En France, la transition entre les 19e
`me et 20e
`me sie
`cles a e
´te
´marque
´epar
la formation de la laı¨cite
´, c’est-a
`-dire par l’autonomisation de la Re
´publique
face aux questions confessionnelles. L’Etat a alors garanti au citoyen la
liberte
´de ses choix et de ses pratiques dans le domaine religieux, mais les reli-
gions devenaient du ressort de la sphe
`re prive
´e et leur roˆ le dans la vie publi-
que n’e
´tait plus que re
´siduel (Fournier, 1994: 82–100). Cette transformation
radicale n’a pas e
´te
´sans conse
´quences sur l’universite
´: en 1885, la the
´ologie a
e
´te
´retire
´e de la Sorbonne et l’e
´tude des religions a e
´te
´confie
´e (et, en un sens
aussi, confine
´e) a
`la V
e
section de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, la
section des Sciences religieuses, cre
´e
´e pour produire une connaissance scien-
tifique sur le sujet. Par scientifique, on comprend une connaissance inde
´pen-
dante des autorite
´s religieuses ou des ide
´ologies, fonde
´e sur le mode
`le de
liberte
´et d’autonomie des sciences de la nature. C’est une recherche libre et
impartiale de la ve
´rite
´, sans apologies (Fournier, 1994: 88; Tarot, 1999: 330).
Toutefois, ces principes ge
´ne
´raux ont donne
´lieu a
`des interpre
´tations
divergentes, du fait que, meˆ me dans un champ intellectuel apparemment
laı
¨cise
´comme l’e
´tait celui de la France, les conceptions relatives aux phe
´no-
me
`nes religieux n’e
´taient pas impartiales. De manie
`re sche
´matique, on y
trouvait deux positions oppose
´es. D’un coˆ te
´, les conservateurs, les partisans
de la religion ou du sacre
´en tant que faits incontestables de la nature
humaine, soit par une ne
´cessite
´inne
´e ou psychologique de transcendance,
soit par la force de la manifestation divine, pre
´sente sous une forme incon-
tournable chez tous les eˆ tres humains. La plupart de ces conservateurs e
´taient
croyants et, pour eux, les sciences de la religion devaient contribuer a
`une
compre
´hension toujours plus profonde de la re
´ve
´lation (Tarot, 1999: 192
et s.). De l’autre coˆ te
´, il y avait le bloc libe
´ral, laı
¨c, anti-religieux, marque
´
par la tradition des Lumie
`res, pour lequel la religion ne serait qu’une
erreur, une illusion cause
´e par le primitivisme ou l’irrationalite
´de la pense
´e
humaine (au moins d’une partie de l’humanite
´), une e
´tape qui devait eˆ tre
de
´passe
´e avec l’appui des sciences. L’e
´tude de la religion devenait pour eux
une entreprise de re
´futation (Tarot, 1999).
Face a
`cette polarisation, les durkheimiens offraient une possibilite
´inter-
me
´diaire de traitement de la question, une voie du milieu. En envisageant
la question du lien social, ils reconnaissaient l’importance historique, sociale
et culturelle de la religion dans le maintien et la cre
´ation de ce lien, et le trans-
forme
`rent en un objet privile
´gie
´d’analyse.
16
Pour eux, la religion est un phe
´-
nome
`ne social re
´el, significatif.
L’orientation de Mauss vers ce champ en e
´bullition a e
´te
´de
´libe
´re
´e:
C’est par gou
ˆt philosophique et aussi par destination consciente que, sur l’indication
de Durkheim, je me spe
´cialisai dans la connaissance des faits religieux et m’y consacrai
presque entie
`rement pour toujours. . . . Nous cherchions ensemble a
`placer ma force au
meilleur endroit pour rendre service a
`la science naissante et combler les plus graves
lacunes. Les e
´tudes d’institutions, famille, droit, nous semble
`rent a
`tous deux suffi-
samment pousse
´es, sauf sur un point . . . Seuls le rituel oral et l’ide
´ation religieuse nous
paraissaient pour ainsi dire intouche
´s. (Mauss, 1996: 230)
Pour des raisons strate
´giques, Mauss a donc assume
´la mission d’appliquer la
me
´thode sociologique aux phe
´nome
`nes religieux. Afin de re
´aliser cette taˆ che,
Menezes: Marcel Mauss et la sociologie de la religion 259
at PENNSYLVANIA STATE UNIV on September 17, 2016scp.sagepub.comDownloaded from