Rémi Caucanas 07-12-12
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Rémi Caucanas
Islam en Europe : entre peur et dialogue.
Université d’hiver de Chrétiens de la Méditerranée
Le Roucas Blanc 07-12-12
Avant de commencer, permettez-moi tout d’abord d’adresser mes remerciements à
chacun et chacune des personnes qui forment ce réseau « Chrétiens de la
Méditerranée ». Voilà cinq années révolues que vous m’avez accompagné dans cette
période de vie si importante qui est celle de l’apprentissage. Le 20 décembre prochain je
soutiendrai ma thèse à Aix-en-Provence une thèse qui aura été peut-être tapée par mes
doigts mais largement portée et inspirée par toutes ces expériences que vous m’avez
données de vivre : au Liban en 2010, grâce à ce fabuleux voyage « Mosaïques », et
dernièrement, en février dernier, en Égypte chez notre ami Jean-Jacques Pérennès.
J’avais connu Jean-Jacques à Marseille, lors de la grande opération Mosaïques d’octobre
2008 organisée par l’Institut Catholique de la Méditerranée (ICM) que j’ai aujourd’hui
encore l’honneur de représenter aux côtés de Colette Hamza, Étienne Renaud, de Louis
et de Monique Boulanger, de Christiane Passelac et de Marie Blandin, notre jeune
volontaire civile. Mais c’est à Sénanque que j’ai découvert Jean-Jacques. C’est à
Sénanque, où nous avons vécu de si belles choses qu’il nous a paru obligatoire d’en sortir
pour les partager au plus grand nombre, que j’ai pu rencontrer des intellectuels et des
acteurs académiques et religieux de haut niveau (je pense à Étienne Renaud que j’ai
écouter la première fois un soir de décembre, à Mgr Brizard qui est absent pour la
première fois). C’est aussi et surtout à Sénanque que j’ai fait la connaissance de
nombreux parrains et marraines, balises sur mon modeste chemin d’apprentissage.
Permettez-moi, Monsieur le président, mon cher Jean-Claude, de vous adresser mes
sincères remerciements. Merci de m’avoir intégré à ce réseau et ses travaux avec la
bienveillance paternelle qui est la tienne. Permettez-moi aussi de remercier plus
particulièrement Patrick Gérault, Samir Nassif et Martine Millet qui m’ont accordé une
confiance remarquable en particulier, mais pas seulement, dans le cadre de ces
universités d’hiver (j’espère d’ailleurs qu’ils me renouvelleront cette confiance à l’issue
de cet exposé). Permettez-moi également de renouveler mes remerciements à
Alexandra, sans laquelle je ne serai sans doute pas aujourd’hui. Enfin, merci à chacun
et chacune d’entre vous qui, en diverses occasions, à plusieurs reprises, m’ont encouragé
à suivre ce chemin difficile et passionnant que celui d’un « chrétien de la Méditerranée ».
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L’Islam en Europe : entre peur et dialogue.
Quel programme bien sombre marqué par ce mot de « peur » ! Programme qui rappelle
le titre au ton bien plus préoccupant encore des Rencontres d’Averroès de 2011 :
« L’Islam et l’Europe : la liberté ou la peur ». Nous avons au moins pour mérite de
terminer pour notre part sur le mot « dialogue », ce qui nous laisse une porte
d’ouverture que l’on pourrait qualifier d’ « espérance » pour user à fond de cette
atmosphère d’Avent qui nous conduira bientôt à Noël.
Permettez-moi justement de commencer par cette espérance qui, à Marseille,
désigne également le regroupement des chefs religieux de la cité phocéenne autour de
son Maire. Hier soir, « Marseille-Espérance » offrait son traditionnel gala aux habitants
de notre belle ville. Après le mot de notre cher maire, Jean-Claude Gaudin, le pasteur de
l’Église réformée, Frédéric Keller que Martine connaît bien, lisait le message des
dignitaires religieux à l’adresse de la cité rassemblée. En voici un court extrait :
Conscients que l’indifférence suscite l’ignorance et le repli sur soi, notre but est de favoriser
l’entente et la compréhension entre tous les Marseillais, quelles que soient leur origine,
leur culture et leur religion, afin d’aplanir les tensions qui pourraient se faire jour et
risqueraient de nuire à l’harmonie de la ville et de ses habitants.
En tant que Marseillais, nous souffrons de la vague de crimes abjects que nous condamnons
fermement. Nous partageons l’inquiétude de nos concitoyens. Mais nous voulons rappeler
qu’au delà du sentiment d’insécurité, la responsabilité et la solidarité des gens de bonne
volonté sont essentielles pour notre ville.
Malgré ce contexte surmédiatisé, il se construit à Marseille une culture de Paix symbolisée
notamment par Marseille Espérance qui témoigne ainsi de la cessité d’un dialogue
bienveillant entre les Hommes.
La nécessité d’un « dialogue bienveillant ». C’est sur cette base que nous démarrerons
notre exposé. Il n’est pas question aujourd’hui (nous verrons demain) de faire ni
l’histoire ni la géographie d’un tel dialogue. Il ne s’agit pas non plus d’en démontrer la
suprême importance pour le présent et l’avenir de notre société, d’autres intervenants
s’y emploieront certainement. Néanmoins, ce « dialogue » que nous éviterons de
qualifier pour l’instant s’inscrit dans notre paysage d’études comme l’infrastructure
nécessaire de notre maison commune appelée société européenne.
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Or un murmure inquiétant parcourt les pièces et les couloirs de la maison. Les
murs frissonnent quand on frappe à la porte. Sur des fondations économiques qui
tremblent, la maison Europe se cherche désormais des racines d’un autre genre, plus
culturelles, à dénomination religieuse : des racines chrétiennes comme pour éviter à
tout prix de ressembler à cet autre qui fait peur. Et, comme il ne peut plus être défini par
la race ni le sang, on lui trouve l’altérité ultime : la religion. Il est musulman.
Une peur semble s’être emparée de l’Europe : l’Islam comme altérité radicale,
compris ou plutôt mal compris comme à la fois culture, religion, civilisation,
communauté, en serait la silhouette. Or cette peur, ces préjugés, ce rejet de l’islam et par
extension des personnes de confession musulmane porte le nom d’ « islamophobie ».
C’est ce phénomène, désigné par un terme qui s’est répandu comme une traînée de
poudre à partir des attentats du 11 septembre 2001, étudiée de manière académique
par Vincent Geisser en 2003
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, que nous allons essayer bien humblement dexplorer.
Comment se manifeste cette « islamophobie » ? Comment s’enracine-t-elle dans notre
histoire récente ? Quelles en sont les obligations qui en découlent ? Dans un premier
temps je vous propose de voir comment s’exprime cette islamophobie en Europe. Nous
verrons que cette expression va de pair avec l’essor de mouvements populistes. Dans un
second temps, nous verrons comment cela s’inscrit dans l’histoire des relations entre
l’Europe et l’Islam. Enfin, je vous proposerais quelques conclusions, sous forme
d’ouvertures pour notre réflexion.
1. Comment se manifeste cette vague d’islamophobie à travers
l’Europe ? L’essor de nouveaux phénomènes populistes.
Plusieurs données peuvent être mobilisées : les sondages d’opinion, les résultats des
partis d’extrême droite tenants d’un discours anti-musulman et les actes de violence
commis à l’encontre des signes musulmans. L’ensemble des données concordent pour
manifester l’essor de nouveaux phénomènes populistes européens.
En 2010, La Croix citait les chiffres suivants quant au rapport à l’islam dans
quelques pays européens
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. En Allemagne, les musulmans seraient environ 3,8
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Vincent Geisser, La nouvelle islamophobie, La Découverte, Paris, 2003.
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La Croix, « Islamophobie, pourquoi ? », 10 novembre 2010.
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millions, soit 3,7% de la population, 58,4% des Allemands estimeraient qu’il fallait
considérablement restreindre la pratique de l’islam sur le territoire allemand et 55,4%
diraient comprendre que, « pour certaines personnes, les Arabes soient désagréables ».
En 2010, le débat sur la présence et l’intégration des musulmans y avait pris un tour
polémique à cause de la publication du pamphlet de Thilo Sarrazin, L’Allemagne se
détruit. Cet ancien responsable de la Bundesbank, membre du SPD, y accuse l’
« invasion » islamique d’être à l’origine d’un proche déclin de l’Allemagne.
Un autre paramètre d’observation de l’augmentation de l’islamophobie en Europe
est celui des résultats de partis politiques tenants de discours xénophobes et anti-
musulman. En octobre 2010, Le Monde titre « Europe : l’extrême dopée à
l’islamophobie ». En Autriche, les musulmans représentent environ 340 000
personnes, soit 4,1% de la population, près d’un cinquième de l’électorat a été séduit par
le discours du Parti libéral autrichien (FPÖ) qui dénonce l’ « islamisation » de la société
autrichienne. En octobre 2010, partant de ce cas autrichien, le journal Le Monde
s’inquiète de cette extrême droite européenne « dopée à l’islamophobie » :
"Vienne la Rouge" se teinte à nouveau de brun. Dans la capitale autrichienne, avec 27 % des
voix, l'extrême droite a retrouvé, dimanche 10 octobre, à l'occasion d'élections
provinciales, le niveau auquel l'avait hissée feu Jörg Haider en 1996 (27,9 %). A la fois
berceau et place forte électorale, depuis 1919, de la social-démocratie centre-européenne
l'exclusion de la période austro-fasciste et nazie entre 1933 et 1945), Vienne est
aujourd'hui un nouveau jalon dans la progression de l'extrême droite dans une bonne
partie de l'Europe.
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Car l’extrême droite, dite « populiste » fait une percée dans plusieurs pays d’Europe.
Toujours selon La Croix : en Suède vivent 300 000 musulmans, soit 3% de la
population, le Parti des démocrates suédois a fait son entrée au Parlement en
remportant 5,7% des voix aux élections législatives de septembre 2010, à l’issue d’une
campagne pour la réduction de l’immigration. En Italie où vivent un peu plus de 800 000
musulmans, soit 1,4% de la population, les partis xénophobes ont repris une certaine
vigueur en jouant sur la peur de l’islam. En mars 2010, la Ligue du Nord remportait ainsi
plusieurs élections régionales, cumulant près de 13% des suffrages au plan national, soit
deux fois plus que lors des précédentes élections régionales. Berlusconi gouverne alors
avec elle. Au même moment, au Danemark, le gouvernement libéral-conservateur
cherche le soutien du Parti du peuple danois. Aux Pays-Bas, les libéraux et les chrétiens-
démocrates constituent une majorité avec Geert Wilders, fondateur du Parti de la
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Le Monde, Europe : l’extrême droite dopée à l’islamophobie, 11 octobre 2010.
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Liberté. Bien sûr, cette poussée connaît des couleurs locales. Geert Wilders défend par
exemple, à la sauce hollandaise, l’homosexualité et la place des femmes qui ne sont pas
respectées selon lui par l’islam qu’il qualifie par la même occasion d’idéologie fasciste et
sexiste. Fin 2010, il est d’ailleurs condamné pour « incitation à la haine raciale » à cause
de son film Fitna diffusé sur internet en 2008, dans lequel il critique le Coran,
l’assimilant à Mein Kampf. Cependant, comme le souligne l’article du Monde déjà cité « il
est un thème, nouveau, qui fédère la plupart des partis qui la représentent : le rejet de
l’islam » :
La campagne viennoise en a témoigné. Le chef du Parti de la liberté FPÖ, Heinz-
Christian Strache, n'a cessé de stigmatiser les immigrés de cette confession.
"Sécurité pour les femmes libres !", proclamaient ses affiches [en 2010], ce qui
excluait à ses yeux celles qui portent le voile.
En Europe, d’autres initiatives avaient déjà été prises, notamment en Suisse, l’Union
Démocratique du Centre (UDC) avait su mobiliser lors du référendum sur l'interdiction
des minarets, en novembre 2009. Les autres formations populistes européennes, ne
pouvaient qu’applaudir : le Vlaams Belang, en Flandres, et le Parti du peuple danois (DF)
exigent de telles consultations dans leur pays respectif.
Outre les sondages et les résultats électoraux, une autre comptabilité peut être
mobilisée : celle des faits, des actes de violences commis à l’encontre des signes
musulmans voire des personnes musulmanes elles-mêmes. Au Royaume-Uni, où l’on
compte environ 1,6 million de musulmans, soit 2,7% de la population, 11 mosquées
auraient été attaquées après les attentats terroristes de juillet 2005. En 2010, la France
connaît une série tout à fait inquiétante d’actes islamophobes.
En France, l’on compterait environ 3,5 millions de musulmans, soit 5,4% de la
population, Sébastien Fath se pose la question sur son blog d’un « vent d’islamophobie »
qui se serait abattue sur la France en 2009-2010.
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Contrairement à Vincent Geisser, ce
dernier ne définit pas l’islamophobie comme un racisme puisque l’islam est d’abord une
religion, « pas un ciment ethnique ». Selon lui, l’islamophobie est d’abord une « aversion
prononcée à l’encontre de toute expression identitaire musulmane ». Or début 2010,
cette aversion semble s’accroître dangereusement ce qui permet à Sébastien Fath de
soumettre l’hypothèse d’une islamophobie croissante en France. En moins de six
semaines, six mosquées sont profanées sur le territoire français. Et puis il y a eu les
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http://blogdesebastienfath.hautetfort.com/archive/2010/02/19/2009-2010-un-vent-d-islamophobie-
sur-la-france.html
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