Daniel FAIVRE
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Document issu du site www.enseignement-et-religions.org – 2012 4
C’est-à-dire d’un texte qui, pour une large part de l’humanité, en dit plus que ce qui est écrit. Aussi,
la césure entre "histoire religieuse" et "histoire de la religion" n’est-elle pas aussi nette que
lorsqu’on spécule sur les panthéons assyro-babyloniens, égyptiens ou grecs.
En outre, alors que les anciens programmes prévoyaient l’étude du monothéisme depuis les
origines, les nouvelles instructions font commencer l’histoire du judaïsme à l’époque du roi Josias
(641-611 av. J.-C.), soit à une époque où le culte de YHWH commence à devenir hégémonique
dans le royaume de Juda, même s’il ne s’agit pas encore d’un véritable monothéisme. Ainsi, on
occulte tout le passé protohistorique d’Israël en présentant le judaïsme comme une religion sans
histoire. On laisse le champ libre au texte biblique qui repousse l’horizon monothéiste à l’humanité
adamique, laissant ainsi la place à une religion révélée à l’humanité au moment même de sa
création.
Certes, c’est bien l’image qu’en donnent les trois obédiences, juive, chrétienne et musulmane !
Mais est-ce pour autant celle qui doit figurer dans les manuels de l’école laïque ? Nous pouvons en
douter. La classe de Sixième n’est bien sûr pas le lieu pour évoquer en profondeur le retour d’un
religieux radical, dont aucun des trois monothéismes n’a le monopole. Mais en raison précisément
de cette résurgence, il paraît essentiel d’en comprendre l’origine et d’inscrire chaque religion dans
son histoire, avec le plus grand discernement possible. Et comme le programme de Seconde ne
s’intéresse guère qu’au christianisme, c’est sur les manuels de Sixième que va se focaliser l’enjeu
de cette genèse.
Dans une étude thématique des différents manuels, nous tenterons donc de répondre à trois
questions simples concernant les "débuts du judaïsme", selon la programmation officielle : de qui
parle-t-on ? De quoi parle-t-on ? Comment en parle-t-on ?
1 - DE QUI PARLE-T-ON ?
Lorsque les historiens le désignent par un terme gentilice, le peuple de la Bible reçoit
généralement quatre appellations différentes : hébreu, israélite, judéen et juif. Historiquement, ces
termes ne sont pas interchangeables et chacun d’eux reflète une histoire, une sociologie et une
spiritualité particulières. Ce n’est donc pas sans surprise que nous découvrons, dans le
programme officiel et en caractères gras, la mention des "Hébreux du royaume de Juda". Espérant
que les auteurs des manuels auront eu le bon goût de passer outre cette grossière erreur de
chronologie, nous découvrons au contraire, au fil des pages, que seuls deux termes subsistent :
Hébreux et Juifs. Les deux autres ont disparu, hormis le nom s’Israélites, qui surnage par moment.
En fait, les auteurs se font l’écho des programmes officiels : les mots "hébreu" et "juif" sont
devenus interchangeables et, de ce fait, parfaitement synonymes. Dans les manuels, les Hébreux
sont de toutes les époques bibliques, des plus anciennes, ce qui est normal, aux plus récentes, ce
qui l’est moins. Florilège :
Les Hébreux supportent mal la domination étrangère. Ils espèrent la venue d’un Messie qui doit
les délivrer des Romains. (Hachette, p. 144)
Les Hébreux se révoltent contre les Romains. En 70, l’empereur Titus s’empare de Jérusalem et
détruit le Temple. (Nathan, p. 124)
Situer les Hébreux au Ier siècle de notre ère est aussi saugrenu que de faire de Philippe le Bel le roi
des Gaulois ou d’affirmer que les Vikings de Norvège ont refusé, par référendum, d’adhérer au
Marché Commun. Rappelons en effet que le terme hébreu ‘ivrî est essentiellement utilisé, dans la
Bible, avant la période royale. Les Hébreux semblent donc devoir être rattachés au mouvement
des Habiru/Apirû de la seconde moitié du II° millénaire avant notre ère1 qui nomadisaient le long du
1. Voir simplement André LEMAIRE, Histoire du peuple hébreu, Collection Que sais-je ?, Presses
Universitaires de France, Paris, 1981.