R. POSNER - L'homme comme signe
23
cette idée retient l'intérêt de la théologie moderne jusqu'à nos jours (cf. p.ex. Karl
Barth 1928)3.
Une fois le dogme de la Création renversé, l'homme moderne
devient émetteur - émetteur ne produisant pas seulement des signes qui,
comme le dessin et l'écriture, mènent une existence autonome (Aleida
Assmann 1997 : § 1 les appelle “signes excarnés”), mais se présentant,
s'il le faut, lui-même comme signe (c'est-à-dire comme “signe incarné”).
Chez Roland Barthes, dont les notes nous renseigneront désormais sur les
idées d'aujourd'hui, on lit (1975 :145) : “ Je n'avais d'autre solution que
de me ré-écrire [...] : ajouter aux livres, aux thèmes, aux souvenirs, aux
textes, une autre énonciation. ”
Cette autre énonciation ne consiste pas à créer, outre les œuvres
déjà publiées, de nouveaux porteurs de signes qui existent
indépendamment de l'émetteur, mais à transformer le propre corps en
porteur de signes, à la manière des animaux. “Je jette ainsi sur l'œuvre
écrite, sur le corps et le corpus passés, l'effleurant à peine, une sorte de
patch-work, une couverture rapsodique faite de carreaux cousus ”.
Cependant, on n'a plus besoin de pénétrer l'homme en prenant à témoin
son âme ou son cœur, afin de savoir quel message un homme-signe peut
communiquer après l'exclusion de Dieu du discours sémiotique. “Loin
d'approfondir, je reste à la surface parce qu'il s'agit cette fois-ci de 'moi'
(du Moi) et que la profondeur appartient aux autres ” (Barthes 1975 :145).
A vrai dire, celui qui, à la façon de Barthes, se présente soi-même
comme moyen de communication, ne sera guère content de sa surface
telle qu'elle est. Assumant l'ouvrage de Dieu, chacun à son tour se recrée
“homme” ou “femme”. Déjà au Néolithique, les tatouages favorisaient la
sémiotisation du corps. Un homme mort de froid dans un glacier tyrolien il
y a 4600 ans avait un tatouage qui, aujourd'hui de nouveau, s'offre aux
interprétations. Jusqu'au XIXe siècle, il était de règle à Palau que “ plus
la région pubienne d'une femme était tatouée, plus on la convoitait ”
(Probst 1992 :22).
Peu étonnant donc qu'un Dieu créateur dans le sens des Juifs et des
Chrétiens essayait d'arrêter de telles atteintes à son ouvrage : “ Vous ne
vous ferez pas d'incision dans le corps [...] et vous ne vous ferez pas de
tatouage. Je suis Yahvé ” (Lévitique 19,28 ; traduction par l'Ecole
Biblique de Jérusalem). Celui qui modifie un signe destiné à servir
d'image, laisse s'élever des doutes sur le signifié.
3Déjà quelques représentants du mysticisme baroque interprètent Dieu comme
créature et l'homme comme créateur; Angelus Silesius (Johann Scheffler) par
exemple écrit, dans son Cherubinischer Wandersmann (1674): "Je sais que sans
moi, Dieu ne peut exister un seul instant; si je meurs, il devra rendre l'âme."