Le traitement pharmacologique de l`anxiété généralisée

84
L’Encéphale,
33 :
2007, Janvier-Février
THÉRAPEUTIQUE
Le traitement pharmacologique de l’anxiété généralisée :
utilisation rationnelle et limitations
J.-P. BOULENGER
(1)
, D. CAPDEVIELLE
(2)
(1) Professeur de Psychiatrie Adulte, Service Universitaire de Psychiatrie Adulte et INSERM U-888, CHU de Montpellier (Université
Montpellier 1) : Hôpital La Colombière, 39, avenue Charles Flahault, 34295 Montpellier cedex 5..
(2) Chef de Clinique Assistant, Service Universitaire de Psychiatrie Adulte et INSERM U-888, CHU de Montpellier (Université Montpellier 1) :
Hôpital La Colombière, 39, avenue Charles Flahault, 34295 Montpellier cedex 5.
Travail reçu le 6 février 2006 et accepté le 7 août 2006.
Tirés à part :
J.-P. Boulenger (à l’adresse ci-dessus).
Pharmacological treatment of generalized anxiety disorders : rationale and limitations
Summary.
The rational use of pharmacological treatment in generalized anxiety disorders is still a matter of debate due
to the uncertainties concerning the nature, diagnostic criteria and target-symptoms of this frequent and potentially inva-
lidating disorder. If benzodiazepines may still be prescribed for a limited amount of time (i.e. 6 to 12 weeks) due to the
fluctuating nature of generalized anxiety, the chronic evolution of this disorder in most patients often justifies the long-
term prescription of serotoninergic (5-HT) or dual-action (5HT-NA) antidepressants and sometimes of 5HT-la partial
agonists like buspirone. Imipramine, a tricyclic antidepressant was the first to demonstrate its efficacy in carefully selected
patients ; however, due to the side-effects of this molecule recent guidelines based on controlled clinical trials, suggest
to use either serotonergic antidepressants (SSRIs) or venlafaxine as a first-line treatment of generalized anxiety disor-
ders. Because of its pharmacological profile buspirone remains however a useful option in patients with cognitive or
addictive problems, especially alcoholics. If most SSRIs have demonstrated efficacy over placebo, head to head com-
parisons remain limited except for escitalopram which appear better tolerated than paroxétine in this indication. More
recently, an anticonvulsant, pregabaline also demonstrated its efficacy in several clinical trials but the symptomatic profile
of generalized anxiety patients likely to respond to this GABA analog compared to other psychotropic treatments remain
to be established. The traditional use of other psychotropic agents such as hydroxyzine, an H1 histaminergic receptor
antagonist, is only supported by limited scientific data ; this is also the case of sedative typical antipsychotics which
benefit/risk ratio should be carefully evaluated before beeing prescribed to generalized anxiety patients resistant to other
psychotropic agents. However, the possible use of atypical antipsychotics with a better tolerance profile than the typical
ones in this indication is presently under investigation in several countries. At last it is important to realize that most
clinical trials in this field only include patients with non-comorbid generalized anxiety and that their conclusion may not
always be generalizable to most psychiatric patients who are usually characterized by a high rate of comorbidity. In this
population the indication of specific pharmacological treatments should rely on a careful evaluation of the patients drug
treatment history, of the duration, evolution and functional consequences of their symptoms and of the nature of their
possible comorbidity. The treatment of resistant generalized anxiety disorders remains a question for future research
but the use of imipramine or sedative antipsychotics could be an option when other treatments have failed to induce
any improvement.
Key words :
Antidepressants ; Benzodiazepines ;Generalized anxiety.
L’Encéphale, 2007 ;
33 :
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85
Résumé.
Le traitement pharmacologique du trouble anxieux
généralisé reste difficile à codifier du fait des incertitudes
pesant encore sur la nature, les critères diagnostiques et les
symptômes-cibles de cette affection fréquente et potentiel-
lement invalidante. Si les benzodiazépines ont encore leur
place dans le traitement à court terme de ce trouble, la chro-
nicité habituelle de ses symptômes impose souvent une stra-
tégie thérapeutique à plus long terme qui jusqu’à maintenant
a principalement reposé sur les antidépresseurs sérotoniner-
giques ou mixtes et plus accessoirement sur les agonistes
partiels des récepteurs à la sérotonine de type 1a. Si les anti-
dépresseurs tricycliques furent les premiers à démontrer leur
efficacité à long terme dans l’anxiété généralisée les essais
cliniques plus récents supportent l’efficacité par rapport au
placebo de la plupart des ISRS ainsi que celle de la venla-
faxine et justifient leur utilisation comme traitement pharma-
cologique de première intention dans cette indication. Cepen-
dant, aucun essai contrôlé comparatif ne permet de savoir à
l’heure actuelle si certains de ces antdépresseurs sont plus
efficaces que d’autres ou susceptibles d’être plus adaptés à
des profils cliniques particuliers. Plus récemment, un anti-
convulsivant, la prégabaline, a également démontré son effi-
cacité dans cette indication mais le profil des patients sus-
ceptibles de répondre préférentiellement à ce type de
molécule par rapport aux molécules existantes reste encore
largement à préciser. L’utilisation traditionnelle d’autres
molécules dans l’anxiété généralisée ne repose que sur des
arguments scientifiques limités ou contradictoires ; c’est
notamment le cas des neuroleptiques typiques de type séda-
tif dont le profil bénéfice/risque devrait être très soigneuse-
ment pesé dans cette indication. L’utilisation possible des
neuroleptiques atypiques fait actuellement l’objet d’études
spécifiques. Enfin, il est important de réaliser que l’ensemble
des essais cliniques publiés dans cette pathologie porte sur
des cas d’anxiété généralisée non comorbide et que leurs
résultats ne sont peut-être pas toujours généralisables aux
populations comorbides vues par la plupart des psychiatres.
Des éléments de réflexion concernant la stratégie du traite-
ment pharmacologique de l’anxiété généralisée complètent
cette revue générale.
Mots clés :
Antidépresseurs ; Anxiété généralisée ; Benzodiazépi-
nes.
INTRODUCTION
L’utilisation rationnelle des médicaments psychotropes
dans le traitement du trouble anxieux généralisé (TAG) est
une préoccupation relativement récente pour les cliniciens
qui ont à prendre en charge ce trouble fréquent et souvent
invalidant (36). L’individualisation du TAG remonte en
effet à la publication du DSM IV (7) qui, par ses critères,
a transformé ce qui était jusque-là considéré comme un
diagnostic d’élimination, en un syndrome spécifique basé
sur l’association de ruminations anxieuses répétitives et
incontrôlables et d’un état physiologique d’hypervigilance
(59) qui se caractérise au niveau psychopathologique par
une intolérance à l’incertitude et des inquiétudes envahis-
santes portant sur les faits de la vie courante (15, 50). Seul
un nombre limité d’essais cliniques contrôlés répond donc
actuellement à ces critères et ceux réalisés antérieure-
ment recouvrent très probablement des populations plus
hétérogènes tant par la nature des symptômes anxieux
présentés que par les pathologies comorbides associées.
De plus, de nombreuses inconnues et certains problèmes
méthodologiques rendent encore difficile l’interprétation et
la généralisation des essais des cliniques touchant cette
pathologie :
1.
Bien que certains auteurs soutiennent que le TAG
puisse être une entité indépendante (45) des incertitudes
demeurent quant à son statut psychopathologique précis.
La chronicité de ce trouble, sa comorbidité importante
avec les autres troubles anxieux et ses liens étroits avec
la dépression majeure suggèrent que ce syndrome puisse
en fait refléter des traits de personnalité pathologiques
rendant compte d’une vulnérabilité particulière au déve-
loppement ultérieur de pathologies anxio-dépressives
(55). De ce fait, les symptômes-cibles des interventions
pharmacologiques dans le TAG demeurent encore large-
ment hypothétiques et même si les études de ces 10 der-
nières années permettent de penser que les benzodiazé-
pines (BZD) exerceraient une activité préférentielle sur les
symptômes physiques de l’anxiété alors que les antidé-
presseurs auraient une activité préférentielle sur ses
symptômes psychiques (39, 65), la nature précise des
mécanismes psychopathologiques sur lesquels s’exer-
cent ces effets psychotropes est encore inconnue. De ce
fait l’évaluation de nouveaux traitements du TAG reste
donc essentiellement basée sur des échelles anciennes
qui, comme l’échelle d’anxiété de Hamilton (HARS), cou-
vrent un nombre important d’items supposés refléter les
aspects variés de la symptomatologie anxieuse en géné-
ral plutôt que les manifestations spécifiques d’une entité
clinique particulière.
2.
Les essais contrôlés récents réalisés dans le TAG
mettent en évidence un taux de réponse placebo au moins
aussi important que celui observé dans la dépression (43,
74) ; ce taux élevé (30-50 %) est lié, entre autres, aux fluc-
tuations fréquentes de la symptomatologie anxieuse, à sa
sensibilité aux modifications relationnelles ou environne-
mentales mais aussi à l’alourdissement constant des pro-
cédures des essais cliniques qui impliquent une augmen-
tation croissante du temps d’interaction avec les soignants
source d’effets thérapeutiques non spécifiques et exigent
l’élimination systématique des cas comorbides qui sont en
général les cas les plus sévères et donc les moins sensi-
bles à l’effet placebo (74). D’autre part, l’influence de trai-
tements antérieurs par les BZD sur l’efficacité de psycho-
tropes nouveaux est rarement prise en compte alors qu’elle
risque d’influencer les attentes des patients traités et donc
leur évaluation de médicaments aux effets plus progressifs
(27). La combinaison de ces facteurs rend compte en
grande partie de l’échec du développement clinique de plu-
sieurs catégories thérapeutiques prometteuses au cours
des 10 dernières années qu’il s’agisse des agonistes par-
tiels des récepteurs à la sérotonine (5 HT) de type 5-HT
1a
,
des antagonistes des récepteurs 5-HT
2
et 5-HT
3
ou des
agonistes partiels des récepteurs aux BZD (17).
J.-P. Boulenger, D. Capdevielle L’Encéphale, 2007 ;
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84-94
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Dans cette revue nous aborderons les différentes
approches pharmacologiques actuellement validées dans
le traitement du TAG avant de proposer quelques élé-
ments cliniques permettant d’esquisser une stratégie thé-
rapeutique, guidée notamment par le caractère chronique
de ce trouble dont l’évolution se compte habituellement
en années.
LES BENZODIAZÉPINES ONT-ELLES ENCORE
UNE PLACE AU SEIN DES TRAITEMENTS
DE L’ANXIÉTÉ GÉNÉRALISÉE ?
Cinquante ans après le début de leur utilisation, les BZD
continuent à faire l’objet d’une importante controverse
concernant leur usage et particulièrement leur usage au
long cours. Paradoxalement, les BZD sont tout à la fois
les psychotropes les plus prescrits en France et dans le
monde et ceux dont la prescription soulève encore le plus
de critiques. En raison de leur efficacité rapide, de leur rap-
port bénéfice/risque favorable et de la sensation de bien-
être qu’elles sont susceptibles d’induire rapidement chez
les sujets anxieux elles ont progressivement remplacé les
barbituriques et les carbamates qui présentent les mêmes
propriétés thérapeutiques mais au prix d’effets secondai-
res et toxiques inacceptables en l’état actuel de notre arse-
nal thérapeutique. Leur prescription a cependant été
réglementée dans le sens d’une limitation de durée du fait
d’une évidente surconsommation et des risques de
dépendance liés à leur usage prolongé révélés plus de
20 ans après leur introduction (18). Or, en dépit de son
caractère chronique, le TAG, tout comme la plupart des
autres troubles anxieux, pourrait représenter dans cer-
tains cas une indication potentielle pour un traitement
limité dans le temps par les BZD.
L’utilisation des BZD en France est actuellement limitée
par les indications de la commission d’AMM au
« Traitement symptomatique des manifestations anxieu-
ses sévères et/ou invalidantes » et par les limites tempo-
relles imposées par les Références Médicales Opposa-
bles (RMO) soit 12 semaines au maximum pour le
traitement des troubles anxieux. Bien que ne faisant plus
l’objet de développements cliniques dans des indications
spécifiques certaines BZD ont néanmoins démontré leur
efficacité dans des essais contrôlés récents où elles
étaient utilisées à titre de comparateur et où le diagnostic
de TAG était porté suivant les critères DSM III-R ou
DSM IV (53, 67, 68). L’amélioration apportée par les BZD
est habituellement nette chez environ 35 % des patients
traités et modérée pour 40 % (11) ; elle apparaît plus pré-
cocement que celle entraînée par l’administration de bus-
pirone ou d’antidépresseurs, les scores d’anxiété étant
significativement améliorés dès la première semaine dans
la plupart des études. Par rapport aux antidépresseurs et
à la buspirone plusieurs études ont aussi démontré leur
plus grande efficacité sur les symptômes physiques et/ou
d’activation autonome que sur les symptômes psychiques
de l’anxiété (65). Dans le TAG certains des auteurs amé-
ricains considérés comme des experts dans le domaine
de la pharmacologie de l’anxiété s’avèrent favorables à
l’utilisation intermittente de BZD pour des traitements à
court terme (6 à 12 semaines) en se basant sur les résul-
tats de plusieurs études prospectives démontrant qu’une
telle stratégie est susceptible d’entraîner une rémission
des symptômes de plusieurs mois chez un nombre non
négligeable de patients sans nécessité de remplacement
par un autre traitement psychotrope (63). Dans cette indi-
cation, il est recommandé de rechercher la posologie mini-
male efficace de la BZD utilisée puis de procéder dès que
possible et au plus tard après la 4
e
semaine à une dimi-
nution très progressive du traitement sur 4 à 8 semaines
(11) soit une durée maximale de prescription de
12 semaines conformément aux recommandations des
RMO.
D’autre part, le rapport du groupe de travail de l’Asso-
ciation Américaine de Psychiatrie publié en 1990 (6) ainsi
que plusieurs recommandations internationales récentes
(10, 11) mentionnent que la prescription prolongée de
BZD peut encore être envisagée en dernier recours après
échec des autres thérapeutiques psychotropes disponi-
bles pour le traitement du TAG et/ou en cas d’inefficacité
des mesures psychothérapiques entreprises, notamment
si les troubles sont à l’origine d’une invalidité importante
ou entraînent des conséquences socioprofessionnelles
notables. Le risque de dépendance et d’abus devra dans
ces cas être étroitement surveillé de même que celui
d’apparition de troubles cognitifs. Des altérations cogniti-
ves et/ou psychomotrices ont en effet été rapportées chez
des consommateurs à long terme de BZD : bien que plu-
sieurs études suggèrent que celles-ci puissent disparaître
après arrêt du traitement (47, 66) d’autres suggèrent
qu’elles pourraient persister (79) ou même représenter un
facteur de risque possible vers une évolution démentielle
(80). Une prudence toute particulière reste nécessaire
chez les sujets âgés chez lesquels des modifications phar-
macocinétiques et pharmacodynamiques liées au vieillis-
sement s’associent pour potentialiser les effets nocifs des
BZD et notamment les risques de chute (78).
L’UTILISATION DES ANTIDÉPRESSEURS
DANS LE TRAITEMENT DE L’ANXIÉTÉ
GÉNÉRALISÉE
Aspects historiques
La première mention d’une efficacité potentielle des
antidépresseurs dans les troubles anxieux remonte aux
essais réalisés dès 1959 en Grande-Bretagne par West
et Dally avec les inhibiteurs de la monoamine oxydase
(IMAO) chez des patients névrotiques, essais dans les-
quels ils furent les premiers à souligner l’efficacité de ces
psychotropes sur les symptômes phobiques et les atta-
ques de panique (Pour revue, cf. 16). Ces travaux furent
bientôt suivis par la démonstration dès 1962 aux États-
Unis par Klein et Fink des effets sur ces symptômes d’un
antidépresseur tricyclique, l’imipramine, chez des patients
initialement diagnostiqués comme schizophrènes mais
secondairement identifiés comme agoraphobes. Dans les
L’Encéphale, 2007 ;
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84-94 Le traitement pharmacologique de l’anxiété généralisée : utilisation rationnelle et limitations
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années qui suivirent, les premiers essais contrôlés contre
placebo devaient clairement démontrer à la fois l’efficacité
de l’imipramine et celle de la phénelzine chez des patients
agoraphobes et/ou phobiques sociaux. Dès 1973 Tyrer
soulignait d’ailleurs que l’efficacité de ces traitements
n’était probablement pas liée à leur efficacité antidépres-
sive, opinion qui fit l’objet d’une longue polémique qui
opposa par la suite Donald Klein et Isaac Marks, mais qui
fut finalement clairement démontrée par l’analyse des
données de Marks par les chercheurs du NIMH intervenus
en tant qu’arbitres. La pertinence des hypothèses de Klein
fut cependant prise en défaut lorsqu’il émit l’idée d’une
dissection possible de la pathologie anxieuse à l’aide des
traitements psychotropes existants, le trouble panique,
sensible à l’imipramine, se distinguant de l’anxiété géné-
ralisée, sensible aux BZD. En effet, dès le début des
années 1980, deux études suggérant une efficacité des
antidépresseurs dans le TAG, celle de Johnstone
et al.
(41) en Grande-Bretagne et celle de Kahn
et al.
(42) aux
États-Unis étaient publiées. Ces études contrôlées contre
placebo ont toutes deux été réalisées chez des patients
qualifiés à cette époque de « névrotiques » et présentant
une symptomatologie mixte, anxiodépressive ; dans les
deux cas, une stratification des patients réalisée
a posteriori
afin d’isoler ceux ayant une symptomatologie
anxieuse prévalente, devait démontrer dans ce dernier
groupe une efficacité de l’amitriptyline et du diazépam
supérieure à celle du placebo (41) et une efficacité de l’imi-
pramine supérieure à la fois à celle du chlordiazépoxide
et à celle du placebo (42). À l’issue d’une discussion
méthodologique concernant différents aspects critiques
de leur étude, Kahn
et al.
(42) mentionnaient : « Nous ne
pouvons échapper à la conclusion que l’imipramine pos-
sède une puissante activité anxiolytique dans les troubles
anxieux ». Ces travaux ouvraient la voie au développe-
ment de nouvelles indications pour les antidépresseurs et
notamment pour les différentes molécules de la famille
nouvelle des inhibiteurs spécifiques de la recapture de la
sérotonine (ISRS) qui devaient, en une dizaine d’années,
faire la preuve de leur efficacité dans la plupart des trou-
bles anxieux à l’exception des phobies simples et de l’ago-
raphobie sans troubles paniques.
Premiers essais contrôlés des antidépresseurs
tricycliques dans l’anxiété généralisée
Parallèlement, dans le but de confirmer les résultats
suggérés par son étude de 1986, l’équipe de Rickels et
Kahn à Philadelphie entreprit de refaire une étude similaire
en sélectionnant cette fois-ci un groupe de patients répon-
dant strictement aux critères de TAG du DSM III, mais en
y ajoutant un critère de durée d’au moins 3 mois et en
excluant les patients ayant subi un stress significatif au
cours des 6 derniers mois de manière à exclure toute pos-
sibilité de pathologie réactionnelle susceptible d’une évo-
lution spontanément favorable. Les patients n’étaient
d’autre part inclus que s’ils ne présentaient pas de dia-
gnostic comorbide d’état dépressif majeur, de trouble
panique, d’agoraphobie avec attaque de panique, d’alcoo-
lisme ou de psychose (65). Après une semaine de wash-
out sous placebo en simple aveugle, 230 patients présen-
tant un score d’au moins 18 à l’HARS et de 8 à l’échelle
de Covi furent randomisés dans l’un des 4 groupes sui-
vants pour un traitement de 8 semaines : 1) placebo ; 2)
diazépam ; 3) imipramine ; 4) trazodone. Alors qu’au
cours des deux premières semaines le diazépam s’avéra
le traitement le plus efficace, notamment sur les symptô-
mes somatiques de l’anxiété, de la semaine 3 à la semaine
8 l’imipramine, et à un moindre degré la trazodone, se
révélèrent les plus efficaces notamment sur les symptô-
mes tels que la tension, l’appréhension et les inquiétudes.
Ces effets « anxiolytiques » de l’imipramine n’étaient pas
liés aux scores initiaux de dépression qui, par contre,
étaient prédictifs d’une mauvaise réponse au diazépam.
Les posologies quotidiennes moyennes utilisées au cours
de cette étude étaient de 143 mg pour l’imipramine,
255 mg pour la trazodone et 26 mg pour le diazépam et
équivalentes à celles utilisées dans l’étude princeps de
Kahn
et al.
, (42).
Le fait que les antidépresseurs agissent préférentielle-
ment sur les aspects psychiques de la symptomatologie
anxieuse, alors que les benzodiazépines agissent préfé-
rentiellement sur ses aspects somatiques, a été égale-
ment rapporté par Hoehn-Saric
et al.
(39). Ces derniers
ont en effet réalisé une étude randomisée en double-aveu-
gle et groupes parallèles comparant alprazolam et imipra-
mine chez 60 patients répondant aux critères diagnosti-
ques DSM III de TAG, critères auxquels était ajoutée une
durée des troubles d’au moins 6 mois conformément aux
propositions du DSM III-R, alors en cours d’élaboration.
Bien que non contrôlée par l’administration d’un placebo
cette étude devait également mettre en évidence une effi-
cacité supérieure de la benzodiazépine utilisée (dose
moyenne : 2,2 mg/j) sur les symptômes somatiques du
TAG (notamment cardiovasculaires et respiratoires) alors
que l’imipramine (91 mg/j) s’avérait supérieure sur les
symptômes psychiques tels que la dysphorie ou l’anxiété
anticipatoire. Cette différence, qui n’était pas liée à une
augmentation des symptômes somatiques sous imipra-
mine, devenait significative au cours de la deuxième
semaine de traitement et se reflétait notamment dans
l’évolution des scores des facteurs de dépression,
d’obsessionnalité et de sensitivité interpersonnelle de la
Hopkins Symptom Check-List, une échelle d’auto-évalua-
tion de la symptomatologie « névrotique » de 90 items
jamais utilisée depuis dans les essais cliniques.
Essais contrôlés des antidépresseurs inhibiteurs
du recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline
dans l’anxiété généralisée
Ces premiers essais contrôlés furent répliqués dès
l’arrivée sur le marché de nouveaux antidépresseurs inhi-
biteurs mixtes de la recapture de la sérotonine et de la
noradrénaline comme la venlafaxine qui fut le premier anti-
dépresseur à obtenir en France une AMM dans le TAG.
Dans un essai comparant les effets à dose fixe de la ven-
lafaxine à libération prolongée (75 ou 150 mg/j), de la bus-
J.-P. Boulenger, D. Capdevielle L’Encéphale, 2007 ;
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pirone (30 mg/j) et d’un placebo chez 405 patients répon-
dant aux critères diagnostiques DSM IV de TAG et
présentant un score supérieur ou égal à 18 à l’échelle
HARS, Davidson
et al.
(23) démontraient une différence
statistiquement significative en faveur des deux dosages
de venlafaxine par rapport au placebo aux semaines 3, 4,
6 et 8 alors que le même résultat n’était obtenu qu’aux
semaines 6 et 8 pour la buspirone ; sur le score d’anxiété
psychique de l’échelle HARS, la venlafaxine apparaissait
à la fois significativement plus efficace que le placebo et
que la buspirone de la semaine 2 à la semaine 8. Dans
deux études utilisant une méthodologie similaire et com-
parant pendant 8 semaines des posologies quotidiennes
fixes de 75 mg, 150 mg et 225 mg de venlafaxine à libé-
ration prolongée chez 377 patients dans un cas (68) et de
37,5 mg, 75 mg et 150 mg chez 541 patients dans un
autre cas (2), une relation dose-effet a pu être mise en
évidence, notamment sur les scores d’anxiété psychique
de l’échelle HARS. Cette relation similaire à celle obser-
vée avec la venlafaxine dans la dépression, semble débu-
ter dès la dose de 37,5 mg sur certaines mesures pour se
compléter avec les doses supérieures, notamment celles
de 150 et 225 mg. Dans la deuxième de ces études, où
l’administration de venlafaxine et de placebo était prolon-
gée au-delà de 8 semaines, les effets thérapeutiques des
deux doses les plus importantes du produit actif (75 et
150 mg) se sont maintenus au cours du temps, restant sta-
tistiquement significatifs par rapport au placebo jusqu’à la
24
e
semaine de l’essai. Cette amélioration s’accompagne
d’une diminution parallèle du handicap social, souvent
important, dans le TAG lorsque ce dernier est évalué par
l’échelle de Weissman (20). Un maintien des bénéfices
thérapeutiques avec le temps a également été rapporté
dans une étude comparant la venlafaxine à doses flexibles
(75-225 mg/j) et un placebo chez 251 patients traités pen-
dant 28 semaines, la plupart avec des posologies quoti-
diennes de 100 à 200 mg (33).
Essais contrôlés des antidépresseurs inhibiteurs
spécifiques de la recapture de la sérotonine
dans l’anxiété généralisée
Malgré le nombre important d’antidépresseurs ISRS
actuellement sur le marché et leur efficacité reconnue
dans plusieurs troubles anxieux les essais contrôlés con-
cernant le traitement du TAG restent limités en nombre et
seule la paroxétine et le escitalopram bénéficient à l’heure
actuelle d’une AMM dans cette indication. Les premiers
essais cliniques d’un ISRS dans le TAG concernent la
paroxétine : Rocca
et al.
(71) ont rapporté les résultats
d’une étude randomisée en double aveugle de
8 semaines comportant 3 groupes parallèles recevant de
la paroxétine (dose moyenne : 20 mg/j), de l’imipramine
(75 mg/j) ou du chlordesméthyldiazépam (4,2 mg/j). Qua-
tre-vingt-un patients répondant aux critères DSM IV de
TAG et présentant un score d’au moins 18 à l’échelle
HARS ont été inclus : à l’issue des 8 semaines aucune dif-
férence significative n’était relevée entre les traitements
qui tous entraînaient un effet favorable sur les scores
d’anxiété. Comme dans les études précédentes la BZD
était responsable d’une meilleure amélioration des symp-
tômes somatiques après deux semaines de traitement
alors que les antidépresseurs démontraient une supério-
rité à 8 semaines sur les symptômes psychiques de
l’anxiété. Plusieurs essais contrôlés contre placebo (61,
69) sont venus depuis confirmer cette efficacité anxiolyti-
que de la paroxétine dans le TAG ainsi que son maintien
lors de traitements prolongés jusqu’à 6 mois (77).
Le escitalopram, l’enanthiomère responsable de l’acti-
vité pharmacologique du citalopram sur la recapture de la
5-HT, a fait l’objet de 3 études de 8 semaines contre pla-
cebo dans le TAG, une posologie de 10 mg/j entraînant
dans cette indication une amélioration statistiquement
significative dès la première ou la seconde semaine de
traitement (Pour revue, cf. Goodman
et al.
, 34). Malgré la
possibilité d’augmenter à 20 mg/j la posologie du traite-
ment après la 4
e
semaine plus du 1/3 des patients traités
voient leur bénéfice thérapeutique maintenu à la dose ini-
tiale de 10 mg (24). Le suivi sur 24 semaines d’une pro-
portion importante des patients de ces études démontre
la poursuite d’une amélioration de leur état clinique (25).
Dans une étude de prévention de rechute contre placebo
de 24 à 76 semaines après un traitement ouvert de
12 semaines par 20 mg de escitalopram, le risque de
rechute sous placebo (56 %) était 4 fois plus important
que sous escitalopram (16 %) un résultat hautement signi-
ficatif sur le plan statistique (5). Dans un des rares essais
comparant entre eux des ISRS, le escitalopram (10-
20 mg/j) administré à dose flexible pendant 24 semaines
s’est avéré aussi efficace que la paroxétine (20-50 mg/j)
mais mieux toléré, la paroxétine entraînant significative-
ment plus de sorties d’essai pour effets secondaires (23 %
vs
7 %) mais aussi une moins bonne tolérance en cours
de traitement et après arrêt (13).
Enfin, un essai récent (4) démontre également l’effica-
cité de la sertraline (50-150 mg/j) administrée pendant
12 semaines dans le TAG par rapport au placebo avec
notamment des différences statistiquement significatives
à partir de la quatrième semaine et jusqu’à la douzième
semaine de traitement. Un second essai sur 10 semaines
confirme cette efficacité mais avec des différences moins
importantes entre sertraline et placebo (21). Pour le
moment la sertraline n’a cependant pas l’AMM pour le trai-
tement du TAG en France.
Conclusion
L’efficacité des antidépresseurs dans le TAG est main-
tenant bien démontrée et confirmée par les méta-analyses
(44). Cette efficacité ne nécessite pas la présence de
symptômes dépressifs et se développe de façon progres-
sive n’atteignant le plus souvent son maximum qu’après
6 à 8 semaines de traitement. Les antidépresseurs ayant
fait jusqu’alors la preuve de leur efficacité dans le TAG,
sont pour l’instant soit ceux ayant une activité mixte portant
à la fois sur les systèmes sérotoninergiques et noradré-
nergiques (imipramine et venlafaxine), soit ceux apparte-
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