexion sous traitement des pentes évolutives de ces indicateurs cliniques constitue la mesure la plus communément utilisée dans les essais thérapeutiques. La difficulté d’associer comme co-indicateurs d’efficacité des biomarqueurs paracliniques provient de leur variation différentielle tout au cours de la maladie (Tab. 2). • Dans l’étude de phase II AN1792, une imagerie volumétrique par 495 Maladie d’Alzheimer, perspectives Tableau 2 - Biomarqueurs et immunothérapie dans les essais cliniques. DOSSIER EtudeMédicament SujetsAnalyses enAβAβ42Tau dansPiB-TEP IRM volumétrique plasmatique dans le LCR le LCR Gilman S et al.AN1792Anticorps NA NAPas d’effet NA 2005 répondeurs n = 11 Fox NC et al.AN1792Anticorps perte de NA NA NA NA 2005 répondeurs volume cérébral n = 45 élargissement ventriculaire Salloway et al. Bapineuzumab Non porteurs perte de NA NAPas d’effet 2009APOE-ε4 volume cérébral n = 47 élargissement ventriculaire Rinne et al. Bapineuzumab n = 20 NA NA NA NA charge 2010 amyloïde Salloway et al. Bapineuzumab n = 20 NA NAPas d’effet p-tau NA 2009Pas d’effet sur tau totale Siemers et al.Solanezumab n = 19 NA NA NA 2010 (Aβ totale) (Aβ totale) IRM : imagerie par résonance magnétique ; LCR : liquide céphalo-rachidien ; NA : non applicable ; PiB : composé de Pittsburgh B marqué au Carbone 11 ; : diminution ; : augmentation ; Aβ : peptide β-amyloïde ; TEP : tomographie par émission de positons. résonance magnétique (IRM) était réalisée avant traitement et à 12 mois ou en cas d’arrêt prématuré (3). Deux-cent-quatre-vingthuit patients ont bénéficié de ces deux examens avec un intervalle moyen de 10,9 mois. Les sujets répondeurs avec production d’anticorps (n = 45) ont présenté une diminution plus importante du volume cérébral global, un élargissement ventriculaire supérieur, calculé en pourcentage du volume cérébral initial et une diminution plus marquée, cependant non significative, du volume hippocampique, comparés aux sujets sous placebo (n = 57). On observait de plus, chez ces sujets répondeurs, une dissociation entre la perte volumétrique et le fonctionnement cognitif. L’explication de ces constatations demeure un sujet de controverses, cependant, un des mécanismes évoqués serait la détersion des plaques amyloïdes associée avec un hypothétique déplacement des fluides 496 cérébraux. Dans le petit groupe de patients qui avaient eu un examen du liquide céphalorachidien (LCR), on retrouvait une diminution significative de la protéine tau chez les sujets répondeurs par rapport aux sujets sous placebo (4). • Dans l’étude de phase II portant sur le bapineuzumab (5), les analyses exploratoires ont montré des différences en faveur du produit sur les indicateurs cognitifs et fonctionnels, mais également sur les biomarqueurs, essentiellement chez les patients ayant terminé l’étude et non porteurs de l’allèle ε4 du gène codant l’apolipoprotéine E (APOE-ε4). Les analyses en IRM volumétrique dans cette population en intention de traitement modifiée (mITT) n’ont pas retrouvé de différences globales en ce qui concerne le volume cérébral ou ventriculaire entre les groupes de traitement. Toutefois, les sujets non porteurs de l’APOE-ε4 ont présenté une moindre perte de volume cérébral dans le groupe bapineuzumab comparés au groupe placebo, ceci sans différence de volume ventriculaire. A l’inverse, chez les sujets porteurs de l’APOE-ε4, il n’y avait pas de différence pour le volume cérébral, mais on notait une augmentation significative du volume ventriculaire dans le groupe sous produit actif. • Dans une étude de phase II de “preuve de concept”, on a utilisé la tomographie par émission de positons (TEP) avec le PiB-C11 (composé de Pittsburgh marqué au carbone 11) pour apprécier les effets du bapineuzumab sur la charge amyloïde cérébrale (6). La variation du taux de rétention du PiB-C11 entre la valeur initiale et la soixante-dix-huitième semaine montrait une réduction significative de la rétention corticale en faveur du bapineuzumab. • La variation des biomarqueurs Neurologies • Novembre 2011 • vol. 14 • numéro 142 du liquide céphalo-rachidien (LCR) sur 52 semaines a été étudiée dans une petite sous-étude (20 sujets sous bapineuzumab, 15 sous placebo). Aucune différence n’a été mise en évidence en ce qui concerne la protéine Aβ42 ou la protéine tau totale. En revanche, il y avait une tendance à l’élévation de la protéine tau phosphorylée dans le groupe traité (5). • Dans une étude de phase I portant sur le solanezumab, on a mesuré les concentrations d’Aβ dans le plasma et le LCR 21 jours après une administration unique du produit (7). Une augmentation dose-dépendante du taux d’Aβ totale a été retrouvée dans le plasma et aussi dans le LCR. Immunothérapie : preuves du concept Résultats des études précliniques Les études précliniques ont montré que l’immunisation contre Aβ pouvait, dans les modèles animaux, prévenir la formation des lésions de la MA et même en inverser le processus. • Plusieurs équipes ont publié des arguments qui étayent la validité des stratégies d’immunisation active. Ainsi, on a montré une amélioration des performances cognitives après immunisation par Aβ42 en corollaire d’une réduction des lésions neuropathologiques (8). Ces constatations ont apporté, en outre, la première preuve directe qu’une réduction de la charge cérébrale en Aβ pouvait se traduire par une amélioration cognitive (9). Des rapports préliminaires ont Neurologies • Novembre 2011 • vol. 14 • numéro 142 aussi montré qu’une immunisation avec un fragment d’Aβ couplé à des polylysines pouvait aussi entraîner une réponse immunitaire réduisant les lésions cérébrales chez des souris transgéniques. Il semblait ainsi qu’une immunisation avec le peptide Aβ entier ne soit pas indispensable pour être efficace. Ces observations sont concordantes avec le fait que les anticorps dirigés contre les régions centrales et/ou amino-terminales du peptide puissent avoir un effet protecteur contre la pathologie amyloïde. • Plusieurs équipes ont également porté leurs recherches sur les stratégies d’immunisation passive et les premières expérimentations ont montré qu’une réaction humorale isolée, sans réponse cellulaire, était suffisante pour réduire la charge amyloïde en ayant un impact sur le trouble mnésique (10). Données autopsiques chez l’homme A la suite de l’essai d’immunisation AN-1792, Masliah et collaborateurs ont rapporté les données d’autopsie d’un patient traité qui n’avait pas développé d’encéphalite (11). Il n’y avait pas de plaques amyloïdes dans le cortex frontal et l’on notait la présence abondante de macrophages Aβimmunoréactifs ; en revanche, les DNF et l’angiopathie amyloïde étaient toujours présents. La substance blanche apparaissait normale et l’on observait une légère infiltration lymphocytaire des leptoméninges. Ce cas illustre les effets d’une immunisation anti-Aβ sur les lésions de la MA, en l’absence de méningoencéphalite déclarée. Immunothérapie : données cliniques • Après finalisation de deux études de phase I (12), une étude de phase IIa avec l’AN-1792 a été mise en route. Dans cette étude, 375 patients ont été randomisés avec un ratio de 4 pour 1, respectivement AN1792 ou placebo. Les indicateurs d’efficacité comprenaient le fonctionnement cognitif, les activités de la vie quotidienne, le volume cérébral et la concentration des biomarqueurs. Des signes et les symptômes évocateurs d’une ME ont apparu chez une faible proportion de sujets ayant reçu l’AN-1792 et l’administration du produit à l’étude a été complètement interrompu en janvier 2002 (13). Sur les 300 patients traités par AN-1792, 59 (19,7 %) ont développé la réponse en anticorps attendue. Les évaluations en double aveugle ont été poursuivies pendant 12 mois. On n’a retrouvé aucune différence significative entre les sujets répondeurs et le groupe placebo (4) en ce qui concerne la partie cognitive de l’échelle ADAS (Alzheimer’s Disease Assessment Scale, les échelles d’autonomie, le statut global évalué par la CDR (Clinical Dementia Rating), le Mini Mental Status (MMS) ou l’impression clinique de changement (CGIC). Cependant, l’analyse des z-scores de la Batterie de Tests Neuropsychologiques (NTB) a montré une différence en faveur du groupe répondeur. Bien que l’immunisation entraîne une clairance des plaques amyloïdes chez les patients, cette clairance n’empêchait pas la progression du processus neurodégénératif (14). • Dans l’étude de phase II du bapineuzumab, 234 patients ont été inclus et randomisés entre 4 groupes de dose (0,15, 0,5, 1 ou 2 mg/kg) et 497 DOSSIER Maladie d’Alzheimer, perspectives Maladie d’Alzheimer, perspectives Tableau 3 - Effets secondaires centraux de l’immunothérapie. DOSSIER Méningo-encéphalite Œdème cérébral vasogéniqueMicrohémorragies MédicamentAN1792 Bapineuzumab Bapineuzumab Dose-dépendance Non Oui Oui PhysiopathologieRôle essentiel des cellules Effet de l’APOE-ε4 ? Microhémorragies associées T Aβ-spécifiques à l’AAC Fréquence 6 % (18/298) 9,7 % (12/124)Rarement Sévérité des symptômes 6/18 avec séquelles 6/12 patients étaientAsymptomatique cognitives ou neurologiques asymptomatiquesDétectée en IRM 6/12 ont présenté des et en autopsie symptômes transitoires Latence 75 jours (latence médiane à 11/12 survenu après la doseDifficile à déterminer partir de la première injection) initiale ou la seconde dose car asymptomatique du produit à l’étude Implications cliniquesVaccins de deuxième Phase III avec une attentionExclusion des essais des génération (fragment d’Aβ) spéciale au statut APOE-ε4 patients avec maladies Dosages supérieurs du produit cérébrovasculaires ou abandonnés anomalies vasculaires en IRM Dosages supérieurs du produit abandonnés AAC : angiopathie amyloïde congophile ; IRM : imagerie par résonance magnétique. un groupe placebo. Les patients ont reçu 6 perfusions, à 13 semaines d’intervalle, avec une évaluation finale à la semaine 78. Aucune différence significative n’a été observée pour les critères principaux de jugement, cognitifs et fonctionnels. Cependant des analyses exploratoires chez les sujets ayant complètement terminé l’étude et chez les porteurs de l’APOE-ε4 ont retrouvé des différences en faveur du groupe traité. Ces différences concernaient l’ADAS-cog, la NTB, les échelles fonctionnelles (DAD), mais non l’impression clinique globale (somme des boxes de la CDR), avec également une simple tendance pour le MMS (5). Données de sécurité (Tab. 3) Méningo-encéphalite et AN1792 Des signes cliniques et biologiques évoquant une méningo-encéphalite (ME) se sont produits chez 498 18 des 298 sujets (6 %) traités par AN-1792, aucun cas n’apparaissant chez les 74 patients sous placebo (13). Avant l’apparition des symptômes, 16 des 18 patients affectés avaient reçu deux doses du produit à l’étude, un avait reçu une seule dose et un en avait reçu trois. Les latences médianes entre la première injection, la dernière et l’apparition des symptômes étaient respectivement de 75 et 40 jours. Aucun nouveau cas n’est apparu six mois après la première immunisation. Les titres d’anticorps anti Aβ42 n’étaient pas corrélés avec l’apparition des symptômes, leur sévérité ou leur disparition. Douze des patients ont retrouvé leur état initial, alors que six d’entre eux ont gardé des séquelles cognitives ou neurologiques. La physiopathologie de cette ME aseptique vaccinale n’a pas été complètement élucidée. La plupart des preuves réunies à ce jour vont dans le sens d’un rôle déterminant des lymphocytes T activés par l’Aβ42. Parmi ces preuves, on mentionnera notamment l’absence de corrélation entre la réponse immunitaire humorale et les caractéristiques de la ME. Seuls 15 des 18 patients affectés ont montré une production d’anticorps IgG spécifiques. Il n’y avait, de plus, aucune corrélation entre la sévérité ou le moment d’apparition de la ME que ce soit avec la spécificité des épitopes ou le niveau de la réponse immunitaire. Enfin, la grande majorité des sujets ayant développé une réponse immunitaire avec des anticorps anti-Aβ n’a présenté aucune ME. Tous ces arguments suggèrent donc un autre mécanisme que celui des anticorps anti-Aβ. Un des premiers arguments évoquant un rôle déterminant de l’immunité cellulaire est venu des études démontrant que la protéine Aβ42 comporte des épitopes capables d’activer les lymphocytes T, situés entre la partie centrale et le fragment C terminal de la protéine, les plus immunogènes étant en ­position 16-33. L’argument Neurologies • Novembre 2011 • vol. 14 • numéro 142 ­ ajeur en faveur de l’incrimim nation des lymphocytes T dans la ME est venu des études autopsiques des cerveaux de patients ayant reçu l’AN-1792 (15). Contrastant avec les patients sans encéphalite, on retrouvait dans le tissu cérébral des sujets affectés d’importants infiltrats lymphocytaires, plus prononcés au voisinage des vaisseaux, mais aussi dans le cortex et les espaces péri-vasculaires. Il s’agissait exclusivement de lymphocytes T, majoritairement de type CD4. La présence sélective de ces infiltrats chez les sujets ayant développé une ME suggère fortement une relation causale avec une réponse vaccinale de type cellulaire à l’Aβ42. Œdème vasogénique cérébral et bapineuzumab L’œdème vasogénique est la conséquence du passage liquidien à partir des vaisseaux dans le parenchyme cérébral par altération de la barrière hémato-encéphalique. Dans l’étude de phase II portant sur le bapineuzumab, 12 des 124 patients traités ont développé ce type de réaction (5). La moitié de ces cas s’accompagnait de signes cliniques, céphalées, confusion, sensations vertigineuses ou troubles de la marche. Aucun de ces effets secondaires n’a été observé chez les sujets sous placebo et il y avait, chez les patients traités par bapineuzumab, une relation claire de dose-dépendance. De manière intéressante, on notait aussi une plus grande fréquence de ces effets en fonction de la dose de l’allèle ε4 sur le gène codant l’APOE. Les signes cliniques ont été généralement d’intensité légère et réversibles à l’interruption ou à l’espacement des perfusions. Un patient, toutefois, a nécessité une corticothérapie anti-œdémateuse. Neurologies • Novembre 2011 • vol. 14 • numéro 142 L’hypothèse retenue pour expliquer ces phénomènes est que les porteurs de l’allèle APOE-ε4 puissent présenter une résistance au bapineuzumab agissant par un mécanisme de vidange périphérique. Les résultats attendus de l’étude de phase III de plus grande ampleur sur le bapineuzumab, ainsi que les données des autres essais d’immunothérapie, éclaireront mieux la physiopathologie de ce phénomène. Microhémorragies Alors que l’immunothérapie passive montre de façon constante une réduction des plaques amyloïdes, son effet sur l’AAC est moins évidente (16). Dans l’étude de Bacskai (10), l’injection intracérébrale d’anticorps anti-Aβ n’a pas eu de conséquence apparente sur l’AAC. Dans une autre étude (17), après un traitement de 3 à 5 mois, on retrouvait une action positive sur le trouble cognitif ainsi qu’une réduction de l’ordre de 90 % des plaques amyloïdes. En revanche, dans cette même étude, la sévérité de l’AAC était multipliée par un facteur de 3 à 4 et l’incidence des microhémorragies associées était 6 à 8 fois plus fréquente. Ces résultats étaient concordants avec une étude antérieure portant chez des souris transgéniques âgées où un anticorps murin de type IgG1 reconnaissant les fragments 3-6 N terminaux de l’Aβ humaine réduisait la charge amyloïde en doublant le risque de microhémorragies cérébrales. Il convient de noter que, dans ce travail, les saignements survenaient chez les souris âgées (21 mois en moyenne) et non chez les animaux plus jeunes (6 mois), sans incidence apparente sur la sévérité ou la fréquence de l’AAC. Racke et collaborateurs suggèrent que l’augmentation d’incidence des microhémorragies s’accompagne obligatoirement d’une liaison des anticorps aux plaques amyloïdes (18). Ces auteurs ont démontré que les anticorps dirigés contre le fragment N-terminal, connus pour se fixer avec une forte affinité sur les dépôts amyloïdes, exacerbaient les phénomènes de microhémorragies. En contraste, un anticorps dirigé contre la partie centrale de la protéine Aβ, incapable de se lier à sa forme déposée, n’avait aucune incidence ni sur la sévérité, ni sur la fréquence des micro-saignements. Un argument supplémentaire étayant cette théorie a été apporté par une étude plus récente (19) dans laquelle l’incidence, la fréquence et la sévérité des effets secondaires de l’immunisation passive chez les souris transgéniques étaient directement liées à la dose d’anticorps administrée. Les auteurs ont pu montrer qu’il existait une fenêtre de dose réduisant l’AAC sans exacerbation des microhémorragies. Perspectives et futures voies de recherche Médicaments en développement Outre le bapineuzumab, il existe d’autres produits de la même classe à des phases diverses de développement (Tab. 4). Le solanezumab est un anticorps monoclonal dirigé contre l’Aβ13-28. Il diffère du bapineuzumab à divers titres : • il reconnaît un épitope distinct, sur la portion centrale du peptide ; • alors que le bapineuzumab se lie plus fortement aux plaques qu’à la forme soluble de l’amyloïde, le solanezumab se lie sélectivement 499 DOSSIER Maladie d’Alzheimer, perspectives Maladie d’Alzheimer, perspectives Tableau 4 - Médicaments en développement. DOSSIER MédicamentPhasePharmacologie Sponsor ÉpitopeIsotype Vaccins actifs AFFITOPE AD02IIPeptide NAAffiris synthétique analogue fonctionnel du fragment N-terminal d’Aββ UB311Ib 1-14 NA United Biomedical ACC-001II 1-7 NA Wyeth (vanutide cridificar) + QS-21 CAD106II 1-6 NA Novartis V950 (Iscomatrix)I NP NA Merck Anticorps monoclonaux BapineuzumabIII 1-5IgG1 Janssen/ (AAB-001, N-terminal Elan/Pfizer ELN115727) libre SolanezumabIII 13-28IgG1Eli Lilly (LY2062430) PonezumabII 33-40IgG2Pfizer (PF-04360365)C-terminal libre MABT5102AI NP NP Genentech GantenerumabII NPIgG1Roche GSK933776AI N-terminal NP GlaxoSmith Kline Immunoglobulines OctagamII NA NA Octapharma GammagardIII NA NA Baxter Healthcare Corporation Identification(s) Voie sur ClinicalTrials.gov d’administration NCT01117818SC NCT00965588IM NCT01284387IM NCT01227564 NCT00479557 NCT00498602 NCT00955409 NCT00752232 NCT01238991 NCT00960531 NCT00959192 NCT01097096IM NCT00956410SC NCT01023685 NCT00464334IM NCT00996918IV NCT00574132 NCT00676143 NCT00667810 NCT00575055 NCT00998764 NCT00937352 NCT01127633IV NCT00905372 NCT00904683 NCT00722046 IV NCT00945672 NCT00997919IV NCT00736775SC NCT01224106SC NCT00459550 ? NCT00812565IV NCT00818662IV NP : non publié ; NA : non applicable ; IV : intraveineuse ; SC : sous-cutanée ; IM : intramusculaire. 500 Neurologies • Novembre 2011 • vol. 14 • numéro 142 Maladie d’Alzheimer, perspectives D’autres anticorps monoclonaux sont en cours d’investigation : • le PF-04360365 cible la portion libre C terminale de l’Aβ1-40, et plus spécifiquement l’Aβ33-40 ; • le composé MABT5102A se fixe avec une affinité équivalente aux monomères, oligomères ou à la forme fibrillaire de l’Aβ ; • le GSK933776A, qui, comme le bapineuzumab cible le fragment N-terminal du peptide amyloïde, et le gantenerumab sont respectivement en phase I et II. On retrouve naturellement des anticorps anti-Aβ dans les préparations d’immunoglobulines totales, déjà approuvées par la Food and Drug Administration pour le traitement de plusieurs autres maladies dégénératives. Des premiers travaux ont évoqué l’efficacité de ces préparations dans le traitement de la MA, avec comme avantages secondaires une longue expérience clinique, une bonne tolérance et l’évitement du coût de développement de nouveaux anticorps. Deux essais sont actuellement en cours avec ces produits (Tab. 3). Conçu de manière à éviter à la fois les effets de l’adjuvant QS-21 et les épitopes activant les cellules T du fragment N-terminal de l’Aβ, le CAD106 consiste en une courte Neurologies • Novembre 2011 • vol. 14 • numéro 142 séquence du fragment N-terminal, sans effet sur la réponse cellulaire, attaché à une structure pseudo-virale, sans adjuvant additionnel. Cet agent est actuellement en phase II de développement. Avec une nouvelle approche, la compagnie Affiris teste actuellement une courte séquence peptidique analogue du fragment N-terminal de l’Aβ qui induit une réactivité croisée contre le peptide natif. Deux de ces peptides, appelés “affitopes”, les composés AD01 et AD02, ont été testés en phase I avec de l’hydroxyde d’aluminium comme adjuvant. D’autres approches vaccinales sont en cours de développement (Tab. 4). Immunothérapie et pathologie de la protéine tau Les DNF, essentiellement composées de protéine tau hyperphosphorylée, représentent une autre cible importante dans la physiopathologie de la MA. L’immunothérapie anti-Aβ entraîne une augmentation marginale et indirecte de la clairance des agrégats tau dans les lésions dystrophiques, ce qui montre bien l’importance de développer des stratégies spécifiques dirigées directement vers cette pathologie tau. Dans des modèles murins de DNF, une immunisation avec un dérivé de la protéine tau phosphorylée a montré une réduction des agrégats cérébraux et un ralentissement de la progression des DNF (20). Une immunisation passive avec des anticorps anti-tau permet de diminuer l’intensité des lésions et le déficit fonctionnel (21). Ces résultats doivent être confirmés par des études ultérieures, notamment chez l’homme. Conclusion Outre ses possibles effets cliniques, l’approche immunothérapique fournit un cadre privilégié pour tester l’hypothèse amyloïde. La possibilité de traduction en termes de traitement et de possible prévention de la MA des résultats de l’immunisation contre une production protéique anormale dans les modèles animaux a été une source initiale de grand optimisme. Les voies actuelles de l’immunisation active visent à minimiser les réactions T lymphocytaires et à optimiser la production d’anticorps, cependant que se développent les stratégies d’immunisation passive (22). Il existe à ce jour de réels espoirs pour que l’immunothérapie montre un pouvoir de modification du cours de la maladie, tant en expérimentation animale que chez les patients atteints de MA. n Correspondance Dr Pierre-Jean Ousset Centre de Recherche Clinique du Gérontopôle Service de Gériatrie Hôpital Purpan-Casselardit CHU de Toulouse Email : [email protected] Mots-clés : Maladie d’Alzheimer, Immunothérapie, Anticorps anti-peptide bêta-amyloïde, Hypothèse amyloïde, Protéine tau hyperphosphorylée, Immunisation passive, Biomarqueurs, IRM, TEP, Liquide céphalo-rachidien, Apolipoprotéine E, Performances cognitives, Tests Neuropsychologiques, Bapineuzumab, Solanezumab, Gantenerumab, Tolérance, Méningoencéphalite, Oedème vasogénique, Microhémorragies 501 DOSSIER à l’Aβ soluble avec une très faible affinité pour la forme fibrillaire ; • il semble présenter moins d’effets secondaires centraux, avec lors des phases I et II absence d’arguments cliniques, biologiques ou d’imagerie en faveur de phénomènes œdémateux. Une phase III, dont l’achèvement est prévu pour 2012 est actuellement en cours avec ce produit. Maladie d’Alzheimer Actualités Bibliographie DOSSIER 1. Mangialasche F, Solomon A, Winblad B et al. Alzheimer’s disease: clinical trials and drug development. Lancet Neurol 2010 ; 9 : 702-16. 2. Menéndez-González M, Pérez-Piñera P, Martínez-Rivera M et al. Immunotherapy for Alzheimer’s disease: rational basis in ongoing clinical trials. Curr Pharm Des 2011 ; 17 : 508-20. 3. Fox NC, Black RS, Gilman S et al. Effects of Abeta immunization (AN1792) on MRI measures of cerebral volume in Alzheimer disease. Neurology 2005 ; 64 : 1563-72. 4. Gilman S, Koller M, Black RS et al. Clinical effects of Abeta immunization (AN1792) in patients with AD in an interrupted trial. Neurology 2005 ; 64 : 1553-62. 5. Salloway S, Sperling R, Gilman S et al. A phase 2 multiple ascending dose trial of bapineuzumab in mild to moderate Alzheimer disease. Neurology 2009 ; 73 : 2061-70. 6. Rinne JO, Brooks DJ, Rossor MN et al. 11C-PiB PET assessment of change in fibrillar amyloid-beta load in patients with Alzheimer’s disease treated with bapineuzumab: a phase 2, double-blind, placebo-controlled, ascending-dose study. Lancet Neurol 2010 ; 9 : 363-72. 7. Siemers ER, Friedrich S, Dean RA et al. Safety and changes in plasma and cerebrospinal fluid amyloid beta after a single administration of an amyloid beta monoclonal antibody in subjects with Alzheimer disease. Clin Neuropharmacol 2010 ; 33 : 67-73. 8. Schenk D, Barbour R, Dunn W et al. Immunization with amyloid-beta attenuates Alzheimer-disease-like pathology in the PDAPP mouse. Nature 1999 ; 400 : 173-7. 9. Janus C, Pearson J, McLaurin J et al. A beta peptide immunization reduces behavioural impairment and plaques in a model of Alzheimer’s disease. Nature 2000 ; 408 : 979-82. 10. Bacskai BJ, Kajdasz ST, Christie RH et al. Imaging of amyloid-beta deposits in brains of living mice permits direct observation of clearance of plaques with immunotherapy. Nat Med 2001 ; 7 : 369-72. 11. Masliah E, Hansen L, Adame A et al. Abeta vaccination effects on plaque pathology in the absence of encephalitis in Alzheimer disease. Neurology 2005 ; 64 : 129-31. 13es RENCONTRES DE NEUROLOGIES 12. Bayer AJ, Bullock R, Jones RW et al. Evaluation of the safety and immunogenicity of synthetic Abeta42 (AN1792) in patients with AD. Neurology 2005 ; 64 : 94-101. 13. Orgogozo JM, Gilman S, Dartigues JF et al. Subacute meningoencephalitis in a subset of patients with AD after Abeta42 immunization. Neurology 2003 ; 61 : 46-54. 14. Holmes C, Boche D, Wilkinson D et al. Long-term effects of Abeta42 immunisation in Alzheimer’s disease: follow-up of a randomised, placebocontrolled phase I trial. Lancet 2008 ; 372 : 216-23. 15. Nicoll JA, Wilkinson D, Holmes C et al. Neuropathology of human Alzheimer disease after immunization with amyloid-beta peptide: a case report. Nat Med 2003 ; 9 : 448-52. 16. Boche D, Zotova E, Weller RO et al. Consequence of Abeta immunization on the vasculature of human Alzheimer’s disease brain. Brain 2008 ; 131 : 3299-310. 17. Wilcock DM, Gharkholonarehe N, Van Nostrand WE et al. Amyloid reduction by amyloid-beta vaccination also reduces mouse tau pathology and protects from neuron loss in two mouse models of Alzheimer’s disease. J Neurosci 2009 ; 29 : 7957-65. 18. Racke MM, Boone LI, Hepburn DL et al. Exacerbation of cerebral amyloid angiopathy-associated microhemorrhage in amyloid precursor protein transgenic mice by immunotherapy is dependent on antibody recognition of deposited forms of amyloid beta. J Neurosci 2005 ; 25 : 629-36. 19. Schroeter S, Khan K, Barbour R et al. Immunotherapy reduces vascular amyloid-beta in PDAPP mice. J Neurosci 2008 ; 28 : 6787-93. 20. Sigurdsson EM. Immunotherapy targeting pathological tau protein in Alzheimer’s disease and related tauopathies. J Alzheimers Dis 2008 ; 15 : 157-68. 21. Boutajangout A, Ingadottir J, Davies P et al. Passive immunization targeting pathological phospho-tau protein in a mouse model reduces functional decline and clears tau aggregates from the brain. J Neurochem 2011 ; 118 : 658-67. 22. Morgan D. Immunotherapy for Alzheimer’s disease. J Intern Med 2011 ; 269 : 54-63. 12-13-14 Décembre 2011 Palais des congrès de paris • porte maillot Atelier “Parkinson“ Mardi 13 décembre - de 9h30 à 12h00 Coordination : Luc Defebvre (Lille) et Marc Vérin (Rennes) Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la maladie Parkinson… sans oser le demander L’objectif principal de cet atelier sera cette année d’insister sur des points qui peuvent vous poser problème à propos de la maladie de Parkinson dans votre pratique quotidienne et qui ne sont que rarement abordés. Pour ce faire, de nombreux experts interviendront sur les thèmes suivants : • Comment poser précisément le diagnostic ? Cette tâche est souvent difficile et comporte de nombreux pièges que nous vous apprendrons à éviter. • La maladie de Parkinson chez le sujet jeune : comment annoncer le diagnostic ? Comment gérer une maladie de Parkinson au travail ? • Quels sont les aspects thérapeutiques, la prise en charge et les derniers développements thérapeutiques des dyskinésies sévères ? • Comment gérer et aborder les troubles psychiatriques et les troubles du contrôle des impulsions ? • Que fait-on en 2011 face à une démence et une apathie ? • Enfin, comment prendre en charge la dysarthrie et les troubles la déglutition ? Comment déjouer les pièges diagnostiques de ces troubles ? Quels sont les éléments à notre disposition en 2011 pour les prendre en charge et adapter au mieux cette dernière aux patients ? Quelles sont les différentes avancées de la recherche dans le domaine ? Nul doute que vous aurez rapidement l’occasion de mettre en pratique cet enseignement. Pour plus de renseignements sur les 13es Rencontres de Neurologies, rendez-vous sur www.neurologies.fr Retrouvez le programme des 13es Rencontres de Neurologies assemblé à ce numéro