L’Encéphale, 2007 ;
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84-94 Le traitement pharmacologique de l’anxiété généralisée : utilisation rationnelle et limitations
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années qui suivirent, les premiers essais contrôlés contre
placebo devaient clairement démontrer à la fois l’efficacité
de l’imipramine et celle de la phénelzine chez des patients
agoraphobes et/ou phobiques sociaux. Dès 1973 Tyrer
soulignait d’ailleurs que l’efficacité de ces traitements
n’était probablement pas liée à leur efficacité antidépres-
sive, opinion qui fit l’objet d’une longue polémique qui
opposa par la suite Donald Klein et Isaac Marks, mais qui
fut finalement clairement démontrée par l’analyse des
données de Marks par les chercheurs du NIMH intervenus
en tant qu’arbitres. La pertinence des hypothèses de Klein
fut cependant prise en défaut lorsqu’il émit l’idée d’une
dissection possible de la pathologie anxieuse à l’aide des
traitements psychotropes existants, le trouble panique,
sensible à l’imipramine, se distinguant de l’anxiété géné-
ralisée, sensible aux BZD. En effet, dès le début des
années 1980, deux études suggérant une efficacité des
antidépresseurs dans le TAG, celle de Johnstone
et al.
(41) en Grande-Bretagne et celle de Kahn
et al.
(42) aux
États-Unis étaient publiées. Ces études contrôlées contre
placebo ont toutes deux été réalisées chez des patients
qualifiés à cette époque de « névrotiques » et présentant
une symptomatologie mixte, anxiodépressive ; dans les
deux cas, une stratification des patients réalisée
a posteriori
afin d’isoler ceux ayant une symptomatologie
anxieuse prévalente, devait démontrer dans ce dernier
groupe une efficacité de l’amitriptyline et du diazépam
supérieure à celle du placebo (41) et une efficacité de l’imi-
pramine supérieure à la fois à celle du chlordiazépoxide
et à celle du placebo (42). À l’issue d’une discussion
méthodologique concernant différents aspects critiques
de leur étude, Kahn
et al.
(42) mentionnaient : « Nous ne
pouvons échapper à la conclusion que l’imipramine pos-
sède une puissante activité anxiolytique dans les troubles
anxieux ». Ces travaux ouvraient la voie au développe-
ment de nouvelles indications pour les antidépresseurs et
notamment pour les différentes molécules de la famille
nouvelle des inhibiteurs spécifiques de la recapture de la
sérotonine (ISRS) qui devaient, en une dizaine d’années,
faire la preuve de leur efficacité dans la plupart des trou-
bles anxieux à l’exception des phobies simples et de l’ago-
raphobie sans troubles paniques.
Premiers essais contrôlés des antidépresseurs
tricycliques dans l’anxiété généralisée
Parallèlement, dans le but de confirmer les résultats
suggérés par son étude de 1986, l’équipe de Rickels et
Kahn à Philadelphie entreprit de refaire une étude similaire
en sélectionnant cette fois-ci un groupe de patients répon-
dant strictement aux critères de TAG du DSM III, mais en
y ajoutant un critère de durée d’au moins 3 mois et en
excluant les patients ayant subi un stress significatif au
cours des 6 derniers mois de manière à exclure toute pos-
sibilité de pathologie réactionnelle susceptible d’une évo-
lution spontanément favorable. Les patients n’étaient
d’autre part inclus que s’ils ne présentaient pas de dia-
gnostic comorbide d’état dépressif majeur, de trouble
panique, d’agoraphobie avec attaque de panique, d’alcoo-
lisme ou de psychose (65). Après une semaine de wash-
out sous placebo en simple aveugle, 230 patients présen-
tant un score d’au moins 18 à l’HARS et de 8 à l’échelle
de Covi furent randomisés dans l’un des 4 groupes sui-
vants pour un traitement de 8 semaines : 1) placebo ; 2)
diazépam ; 3) imipramine ; 4) trazodone. Alors qu’au
cours des deux premières semaines le diazépam s’avéra
le traitement le plus efficace, notamment sur les symptô-
mes somatiques de l’anxiété, de la semaine 3 à la semaine
8 l’imipramine, et à un moindre degré la trazodone, se
révélèrent les plus efficaces notamment sur les symptô-
mes tels que la tension, l’appréhension et les inquiétudes.
Ces effets « anxiolytiques » de l’imipramine n’étaient pas
liés aux scores initiaux de dépression qui, par contre,
étaient prédictifs d’une mauvaise réponse au diazépam.
Les posologies quotidiennes moyennes utilisées au cours
de cette étude étaient de 143 mg pour l’imipramine,
255 mg pour la trazodone et 26 mg pour le diazépam et
équivalentes à celles utilisées dans l’étude princeps de
Kahn
et al.
, (42).
Le fait que les antidépresseurs agissent préférentielle-
ment sur les aspects psychiques de la symptomatologie
anxieuse, alors que les benzodiazépines agissent préfé-
rentiellement sur ses aspects somatiques, a été égale-
ment rapporté par Hoehn-Saric
et al.
(39). Ces derniers
ont en effet réalisé une étude randomisée en double-aveu-
gle et groupes parallèles comparant alprazolam et imipra-
mine chez 60 patients répondant aux critères diagnosti-
ques DSM III de TAG, critères auxquels était ajoutée une
durée des troubles d’au moins 6 mois conformément aux
propositions du DSM III-R, alors en cours d’élaboration.
Bien que non contrôlée par l’administration d’un placebo
cette étude devait également mettre en évidence une effi-
cacité supérieure de la benzodiazépine utilisée (dose
moyenne : 2,2 mg/j) sur les symptômes somatiques du
TAG (notamment cardiovasculaires et respiratoires) alors
que l’imipramine (91 mg/j) s’avérait supérieure sur les
symptômes psychiques tels que la dysphorie ou l’anxiété
anticipatoire. Cette différence, qui n’était pas liée à une
augmentation des symptômes somatiques sous imipra-
mine, devenait significative au cours de la deuxième
semaine de traitement et se reflétait notamment dans
l’évolution des scores des facteurs de dépression,
d’obsessionnalité et de sensitivité interpersonnelle de la
Hopkins Symptom Check-List, une échelle d’auto-évalua-
tion de la symptomatologie « névrotique » de 90 items
jamais utilisée depuis dans les essais cliniques.
Essais contrôlés des antidépresseurs inhibiteurs
du recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline
dans l’anxiété généralisée
Ces premiers essais contrôlés furent répliqués dès
l’arrivée sur le marché de nouveaux antidépresseurs inhi-
biteurs mixtes de la recapture de la sérotonine et de la
noradrénaline comme la venlafaxine qui fut le premier anti-
dépresseur à obtenir en France une AMM dans le TAG.
Dans un essai comparant les effets à dose fixe de la ven-
lafaxine à libération prolongée (75 ou 150 mg/j), de la bus-