Extrême droite : fausses questions, mauvaises réponses

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LdH — Ligue des droits de l’Homme
Extrême
droite,
fausses
questions,
mauvaises
réponses
...
Les idées de l’extrême droite ont pris une place importante
dans le débat public. Ces thèmes sont anciens et connus :
l’appel à un pouvoir autoritaire, le culte d’un passé où do‑
mine l’ordre patriarcal, le mépris de ce qui relève du sys‑
tème républicain – partis, assemblées élues, associations,
syndicats – combiné à l’affirmation de préférences, dont
l’étiquette « nationale » dissimule mal l’appel à discriminer
et à rejeter tous ceux qu’on présente à tel ou tel moment
comme différents, sur des bases réelles ou supposées.
Longtemps cantonnée aux marges du débat républicain
de par son histoire dans la collaboration avec l’occupant
nazi, l’extrême droite a reconstitué un socle de réseaux et
de propositions, en tablant sur l’oubli de ses idées passées.
Elle a travaillé à peser sur la pensée de droite républicaine,
elle a surfé sur la révolution néolibérale en adoptant sa di‑
mension individualiste et sécurit aire et, avec la crise qui
provoque la crainte d’exclusion, elle articule maintenant ce
néo-libéralisme avec d’anciens réflexes identitaires et xéno‑
phobes.
Avec la crise et les échecs des partis qui exercent les
responsabilités depuis des décennies, l’extrême droite
rencontre des succès en bénéficiant des inquiétudes
dans la société. La peur est sa carte maîtresse ; elle en
use à tout‑va, en surfant sur la double crainte du déclin na‑
tional et du déclassement social.
Elle joue sur ce qui délégitime les représentations poli‑
tiques et ce qui fait craindre tout changement. Elle rejette
l’idée même d’un avenir commun pour les peuples, construit
autour des notions d’égalité et de solidarité.
Elle entraîne malheureusement une partie de la droite
républicaine. Et, maintenant, des voix venant de la gauche
s’expriment sur ses thèmes avec des mots détestables,
sous couvert de ne pas lui en laisser le monopole !
On a là une défaite de la pensée qui induit un grand
trouble dans le débat public, et aussi dans bien des
consciences. Tout indique que ce recul des valeurs progres‑
sistes peut marquer profondément le débat et les résultats
des élections prochaines, municipales et européennes.
Il y a donc une réelle urgence démocratique. La Ligue
des droits de l’Homme entend jouer pleinement son rôle ci‑
vique et républicain. Elle s’emploie à opposer aux idées
d’extrême droite, et à tous ceux qui les portent, un débat
de raison, construit sur des valeurs fortes – l’égalité, la
solidarité.
Cette brochure entend contribuer à l’approfondissement
du débat au sein de la LDH et du débat public. D’une part, en
passant au fil de la critique un certain nombre d’affirmations
martelées par l’extrême droite ; d’autre part, en soumettant
au débat, avec les citoyennes et les citoyens de notre pays,
les propositions que la Ligue des droits de l’Homme estime
indispensables pour la démocratie et le progrès social.
LdH — Ligue des droits de l’Homme
1 — L’extrême droite
pose-t-elle de « bonnes
questions » ?
Cette proposition d’apparence anodine est un double
mensonge. L’extrême droite n’a « découvert » aucune ques‑
tion et ne leur apporte que de (très) mauvaises réponses.
Ni le chômage, ni l’exclusion sociale, ni la délinquance
n’ont été « découverts » par l’extrême droite, pas plus d’ail‑
leurs que les questions migratoires. Elle s’est contentée, du
bord de la route, de constater des problèmes connus. Son
seul « apport » est d’avoir attribué ces problèmes à la pré‑
sence d’étrangers, et à les instrumentaliser au profit d’un
« ordre naturel » jamais éloigné de l’ordre patriarcal et au‑
toritaire. Refusant de se pencher sur les causes réelles des
problèmes soulevés par l’évolution de nos sociétés, elle les
attribue pêle-mêle à la « dérive des mœurs », au « déclin na‑
tional » et surtout aux « mélanges » induits par les migrations.
Mais l’extrême droite veut ignorer ces réalités ; elle leur
préfère le culte d’une nostalgie mythique, celle d’un âge d’or,
sans chômage, où les femmes, les jeunes, les étrangers sa‑
vaient se tenir soumis, à une place imposée car l’ordre et
ses représentants étaient sinon respectés, du moins craints.
Ce monde imaginaire est peuplé de Français dits « de
souche », et l’équipe nationale de football y est « ethnique‑
ment homogène ». Les « étrangers », avec ou sans papiers,
y sont donc suspects a priori de fainéantise, de fraude, de
trafics multiples, de délinquance et de violence…
Face à ces maux, l’extrême droite ne connaît qu’un remède :
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En fait, la France est depuis longtemps et reste une des
dix premières puissances économiques mondiales ; le chô‑
mage, l’exclusion sociale ont beaucoup à voir avec l’inégale
répartition des richesses entre Français. Quant aux migra‑
tions, elles constituent un apport économique et social plu‑
tôt que l’inverse.
Extrême droite,
fausses questions, mauvaises réponses...
On entend souvent avancer l’idée que l’extrême droite,
Front national ou autres, poserait les « bonnes questions »,
et que seules ses réponses seraient mauvaises.
la répression judiciaire et administrative ou alternativement,
une soi-disant autodéfense qui n’est que justification à
agresser dès que l’on se « sent menacé ».
Avec une telle grille de lecture, le chômage est causé par le
travailleur migrant, fût-il lui-même chômeur ; l’étranger de‑
vient un facteur d’insécurité et de délinquance, même s’il
est l’objet de contrôles incessants.
La laïcité est instrumentalisée contre les religions, et les
croyants accusés de vouloir « transformer » la France.
La sécurité n’est invoqué que pour mieux fustiger des pou‑
voirs politiques et des juges laxistes, alors même que se
multiplient des condamnations de plus en plus lourdes.
Avec l’extrême droite, les « mauvaises questions » vont
de pair avec les « mauvaises réponses ». Et ceux qui ne les
partagent pas méritent d’être victimes de mesures liberti‑
cides. La boucle est ainsi bouclée.
2 — La préférence nationale,
une mécanique d’opposition
de tous contre tous
L’extrême droite met en avant une proposition phare, à
savoir la « préférence nationale », supposée régler les pro‑
blèmes en réduisant le nombre de bénéficiaires aux seuls
« Français ».
Ce véritable logiciel politique, sous des dehors de bon
sens, va à l’encontre du droit international ; sans régler au‑
cun problème, il fonctionne comme une mécanique d’exclu‑
sion nationale.
La « préférence nationale » vise clairement l’immigra‑
tion. Lancée dans les années 1980, l’idée induit que face
aux problèmes qui émergent, elle constituerait une pana‑
cée. Qu’il s’agisse d’emplois, de prestations sociales, de
sécurité ou de logement, la solution serait la même : ex‑
clure les non-nationaux. Cette pseudo-solution n’a donc
aucun rapport avec la nature du problème, avec le droit
commun, avec les personnes concernées. C’est l’exemple
même d’une véritable escroquerie idéologique, dont les
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Indépendamment de son incapacité totale à solutionner
le moindre problème, la préférence nationale enracine la na‑
tion dans un passé mythique où la France serait supposée
chrétienne, blanche et homogène. Autant de fantasmes au
regard d’une histoire marquée par les échanges, les mé‑
langes et les fusions, à la fois de territoires, de cultures, de
langues et de populations.
Pour la République, la nation est une idée, bâtie autour
des valeurs de la devise républicaine en partage. Pour l’ex‑
trême droite, la nation est marquée par le territoire et la tra‑
dition, le « sang », voire la « race » des soi-disant « préférés ».
L’étranger est en trop et le chômeur également. Si ce der‑
nier n’est pas étranger, il n’en est que plus suspect car il
atteste de par son seul état de l’inefficacité de la fameuse
préférence.
Ainsi, la préférence nationale est-elle bien par antiphrase
une tentative de mise en détestation d’une partie de la na‑
tion par une autre. L’antithèse absolue de la « devise liberté,
égalité, fraternité ».
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Dans les faits, la fameuse « préférence » affichée est donc
surtout une machine à exclure. Ce qui n’est pas préféré est
renvoyé à soi même et exclu de toutes les mécaniques de
socialisation et de solidarité, mais pas des impôts. Il s’agit
donc en fait de minoriser des personnes en les exploitant
jusqu’à ce qu’elles quittent le pays. Problème : ces per‑
sonnes que les « préférés » estiment en trop sont souvent…
de nationalité française. Mais dans ce processus de stigma‑
tisation, la question « raciale » se confond très vite avec la
dimension sociale.
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dupes pensent naïvement qu’elles seront « préférées
nationalement ».
Mais… Si l’on part du principe que le chômage résulte
d’un trop-plein de main-d’œuvre, on est tenté d’éliminer le
maximum de concurrents : étrangers, mais aussi femmes,
Français d’une autre région, Français de « fraîche » date…
Problèmes : cette élimination des concurrents ne crée ni
emploi, ni dynamique de relance. Elle n’incite pas les en‑
treprises à moderniser – pourquoi le feraient-elles puisque la
main-d’œuvre reste bon marché et s’élimine elle-même ? – et
contribue à appauvrir la demande intérieure, donc à relancer
le chômage…
3 — Le nationalisme,
antidote à la
« mondialisation » ?
L’extrême droite définit son nationalisme comme le remède
aux problèmes soulevés à « l’intérieur » par les étrangers,
et à « l’extérieur » par les « mondialisations ».
Mais la nation n’a jamais existé en dehors du monde.
Et son enfermement sur elle-même aboutit toujours à
construire des sociétés figées, peu novatrices, la plupart du
temps autoritaires.
L’extrême droite postule que tout ce qui pose problème
« ici » viendrait en fait « d’ailleurs », et que plus cet « ailleurs »
est étranger et lointain, plus grave est le problème qu’il pose
« ici ». De fait, la mondialisation pilotée par des acteurs fi‑
nanciers débridés se traduit par une marchandisation des
échanges culturels, des idées et des cultures. Cela s’accom‑
pagne de pertes de repères et peut pousser à cultiver l’idée
de lui opposer le retour au « local », aux « terroirs », à des
identités figées comme autant de facteurs d’enracinement.
Le nationalisme de l’extrême droite exacerbe cette dé‑
marche en assumant l’idée d’un vaste complot mondialiste
animé par une « juiverie cosmopolite » visant à détruire les
nations. Ce schéma est repris d’un bout à l’autre de l’Europe
sous des formes plus ou moins dissimulées, ou sous des
habits neufs. Ainsi l’islamisme peut-il remplacer « les juifs ».
Plus habile et modéré dans ses expressions, le Front natio‑
nal se contente de faire du nationalisme l’alpha et l’oméga
de ses « solutions » rompre avec l’euro et la construction
européenne et l’utilise comme carburant de son racisme tra‑
ditionnel et de ses propos anti-musulmans.
Le débat sur l’identité nationale provoqué par Nicolas
Sarkozy, alors président de la République, a largement
permis que s’expriment ces visions nationalitaires dont
la conséquence première est de déclencher un tri entre
« bons » et « mauvais » Français, entre « vrais nationaux » et
« Français de papiers ». Là encore, sous couvert de rassem‑
bler et de réunir, c’est une machine à opposer les uns aux
autres que l’on déclenche.
Or, les problèmes posés au monde – qu’il s’agisse des
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enjeux environnementaux, des questions migratoires, des
ressources énergétiques, du commerce mondial ou des
questions liées à l’emploi – ont tous des dimensions inter‑
nationales. Renoncer à prendre en compte ces dimensions
– ce qui n’aurait rien de simple – ne réglerait aucun pro‑
blème. Pire, cela les compliquerait considérablement ; en ef‑
fet, les concurrences en seraient multipliées et exacerbées,
et les moyens à disposition seraient moindres.
La nation est une belle chose lorsqu’elle s’ouvre aux
autres. Cette ouverture au monde, cet enrichissement mul‑
ticulturel, loin de provoquer la dilution ou la disparition des
nations, peuvent permettre des progrès démocratiques, des
avancées en termes de droits, des coopérations positives
pour l’humanité tout entière.
L’extrême droite se veut héraut des valeurs familiales,
et singulièrement du rôle qu’y tiennent les femmes, rôle
d’épouse et de mère ; sa posture n’est jamais reliée à la no‑
tion d’égalité.
Cela n’empêche pas le Front national de jouer du rôle
de Marine Le Pen, qui incarne à la fois la continuité filiale
et une exception féminine idéalisée qui fait écho à la figure
sublimée de Jeanne d’Arc.
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4 — « L’éternel
féminin » contre l’égalité
femmes /hommes
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Le monde, le monde des autres est aussi et de façon in‑
divisible, le nôtre. Il constitue une opportunité pour chaque
peuple, chaque nation et chaque culture, à condition que
leurs relations ne relèvent pas du seul rapport de force,
voire de la domination d’un pays – ou continent – sur un
autre. L’anti-mondialisation de l’extrême droite, arc‑boutée
sur une conception passéiste, est aux antipodes de l’alter
mondialisme, qui souhaite contribuer à faire émerger un
monde construit sur la régulation des échanges, la solidari‑
té et le dialogue, sur des bases de droit et d’égalité.
D’une façon plus générale mais significative, l’extrême
droite, pas plus le FN que d’autres formations, ne se pro‑
nonce jamais sur les inégalités qui frappent les femmes en
matière de carrière, de salaire, de précarité et de temps de
travail, pas plus d’ailleurs que sur le déficit de paritarisme
qui caractérise notre pays dans le champ de la représenta‑
tion politique.
Dans ce cadre idéologique, l’extrême droite priorise de
longue date l’activité agressive d’organisations comme
SOS-tout-petit contre le droit des femmes à l’avortement : en
les culpabilisant, en s’enchaînant aux lits dans les services
hospitaliers ou en distribuant des chaussons de bébés dans
les consultations d’orthogénie.
Cette lutte s’infléchit actuellement, sous la forme in‑
sidieuse de sites apparemment neutres d’informations
destinés aux femmes, ce qui permet à la fois d’éviter
les poursuites judiciaires et d’agir en profondeur sur les
esprits. Le Front national ne tient pas un discours ouverte‑
ment anti-avortement, mais dénigre les associations comme
le Planning familial, accusé d’inciter les femmes à avorter.
Avec La Manif pour tous, l’extrême droite a réactivé ses
visions passéistes de la femme, ramenée à un destin mater‑
nel. En réaffirmant la primauté du mariage, uniquement hé‑
térosexuel, et de la détermination biologique et naturaliste
de la filiation et de la famille, les réseaux à l’œuvre ont com‑
biné une homophobie agressive à une exaltation de l’ordre
naturel. Forte d’une mobilisation réelle, l’extrême droite
s’est lancée dans une offensive contre ce qu’elle appelle
« la théorie du genre », en ciblant les enseignants et les pro‑
grammes de l’Éducation nationale, accusés d’endoctriner
les enfants en les arrachant à l’éducation de leurs parents,
de les encourager à devenir homosexuels, etc.
L’objectif pour elle est de discréditer un outil intellec‑
tuel utilisé par de nombreuses disciplines scientifiques afin
d’analyser les rapports entre les hommes et les femmes en
vue de faire reculer les inégalités. L’extrême droite est prête
à faire intervenir de façon autoritaire le monde politique
dans les programmes et les manuels scolaires.
Corrélativement, elle a pris la laïcité en otage pour
stigmatiser l’oppression des « envahisseurs ». Cette dé‑
nonciation opère à la fois sur un mode de melting-pot
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5 — La laïcité défigurée
Depuis quelques années, l’extrême droite se réclame de la
laïcité pour agiter la peur d’une « islamisation » de la France,
allant jusqu’à dénoncer une invasion.
La ficelle est grosse : l’extrême droite a toujours com‑
battu la laïcité de l’école et de la République, au nom de la
France « fille aînée de l’Eglise ».
C’est le racisme anti-arabe qui se cache derrière une
« croisade laïque » contre une religion proclamée « inassi‑
milable » : de campagne contre les « minarets » en « apéros‑
saucisson », la laïcité est mise au service de l’ethnicisation
de la nation.
Ce « virage laïque » de l’extrême droite défigure la laïcité,
présentée comme l’injonction faite aux « barbares » de s’as‑
similer à une « civilisation supérieure occidentale », alors
que la laïcité a été au contraire construite comme un outil
d’émancipation et une garantie d’égale liberté.
Ainsi, la loi de 1905 garantit la liberté de conscience mais
aussi celle des cultes sous la seule réserve de l’ordre public.
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L’extrême droite entend surtout exploiter la mise en
scène d’une violence terroriste provenant des terres d’Islam
comme facteur de destruction de l’« identité nationale ». La
laïcité pour elle n’est qu’un prétexte. Ainsi s’est-elle oppo‑
sée au mariage pour tous avec les « traditionalistes » inté‑
gristes, qui voulaient soumettre la loi de la République à un
« ordre naturel » intangible : leur « laïcité » s’accommode très
bien des offensives cléricales contre l’état civil républicain.
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anti-islamique, soi-disant républicain – dénonciation des
minarets, du voile et des abattoirs hallal – et avec de bonnes
vieilles méthodes discriminantes telles que les soupes au
cochon…
Pour les femmes musulmanes, c’est double peine ; elles
se retrouvent stigmatisées par un discours uniformisant et
discriminant qui prétend vouloir les libérer de leurs convic‑
tions tout en leur interdisant de fait l’école, l’accompagne‑
ment des sorties scolaires, le travail dans des structures
privées…
La laïcité qu’elle institue ne renvoie nullement la religion
dans la « sphère privée » : les lieux de culte sont publics, et
l’extrême droite tient beaucoup au pèlerinage de Chartres…
La laïcité protège la liberté des musulmans, comme celle
des juifs ou des chrétiens, de vivre pleinement leur foi, de
même que celle des athées et des agnostiques de vivre plei‑
nement leur conviction philosophique.
La laïcité, c’est la liberté égale pour tous. Toutes les reli‑
gions doivent être traitées de la même manière : respect de
la liberté de conscience et d’expression, avec comme seule
limite le respect de la liberté des autres. Comme l’a pro‑
clamé la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen,
« la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à
autrui », donc « nul ne doit être inquiété pour ses opinions,
même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble
pas l’ordre public établi par la loi ».
Mais bien sûr l’extrême droite ne veut pas de cette égale
liberté : elle veut montrer du doigt ses boucs émissaires, les
mêmes qu’au temps de l’Algérie française ; stigmatiser, re‑
jeter, exclure, au nom d’une « France aux Français » héritée
non de la République laïque, mais de la « Révolution natio‑
nale » de Pétain.
La laïcité, ce n’est ni le racisme ni l’exclusion, c’est la
liberté en partage. Sous son déguisement « laïque bleu ma‑
rine », le loup a toujours de grandes dents…
7 — Au-dessus du clivage
gauche-droite ?
« Ni gauche, ni droite : français ». L’extrême droite se pré‑
tend toujours au-dessus des clivages partisans, comme si
le fait d’être français constituait en soi un positionnement
politique.
En fait, l’extrême droite est bel et bien… de droite. Cela
vaut pour ses valeurs mais aussi pour ses choix écono‑
miques et sociaux.
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« De gauche » sur les questions sociales et « de droite »
sur les enjeux sociétaux : le tour de passe-passe consiste à
se présenter comme porte-drapeau des revendications po‑
pulaires et ouvrières en incarnant les « petits », des « invi‑
sibles » face aux « gros », à « l’establishment » et aux « élites
parisiennes » ou « mondialisées».
Dans toutes ces propositions, aucune ne s’attaque aux
inégalités sociales et salariales, aux discriminations, ou à
la répartition du produit intérieur brut via des mesures fis‑
cales. La seule mesure phare reste encore et toujours la pré‑
férence nationale.
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Mais cette préférence elle même est de droite. D’abord,
parce que son « produisons français, avec des Français,
dans des entreprises françaises » ne vise pas la construc‑
tion d’une France plus égale et solidaire mais d’un pays où
les capitaux français pourraient toujours plus librement ex‑
ploiter les travailleurs français.
La cause profonde des difficultés économiques, la dé‑
valorisation constante du travail au profit des détenteurs
de capitaux, sont d’ailleurs totalement évacuées: précarité,
bas salaires, inégalités de tous ordres sont attribués à des
facteurs étrangers dont il suffirait de se débarrasser pour
renouer avec un âge d’or.
Ensuite parce que la sortie de l’euro, au bénéfice d’un
franc dévalué pour regagner des marges économiques, cen‑
sé améliorer la « compétitivité-prix » des produits français,
aboutirait à dévaluer la valeur de la force de travail et à une
hausse des prix. Une dévaluation de 20 à 25 % signifie une
baisse d’au moins autant du pouvoir d’achat. Par ailleurs, le
poids de la dette publique, dont les deux tiers sont détenus
par des sociétés et des individus installés juridiquement à
l’étranger, en serait fortement alourdi.
Enfin, un protectionnisme accru et le rétablissement de
Extrême droite,
fausses questions, mauvaises réponses...
Pour devenir « un parti comme les autres », le FN déve‑
loppe donc un discours axé sur l’emploi, la lutte contre le
chômage, la détresse sociale, la défense du pouvoir d’achat,
C’est ainsi que Marine Le Pen a pris fait et cause pour
les retraites quelques mois après avoir fustigé les organi‑
sations syndicales et les manifestants, qualifiés par elle
d’« émeutiers ». Qu’après avoir fustigé les fonctionnaires
« budgétivores » et les services publics, elle se scandalise
de leur affaiblissement ; qu’après avoir été pour les privati‑
sations, elle propose des nationalisations...
droits de douane entraînerait quasi automatiquement des
représailles de la part des partenaires économiques de la
France. Or, un quart de ce que l’on consomme en France
provient de l’étranger, soit pour la consommation des mé‑
nages, soit sous forme de matières premières et de produits
intermédiaires utilisés par les entreprises. Il s’ensuivrait un
processus de perte d’activité et de hausse des prix.
8 — A l’opposé
des politiques publiques
dont l’Europe a besoin
L’extrême droite n’aime ni l’Europe, ni le projet européen.
Pour elle, tout cela renvoie à la subordination nationale à
des « étrangers », technocrates éloignés des « peuples ».
Au-delà des différences historiques qui l’anime d’un
pays à l’autre, l’extrême-droite progresse presque partout
en Europe en cultivant les mêmes terreaux, en avançant les
mêmes thèmes, en attisant les mêmes mauvais brasiers de
la haine de l’autre.
Au XXe siècle, c’est dans des pays en crise économique
et sociale, où les inégalités croissaient et dans des mo‑
ments où des dizaines de millions de personnes craignaient
de devenir des exclus, que ces mêmes discours ont débou‑
ché sur des drames qui ont ensanglanté le monde.
Aujourd’hui, les mêmes figures sont agitées pour faire
peur et diviser ; la Ligue du Nord italienne rejette les « fai‑
néants » du sud de l’Italie, les Flamands ne veulent pas des
Wallons, les Roumains, les Hongrois stigmatisent leurs na‑
tionaux roms…
Cette mécanique d’exclusion est consubstantielle de
l’extrême droite ; elle l’applique à l’Europe en prétendant
construire ainsi davantage de protection pour chaque
peuple, au dépend des autres.
Ce pour quoi elle désigne « l’Europe » comme l’un des
causes essentielles du déclin national. Ce procès est lar‑
gement facilité par les défauts réels et de politiques effecti‑
vement condamnables, tant dans le domaine démocratique
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qu’économique ou financier. Mais les responsables éco‑
nomiques et financiers de ces maux – le système financier
mondial, dont les banques françaises, les multinationales, y
compris les françaises – ne sont jamais nommés ni pointés
du doigt.
Pour les citoyens, ce serait un marché de dupes. L’Eu‑
rope est la première économie mondiale. Son unification
économique et monétaire permet de créer davantage de
richesses que ce que seraient la somme des productions
nationales. Cela pourrait constituer des atouts fantastiques
pour lutter contre les exclusions, pour assurer les sécurités
sociale, économique, environnementale, culturelle.
9 — « Il faut en finir avec le
laxisme dans le traitement
de la délinquance »
Pour l’extrême droite, il faut réserver un traitement éner‑
gique et efficace à la délinquance, notamment des mineurs.
12 - 13
Le problème est que l’Europe ne construit pas les po‑
litiques publiques de solidarités nécessaires, que les iné‑
galités que produit l’économie ne sont pas suffisamment
contrebalancées par les politiques de redistribution qui de‑
vraient en résulter. Or, on a besoin de plus de solidarité, plus
d’égalité, davantage de politiques publiques européennes
pour répondre aux inégalités sociales que produit le déve‑
loppement économique. Au lieu de se diviser en rejetant
l’autre, c’est de rassemblement qu’ont besoin ceux qui ont
peur d’être les exclus demain.
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Les solutions présentées consistent donc à… quitter
l’Europe, abandonner l’euro, pour renouer avec des déva‑
luations qui n’ont de compétitives que le nom ; à se refermer
sur ses « cultures » et derrière des frontières sacralisées, à
prôner des ententes libres entre États « volontaires », et à
annuler toute contribution financière française au budget
européen.
Avec un tel programme, il n’y a plus de solidarité pos‑
sible entre Etats, plus d’Europe. Simplement des rapports
de forces teintés de méfiance et de replis identitaires.
Il faut assurer le renvoi chez eux des délinquants étrangers,
notamment pour qu’ils y purgent leur peine. Enfin, il faut
redonner une vraie place à la victime dans le processus ju‑
diciaire, et retrouver une sévérité accrue dans les sanctions
prononcées, pour qu’elles soient de « vraies » peines.
Derrière ces pétitions de principes, que dit-on concrè‑
tement ? Pour l’essentiel, un accroissement significatif du
nombre de places de prisons (40 000 souhaitées par le FN !),
de façon à ce que les peines soient « réellement » effectuées.
Il s’agit là d’une posture idéologique, qui ignore ou feint
d’ignorer qu’elle est totalement inefficace. Vous ne trouve‑
rez pas un professionnel, investi dans les questions de pri‑
son, pas une étude faite par des spécialistes pour affirmer
que l’enfermement fait baisser la délinquance, et surtout
empêche la récidive.
Ce qui marche au contraire, ce sont tous les efforts faits
en amont vers la promotion de l’égalité des droits : l’éduca‑
tion, la culture, la professionnalisation, le soin, la citoyen‑
neté de tous.
L’extrême droite croit en une règle répressive mathéma‑
tique : frapper l’auteur, fort et longtemps, guérit et répare le
délit ou le crime, guérit ou répare la société, guérit ou répare
la victime ! Cette pensée simpliste ignore la réalité de l’im‑
puissance de la répression : d’une part la répression, dans
sa violence aveugle, produit les effets inverses souhaités
(exclusion, rancœur, violence), d’autre part il n’existe pas de
délinquant et de criminel « lambda », ce n’est pas un groupe
homogène et constant : les quelques prédateurs volontaires
et malveillants sont très minoritaires au regard des malades,
des alcooliques, des personnes fragiles, des personnes en
manque de repères et de droits, des personnes en grande
difficulté… La preuve, c’est que les primo-délinquants
représentent une proportion de l’ordre des trois cinquièmes
des personnes écrouées. Ce ne sont pas des profession‑
nels du délit ou du crime, ceux-là sont des accidentés
de la vie.
Après un premier passage à l’acte, les risques de réci‑
dive sont amplement minimisés, d’abord par le prononcé
d’une sanction proportionnée à l’acte commis, considérée
dans son contexte et adaptée à la personne. Ainsi, elle aug‑
mente ses chances d’être juste et utile à la société.
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Surtout, la récidive n’est, dans la pratique, évitée que par
un accompagnement social actif de la personne, non par la
menace de la sanction qui, aussi forte et brutale soit-elle,
n’a jamais empêché la délinquance qui, dans son écrasante
majorité, trouve sa source dans les maux économiques et
culturels de notre société et dans les carences affectives et
psychiques des individus.
Derrière la place de la victime, c’est en réalité cette co‑
lère et cette impuissance que nous voulons exprimer. Ce
n’est pas objectivement la place de la victime dans le procès
qui, pour perfectible qu’elle soit, existe en réalité.
Cette colère est légitime. Elle appelle à la vengeance.
Et c’est là qu’elle n’est plus légitime. La civilisation s’est
construite là-dessus : échapper à la vengeance qui appelle
la guerre perpétuelle, car alors il y a toujours surenchère. La
justice dans une société est l’affaire de tous car le mal fait
à la victime est fait à la société tout entière, au-delà du fait
qu’il interpelle le collectif sur ses défaillances.
14 - 15
Et la réponse que la victime doit avoir à sa souffrance
est : tu n’as pas souffert pour rien. Nous allons tout faire
pour que cela ne se reproduise pas. Et ce « tout faire » ne
signifie pas éliminer le délinquant, car il en viendra d’autres.
Ce « tout faire », c’est le travail acharné et répété contre les
causes multiples de la délinquance. Notre objectif vis-à-vis
du délinquant, c’est la réparation, la responsabilisation, la
réinsertion, la restauration du droit...
Extrême droite,
fausses questions, mauvaises réponses...
Concernant les étrangers, leur sur-représentation (très
relative) dans la population pénale s’explique en grande par‑
tie par la plus grande précarité de leur situation économique
et corrélativement l’absence de garanties, ce qui entraîne
leur incarcération là où les nationaux y échappent, parce
qu’ils justifient d’un domicile et d’une situation stable.
La place de la victime est une question importante…
mais que l’extrême droite n’est pas la seule à poser, loin
s’en faut. Lorsqu’un proche, ou quelqu’un dont nous nous
sentons proches est agressé, un sentiment de colère et
d’impuissance nous attrape. Et cette colère n’est jamais
apaisée.
Ligue
des droits de
l’Homme
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