INGÉNIERIE DÉVELOPPEMENT DURABLE Par Fabienne Marseille et Danièle Vulliet Certu Depuis 2006, les AOTU qui élaborent ou modifient leur PDU doivent initier en parallèle une évaluation environnementale. L’analyse de la « première génération » de ces évaluations révèle des initiatives intéressantes, mais aussi toute la complexité de cette démarche novatrice. Quels enseignements en retirer ? L’ESSENTIEL • Poser un diagnostic fin du territoire, comprendre l’impact du projet, aider au choix politique. • Limites actuelles : tous les thèmes environnementaux ne sont pas traités ; la synthèse des enjeux, leur hiérarchisation n’apparaît pas. • Les évaluations de « deuxième génération » privilégient une approche systémique et pédagogique. Évaluation environnementale des PDU : retour sur les premières pratiques et perspectives L a montée en puissance de l’évaluation environnementale au point d’en faire une exigence législative n’est pas le fruit du hasard. Elle résulte d’abord d’une prise en considération croissante des enjeux environnementaux, encore renforcée par le Grenelle. Elle découle ensuite de la transposition en droit français (1) de directives européennes qui impulsent une culture de l’évaluation dans des politiques publiques qui sont de plus en plus complexes. L’évaluation environnementale du PDU permet de poser un diagnostic fin du territoire, de comprendre l’impact du projet et au final d’aider au choix politique. Ceci permet également une plus grande lisibilité du processus décisionnel et, par là même, replace les citoyens au cœur des politiques publiques. Agir quand on a encore des marges de manœuvre L’évaluation environnementale s’impose au PDU puisque ce dernier prévoit des aménagements ou la réalisation d’ouvrages qui peuvent avoir des incidences notables sur l’environnement. Or, à ce stade de planification amont où sont prises les décisions structurantes, une première analyse des enjeux environnementaux est essentielle : des marges de manœuvre importantes sont encore disponibles ; ultérieurement, au niveau de l’étude d’impact des projets, les adaptations sont plus difficiles à mettre en œuvre sans remettre en question l’économie générale du PDU. Déjà des initiatives intéressantes Sans prétendre à l’exhaustivité quant aux exemples cités, quelques approches sont à souligner car elles correspondent aux finalités attendues de l’évaluation environnementale : • Bien que facultatifs, les AOTU ont choisi de solliciter les DREAL pour obtenir un cadrage préalable qui précise les enjeux, les méthodes 16 et les référents utiles (base de données par exemple). De l’avis des collectivités, cet exercice s’avère riche d’enseignements : en effet, si les AOTU ont une bonne connaissance des enjeux du territoire en matière de déplacements, il n’en va pas nécessairement de même pour les enjeux environnementaux, pour lesquels les DREAL apportent une vraie plus-value. • Des AOTU volontaristes ont passé différents scénarios de PDU au filtre de l’évaluation environnementale. L’évaluation environnementale du PDU de Clermont Communauté compare ces scénarios par le biais des émissions de polluants et de la consommation énergétique. Celle du PDU de Perpignan Méditerranée les compare sur le critère des gaz à effet de serre (GES). Cette approche à la fois comparative et itérative (allersretours entre les scénarios de PDU et l’évaluation environnementale) est discriminante et permet d’orienter le choix vers le scénario de PDU le plus favorable à l’environnement. • Des initiatives pour croiser, de façon pédagogique, les approches environnementalistes et transports/déplacements. L’évaluation environnementale du PDU de Reims rassemble dans des tableaux de synthèse les impacts positifs ou négatifs du PDU dans les différentes thématiques environnementales. Cette approche pédagogique introduit de la transparence et permet une meilleure appropriation de la démarche par le public. Une première génération en prise aux difficultés des pionniers… L’analyse des quatorze premières évaluations (2) environnementales, portant à la fois sur des PDU obligatoires et volontaires, fait ressortir un bilan contrasté : • Le spectre des thèmes environnementaux est inégalement traité : si les questions de gaz à T ECH N I . CITÉ S n ° 2 2 3 • 8 f é v r i e r 2 0 1 2 Ingenierie-01.indd 16 31/01/12 13:47 Air/santé Bruit effet de serre (GES), de bruit, d’air et de santé sont systématiquement abordées dans toutes les évaluations – sans doute parce qu’elles sont au cœur des enjeux du PDU – tel n’est pas le cas des autres composantes environnementales : consommation d’énergie, consommation d’espace, milieu naturel, eau, patrimoine, paysage, risques… (voir le schéma ci-contre) • La démarche d’évaluation s’enclenche bien mais s’essouffle assez rapidement : dans tous les cas étudiés, l’état initial est la partie la mieux traitée. Toutefois on observe un faible enchaînement entre l’état initial, l’analyse des impacts, les mesures proposées et le suivi envisagé. Plus précisément, lorsque les impacts de la mise en œuvre du PDU sur l’environnement sont abordés, c’est de façon théorique et uniquement dans une logique qualitative : par exemple, la création d’une infrastructure ou d’un parc relais est citée comme consommatrice d’espace mais sans que cela ne soit localisé et quantifié. De même, et dans la lignée de ce qui précède, les mesures de compensation, d’évitement et de réduction des impacts sont soit faiblement détaillées, soit absentes. Les évaluations environnementales renvoient aux études d’impact ultérieures et leur portage concret n’est pas précisé. Un exercice novateur et intrinsèquement complexe Plusieurs motifs peuvent expliquer pourquoi les AOTU ont pu peiner pour aller au bout de la démarche : • L’exercice est nouveau et les AOTU ont à s’approprier une démarche pluridisciplinaire qui suppose d’acquérir ou d’affûter des compétences fines en matière d’environnement. Elles vont se forger progressivement, qu’il s’agisse de conduire l’évaluation en régie ou de piloter des bureaux d’études. • L’intérêt de la démarche est souvent mal perçu : par nature le PDU apparaît comme favorable à l’environnement puisqu’il vise un objectif de report modal de la voiture vers les transports publics et modes doux. Et pourtant, même si la majorité des actions du PDU ont un effet global positif sur l’environnement, des effets négatifs locaux, sur lesquels l’évaluation environnementale amène à s’interroger, peuvent exister. • L’échelle territoriale du PDU paraît inadaptée à une évaluation de son impact. Les enjeux Risques GES Paysage Consommation d’énergie Patrimoine Consommation d’espace Eau Milieu naturel environnementaux peuvent pour partie dépasser le périmètre du PDU. Les caractériser, les quantifier, les localiser semble délicat à une échelle territoriale jugée trop large. La démarche de planification très amont constitue également une difficulté ; certains projets intégrés dans le PDU apparaissent insuffisamment définis, d’où une évaluation qui s’essouffle et renvoie à l’étude d’impact des projets eux-mêmes. • Une analyse croisée des zones à forts enjeux environnementaux avec les actions envisagées du PDU est cependant nécessaire même si la spatialisation des actions du PDU n’est pas toujours aisée. La finesse de cette localisation est à proportionner à la définition des projets. Une localisation même « imprécise » permettrait d’anticiper des zones dites « de conflits ». • Des considérations de calendrier ont pesé sur cette première génération d’évaluations environnementales : les AOTU ont dû intégrer une obligation législative alors que le PDU était souvent bien engagé voire presque abouti. Une inégale prise en compte des thématiques environnementales (source : analyse des quatorze premières évaluations environnementales, CETE de Lyon.). Vers une deuxième génération d’évaluations environnementales plus mûres ? En se basant sur les bonnes pratiques déjà identifiées, le CETE de Lyon a pu formuler plusieurs préconisations méthodologiques : • Explorer toutes les thématiques environnementales au-delà des questions de GES, bruit, air-santé pour s’assurer que tous les enjeux du territoire sont identifiés. Les thématiques présentant un faible enjeu sur le territoire n’ont pas à être approfondies mais il convient de le dire et de le démontrer. … QU’ESTCE QUE C’EST ? • PDU : Plan de déplacement urbain. Les PDU ont été formalisés pour la première fois dans la loi d’orientation sur les transports intérieurs (LOTI) en 1982 ; leur rôle a été renforcé par la loi SRU en 2000. • AOTU : Autorité organisatrice de transport urbain. T ECH N I . CITÉ S n ° 2 2 3 • 8 f é v r i e r 2 0 1 2 Ingenierie-01.indd 17 17 31/01/12 13:47 INGÉNIERIE DÉVELOPPEMENT DURABLE Synthèse des enjeux évaluation (environnementale du PDU de Lille, 2011) L’évaluation environnementale dans le détail Concrètement, l’évaluation environnementale se présente sous forme d’un rapport environnemental qui comporte (1) : • une présentation résumée des objectifs et du contenu du PDU ; • l’analyse de l’état initial et les perspectives d’évolution du territoire ; • l’examen des impacts/effets notables attendus de la mise en œuvre du PDU sur l’environnement ; • l’exposé des motifs pour lesquels le projet a été retenu au regard des autres solutions étudiées ; • les mesures envisagées pour éviter, réduire et si possible compenser les conséquences dommageables du plan et le dispositif de suivi ; • un résumé non technique. Elle est réalisée par l’AOTU qui, en amont, peut solliciter l’autorité environnementale (AE) (2) pour un cadrage préalable. En aval, le projet arrêté de PDU et le rapport environnemental sont soumis pour avis à l’État/AE puis à enquête publique avant d’être approuvés. (1) Article R.122-20 du Code de l’environnement. (2) En l’espèce, il s’agit du préfet qui s’appuie sur la DREAL (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement). Une carte de synthèse comme exemple réussi du croisement de l’approche «environnementaliste» et «déplacement sur le territoire». … • Privilégier une approche systémique de l’envi- POUR EN SAVOIR PLUS Évaluation environnementale des plans de déplacements urbains – Analyse des premières pratiques et préconisations, Collection Dossiers. Certu, 2011, www.certu.fr/catalogue. 18 ronnement au lieu d’une approche thème par thème. Ce croisement permettra de faire ressortir les secteurs à enjeux forts pour le PDU. À cet égard, l’utilisation du SIG apparaît incontournable. • Permettre à l’évaluation environnementale d’être véritablement un outil de concertation avec le public : le résumé non technique ainsi que la présentation succincte du PDU ont pour objectif de rendre les résultats essentiels de l’évaluation environnementale facilement compréhensibles par le public. Privilégier l’utilisation de cartes et de tableaux de synthèse est gage de pédagogie. Déjà la « seconde génération » d’évaluations environnementales, à l’instar de celle du PDU de Lille Métropole (voir ci-dessus), montre une appropriation plus fine de la démarche. En l’es- pèce, une identification des enjeux forts du territoire est bien faite par thématique environnementale ; elle est suivie par une analyse croisée de l’ensemble des enjeux et de leur hiérarchisation. Le PDU est ensuite examiné au regard de ces enjeux hiérarchisés. Des cartes de synthèse facilitent la visualisation de l’ensemble, des tableaux plus détaillés permettent, en outre, d’entrer dans le détail des « conflits » possibles entre enjeux forts du territoire et certaines actions du PDU ainsi que des mesures à mettre en œuvre. (1) Ordonnance 2004-489 et décrets nos 2005-608 et 2005-613 sur « l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement » qui transposent la directive européenne 2001/42/CE. (2) CABRI (Saint-Brieuc), Grand Nancy, Perpignan Méditerranée, Pays Voironnais (Voiron), Reims Métropole, Nîmes Métropole, Rennes Métropole, CANCA (Nice), CASA (Sophia-Antipolis), CC du bassin de Pompey, AgglO (Orléans), Agglopole Provence (Salon-deProvence), Clermont Communauté (Clermont-Ferrand), Territoire de la Côte Ouest (La Réunion). T ECH N I . CITÉ S n ° 2 2 3 • 8 f é v r i e r 2 0 1 2 Ingenierie-01.indd 18 31/01/12 13:47