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Paroisse Saint Louis, église Notre Dame de l’Assomption
Pont sur Yonne
Homélie du Dimanche de mon départ
Une fois n’est pas coutume, j’ai pris la décision d’écrire et de lire ce que
je voulais vous dire en ce jour si particulier. Il est des moments où la mémoire et
l’organisation de la pensée sont mis à mal ; n’avons-nous pas entendu l’auteur
du Livre de la Sagesse nous dire dans la première lecture que « les réflexions
des mortels sont incertaines », et « leurs pensées instables » ? Je me reconnais
bien dans ce constat et je sais que mon « esprit aux mille pensées » est capable
de me perdre quand le vent souffle trop fort. Vous pardonnerez donc les limites
trop littéraires de ce que je vous livre aujourd’hui comme un testament d’amitié
paternelle ; je pense que vous saurez y trouver ce que le Seigneur désire vous
donner en ce dimanche, cela ne m’appartient pas.
« Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa
femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas
être mon disciple. Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne
peut pas être mon disciple ». Voici des mots qui raisonnent si violemment dans
mon cœur en ce jour se concrétise un arrachement et des séparations
douloureuses pour LE suivre.
Le consentement au départ, déjà offert depuis bien longtemps, n’enlève
rien à la force de cette attraction divine que j’expérimente ce matin comme
rarement dans une vie. Une chose est de savoir ce qu’on l’a choisi, une autre est
de vivre ce choix, cette suite du Christ, cette « sequella Christi » comme disent
les théologiens, en en expérimentant toutes les conséquences charnelles et
spirituelles qu’elle contient.
Ce matin, en entrant dans cette église, je me suis pris à me demander ce
qui m’obligeait à prononcer ces mots devant vous. N’aurais-je pas encore la
possibilité de changer de décision et de m’accrocher à ce que j’ai vécu avec vous
pour rester là, pour m’établir, pour tenir, pour garder… ? Que ferais-je alors ? de
quoi chercherais-je à témoigner ? De LUI ou de moi, de son œuvre en moi ou de
mon idée de LUI ?
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La vérité est qu’on ne peut aimer qu’en s’arrachant à des intérêts
immédiats, à des attachements trop évidents. C’est dans un moment comme
celui-ci que j’expérimente ce que je prêche et ce que je célèbre avec vous
chaque dimanche : la puissance du Christ.
Si je ne LUI offrais pas cette chair qu’est mon existence concrète et
quotidienne avec vous, en cet instant, cette chair que j’ai envie de garder pour
moi, pour nous, pour notre satisfaction et notre bien-être, je nierais en moi, en
notre communauté, le cœur de ce que nous croyons : l’Incarnation… ! Je LE
condamnerais à n’être qu’une idée, un concept, au mieux une caution idéale
pour les bonnes actions et les efforts de vie spirituelle, mais je ne pourrais plus
dire qu’IL est vraiment vivant, réellement présent et agissant dans son Église,
dans le mystère de l’Eucharistie et dans cette bouleversante réalité que sont nos
chemins personnels à LUI offerts
La chair n’est pas qu’une réalité présente et permanente, elle n’est pas
seulement un donné qui prend de la place dans le monde, dans la vie des autres,
elle est aussi une réalité en creux, une présence qui se fait creux, attente, désir,
absence signifiante. J’ai en tête ici ces superbes émaux champlevés romans, la
présence du métal qui accueille l’émail est faite de beaucoup d’absence ; le
cuivre a su se retirer pour laisser la bonne et juste place à l’autre, à cet émail qui
serait resté sans cela magma informe et répandu. Notre chair qui n’est jamais
neutre, jamais transparente, trouve une forme d’accomplissement dans
l’expérience du départ, du retrait cond. La chair du Christ rassemble la masse
du cosmos, le poids de nos êtres mais elle donne aussi une densité réelle à ce qui
a été donné, perdu aux yeux des hommes, à ce qui ne nous appartient plus ou
pas encore.
Cette expérience du don sans réserve, aussi juste soit-elle, est douloureuse
et le restera jusqu’à l’avènement définitif du Christ, dans sa Gloire, car nous ne
devons jamais oublier que la Création, créée bonne par Dieu, consacrée dans la
très grande bonté de l’homme, a été marquée par la terrible brisure du mal,
rendue visible dans le péché d’Adam. Toutes les réalités terrestres, encore
pourtant belles et vivantes restent en attente de ce jour elles pourront
s’épanouir pleinement sans les entraves du péché, de la mort et de la souffrance.
Le Don même de Dieu, ce Don total, salvateur et vivifiant, a pris la forme de la
Croix en ce monde… Certains se sont alors imaginés que la Source de toute Vie,
le Père des Tendresses éternelles pouvait aimer et vouloir la souffrance, celle de
son Fils, la nôtre, alors que la Croix n’a été en quelque sorte que la cristallisation
dans ce monde sur lequel régnait la mort et la haine, de cet AMOUR divin qui y
faisait irruption, dans la splendeur de sa Nouveauté incalculable.
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Si dans ce monde, l’Amour de Dieu, Torrent de Vie, apparaît sous la
forme de cette Croix terrible, nous pouvons prendre ce signe comme un principe
de traduction, un décodeur, pour comprendre le sens véritable de tout ce qui
aujourd’hui nous fait mal. La réalité de cette histoire que nous vivons ensemble,
avec son lot d’attachements et d’arrachements, de découvertes et d’oublis, de
vide et de creux, n’apparaitra que quand nous verrons de nos yeux la splendeur
du Crucifié et la fécondité de ses plaies qui nous répugnent encore. Avec le
poète, je lance ce matin vers le Christ cette interrogation en forme de prière :
« Dis, quand reviendras-tu ? », Viens Seigneur Jésus, avec ceux qui nous
manquent et qui n’ont d’accomplissement éternel qu’en Toi ; « reviens
Seigneur, pourquoi tarder ».
L’entrée dans cette suite du Christ pourrait être reportée sans cesse si une
véritable urgence ne nous pressait pas. Certains voudraient aujourd’hui nous
faire croire que l’urgence n’est qu’à la jouissance de la Vie, alors que la
véritable Urgence est à la Vie elle-même : l’Amour du Christ nous presse, nous
urge ! Si nous comprenons à quel point l’Urgence de vivre authentiquement est
grande, nous comprenons aussi, qu’il est des renoncements qui ont le goût de
l’accomplissement, des départs qui appellent le retour du Christ, des silences qui
font entendre la grande symphonie des Cieux, des sacrifices coûteux qui parlent
d’Amour vrai.
Vous les jeunes, vous qui portez le beau nom de chrétiens, vous qui avez
été marqués du Signe de la Croix, ne gâchez pas ce qui a été semé en vous en
cherchant avant tout votre bonheur personnel. N’allez pas courir les routes pour
vous distraire ou pour gagner, plus, ou moins… Courez ! mais pour répondre à
l’Appel de Dieu, à celui de vos frères. Nous fêtons aujourd’hui la canonisation
de ce grand témoin du Christ qu’a été Mère Térésa de Calcutta ; elle a réussi sa
vie en faisant réussir la Vie, jusque dans la mort. Elle a répondu à l’appel de
Dieu, pas à moitié, et elle a fait de sa vie une grande œuvre. Vous qui rêvez
parfois de ce que le monde fait miroiter devant nous avec ses paillettes et ses
réussites à deux sous, prenez exemple sur elle, elle était petite, pas très belle,
fragile, sans fortune et qui pourtant, en plongeant dans le mystère de Dieu, a fait
ce que les puissants ne savent pas faire, donner du Sens !
Je ne peux jamais oublier que les millions de morts du XXe s, sont plus
proches de ma naissance que cet instant partagé avec vous. Seules 31 petites
années séparent ma venue au monde de ces années cataclysmiques de la seconde
guerre mondiale avec ses 60 millions de morts et son cortège d’abominations.
Vouloir oublier ce donné pour retourner à nos distractions d’avant, serait le
premier pas vers la compromission : Nous devrions avoir sous les yeux chaque
matin les montagnes de cadavres d’Auschwitz, de Belzec, de Sobibor, de
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Treblinka, pour prendre nos décisions, pour faire nos choix, pour consentir aux
petits sacrifices du quotidien. Que sont nos insurmontables mauvais caractères,
nos terribles inimitiés, nos mines vexées, nos « je ne reviendrai pas », je ne
pardonnerai pas », nos « je ne donnerai pas », nos « je me sens plutôt appelé à
autre chose », face au gouffre de la haine destructrice qui continue d’exhaler son
parfum de mort au cœur de l’histoire de notre occident civilisé ? Nous sommes
tous des rescapés de la barbarie et nous vivons comme si rien ne s’était passé…
Ce n’est pas possible !! Ces horreurs ressurgissent et elles ressurgiront aussi
longtemps que chacun d’entre nous n’aura pas engagé toute sa vie, dans la lutte
contre le péché et pour l’Amour de Celui qui révèle la pleine stature de
l’Homme. Nous n’avons pas encore résisté jusqu’au sang dans notre combat
contre le péché. Levez-vous ! battez-vous ! Répondez à l’Appel de Dieu soyez
des saints !
Depuis 4 jours je ne suis plus votre curé, mais je tiens à vous rappeler ce
que je vous ai si souvent rappelé quand j’avais la grâce de l’être : les balises
essentielles pour une vie chrétienne sont l’Eucharistie, la Vie fraternelle et
l’Intelligence de la foi. Sans ces trois points de repère, votre navigation ne sera
que barbotage, votre chemin vers la Jérusalem céleste ne sera qu’un cul de sac.
L’Eucharistie d’abord ! l’Eucharistie dominicale est incontournable !! ne
la manquez jamais, pas même un dimanche, sous aucun prétexte… ! Elle est le
rendez-vous d’Amour qu’on ne négocie pas. Elle est votre pain pour la route.
Vous « vivrez » très bien sans elle, et vous habituerez bien à ce temps gagné,
mais seulement jusqu’à ce que vous vous rendiez compte que cette vie sans la
Sienne ne conduit qu’à la mort et le temps gagné à de l’insensé. Oui, mais la
communauté est comme-ci, le curé est comme ça, et moi je suis comme-ci,
comme-ça, et hier j’étais chez des amis… et patati et patata… Depuis quand nos
fatigues et nos opinions empêchent le soleil de se lever et les fleurs de s’ouvrir ?
La vie à ses lois auxquelles nous devons nous plier pour exister, La Vie Divine
qui contient tout nous exige, si nous voulons être des hommes dignes de ce nom,
ne négocions pas avec ce qui est juste et bon. S’il n’en restait qu’un que ce soit
moi, et d’autres se lèveront vers la Vie !
La vie fraternelle ensuite : elle nous oblige à vivre l’amour, le respect et le
pardon de l’autre, non comme de grandes idées lointaines mais comme des
étreintes de la réalité et de l’Espérance. Embrassez la communauté comme elle
est, votre frère et votre sœur comme ils sont, sans condition, avant de laisser un
quelconque désir de les changer élever ses plaintes en vous et entre vous. Faites
le pari de la confiance avant tout. Choisissez d’être à priori aimant, comme ce
n’est pas vraiment possible sans Lui, le Maître de la confiance, faites-le en Lui.
La communauté sera belle si vous l’aimez et la préservez comme la prunelle de
vos yeux. Toutes ses laideurs viennent de nos manques d’Amour. J’ai
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conscience de ce que je n’ai pas laissé fleurir en ne vous aimant pas assez… Et
pourtant je vous ai aimé, croyez-le, même dans mes colères et mes
découragements. J’ai essayé de tenir la barre, je sais que le P Samson, le P Jan et
le P Célestin feront leur part et que vous continuerez. Personne ne manquera à
l’appel, vous serez sur le Pont…
Enfin l’Intelligence de la Foi, l’Amour des Lettres et le Désir de Dieu
comme le disait Dom Jean Leclerc, grand spécialiste du monde monastique
médiéval… Aimez l’étude, lisez, passionnez vous pour la littérature des grands
auteurs, plongez dans la poésie des maîtres, écoutez la musique des grands. Les
distractions peuvent avoir leur place dans nos existences, mais le Désir de la
Beauté et de la Vérité doit avoir la première de ces places. Ne vous dispersez pas
sans cesse. Approfondissez votre relation à Dieu en lisant Racine, Hugo, Zola,
Musset, Aragon, en écoutant Mozart, Haydn, Frank, Bach, en admirant Raphael,
Dali, Caravage, Rodin, en travaillant, Platon, Descartes, Spinoza, Saint
Augustin, Saint Thomas d’Aquin, Emmanuel Mounier, Edith Stein, ceux d’hier
et ceux d’aujourd’hui… Qu’ils soient chrétiens ou non, les grands esprits qui ont
traversé le temps nous nourrissent du lait de l’intelligence et ils nous préparent à
la réception de la Révélation. Leurs mots, leurs idées, leurs notes, leurs silences,
leurs harmonies de sagesse humaine sont comme les coups de ciseau d’un
sculpteur qui font apparaître ce que nous sommes vraiment et qui nous
permettent de nous élancer vers Celui qui vient à notre rencontre pour nous
conduire en sa demeure éternelle.
P Arnaud Montoux
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