Pureté(s) islamique(s) et contacts interconfessionnels

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20 février 2014
Séminaire RELMIN
Questions de pureté et d’impureté dans le contact interreligieux
Contact : [email protected]
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Géraldine JENVRIN (RELMIN)
Pureté(s) islamique(s) et contacts interconfessionnels :
interprétations coraniques d’un malikite du 13e siècle (alQurtubi, m. 1276)
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reproduits ou utilisés sans leur accord préalable.
NB: the papers and articles circulated for this event remain the property of their author. They may
not be reproduced or otherwise used without their prior consent.
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Pureté(s)*islamique(s)!et!contacts!interconfessionnels!:!interprétations!
coraniques!d’un!malikite!du!13e!siècle!(al:Qurtubi,!m.!1276)!
Nous proposons de réfléchir sur les notions islamiques de pureté et d'impureté à travers les
débats rencontrés dans un commentaire coranique malikite du 13e siècle, et d'en examiner les
conséquences sur la notion d'impureté appliquée au non-musulman.
Les significations de l'impureté qui qualifie les non-musulmans dans le Coran et son exégèse,
ainsi que les préceptes qui en découlent sur les relations interconfessionnelles, invitent à
chercher une cohérence dans la polysémie de la notion de pureté en islam. Il faut donc
distinguer :
Ses qualités substantielle ou accidentelle quand elle touche aux êtres vivants, choses,
–
personnes, lieux et choses sacrés
–
Ses caractéristiques morales et physiques, profanes et cultuelles
–
Ses contextes de contamination et ses rites de purification
Plan :
I.
Ambiguïtés physiques et morales des sens d'impur et de purification : la pureté
comme islamité en opposition au shirk (associationnisme)
II. L’impureté morale des mécréants
III. Loi et impuretés physiques des non-musulmans
Pureté et impureté en islam
De manière générale, il n’est pas question en islam de pureté ou d’impureté substantielle
de la personne mais plutôt d’un état physique et moral atteint ou perdu par une conduite,
une conscience et éventuellement un rituel. Ces deux états physique et moral sont
interdépendants lorsque le premier obtenu par un rituel est un préalable à l'évitement du péché
ou à la recherche de la pureté morale. Ce schéma peut caractériser le culte comme la vie
profane quand il s'agit de l'abattage rituel par exemple ou du lavement suite à un rapport
sexuel. Lorsqu'il y a interdépendance des notions de pureté corporelle et morale, on observe
un lien fort entre pureté et obéissance à la loi, impureté et transgression. Ainsi, le non1!
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!
respect des rites de purification peut être considéré comme une transgression de la loi,
entraînant une impureté morale assimilée au péché ou à une désobéissance.
Il n'y a donc pas de notion d'impureté substantielle du non-musulman, tout simplement parce
que la personne ne peut pas être essentiellement impure, de même que tout être vivant. Les
substances considérées impures comme le sang, le sperme, le corps mort, ne le sont pas non
plus substantiellement, mais le deviennent dans certains contextes notamment lorsqu’elles
causent l'impureté de la personne.
Aussi, pour l'islam la question de l'impureté des non-musulmans se pose principalement dans
le contexte de la pureté rituelle, état obtenu par des rites de purification corporelle : les
lustrations en vue du culte (prière, jeun, pèlerinage, usage(s) du Coran et de la mosquée). Les
questions de pureté du non-musulman qui se posent aux juristes découlent alors de la
préoccupation à conserver cet état cultuel, et de discerner si le contact avec le mécréant
n’entraîne pas l'annulation de cet état et de l'effet des rites accomplis : Le non-musulman
peut-il entrer dans une mosquée, toucher le coran, saluer un musulman en état de pureté
rituelle sans annuler la purification ?
Mais la question de la pureté se pose aussi dans la vie profane, puisque bien que le musulman
soit autorisé à pratiquer la commensalité et le mariage avec les non-musulmans, ces derniers
sont en contact avec des choses prohibées comme le vin et le porc ; et les épouses
scripturaires ne respectent pas les rites de purification après la menstruation par exemple. Or
le vin, le porc et le sang dans ces contextes sont non seulement absolument illicites mais
considérés impurs.
Aussi faut-il se demander comment la loi1 rend-elle possible le contact interconfessionnel tout
en prémunissant le musulman d'un contact avec l’impureté véhiculée par les non-musulmans ?
Conçoit-elle des règles spécifiques pour les non-musulmans ou bien engendre-t-elle des
obligations ou des dérogations pour les musulmans ? La loi islamique peut-elle s'appliquer
aux non-musulmans ? Devient-elle plus souple au musulman devant la nécessité du contact
interreligieux ? Dans ce contexte, la compétence juridique devrait moins viser l'établissement
de frontières ségrégatives que rendre possible la relation. Lorsqu'elle s’interroge sur les
modalités du possible, comment crée-t-elle des règlements pragmatiques qui permettent les
contacts interconfessionnels tout en tenant compte de la loi sur la pureté ?
Le Coran étant déclaré par les docteurs de la loi, la source primordiale de la loi, il se doit
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1
Nous entendons par « loi », la traduction de shar‘îa, c’est-à-dire les règlements juridiques conçus par le fiqh
(science du droit islamique) à partir notamment des Sources textuelles religieuses (nass) - Coran et Sunna – qui
contiendraient selon les juristes les principes fondateurs de ces règlements.
2!
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d'être une source du droit islamique. Son interprétation linguistique et son exégèse
théologique à des fins juridiques donnent lieu à des commentaires qui se distinguent en ce
qu'ils sélectionnent, compilent et développent les lectures normatives des versets et les
débats juridiques qu'elles entraînent. Le commentaire d'al-Qurtubi en est un exemple
monumental d’une quinzaine de volumes. Intitulé « Compendium des préceptes coraniques »
(al-Jâmi‘ li-ahkâm al-qur’ân), il se distingue notamment en ce qu'il traite chaque verset2 et
consacre un intérêt particulier aux interprétations et débats malikites.
Dans un travail de thèse, il s’agit de confronter l’interprétation coranique aux débats
théologiques et juridiques qu’elle a engendrés dans le sunnisme et tout particulièrement dans
le malikisme tels qu’ils sont présentés par Qurtubi dans son commentaire. Et alors chercher à
déterminer les positions de l’auteur dans ces débats. En somme approcher l’originalité de ce
commentaire dans l’histoire de la doctrine sunnite et malikite de la pureté. Enfin, s’agissant
du Coran, il ne faut pas manquer de mettre en parallèle le sens littéral des versets avec les
interprétations linguistiques savantes données par l’exégèse.
Dans le Coran
Les non-musulmans sont souvent désignés indifféremment par les termes de mécréants
(kuffâr) ou d’associateurs (mushrikûn) signifiant selon les contextes les païens arabes et/ou les
Gens du Livre. Le Coran les qualifie de najas qui a le sens de saleté, impureté physique et
morale ; et de rijs désignant également saleté, souillure physique et morale, abomination, tout
en faisant aussi référence à un châtiment divin dans l'au-delà et à une affliction ou malédiction
divine ici-bas. Ces qualifications apparaissent dans les contextes suivants : l'interdiction qui
leur est faîte de pénétrer dans le sanctuaire de la Mekke (9/28) - la maladie de leur cœur
considérée comme une souillure (9/125) - le châtiment divin (rijs) du fait qu'ils ne raisonnent
pas (10/100) – leurs mensonges qualifiés de la souillure (rijs) (9/95) qui désigne également les
idoles et le vin, œuvre du Diable, dont Dieu commande de s'écarter (30/22 et 5/90).
La notion pureté dans le Coran est principalement évoquée dans l'acte de se purifier
(tahhara). Il intervient dans les contextes suivants : la prière (5/6) - l'usage du coran (56/79) la purification des péchés et des mauvaises actions (74 /4) - celle du sanctuaire de la Mekke
par Abraham (22/27)- le lavement après la menstruation (2/222).
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2
A l’instar des grands commentaires classiques (comme celui de Tabari (m.923)) et à la différence des
commentaires proprement juridiques comme celui de l’exégète malikite dont Qurtubi s’inspire : Abû Bakr Ibn
al-‘Arabî (m.1148) qui ne commente que les versets qu’il considère à valeur normative.
3!
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I/! Ambiguïtés! physiques! et! morales! des! sens! d'impur! et! de!
purification*:!la!pureté!comme!islamité!en!opposition!au!shirk!
1.
On trouve dans le commentaire d'al-Qurtubi que l’impure - « najas »- ne désigne pas
seulement un état physique présent dans l’étymologie du mot qui renvoie au touché, mais
désigne aussi une impureté morale assimilée au péché d’associationnisme (shirk), essence
du péché en islam.
L’exégèse du terme impur (najas) dans le verset 9/28 témoigne de ces ambiguïtés : « innamâ
al-mushrikûn najas falâ yaqribû al-masjid al-harâm ba‘d ‘âmihim hadhâ » (« Les
associateurs sont impurs/immondes, qu'ils ne s'approchent plus du Sanctuaire sacré, après
cette année-ci. »)
La première question soulevée par Qurtubi sur l'interprétation de ce verset concerne le doute
sur la nature de l’impureté qui qualifie ici l’associateur : « Les ulémas se sont disputés sur la
signification de la qualification de l’associationiste d’impur (najas). Selon Qatâda, Ma'mar
bnu Râchid et d’autres, celui-ci est considéré impur parce qu’il est en état d’impureté majeure
(junûb) du fait que son lavement après un rapport sexuel n’est pas considéré comme véritable
(ghusluhu min al-jinâba laysa bi-ghuslin). Tandis que selon Ibn ‘Abbâs et d’autres : le sens
est ici que c’est l’associationnisme qui l’a rendu impur (al-shirk huwa alladhî najjasahu)».
En mettant l'accent sur la dimension morale et théologique de l'impureté, en associant le shirk
au najas, al-Qurtubi se distingue clairement de Tabari qui ne rapporte que des traditions allant
dans le sens de la première hypothèse (najas associé à la seule jinâba). En outre Tabari, non
seulement réduit le najas à la jinâba mais explique l'impureté des mushrikûn par l'absence de
lavement (« sammâhum bi-zalika li-annahum lâ yaghtasilûn »). A la différence de cela, pour
al-Qurtubi, la qualification coranique du mushrik d'impur résulterait non pas de l'absence de
purification, mais d'une pratique invalide dans le rite islamique. En somme, une manière de
se purifier qui ne correspond pas à la norme. Dans cette perspective, l'impureté n'est pas
relative à une nature ni même à un état mais à l'institution rituelle islamique.
2.
Quant à la notion coranique de purification (tathîr), son interprétation développe le
même type d’ambiguïté, en référant à la fois à une purification corporelle cultuelle, en vue
de la prière, de l'usage de la mosquée ou du Coran ; et à la fois à une purification d’ordre
4!
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moral obtenue par la bonne conduite en général, ou l’obéissance à la loi en particulier.
L’interprétation du verset 4 de la sourate 74 montre la polysémie des notions de pureté et
d’impureté : « wa -thiyâbaka fa-tahhir »
(« Et tes vêtements, purifie-les »).
Le thème du vêtement (thiyâb), qui en arabe comprend plusieurs sens figurés- référant à la
fois au corps, à la conduite (al-‘amal) ou au cœur - invite à une interprétation métaphorique et
morale de la purification. Al-Qurtubi choisit de développer tout particulièrement les sens
figurés : Purifier son vêtement peut signifier avoir une bonne conduite ou bien se purifier
des péchés (ithm, zunûb) et des transgressions (ma'âsi). Al-Qurtubi ne rejette pas pour
autant les sens concret, profane et cultuel ; distinguant entre la propreté du vêtement qui doit
être d’une longueur convenable afin de ne pas toucher le sol ; et leur purification des
substances impures pour la prière. Il conclut en citant Abû Bakr Ibn al-‘Arabî, sur la nécessité
de considérer à la fois les sens propres et figurés de l’expression, celles-ci n’étant pas
exclusives. On remarque que Tabari n’évoque pas le thème de la longueur du vêtement, et que
celui de la conduite morale est juste suggéré. On constate donc une élaboration ultérieure,
particulièrement avec les malikites, notamment Ibn al-Arabi, modèle et précurseur d'alQurtubi, et qui mentionne d'après une interprétation de Malik, thiyâb dans le sens de nafs
(sujet, personne) et de dîn (religion au sens de règlements (sharâ’i‘)).
3.
De la même manière que pour le terme de najas, on trouve dans le commentaire d'al-
Qurtubî que tathîr dans son sens physique comme moral se définit en opposition au péché
d’association, le shirk. L’islamisation - la conversion de l'espace ou de la personne - définie
comme une purification d’ordre morale en opposition au « shirk », s'accompagnerait - dans le
cas de la sacralisation de l'espace- d'une purification matérielle d’ordre symbolique
impliquant la destruction des idoles et de tout signe rappelant le shirk. Dès lors, la
purification physique des substances impures apparaît comme tout à fait secondaire.
Le verset 26 de la sourate 22 sur l’islamisation du sanctuaire de la Mekke commande de ne
pas pratiquer le shirk dans l’enceinte sacrée tout en purifiant (tathîr) l’espace ; la purification
est ici entendue comme la suppression de toute manifestation du shirk :
« Wa-iz bawâ’nâ li-ibrâhîm makân al-bayt ann lâ tashrik bî shay’ân wa-tahhir baytî » (« Et
quand Nous indiquâmes à Abraham le lieu de la Ka`ba (en lui disant): "Ne M'associe rien; et
purifie Ma Maison (…)»
5!
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Commentaire : « La purification (tathîr) de la Ka'ba est celle de toute forme d’infidélité (kufr),
d’innovation (bid'a), et impureté (anjâs) (...) On a interprété qu’il s’agissait de la suppression
des idoles (al-tathîr ‘an al-awthân) (…) Cela est un commandement (amr) que de faire
apparaître les signes du monothéisme (izhâr al-tawhîd) dans la Ka'ba».3
De la même manière que la purification du lieu marqué par le shirk est moins d’ordre
physique que symbolique, le doute sur la nécessité du bain rituel (ghusl) pour le nonmusulman à sa conversion, joint à l’insistance sur la nécessité de manifester les signes de
l’islam immédiatement après, rejoint cette idée que les notions de pureté et d’impureté
désignent essentiellement un état moral manifesté symboliquement. Il est intéressant de
constater que l'exégèse de 9/28 vue précédemment, qui pose la question du contact du nonmusulman avec l'espace sacré, entraîne une réflexion sur les conditions de pureté physique du
mécréant lors de sa conversion. A la différence de Tabari qui n'évoque cette question à aucun
moment dans le commentaire de ce verset, al-Qurtubi comme son prédécesseur et maître
malikite Ibn 'Atiyya (m. 1151), la traite de manière consécutive aux premières considérations
sur le statut d'impureté du mécréant au regard de la mosquée. En revanche, Ibn 'Atiyya
transmet sans débattre la position imposant le ghusl au converti pour cause de jinâba,
découlant de l'hypothèse selon laquelle l'impureté du mécréant résulte de son état de jinâba
permanent dû à l'absence de purification. Comme nous le verrons plus loin, il y a là comme
un débat malikite, Qurtubi discute cette assertion et défend la non nécessité du ghusl sauf si le
mécréant est au moment de sa conversion dans un état de jinâba.
Ces constats confirment l’absence de pureté ou d’impureté substantielle pour l’espace comme
pour la personne.
En revanche, si dans l’islamisation de l’espace et de la personne, la purification physique n'est
pas nécessaire pour réaliser celle des symboles ; on trouve a contrario que les lustrations
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Tabari n'évoque ni la purification physique du lieu ni les opérations successives de nettoyage et de fondation
symbolique, il explique la purification seulement en terme général : « la purification des calamités (afât), du
scepticisme (rayb) et du shirk ». On remarque qu’Ibn 'Atiyya s'arrête à cette énumération générale (« tathîr
al-bayt 'âm fîl kufr wal-bid'a wa jamî' al-anjâs wal dimâ' wa ghayr zalika »), alors que Qurtubi l’explicite et
la développe. Ibn al-‘Arabî interprète le commandement de purification de la mosquée par la défense de s’en
approcher en état d’impureté physique (najâsa, qazâra) et morale (ma‘siya) qu’il oppose aux souillures
organique (« al-dimâ’ al-najisa », « al-aqzâr al-muntina ») et cultuelle (shirk) du passé. Il focalise sur la
purification physique et comme Tabari, n’évoque ni la suppression matérielle ni la refondation symbolique et
à peine la conversion cultuelle fonctionnelle de l’espace.
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(wudû’ et tayammum) détiendraient un pouvoir de purification des péchés. Dans ce sens, elles
ne seraient pas seulement un préalable à l'accomplissement du culte mais acquerraient le
statut même de culte. Qurtubi développe tout particulièrement cette position dans la
conclusion du commentaire du verset 5/64 sur lequel les juristes s'appuient pour définir les
règles de la pureté cultuelle en vue de la prière. Là, l’exégèse se lance dans une extrapolation
sur la question de l'efficacité des rites de purification dans la suppression non pas de
l'impureté physique mais de celle des péchés. Elle s’appuie traditionnellement sur une
parole prophétique qui énonce que le croyant peut voir de ses yeux - dans la dernière goutte
d'eau de ses ablutions, sur chaque partie de son corps- l'extraction de chacune de ses fautes,
jusqu'à ce qu'il ressorte tout entier purifié de ses péchés. Qurtubi en déduit le statut des
lustrations, lui octroyant une fonction supplémentaire, devenant littéralement un « culte déduit
de la loi » pour la suppression de l'impureté morale (al-murâd bi-hazihi-l-ahâdîth kawn alwudû' mashrû'ân 'ibâda li-dahd al-âthâm). Et il explicite qu’il s’agit d’une interprétation
juridique des finalités de la loi : « cela implique une intention de la loi (niyya shar‘iyya), car
cela a été réglé dans le but d’effacer les péchés » (« shuri‘a li-mahwi al-ithm »). Cette
extrapolation est ensuite reliée à la dernière partie du verset qui énonce que par ces règlements
de la pureté rituelle, Dieu ne désire que « purifier les croyants et leur accorder Son bienfait ».
Qurtubi à l’instar de l’exégèse classique, explique alors que c’est Dieu qui accomplit- en
récompense de la pureté rituelle - la grande purification, le bienfait divin : l’absolution des
péchés et l'entrée au paradis. La pureté rituelle serait quant à elle « afin qu'ils puissent être
qualifiés de la pureté qui caractérise les Gens de l'Obéissance (ahl al-tâ'a) » dit Qurtubi. On
constate que l’auteur reprend et synthétise les données de la Tradition déjà transmises par
Tabari5 mais dans un langage plus théorique et juridique.
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« Ô les croyants! Lorsque vous vous levez pour la prière, lavez vos visages et vos mains jusqu'aux coudes;
passez les mains mouillées sur vos têtes; et lavez-vous les pieds jusqu'aux chevilles. Et si vous êtes junûb, alors
purifiez-vous (par un bain); mais si vous êtes malades, ou en voyage, ou si l'un de vous revient du lieu où il a fait
ses besoins ou si vous avez touché aux femmes et que vous ne trouviez pas d'eau, alors recourez à la terre pure,
passez-en sur vos visages et vos mains. Dieu ne veut pas vous imposer quelque gêne, mais Il veut vous purifier
et parfaire sur vous Son bienfait. Peut-être serez-vous reconnaissants. »
5
On trouve les mêmes thématiques chez Tabari, qui évoque la pureté rituelle comme moyen pour « purifier les
corps de leurs péchés » donnant à celle-ci le pouvoir d'absoudre les erreurs passées (« tukaffiru mâ
qablahu »). Il compile d'avantage de traditions prophétiques sur l'extraction des péchés de chacune des
parties corporelles concernées par les purifications ; et explique la purification divine comme résultat de
l'obéissance à ces préceptes : tathîrukum min-zunûbikum bi-tâ'atikum iyâhu fîmâ farada 'alaykum min-al-
7!
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La grande dimension morale de la pureté et de l’impureté en islam, nous invite à questionner
le Coran et l’exégèse sur la nature de la souillure morale propre aux non-musulmans.
II.!L’impureté!morale!des!mécréants!
La notion d’abomination (rijs) qui qualifie les non-musulmans dans le Coran se distingue de
la notion ambiguë de najas, que nous avons vue dans le commentaire du verset 9/28, tout en
lui donnant un éclairage. Le terme de rijs référerait en effet à un état inné de souillure
morale lié à la mécréance (kufr) et au péché (ithm) entendu comme négation de la vérité de
la révélation islamique, ou refus de reconnaître l’islam. Nous allons voir que le rijs peut lier à
cette dimension théologique, les notions d’impureté physique et celle eschatologique du
châtiment divin. Enfin, nous verrons dans quelle mesure cette notion peut régler la question
de la ségrégation et de frontières physiques à travers celle de l'absence de contamination
morale.
1. Dans le verset 125 de la sourate 9
« wa-ammâ allazîn fî-qulûbihim maradun fa-zâdathum rijsân ilâ-rijsihim wa-mâtû wa-hum
kâfirûn » (« Mais quant à ceux dont les cœurs sont malades, elle ajoute une souillure à leur
souillure, et ils meurent dans la mécréance. »)
al-Qurtubi choisit ici les termes de doute (shakk), hypocrisie (nifâq), mécréance (kufr) et
péché (ithm) pour expliciter le sens de rijs que l’on traduit par souillure ou abomination. On
remarque qu'il ne recourt point à la notion de najas ni à quelque impureté d’ordre physique6.
2. Dans le commentaire du verset 100 de la sourate 10,
« wa mâ kân li-nafsin an tu’mina illâ bi-izni lâhi wa yaj‘alu al-rijsa ‘alâ alladhîn lâ
ya‘qalûn » (« Il n'appartient nullement à une âme de croire si ce n'est avec la permission
d'Allah. Et Il voue au châtiment ceux qui ne raisonnent pas. »)
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wudu' wa-l-ghusl ».
6
Alors que Tabari choisit les termes de nifâq, shakk et natan (pollution physique, saleté, puanteur) pour qualifier
leurs actes.
8!
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L'explication du terme de rijs associe la souillure morale innée au seul châtiment divin (‘azab)
infligé aux infidèles à la fin des temps7.
Implicitement, l’exégèse distingue donc entre cette impureté physique contingente due à
l’absence de lustration que nous avons vu dans le terme najas de 9/28 et une souillure morale
sur laquelle Dieu seul a une action. Cependant, cette souillure morale n’est pas exempte de
conséquences en terme de relation sociale :
4.
Dans 9/95, le rijs des non-musulmans entraîne le commandement d’une distanciation
tout en annonçant le statut déficitaire de leur serment :
« wa sayahlifûn bi-lâhi lakum idhâ inqalabtum ilayhim li-ta‘ridû ‘anhum fâ-i‘ridû ‘anhum
innahum rijsun » (« Ils vous feront des serments par Allah, quand vous êtes de retour vers eux,
afin que vous passiez (sur leur tort). Détournez-vous d'eux car ils sont une souillure… »).
Il est intéressant de constater que le commentaire de ce verset par al-Qurtubi n’évoque aucune
souillure physique ou morale qui justifierait une ségrégation particulière ; il n'interprète
d'ailleurs pas l'« évitement » en termes de ségrégation physique afin d'empêcher une
potentielle contamination morale, mais il enjoint aux musulmans de se prémunir contre la
critique des infidèles et donc de ne pas les fréquenter. Le rijs n’est pas ici interprété comme
une nature mais il qualifie uniquement les actes, précisément une mauvaise conduite
(‘amalhum qabîh).8
4. Les ambiguïtés entre péché d'association, souillure physique et morale, conduite blâmable,
abomination (rijs), châtiment divin et rites de purification sont évoquées de manière
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
7
Egalement dans les commentaires de Tabari et d'Ibn 'Atiyya, lequel exclut formellement que rijs puisse référer
dans ce verset à une impureté physique.
8
Alors que les deux versets précédents présentent le rijs dans un contexte clairement théologique et
eschatologique, ce verset-là fait référence à un événement et à un groupe particulier dans l'histoire des débuts
de l'islam. On note que Qurtubi ne développe pas du tout les circonstances de la révélation au contraire de
Tabari qui s'attache aux détails narratifs et situe le statut des hypocrites dont il est question, ainsi que leur
traitement, dans un contexte historique limité. Chez Qurtubi l’événement et ses acteurs historiques sont
rapidement notifiés, en revanche la qualification des actes et les recommandations de traitement qui en
découlent, font tout l'objet du commentaire de ce verset.
9!
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intéressante dans le commentaire par al-Qurtubi du verset 30 de la sourate 22 qui commande
de se distancier des idoles qualifiées de rijs :
« Dhalika wa-man ya‘zimu hurumât allâhi fa-huwa khayrun lahu ‘anda rabbihi wa uhilat
lakum al-an‘âm illâ mâ yutlâ ‘alaykum fa-ijtanabû al-rijsa min al-awthân wa-ijtanabû qawl
al-zawr » (« Quiconque prend en haute considération les limites sacrées d'Allah cela lui sera
meilleur auprès de son Seigneur. Le bétail, sauf ce qu'on vous a cité, vous a été rendu licite.
Abstenez-vous de la souillure des idoles et abstenez-vous des paroles mensongères. »)
Dans le commentaire, Rijs est en premier lieu envisagé dans son sens le plus concret, assimilé
à une chose sale (al-shay’ al-qazir), puis Qurtubi distingue et associe plusieurs définitions :
« Les idoles ont été qualifiées de rijs car elles causent le rijz qui est le châtiment divin (‘azab)
(…) Le rijs est le najas : les idoles sont impures par une déduction de la loi (najas hukmân).
L’impureté (najâsa) n’est pas une qualité substantielle concrète (wasf zâty lil-a‘yân),
mais elle est une qualité juridique (wasf shar‘y) déduite des préceptes de la foi (ahkâm
al-îmân). C’est pourquoi elle ne disparaît que par la foi (lâ tuzâl illâ bi-l-îmân), de la même
manière que la pureté cultuelle (tahâra) ne s’obtient que par l’eau. »9
Ainsi, l’impureté est-elle relative à la foi et non à une substance. En outre, elle n’est pas
présente dans la nature mais elle vient de la loi musulmane.
En résumé, d’après cette exégèse, l’âme du non-musulman peut être considérée impure du
fait de sa mécréance mais cela ne qualifie absolument pas son corps de substantiellement
impur. Enfin, parce que cette impureté morale n’est pas contagieuse, elle ne justifie aucune
mesure de ségrégation particulière. S’il en était autrement, on ne comprendrait pas pourquoi la
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
9
Cette théorisation n'est pas présente chez Tabari, mais on la retrouve textuellement chez Ibn al-‘Arabî comme
étant une interprétation de l’auteur. Qurtubi aurait recopié sans citer ses sources cet adage. Pour le reste,
Qurtubi suit les interprétations transmises par Tabari à propos du rijs des idoles qui ne réfèrent pas à une
impureté ou à une contamination physique, mais au culte dont l'essence est l'« obéissance au Diable » dit
Tabari. Précisant que le rijs caractérise le culte et non les idoles en elles-mêmes, il s'agit de s'écarter du culte
des idoles pour ne pas obéir au Diable (ijtanibû tâ'a al shaytân fî-'ibâda al-awthân). Cependant Qurtubi
englobe dans ce culte, la pratique des chrétiens, en assimilant la croix à une idole. Aussi, Tabari comme
Qurtubi interprètent « les paroles mensongères » (« qawl al-zûr ») mentionnées dans le verset comme de
« faux témoignages » (« shahâda al-zûr »). Par une tradition prophétique (« 'udilat shahâda al-zûr bi-l-shirk
bi-llâh »), ceux-ci sont expressément assimilés au shirk, équivalents au péché d’association. Néanmoins,
Qurtubi se distingue en déduisant du commentaire de ce verset les règles juridiques destinées au juge dans le
cas du faux témoignage.
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loi musulmane autorise la nourriture des Gens du Livre et le mariage avec eux.
5. En outre la possibilité de la conversion du mécréant relativise l’impureté de son âme.
Cette dernière vient de Dieu mais elle n'est pas indélébile. Aussi, la présence de débats sur la
nécessité d’une purification physique pour celui qui vise la conversion révèle la non évidence
de son impureté physique. L’obligation du bain rituel (ghusl) comme préliminaire à la
conversion questionne les juristes sur le fait que l’on considère non seulement le nonmusulman comme impure mais comme concerné par les rites islamiques avant même sa
conversion. Le traitement de ces questions par al-Qurtubi est en cohérence avec la conception
morale et spirituelle de la pureté vue précédemment. L'adoption de l'islam constitue une
purification fondamentale et suffisante puisqu'elle est celle de l'âme qui se dénue de ses
péchés passés. De là, le ghusl ne constitue pas une purification nécessaire à la conversion,
mais n'intervient que pour le converti d'âge adulte en état de jinâba. Encore dans le
commentaire de 9/28, al-Qurtubi écrit : « La doctrine impose le ghusl au kâfir quand il se
convertit sauf Ibn 'Abd al-Hakam pour qui elle n'est pas nécessaire car « l'islam supprime ce
qui précède» (yahdimu mâ qablahu) » (…) et selon deux transmissions de Malik (par Ibn
wahab et Ibn abî Uways) « le kâfir n'a pas à faire de ghusl (lâ ya'rif al-ghusl) ». En outre
les traditions sur Thumâma et Qays bnu 'Asim confirment ses avis. (…) Si la conversion a
lieu avant l'âge adulte, il est préférable (mustahabb) d'accomplir le ghusl, sinon il s'impose en
cas de jinâba pour l'adulte. Cela est la doctrine de nos maîtres et de notre école ».
Nous touchons ici la conception positive de la notion d’impureté définie comme péché
d’associationnisme (shirk) : la pureté primordiale étant équivalente à l’islamité de l’âme
du croyant. La conversion est alors définie comme une purification morale de l’âme qui ne
nécessite pas pour elle-même de purification physique.
Dans cette perspective, l'obligation de pureté cultuelle pour le musulman alors qu'il n'y a point
de purification physique pour le non-musulman qui vise la conversion révèle que les rites de
purification islamiques concernent exclusivement les musulmans10.
III/ Loi et impuretés physiques des non-musulmans
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10
Sur la question des ablutions considérées comme rite cultuel propre aux musulmans qui les distingueraient en
tant que communauté (umma) supérieure aux autres, voir l'extrapolation intéressante de la conclusion du
commentaire de 5/6 par Qurtubi.
11!
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1. Les obligations de purification physique pour le musulman ne touchent pas uniquement au
culte, elles concernent aussi la vie profane comme l’alimentation et le rapport sexuel. Mais
un problème se pose lorsque le Coran édicte la licéité du mariage avec les Gens du Livre
ainsi que leur nourriture, alors qu’ils ne sont pas concernés par les règles de l’abattage
rituel ou des purifications physiques après les rapports sexuels. Comment un musulman
peut-il ne pas transgresser les prescriptions coraniques dans son contact intime licite avec le
non-musulman si celui-ci n’y est pas soumis ? Le musulman est-il en droit de transgresser
dans ce cas ou doit-il obéir même si cela implique la contrainte de l’autre ?
Le verset 222 de la Sourate 2 prescrit à l’époux de ne pas s’approcher de son épouse tant
qu’elle ne s’est pas lavée de la menstruation.
« wa-yas’alûnaka ‘an al-mahîd qul huwa adhâ fa-i‘tazalû al-nisâ’ fîl-l-mahîd wa-lâ
taqribûhunna hatâ yathurna fa-idhâ tataharna fa-utûhun min-haytha amarakum allâhu » (« Et
ils t'interrogent sur la menstruation. - Dis: "C'est un mal. Eloignez-vous donc des femmes
durant la menstruation, et ne vous approchez pas d’elles avant qu’elles ne soient pures. Quand
elles se seront purifiées, venez à elles suivant les prescriptions d'Allah car Allah aime ceux qui
se repentent et Il aime ceux qui se purifient".
Ce verset réfère à deux devoirs fondamentaux dans la loi du mariage : celui du rapport sexuel
et celui de l’abstinence en cas d’impureté liée à la menstruation. Comment honorer ces
préceptes avec une épouse non-musulmane ?
Les traditions contradictoires de Malik transmises par différentes autorités malikites, et tout
particulièrement les divergences au sein de'école malikite, présentées par al-Qurtubi pour le
commentaire de ce verset montre la richesse du débat : « Les ulémas se sont disputés à propos
de l’épouse scripturaire : doit-elle être contrainte au lavement ou pas ? Ibn al-Qasim rapporte
de Malik : « Oui. Afin qu’il soit licite à son mari d’avoir un rapport sexuel avec elle (…) et
ce verset ne concerne pas les seules musulmanes à l’exclusion des non-musulmanes (lam
yakhuss muslima min-ghayriha) ». Mais Ashab rapporte de Malik qu’« elle n’est pas
contrainte au lavement suite à la menstruation, car elle ne croit pas à cela (ghayr mu'taqada lizalika) (…) Dieu s’adresse ici aux croyantes (mu’minât) seulement. Il cite pour compléter le
verset 2/256 : « Pas de contrainte en religion ». »11
Ici, les règles de la pureté dans le domaine profane également et pas dans le domaine
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11
Sur cette question, le commentaire de Qurtubi est tout à fait éclairant car elle n’est traitée ni par Tabari, Ibn al-
‘Arabî et Ibn ‘Atiyya.
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cultuel uniquement sont relatives aux préceptes de la foi (ahkâm al-îmân) que nous avons
vus plus haut, c'est-à-dire à la loi musulmane en tant qu’elle s'applique exclusivement aux
musulmans. En somme, comme dans la conversion, l’absence de purification physique du
non-musulman - ici celle de l’épouse non musulmane en état d’impureté majeure (la
menstruation) - ne menace pas selon cette position, l’état de pureté physique et moral du
musulman. Il est intéressant de constater que quand les préceptes coraniques amènent à des
débats contradictoires comme dans le cas de l’épouse non musulmane, ils peuvent se résoudre
par une hiérarchisation des devoirs : dans le cas du rapport conjugal mixte selon la loi du
mariage, le devoir d’honorer l’épouse supplante le devoir de purification de l’épouse.
Contamination des non-musulmans et pureté cultuelle :
2. S’il n’y a pas dans les personnes, d’impureté substantielle (physique ou morale) susceptible
de contaminer d’autres personnes, l’existence de rites de purifications physiques pour le
musulman implique celle d’impuretés matérielles dont la personne peut-être le vecteur
puisque les lustrations ou le bain rituel sont censés l’en débarrasser. Même si ces rites sont
relatifs au culte islamique et concernent exclusivement les musulmans -comme nous l’avons
vu avec la question du bain rituel pour l'épouse scripturaire ou précédant la conversion- ceuxci révèlent bien une notion d’impureté physique contagieuse par le contact entre les
personnes. Alors, dans quelle mesure le contact avec les non-musulmans du fait même qu’ils
ne pratiquent pas ces purifications peut entraîner une souillure pour le musulman tout
particulièrement quand il est en état de pureté cultuelle nécessaire à l’exercice de la prière, du
jeun, du pèlerinage mais aussi à l’entrée dans une mosquée ou à la lecture du Coran ?
Si les personnes peuvent être vecteur d’impuretés physiques ; les corps, les choses et les
espaces sacralisés peuvent-ils être souillés par le contact avec les personnes ? Le contact
du non-musulman avec un musulman en état de pureté cultuelle, est-il comparable à son
contact avec la mosquée ? Et le Coran a t'il le même statut que la mosquée ? La question
de la pureté se pose-t-elle pour les espaces ou les choses sacralisées tels la mosquée et le
Coran, de la même manière que pour le corps du croyant ? Ou bien faut-il voir dans la
contamination de ceux-ci une menace non pas pour eux-mêmes mais pour l’état de
pureté cultuelle de ceux qui en font usage ? L’exégèse de 9/28 impliquerait que la
contamination de l’espace cultuel par le non-musulman due exclusivement à l'absence de
purification physique, ait moins pour conséquence la profanation de l'espace que l'annulation
13!
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des purifications de ceux qui en font l'usage12. Cela concorderait avec l’exégèse de 22/26 qui
montre que la sacralisation de l'espace consiste moins en une purification matérielle qu'en une
conversion symbolique et fonctionnelle. Il s'agit de transformer la fonction cultuelle, convertir
l'espace servant au culte des idoles en un lieu réservé au culte monothéiste islamique. Qu'en
est-il donc du Coran ?
L’interprétation du verset 79 de la sourate 56 :
« Et c'est certainement un Coran noble,
dans un Livre bien gardé
que seuls les purifiés touchent » (lâ yamussahu illâ-l-mutahharûn »).
De la même manière que pour les versets précédents, Qurtubi allie les sens propres et figurés,
concrets et spirituels, l’interprétation littérale et métaphorique, pour accéder à un précepte
cultuel. L’exégèse théologique et spirituelle des termes coraniques, sans s’opposer au
littéralisme et à la dimension concrète du sens, sert au contraire à la déduction de règles
juridiques réglant la pureté cultuelle. La richesse sémantiques des notions de « Livre », pureté
et touché (mass) dans ce verset, est étayée pour accéder à la question des ablutions dans
l’usage du Coran.
En concordance avec la notion primordiale de pureté, les « purifiés » sont d’abord compris
comme des êtres exempts de péchés qui ne peuvent donc être que les Anges ou les Prophètes.
Le touché du Livre est alors interprété comme une image de la réception de la Révélation par
les Anges et par les Prophètes. Mais la compréhension malikite mise en avant par Qurtubi
vient réfuter cette interprétation spirituelle et théologique en glissant vers une interprétation
matérielle du Livre et du touché. Le recours à une tradition prophétique qui énonce : « Ne
touche le Coran que si tu es pur » (lâ tamass al-qur’ân illâ-tâhir), confère au verset une
dimension prescriptive s’adressant aux musulmans en particulier. Les sens spirituel, moral et
matériel de la purification islamique sont ensuite énumérés à travers les traditions de
compagnons : purification des impuretés matérielles (anjâs, ahdâth), de l’associationnisme
(shirk), des péchés et des fautes (al-zunub wal-khataya). Cette lecture prescriptive et cultuelle
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12
Il est remarquable de constater dans les commentaires de 9/28 par Tabari, Ibn 'Atiyya comme Qurtubi, que ce
n’est pas la contamination de l’espace qui préoccupe les juristes mais celle de la personne : la formulation des
deux hypothèses sur l'impureté physique et morale du mécréant qui pénètre dans la mosquée, entraine
immédiatement la question de l'annulation des ablutions lorsqu'il y a salutation du non-musulman, et non
celle de la profanation de l’espace.
14!
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du verset conduit Qurtubi à évoquer l’interdiction faite aux non-musulmans d’approcher
physiquement et intellectuellement le Coran. Il est remarquable de constater à nouveau que
c'est l’interprétation initiale spirituelle de la pureté - et non celle matérielle, bien qu’elle soit
évoquée dans le cas des lustrations pour le musulman - qui sert à justifier les mesures
d’exclusion envers les non-musulmans. Qurtubi, n’évoque pas explicitement l’absence
purification physique du non-musulman comme raison de cette interdiction. C’est son
impureté spirituelle et non cultuelle, l’état de péché de son âme, qui justifie l’interdiction
d’approcher physiquement mais aussi intellectuellement le Coran. C’est par une lecture
figurée du touché comme désignant la lecture puis l’exégèse coranique (tafsîr), qu'al-Qurtubi
étaye cet argument en restreignant le sens de « purifiés » aux Croyants dans le Coran: « Seuls
les purifiés, c'est-à-dire les Croyants dans le Coran (al-mu’minûn bi-l-qur’ân) obtiennent le
goût (tu'm), le bénéfice (naf‘) et la bénédiction (baraka) du Coran ».13
5.
L'argument de l’utilité (hâja) et de l’usage des choses et espaces cultuels semble
central dans la détermination de la licéité du contact du non-musulman avec l’espace sacré
(que ce soit la Ka‘ba, La Mekke, la Péninsule arabique ou la mosquée). A l’inverse de ce que
nous avons vu pour le Coran, l'usage profane de l’espace sacré par le non-musulman est
envisagé comme en témoigne le commentaire de 9/28. Relié à celui du statut de protection
(quand il s’agit d’un dhimmî ou de l’esclave d’un musulman), la simple invocation de ces
deux arguments jette le doute sur la suprématie de celui de l’impureté. Ainsi Qurtubi
présente-t-il les questionnements des juristes sur la possibilité pour le dhimmi (à l’exclusion
du harbî) et pour l’esclave mécréant d’un musulman, d’user de l’espace sacré. Dans cette
perspective, la condition juridique qui caractérise le non-musulman dans la société islamique
(et le distingue de l’étranger) avec les droits qui lui sont octroyés à ce titre, pourrait remettre
en question l’argument de l’impureté, mais aussi celui fondé sur l’appartenance religieuse14.
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13
Tabari interprète de manière générale les « purifiés » comme étant les Anges et les Prophètes et tous ceux
exempts de péchés. Il n’y voit pas la référence aux croyants à l’exclusion des mécréants, et ne déduit aucune
règle concernant le contact du non-musulman avec le Coran. Ibn al-Arabî qui envisage la prescription
coranique principalement sous l’angle de la pureté rituelle du musulman, exclut implicitement la question de
la pureté du non-musulman dans son rapport au Coran. Le commentaire de Qurtubi est donc tout à fait
éclairant sur ce point.
14
Tabari et Ibn ‘Atiyya s’interrogent sur les droits du dhimmî et l’esclave sans évoquer la notion de hâja. Ibn al-
15!
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Appendice ou supplément : réflexions d’al-Qurtubi sur les ambigüités entre illicite/impure à
propos des substances polluantes
D'avantage que les personnes, ce sont donc les substances polluantes véhiculées par elles que
le musulman craint le plus. De manière générale, celles-ci ne sont pas non plus impures en
substance mais ne le sont qu’en partie et dans un contexte déterminé, dans le cadre
d’une transgression à la loi : le sperme, le sang, le vin, le corps mort et le porc ne sont donc
pas absolument illicites. C'est leur mauvais usage ou leur contexte de manifestation qui est
susceptible d’être sanctionné15.
Dans l’exégèse du verset 5/90, le vin est une abomination (rijs) assimilée au shirk (car elle
écarte de la prière) mais il n’est pas pour autant absolument impure (najis), c’est pourquoi la
consommation du vinaigre par exemple n’est pas prohibée. Ici al-Qurtubi distingue entre la
notion d’impureté et de shirk, puis entre celle d’impureté et d’illicite :
« yâ ayhahâ alladhîn âmanû innamâ al-khamr wa-l-maysaru wa-l-ansâbu wa-l-azlâmu rijsun
min ‘amal al-shaytân fa-jtanabûhu » (« Ô les croyants! Le vin, le jeu de hasard, les pierres
dressées, les flèches de divination ne sont qu'une abomination, œuvre du Diable. Ecartez-vous
en, afin que vous réussissiez. »)
Commentaire : « Les compagnons du prophète ont dit : le vin fut prohibé (hurimat), car il fut
considéré comme équivalent au shirk, c'est-à-dire au sacrifice pour les idoles et cela est un
shirk (…) Les ulémas ont déduit de la prohibition du vin, de l’aversion de la loi pour lui, de sa
qualification d’abomination (rijs) et du commandement de l’éviter, la qualité impure du vin
(al-hukm bi-najâsatiha). Mais quelques shafiites l’ont considéré comme pur (tâhira) et pour
eux, seul le fait d'en boire est prohibé (...) Aussi, nous considérons que la qualification
d’impureté est une prescription de la loi (hukm shar‘î) qui n’a pas de fondement dans
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‘Arabî réfutant les arguments de l’usage et du statut et défend l’interdiction absolue à tous les non-musulmans
sans exception d’accéder à toute mosquée, pour cause d’impureté physique.
15
On trouve dans le commentaire de 2/173 que le sang sur le vêtement de prière n’est pas illicite (car c’est le
sang qui coule qui l’est). C’est souvent leur transformation qui rend ces substances licites : la production du
cuir et la laine à partir du corps mort, même l’utilisation du poil de porc, n’est pas illicite (voir commentaire de
2/173).
16!
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ses Sources textuelles univoques (nass)16. Or, ce qui est prohibé n’est pas nécessairement
impur (najas), et il y a beaucoup de choses interdites dans la loi (shara‘) qui ne sont pas
impures. Mais nous pensons que le terme d’« abomination » (rijs) dans ce verset réfère à
l’impureté du vin (najâsatuha), car le rijs est synonyme de najâsa dans la langue ; et puis si
nous ne devions statuer que par les préceptes présents dans les Sources textuelles univoques
de la Loi (nass), il n’y aurait pas de shari‘a. En effet, dans quelle source trouvons-nous la
preuve de l’impureté des excréments, du sang et du corps mort ? »
Début de conclusion
En vue de préserver cet état de pureté propre au musulman, l’auteur ne défend ni une
restriction des rapports interconfessionnels, ni l’imposition de règles aux non-musulmans. Au
contraire, il met en avant des règles à destination des seuls musulmans qui permettent la
conciliation des prérogatives religieuses avec celles de la vie sociale et profane en relation
avec les non-musulmans. Les questions juridiques posées à l’interprétation des versets
coraniques sur la pureté, témoigneraient d’une recherche de légitimation dans le système
religieux de cette possible coexistence de la pureté islamique et des besoins de la société
multiconfessionnelle17.
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16
C’est à dires les textes clairs sélectionnés par les juristes dans le Coran et la Sunna.
17
La translitération sera revue ultérieurement.
17!
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