JULIETTE ROUSSIN 1/17 LA CRITIQUE DWORKINIENNE DU PLURALISME
De Berlin à Rawls : la critique dworkinienne du pluralisme
Mon objet est ici de clarifier la teneur et la portée de la critique que propose Ronald Dworkin du pluralisme.
Dworkin est une grande figure contemporaine de la pensée libérale ; à l’instar de John Rawls avec la théorie de la
justice comme équité, il a contribué à renouveler et consolider les fondements du libéralisme, en le concevant
pour sa part comme une théorie générale de l’égalité morale, sociale et politique, appuyée sur une théorie des
droits individuels. C'est donc en libéral convaincu que Dworkin aborde la question du pluralisme. Pourtant, sa
position est sur ce point bien plus ambiguë quon ne le dit généralement. D’un côté en effet, dans larticle
« Liberalism »1, Dworkin situe de façon inaugurale le signe distinctif de l’Etat libéral dans sa « neutralité » éthique
à l’égard des conceptions de la vie bonne que peuvent adopter ses membres. Au principe du libéralisme
dworkinien se trouvent donc la reconnaissance et le respect de la pluralité des valeurs morales et des conceptions
du bien individuelles au sein d’une me société politique. D’un autre côté, Dworkin n’a cessé d’attaquer les
deux théories dominantes du pluralisme libéral,fendues respectivement par Isaiah Berlin et par John Rawls, et
ce non pour les raffiner, mais pour leur substituer en chaque cas une conception alternative. Il construit ainsi sa
théorie de « l’unité de la valeur »2 en opposition explicite au pluralisme de Berlin ; et loin d’admettre avec Rawls
que le « fait du pluralisme »3 oblige à défendre une conception strictement « politique » de la justice, dégagée de
toute prise de parti sur ce qui fait la valeur de l’existence humaine, il prétend au contraire ancrer le libéralisme
dans une moralité politique plus large et « compréhensive ».
Mais par là, Dworkin semble friser la contradiction : comment peut-on à la fois se prétendre libéral et partisan
de la neutralité de l’Etat en matière d’éthique, et être un moniste convaincu que la théorie politique s’intègre à
une conception substantielle de la valeur de l’existence humaine ? La seconde attitude, en laissant penser qu’il
existe une valeur ou un ensemble de valeurs souveraines dignes dêtre adoptées, paraît purement et simplement
exclure la première.
Pour comprendre la position dworkinienne, il faut donc examiner une série de questions. Premièrement, est-
il pertinent de rapprocher comme je lai fait le pluralisme de Berlin et celui de Rawls ? Dworkin veloppe
effectivement une critique de ces deux théories, mais il n’est pas certain que le « pluralisme » renvoie en elles à la
même chose. Il sera ainsi utile de distinguer le pluralisme « moral » ou « pluralisme des valeurs » du pluralisme
« politique » ou « libéral ». Le pluralisme moral est la tse morale selon laquelle il existe plusieurs valeurs morales
d’égale importance mais inconciliables, de sorte que l’individu qui choisit d’en poursuivre une doit
nécessairement renoncer à en réaliser d’autres ; c'est la thèse que défend Isaiah Berlin dans « Deux conceptions de
1 Ronald M. Dworkin, A Matter of Principle (Harvard: Harvard University Press, 1985), chap. 8.
2 Ronald M. Dworkin, Justice for Hedgehogs (Cambridge, Mass.: Harvard University Press, 2011), 1.
3 John Rawls, Libéralisme politique, trad. par Catherine Audard (Paris: PUF, 2006), 50.
JULIETTE ROUSSIN 2/17 LA CRITIQUE DWORKINIENNE DU PLURALISME
la liberté »4. Le pluralisme politique renvoie quant à lui au fait que les membres des sociétés démocratiques
contemporaines développent des conceptions et des fins morales distinctes. Par extension, il désigne lattitude
tolérante ou neutre de l’Etat à l’égard de ces diverses conceptions ; le pluralisme politique a ainsi partie liée au
libéralisme, en tant qu’il laisse les individus libres de choisir leur propre système de valeurs et s’abstient d’user de
la force de l’Etat pour en imposer un. C'est ce pluralisme que Rawls a en vue dans Libéralisme politique. Pluralisme
moral et pluralisme politique ne se recoupent donc pas exactement : dans le premier cas, un individu doit choisir
entre plusieurs valeurs en conflit, qui exercent toutes un certain attrait sur lui ; dans le second, plusieurs
conceptions ou système de valeurs coexistent plus ou moins pacifiquement dans la société, parce que chacun de
ses membres adopte une conception différente. Le pluralisme moral soumet l’agent à un dilemme, alors que le
pluralisme politique prend la forme d’un désaccord admis entre les parties. La distinction ne saurait néanmoins être
trop tranchée. On peut en effet considérer que c'est en raison d’un conflit premier et irréductible entre des
valeurs ou fins morales que le pluralisme des modes de vie est non seulement possible, mais sen ; si les valeurs
ne sont pas conciliables ou hiérarchisables, il est en effet logique que des désaccords moraux subsistent de façon
permanente entre les individus. Autrement dit, sous réserve de certaines modifications, le pluralisme moral de
Berlin peut fournir la base du pluralisme politique de Rawls, et l’on peut à juste titre considérer que les critiques
distinctes que Dworkin adresse à l’un et à l’autre forment les maillons d’un même argumentaire.
Il s’agit donc, deuxièmement, de déterminer la nature de ces critiques. Je voudrais essayer de montrer que,
par sa défense d’une théorie moniste de la valeur, Dworkin pointe une limite fondamentale du libéralisme
politique rawlsien : la vanité de sa prétention à ne se justifier qu’en des termes purement « politiques ». En
soutenant que la condition empirique comme normative du libéralisme tient à sa fondation en une « moralité
politique »5 conséquente et assumée, Dworkin invite à repenser la frontière que Rawls avait voulu tracer entre
morale et politique ou plutôt, entre le domaine du politique et ce qui relève de conceptions morales
compréhensives et controverséeset ouvre par là la voie à un libéralisme compréhensif.
Mais dès lors, troisièmement, il faudra résoudre la contradiction que je pointais en commençant : quelle est
exactement la posture de Dworkin face au pluralisme ? La défense du monisme, l’idée que la morale politique
libérale s’inscrit dans une théorie intégrée de la valeur, enfin la thèse selon laquelle les questions de droit et de
morale politique sont susceptibles dune « bonne réponse »6, ne devraient-elle pas conduire Dworkin à endosser
une forme de perfectionnisme éthique ? Autrement dit, si « unité de la valeur » il y a, pourquoi maintenir lidéal
d’un Etat éthiquement neutre, et ne pas exiger plutôt des citoyens qu’ils renoncent à la pluralité de leurs
conceptions pour s’appliquer à réaliser l’unique et « vraie » valeur dans leur existence personnelle ? Ce n’est pas
cette voie qu’emprunte Dworkin, et il est dès lors légitime d’interroger la cohérence de sa position : comment
peut-on à la fois être moniste, et défendre la pluralité des conceptions du bien ?
4 Isaiah Berlin, « Deux conceptions de la liberté », in Eloge de la liberté, trad. par Jacqueline Carnaud et Jacqueline Lahana (Paris: Calmann-
vy, 1990).
5 A Matter of Principle, 186.
6 Ronald M. Dworkin, Prendre les droits au sérieux, trad. par Marie-Jeanne Rossignol et Frédéric Limare (Paris: PUF, 1995), 397.
JULIETTE ROUSSIN 3/17 LA CRITIQUE DWORKINIENNE DU PLURALISME
1. Le pluralisme libéral : Berlin et Rawls
1.1 PLURALISME DES VALEURS ET PLURALISME RAISONNABLE
Loin de la coexistence pacifique des diverses conceptions de la vie bonne que décrit la théorie politique
libérale, dans les écrits d’Isaiah Berlin, le « pluralisme des valeurs » prend dabord la figure du conflit
systématique entre des valeurs ou des fins « également ultimes » et « également absolues »7, mais incompatibles
entre elles. Un cas trivial de conflit des valeurs est celui du grand avocat qui, passion par sontier, mais tout
aussi attaché à l’éducation de ses enfants, est sans cesse contraint à des sacrifices ou d’insatisfaisants compromis
entre ses « fidélités privées et publiques »8. Lune des oppositions qui intéresse particulièrement Berlin (et
Dworkin à sa suite, on le verra) est celle qui joue entre la liberté et l’égalité : une société politique doit
nécessairement, d’après Berlin, limiter la liberté individuelle pour réduire les inégalités, ou inversement tempérer
son idéal égalitaire si elle veut laisser quelque liberté daction à ses membres9. Comme lillustrent ces exemples,
le pluralisme des valeurs ou des fins signifie deux choses : qu’un individu (ou une collectivité en tant que sujet) ne
peut pas réaliser simultanément toutes les valeurs et fins dans leur diversité ; et que cette diversité nest pas
susceptible de s’ordonner sous une valeur absolue ou un bien souverain. Contrairement aux rêves des
« monistes », il n’existe pas de « principe unique » en vertu duquel les différentes aspirations humaines
deviendraient finalement compatibles, pas de totalité morale harmonieuse, pas de « solution ultime » qui
permettrait de résoudre les contradictions morales10. Ce n’est pas l’irrationaliou l’ignorance qui empêche de
hiérarchiser les fins : leur multiplicité est irréductible, et leur conflit insoluble rationnellement11. Par son
caractère indépassable, le conflit des fins rend le choix moral à la fois nécessaire, et nécessairement déchirant, « la
réalisation des unes entrainant inévitablement le sacrifice des autres »12. Le grand avocat ne voit pas ses enfants
grandir.
L’affirmation morale selon laquelle il existe une pluralité de biens et de valeurs inconciliables n’est pas sans
incidence sur la théorie politique. Aux yeux de Berlin en effet, le pluralisme des valeurs justifie l’adoption du
libéralisme politique. Si aucune conception ou fin morale ne s’impose avec évidence comme vraie, ou supérieure
à toutes les autres, alors il devient crucial d’avoir la possibilité de choisir par soi-même entre les valeurs en
7 « Deux conceptions de la liberté », 218, 214.
8 Ibid., 214.
9 Ibid., 216; « La recherche de l’idéal », in Le bois tordu de l’humanité: romantisme, nationalisme et totalitarisme, éd. par Henry Hardy, trad. par
Marcel Thymbres, Bibliothèque Albin Michel des idées (Paris: Albin Michel, 1992), 25-6.
10 « Deux conceptions de la liberté », 217, 215, 213. Pour la définition du monisme, cf. George Crowder, « Two Concepts of Liberal
Pluralism », Political Theory 35, no 2 (avril 1, 2007): 125; Avery Plaw, « Why Monist Critiques Feed Value Pluralism: Ronald Dworkin’s
Critique of Isaiah Berlin », Social Theory and Practice 30, no 1 (janvier 2004): 106.
11 « Deux conceptions de la liber », 201, 214.
12 Ibid., 214; « La recherche de l’idéal », 27; « L’unité européenne et ses vicissitudes », in Le bois tordu de l’humanité, 184. Dans le
déchirement du choix moral, se loge la possibilité de ce que Bernard Williams appelle le « regret rationnel » : quoique le choix soit le bon,
et que la valeur pour laquelle on opte soit la « meilleure » dans les circonstances du choix, celui-ci s’accompagne néanmoins de regret chez
l’agent ayant renoncer à certains avantages ou idéaux liés à la valeur abandonnée. En vertu de « l’incommensurabilité » des valeurs, ces
avantages ne sont pas compensés par la réalisation de l’autre valeur. Bernard Williams, « Conflicts of Values », in Moral Luck (Cambridge:
Cambridge University Press, 1981). Sur lincommensurabilité des valeurs comme absence de « monnaie commune » permettant de
calculer les pertes et gains dans l’échange, cf. Isaiah Berlin et Bernard Williams, « Pluralism and liberalism: A reply », Political Studies 42, no
2 (juin 1994): 306-309.
JULIETTE ROUSSIN 4/17 LA CRITIQUE DWORKINIENNE DU PLURALISME
conflit ; l’établissement d’un régime politique libéral est donc souhaitable, qui protège et valorise la liberté de
choix individuelle13. A l’inverse, le monisme moral contient les germes de l’intolérance, de l’oppression et de la
tyrannie : la croyance selon laquelle les questions morales admettent « une bonne réponse et une seule », et qu’il
n’existe rationnellement « qu’une seule règle de vie », relativise d’autant l’importance de la liberté de choix pour
les individus et semble autoriser l’usage de la coercition politique en vue de l’amélioration morale de tous14. En
fondant le libéralisme sur la reconnaissance du pluralisme, Berlin opère donc lui-même le passage du pluralisme
moral au pluralisme libéral ou politique : puisqu’il existe plusieurs finalités également valables et raisonnables,
différents individus adopteront naturellement « divers modes de vie » et des « conceptions du monde » distinctes
au sein d’une société où règne la liberté individuelle de choix15.
Par un grand nombre de traits, le « pluralisme raisonnable » que théorise Rawls dans Libéralisme politique
semble ainsi avoir hérité du pluralisme moral de Berlin, dont Rawls se réclame d’ailleurs explicitement dans
certains textes16. L’expression chez Rawls renvoie au fait qu’il existe au sein des sociétés démocratiques modernes
« de multiples conceptions du bien, en conflit et incommensurables entre elles, chacune étant compatible, autant
que nous puissions en juger, avec la pleine rationalité des êtres humains »17. La proximité terminologique avec
Berlin ne peut que frapper. Rawls transpose simplement à la société le conflit moral que Berlin situait d’abord
dans l’agent individuel forcé de choisir entre des biens également désirables : en tant qu’ils adhèrent à des
conceptions morales distinctes et également respectables, ce sont à présent les individus dont le conflit ou, pour
mieux dire, le désaccord, est insoluble. Les membres d’une société libérale démocratique ont des convictions
morales différentes, voire contradictoires : tous ne croient pas dans le même Dieu et certains ne croient en aucun
Dieu ; le secret d’une vie réussie tient pour certains dans une vie communautaire retirée, pour d’autres, dans le
dévouement de sa personne au service du public, etc. Chacun a sa « doctrine compréhensive » morale,
philosophique ou religieuse propre, plus ou moins thématisée, qui lui recommande certains biens ou certaines
valeurs comme fondamentaux et lui indique une certaine conduite en conséquence. Chacun a sa propre
conception de ce qui donne sens et valeur à l’existence humaine et de ce qui en constitue la finalité.
13 « Deux conceptions de la liber », 214-5; pour l'idée que le pluralisme des valeurs permet de fonder le libéralisme, cf. William A.
Galston, Liberal Pluralism: The Implications of Value Pluralism for Political Theory and Practice (Cambridge University Press, 2002), chap. 5;
George Crowder, Liberalism and Value Pluralism (Continuum International Publishing Group, 2002), chap. 5. Les adversaires de Berlin n’ont
pas manqué de remarquer que la liberté de choix étant elle-même une valeur, le libéralisme qui choisit de la protéger nie de ce fait même
le principe pluraliste d’une égale importance des valeurs. Cf. Gerald F. Gaus, Contemporary theories of liberalism!: public reason as a post-
enlightenment project, Sage politics texts (London!; Thousand Oaks!; New Delhi: Sage Publications, 2003), 43; Robert B. Talisse, « Can
Value Pluralists be Comprehensive Liberals? Galston’s Liberal Pluralism », Contemporary Political Theory 3, no 2 (2004): 133.
14 « La recherche de l’idéal », 19, 28; « Deux conceptions de la liberté », 199, 213.
15 « La recherche de l’idéal », 24, 25, 23.
16 Voir par exemple John Rawls, « La priorité du juste et les conceptions du bien », in Justice et démocratie, trad. par Catherine Audard
(Paris: Seuil, 2000), 306-7; « Les libertés de base et leur priorité », ibid., 170. Pour Charles Larmore au contraire, il convient de distinguer
entre le pluralisme de Berlin, qui est une thèse morale controversée sur la nature de la valeur, et ce que Rawls appelle bien mal à propos le
« pluralisme » et qui est en réalité le désaccord raisonnable des membres d’une même société sur ce en quoi consiste la vie bonne. Seul le
fait du saccord raisonnable, qui n’induit aucune prise de parti sur la nature une ou multiple du bien, peut réellement constituer un
fondement acceptable pour le libéralisme politique selon Larmore. Cf. Charles E. Larmore, The Morals of Modernity, Modern European
philosophy (Cambridge [England]!; New York: Cambridge University Press, 1997), 153-4. Dans la mesure néanmoins où Berlin déduit lui-
même du pluralisme moral le pluralisme des modes de vie et la nécessité du libéralisme, où Rawls emploie le terme de pluralisme et inscrit
sa conception dans le sillage de celle de Berlin, il n’est pas sûr qu’on puisse dissiper aussi simplement la « confusion » conceptuelle, si
confusion il y a. Les deux conceptions ont une indéniable parenté.
17 John Rawls, « La théorie de la justice comme équité: une théorie politique et non métaphysique », in Justice et démocratie, 238.
JULIETTE ROUSSIN 5/17 LA CRITIQUE DWORKINIENNE DU PLURALISME
Que les doctrines et les conceptions du bien qui coexistent dans la société libérale soient « toutes parfaitement
raisonnables »18 signifie en outre qu’elles sont acceptables, répondent aux critères de la rationalité, mais
également que leur diversité n’est pas un accident malheureux imputable à l’ignorance ou à la mauvaise foi des
agents moraux, mais au contraire le produit naturel et « permanent » du libre exercice de la raison pratique19. On
retrouve ici l’idée chère à Berlin que la persistance de valeurs morales antagoniques n’est pas attribuable à une
faillite de la raison humaine. Pour Rawls de même, les désaccords moraux ont leur source dans certaines
« difficultés du jugement » qui, pour être la marque de nos « capacités limitées » et de nos « perspectives
distinctes », ne mettent pas pour autant en question la nature raisonnable de ces désaccords20.
Que le désaccord moral soit raisonnable, cela sous-entend donc aussi qu’il n’est pas au pouvoir de la « raison »
et encore moins de la « raison publique » de trancher définitivement entre les différentes doctrines
compréhensives qu’adoptent les individus. C'est l’interprétation rawlsienne de « l’incommensurabilité » des
valeurs ou des fins : les doctrines compréhensives, et les conceptions du bien qui leur sont attachées, sont
« impossibles à évaluer »21, en ce sens précis qu’il n’existe pas d’accord général sur la façon de les mesurer entre
elles. C'est donc d’un point de vue strictement « politique » ou public que les conceptions du bien sont
incommensurables : un individu peut raisonnablement choisir un bien ou une fin, sans qu’aucun accord officiel sur
la valeur de son choix soit néanmoins réalisable. En vertu du « fait du pluralisme », il ne peut donc exister
d’entente publique autour d’une « conception commune du sens, de la valeur et de la finalité de la vie humaine »
dans les sociétés démocratiques22. Ou, pour le dire autrement, il ne peut y avoir de conceptions compréhensives
publiquement acceptables. C'est ce dernier point qui va inciter Rawls à renoncer à toute conception
compréhensive du libéralisme au profit d’une conception strictement « politique ».
1.2 AUX SOURCES DU « LIBERALISME POLITIQUE »
La plupart des doctrines compréhensives tendent à être « générales », c'est-à-dire que leurs principes sont
censés s’appliquer à tous les aspects de l’existence personnelle, amicale, sociale, et politique dun individu23.
Il pourrait donc sembler tentant de fonder les institutions politiques sur une conception compréhensive de la
valeur de l’existence humaine qui soit capable den organiser tous les pans de façon harmonieuse. C'est par
exemple ce que prétend réaliser l’utilitarisme grâce au principe d’utilité, qui identifie le bien humain au plaisir, et
qui est censé valoir dans le domaine politique aussi bien que dans celui de la morale personnelle.
18 Libéralisme politique, 50. Certaines doctrines ou conceptions peuvent être déraisonnables, bien entendu : Rawls distingue le pluralisme
raisonnable du simple pluralisme : cf. Libéralisme politique, 63. Le point ici est que le critère de la raison ne suffit pas à réduire les multiples
conceptions à une seule.
19 Libéralisme politique, 63, 173, 183; Justice et démocratie, 325.
20 Libéralisme politique, 84 sq.; Justice et démocratie, 111. Ces difficultés sont, entre autres, la complexité de la preuve, le flou des concepts, la
variété des expériences, les divergences dans le classement et le choix des valeurs. La tonalité « berlinienne » des deux dernières difficultés
est explicite et délibérée : cf. « Le domaine du politique et le consensus par recoupement », in Justice et démocratie, 329.
21 Justice et démocratie, 250.
22 Libéralisme politique, 4, 246.
23 Justice et démocratie, 249.
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