20 février 2014
Séminaire RELMIN
Questions de pureté et d’impureté dans le contact interreligieux
Contact : nicolas.stefanni@univ-nantes.fr
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Géraldine JENVRIN (RELMIN)
Pureté(s) islamique(s) et contacts interconfessionnels :
interprétations coraniques d’un malikite du 13e siècle (al-
Qurtubi, m. 1276)
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Nous proposons de réfléchir sur les notions islamiques de pureté et d'impureté à travers les
débats rencontrés dans un commentaire coranique malikite du 13e siècle, et d'en examiner les
conséquences sur la notion d'impureté appliquée au non-musulman.
Les significations de l'impureté qui qualifie les non-musulmans dans le Coran et son exégèse,
ainsi que les préceptes qui en découlent sur les relations interconfessionnelles, invitent à
chercher une cohérence dans la polysémie de la notion de pureté en islam. Il faut donc
distinguer :
Ses qualités substantielle ou accidentelle quand elle touche aux êtres vivants, choses,
personnes, lieux et choses sacrés
Ses caractéristiques morales et physiques, profanes et cultuelles
Ses contextes de contamination et ses rites de purification
Plan :
I. Ambiguïtés physiques et morales des sens d'impur et de purification : la pureté
comme islamité en opposition au shirk (associationnisme)
II. L’impureté morale des mécréants
III. Loi et impuretés physiques des non-musulmans
Pureté et impureté en islam
De manière générale, il n’est pas question en islam de pureté ou d’impureté substantielle
de la personne mais plutôt d’un état physique et moral atteint ou perdu par une conduite,
une conscience et éventuellement un rituel. Ces deux états physique et moral sont
interdépendants lorsque le premier obtenu par un rituel est un préalable à l'évitement du péché
ou à la recherche de la pureté morale. Ce schéma peut caractériser le culte comme la vie
profane quand il s'agit de l'abattage rituel par exemple ou du lavement suite à un rapport
sexuel. Lorsqu'il y a interdépendance des notions de pureté corporelle et morale, on observe
un lien fort entre pureté et obéissance à la loi, impureté et transgression. Ainsi, le non-
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respect des rites de purification peut être considéré comme une transgression de la loi,
entraînant une impureté morale assimilée au péché ou à une désobéissance.
Il n'y a donc pas de notion d'impureté substantielle du non-musulman, tout simplement parce
que la personne ne peut pas être essentiellement impure, de même que tout être vivant. Les
substances considérées impures comme le sang, le sperme, le corps mort, ne le sont pas non
plus substantiellement, mais le deviennent dans certains contextes notamment lorsqu’elles
causent l'impureté de la personne.
Aussi, pour l'islam la question de l'impureté des non-musulmans se pose principalement dans
le contexte de la pureté rituelle, état obtenu par des rites de purification corporelle : les
lustrations en vue du culte (prière, jeun, pèlerinage, usage(s) du Coran et de la mosquée). Les
questions de pureté du non-musulman qui se posent aux juristes découlent alors de la
préoccupation à conserver cet état cultuel, et de discerner si le contact avec le mécréant
n’entraîne pas l'annulation de cet état et de l'effet des rites accomplis : Le non-musulman
peut-il entrer dans une mosquée, toucher le coran, saluer un musulman en état de pureté
rituelle sans annuler la purification ?
Mais la question de la pureté se pose aussi dans la vie profane, puisque bien que le musulman
soit autorisé à pratiquer la commensalité et le mariage avec les non-musulmans, ces derniers
sont en contact avec des choses prohibées comme le vin et le porc ; et les épouses
scripturaires ne respectent pas les rites de purification après la menstruation par exemple. Or
le vin, le porc et le sang dans ces contextes sont non seulement absolument illicites mais
considérés impurs.
Aussi faut-il se demander comment la loi1 rend-elle possible le contact interconfessionnel tout
en prémunissant le musulman d'un contact avec l’impureté véhiculée par les non-musulmans ?
Conçoit-elle des règles spécifiques pour les non-musulmans ou bien engendre-t-elle des
obligations ou des dérogations pour les musulmans ? La loi islamique peut-elle s'appliquer
aux non-musulmans ? Devient-elle plus souple au musulman devant la nécessité du contact
interreligieux ? Dans ce contexte, la compétence juridique devrait moins viser l'établissement
de frontières ségrégatives que rendre possible la relation. Lorsqu'elle s’interroge sur les
modalités du possible, comment crée-t-elle des règlements pragmatiques qui permettent les
contacts interconfessionnels tout en tenant compte de la loi sur la pureté ?
Le Coran étant déclaré par les docteurs de la loi, la source primordiale de la loi, il se doit
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1 Nous entendons par « loi », la traduction de shar‘îa, c’est-à-dire les règlements juridiques conçus par le fiqh
(science du droit islamique) à partir notamment des Sources textuelles religieuses (nass) - Coran et Sunna qui
contiendraient selon les juristes les principes fondateurs de ces règlements.
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d'être une source du droit islamique. Son interprétation linguistique et son exégèse
théologique à des fins juridiques donnent lieu à des commentaires qui se distinguent en ce
qu'ils sélectionnent, compilent et développent les lectures normatives des versets et les
débats juridiques qu'elles entraînent. Le commentaire d'al-Qurtubi en est un exemple
monumental d’une quinzaine de volumes. Intitulé « Compendium des préceptes coraniques »
(al-Jâmi‘ li-ahkâm al-qur’ân), il se distingue notamment en ce qu'il traite chaque verset2 et
consacre un intérêt particulier aux interprétations et débats malikites.
Dans un travail de thèse, il s’agit de confronter l’interprétation coranique aux débats
théologiques et juridiques qu’elle a engendrés dans le sunnisme et tout particulièrement dans
le malikisme tels qu’ils sont présentés par Qurtubi dans son commentaire. Et alors chercher à
déterminer les positions de l’auteur dans ces débats. En somme approcher l’originalité de ce
commentaire dans l’histoire de la doctrine sunnite et malikite de la pureté. Enfin, s’agissant
du Coran, il ne faut pas manquer de mettre en parallèle le sens littéral des versets avec les
interprétations linguistiques savantes données par l’exégèse.
Dans le Coran
Les non-musulmans sont souvent désignés indifféremment par les termes de mécréants
(kuffâr) ou d’associateurs (mushrikûn) signifiant selon les contextes les païens arabes et/ou les
Gens du Livre. Le Coran les qualifie de najas qui a le sens de saleté, impureté physique et
morale ; et de rijs désignant également saleté, souillure physique et morale, abomination, tout
en faisant aussi référence à un châtiment divin dans l'au-delà et à une affliction ou malédiction
divine ici-bas. Ces qualifications apparaissent dans les contextes suivants : l'interdiction qui
leur est faîte de pénétrer dans le sanctuaire de la Mekke (9/28) - la maladie de leur cœur
considérée comme une souillure (9/125) - le châtiment divin (rijs) du fait qu'ils ne raisonnent
pas (10/100) – leurs mensonges qualifiés de la souillure (rijs) (9/95) qui désigne également les
idoles et le vin, œuvre du Diable, dont Dieu commande de s'écarter (30/22 et 5/90).
La notion pureté dans le Coran est principalement évoquée dans l'acte de se purifier
(tahhara). Il intervient dans les contextes suivants : la prière (5/6) - l'usage du coran (56/79) -
la purification des péchés et des mauvaises actions (74 /4) - celle du sanctuaire de la Mekke
par Abraham (22/27)- le lavement après la menstruation (2/222).
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2 A l’instar des grands commentaires classiques (comme celui de Tabari (m.923)) et à la différence des
commentaires proprement juridiques comme celui de l’exégète malikite dont Qurtubi s’inspire : Abû Bakr Ibn
al-‘Arabî (m.1148) qui ne commente que les versets qu’il considère à valeur normative.
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1. On trouve dans le commentaire d'al-Qurtubi que l’impure - « najas »- ne désigne pas
seulement un état physique présent dans l’étymologie du mot qui renvoie au touché, mais
désigne aussi une impureté morale assimilée au péché d’associationnisme (shirk), essence
du péché en islam.
L’exégèse du terme impur (najas) dans le verset 9/28 témoigne de ces ambiguïtés : « innamâ
al-mushrikûn najas falâ yaqribû al-masjid al-harâm ba‘d ‘âmihim hadhâ » Les
associateurs sont impurs/immondes, qu'ils ne s'approchent plus du Sanctuaire sacré, après
cette année-ci. »)
La première question soulevée par Qurtubi sur l'interprétation de ce verset concerne le doute
sur la nature de l’impureté qui qualifie ici l’associateur : « Les ulémas se sont disputés sur la
signification de la qualification de l’associationiste d’impur (najas). Selon Qatâda, Ma'mar
bnu Râchid et d’autres, celui-ci est considéré impur parce qu’il est en état d’impureté majeure
(junûb) du fait que son lavement après un rapport sexuel n’est pas considéré comme véritable
(ghusluhu min al-jinâba laysa bi-ghuslin). Tandis que selon Ibn ‘Abbâs et d’autres : le sens
est ici que c’est l’associationnisme qui l’a rendu impur (al-shirk huwa alladhî najjasahu)».
En mettant l'accent sur la dimension morale et théologique de l'impureté, en associant le shirk
au najas, al-Qurtubi se distingue clairement de Tabari qui ne rapporte que des traditions allant
dans le sens de la première hypothèse (najas associé à la seule jinâba). En outre Tabari, non
seulement réduit le najas à la jinâba mais explique l'impureté des mushrikûn par l'absence de
lavement (« sammâhum bi-zalika li-annahum lâ yaghtasilûn »). A la différence de cela, pour
al-Qurtubi, la qualification coranique du mushrik d'impur résulterait non pas de l'absence de
purification, mais d'une pratique invalide dans le rite islamique. En somme, une manière de
se purifier qui ne correspond pas à la norme. Dans cette perspective, l'impureté n'est pas
relative à une nature ni même à un état mais à l'institution rituelle islamique.
2. Quant à la notion coranique de purification (tathîr), son interprétation développe le
même type d’ambiguïté, en référant à la fois à une purification corporelle cultuelle, en vue
de la prière, de l'usage de la mosquée ou du Coran ; et à la fois à une purification d’ordre
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