à partir des années 1910 ce qui s'appellera le « modèle de Bohr » de l'atome. Il fait l'hypothèse qu'il
existe, pour les électrons de l'atome, certaines trajectoires fixes autour du noyau (comme si les planètes
tournant autour du soleil ne pouvaient se trouver qu'à des distances bien précises). Le passage d'un de
ces états stationnaires à un autre est aléatoire et s'accompagne de l'émission ou de l'absorption d'un
quantum d'énergie lumineuse, c'est-à-dire d'un photon. Ce modèle attire rapidement l'attention de la
communauté des physiciens qui l'enrichissent et le testent expérimentalement. Autour de ce modèle de
Bohr, se développe ainsi une « théorie des quanta ».
À partir de 1925, deux développements indépendants vont conduire à l'abandon de cette théorie des
quanta, qui rencontre un certain nombre de difficultés, au profit de la théorie quantique moderne. D'un
côté, Heisenberg est un des principaux protagonistes à abandonner la représentation de l'atome de Bohr
pour s'engager dans une abstraction plus mathématique. En utilisant des tableaux de nombres (appelés
« matrices »), il parvient à relier directement certaines quantités mesurables, en faisant fi des
représentations traditionnelles telles que la position, l'orbite, la vitesse. Il élabore ainsi une « mécanique
matricielle ». D'un autre côté, de Broglie défend l'idée que le caractère à la fois ondulatoire et
corpusculaire de la lumière s'étend à la matière, où des ondes doivent être associées aux particules, par
exemple aux électrons. Schrödinger développe cette idée en établissant une équation pour ces ondes.
Quelques années plus tard, le physicien et mathématicien von Neumann parvient à donner un cadre
théorique mathématique commun pour ces deux approches, qui se sont montrées fécondes. Il reformule
la théorie en la faisant découler de quelques axiomes ou principes placés à la base. Les grandes lignes
de la mécanique quantique, telle qu'elle est enseignée aujourd'hui, sont alors en place.
Une caractéristique principale de la mécanique quantique est qu'il s'agit d'une théorie probabiliste.
Lorsqu'un phénomène est étudié ou une expérience réalisée, la mécanique quantique ne prédit
généralement pas quel sera le résultat de la mesure. Elle prédit seulement que plusieurs résultats
peuvent être obtenus, et donne la probabilité correspondante pour chacun. Par exemple, tel résultat a
80 % de chances d'être obtenu, tandis que tel autre 20 %. Peut-on espérer améliorer la théorie ou les
expériences et parvenir à une prédiction certaine – autrement dit, la mécanique quantique peut-elle être
complétée ? Cette question a été, à partir de 1935, à l'origine d'une célèbre controverse entre Bohr et
Einstein. Contrairement aux espoirs de ce dernier, la réponse est non : il s'avère être impossible
d'améliorer la mécanique quantique pour avoir une théorie qui serait capable de donner des prédictions
certaines1. Cette caractéristique unique fait de la mécanique quantique une théorie probabiliste en un
sens profond. Notre théorie de l'infiniment petit est donc condamnée à être probabiliste.
d. Controverses interprétatives
Si la mécanique quantique est rapidement acceptée pour ses qualités prédictives dès les années 1930,
des questions ou des réserves quant à son interprétation parsèment son histoire jusqu'à nos jours. La
formulation de Heisenberg insistait sur le caractère discontinu des phénomènes et sur le concept de
particule, tandis que la formulation de Schrödinger considérait les phénomènes quantiques sous forme
d'ondes. La controverse Bohr-Einstein autour de l'incomplétude de la mécanique quantique est une
autre illustration précoce des débats qui entourent l'interprétation de la théorie. Néanmoins, les
positions défendues par Bohr, Heisenberg et Born, notamment, s'imposent rapidement chez la plupart
des physiciens. Selon eux, la Nature est le siège d'un hasard fondamental, et le monde quantique
requiert un radical changement dans l'usage des concepts auquel l'être humain est familier. Cette façon
de donner un sens à la mécanique quantique est bientôt qualifiée d' « interprétation2 de Copenhague »,
en référence à la capitale danoise où Bohr a travaillé. Elle est à l'origine de l'interprétation utilisée
1À ce sujet, cf. le texte 2 et son commentaire, p. 36 et suivantes.
2Ce qu'est une « interprétation » d'une théorie est discuté en détail dans le chapitre suivant.
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