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REFLEXIONS AUTOUR
DU JUDAÏSME ANCIEN
dans les nouveaux programmes de sixième
Daniel FAIVRE
Historien spécialiste du judaïsme ancien
Daniel FAIVRE
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1 - INTRODUCTION
Cette étude se propose de réfléchir sur la manière dont le judaïsme ancien est abordé dans les
nouveaux manuels scolaires de Sixième, après la réforme des programmes, telle qu’elle est définie
par le Bulletin Officiel spécial n° 6 du 28 août 2008 et qui est entrée en vigueur en septembre 2009.
Six éditeurs sont concernés par cette enquête : Belin, Bordas, Hachette, Hatier, Magnard et
Nathan, publiés en 2009.
Naturellement, nous aurons également à cœur de réfléchir sur le bien-fondé de cette nouvelle
réforme, dont il est peut-être utile de rappeler les grands principes, énoncés en annexe du B.O.
déjà cité.
Consignes générales :
Des mondes anciens aux débuts du moyen âge
À l’école primaire, les élèves ont étudié les premières traces de la vie humaine sur lesquelles on ne
reviendra pas au collège. Ils y ont également abordé l’Antiquité à travers l’approche de la Gaule et de sa
romanisation.
En sixième, après un premier contact avec une civilisation de l’Orient, les élèves découvrent la Grèce et
Rome : l’étude porte sur la culture et les croyances, sur l’organisation politique et sociale.
La quatrième partie est dédiée à l’émergence du judaïsme et du christianisme, situés dans leur contexte
historique : les principaux éléments de croyance et les textes fondateurs sont mis en perspective avec le
cadre politique et culturel qui fut celui de leur élaboration.
La cinquième partie fait le lien entre l’Antiquité tardive et le Moyen Age en présentant les empires chrétiens
de l’Orient byzantin et de l’Occident carolingien.
La dernière partie ouvre le programme à une civilisation asiatique : Chine des Han ou Inde des Gupta.
La place de l’histoire des arts est importante dans chacune des parties du programme, dans la mesure
même où ce programme est orienté essentiellement vers l’étude de grandes civilisations entre le IIIe
millénaire av. J.-C. et le VIIIe siècle.
Au cours de cette première année de collège, les élèves découvrent des sources historiques simples
(archéologiques, iconographiques, extraits de textes…) qu’ils apprennent à interroger et à mettre en relation
avec un contexte. Ils s’entraînent à exposer leurs connaissances en construisant de courts récits (on tiendra
compte des progressions prévues en français pour l’expression écrite et l’expression orale). Ces deux
capacités (analyse de documents et maîtrise de l'expression écrite et orale) concernent toutes les
parties du programme.
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Consignes concernant l’enseignement du judaïsme :
Thème 1 - LES DÉBUTS DU JUDAÏSME
1.1 CONNAISSANCES
Menacés dans leur existence par de puissants empires aux VIIIe et Vie siècles av. J.-C., les Hébreux du
royaume de Juda mettent par écrit leurs traditions (premiers livres de la Bible).
Quelques uns des grands récits de la Bible sont étudiés comme fondements du judaïsme.
La destruction du second Temple par les Romains (70) précipite la diaspora et entraîne l’organisation du
judaïsme rabbinique.
1.2 DÉMARCHES
L’étude commence par la contextualisation de l’écriture de la Bible, (l’impérialisme des empires
mésopotamiens, le roi Josias, l’exil à Babylone).
Extraits de la Bible au choix : le récit de la création, Abraham et sa descendance, Moïse, le royaume
unifié de David et Salomon…
L’étude débouche sur une carte de la diaspora.
1.3 CAPACITÉS
Connaître et utiliser les repères suivants
- La Palestine, Jérusalem sur une carte de l’empire romain
- Début de l’écriture de la Bible : VIIIe siècle av. J.-C.
- Destruction du second Temple : 70
Raconter et expliquer
- Quelques uns des grands récits de la Bible significatifs des croyances
Décrire et expliquer la diaspora
Réaliser la lecture critique d’un chapitre de manuel scolaire, par définition nécessairement
vulgarisateur, quand on est soi-même spécialiste de la question traitée, c’est assez facile et cela
peut être teinté d’une certaine forme de perversité. C’est en effet prendre le risque d’endosser
l’uniforme du censeur, en stigmatisant toutes les lacunes et en les mettant bout à bout pour en
faire un gigantesque bêtisier. À l’autre pôle de la démarche, cela pourrait aboutir à réaliser un
genre de hit-parade des manuels, du plus fidèle vis-à-vis des exigences historiques au plus
"catéchiste".
Nous tenterons d’éviter ce double écueil, en rappelant d’abord que les auteurs des manuels ne font
que répondre à des consignes ministérielles exigeantes et qui nous semblent aborder la question
d’une manière un peu biaisée. En outre, nous connaissons toute la difficulté, aujourd’hui autant
qu’hier, à parler avec sérénité d’histoire des religions. Cependant, ces réticences ne sauraient
nous contraindre à renoncer à l’analyse critique. Car en effet, dès lors qu’on s’autorise à publier
des textes destinés à servir de support à un enseignement dans le cadre de l’école de la
République, on est redevable devant la nation d’une vérité historique et d’une rigueur scientifique
et laïque exemplaires.
Le rapport Debray, qui date déjà de 2002, avait souligné l’importance de rétablir l’étude du fait
religieux dans les programmes d’enseignement. Depuis, cette expression est tombée entre toutes
les mains, sans que l’on ne sache plus très bien à quoi elle se rattache. Le fait religieux désigne-t-il
tout acte qui, glissant du domaine spirituel vers le politique ou l’économique, en modifie la nature ?
A-t-il la même valeur à toutes les époques et en tous lieux ? S’applique-t-il aux religions
institutionnalisées comme aux religions disparues… ?
Aussi, pour clarifier notre propos, ne parlerons-nous pas ici de "fait religieux" mais plus
prosaïquement d’histoire des religions. L’expression a au moins pour elle le mérite de la clarté.
Parler d’histoire des religions, c’est d’abord affirmer que les religions ont une histoire. Simple
litote ? Peut-être, mais la source principale de l’histoire du monothéisme primitif n’est pas anodine :
il s’agit d’un texte "sacré",
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C’est-à-dire d’un texte qui, pour une large part de l’humanité, en dit plus que ce qui est écrit. Aussi,
la césure entre "histoire religieuse" et "histoire de la religion" n’est-elle pas aussi nette que
lorsqu’on spécule sur les panthéons assyro-babyloniens, égyptiens ou grecs.
En outre, alors que les anciens programmes prévoyaient l’étude du monothéisme depuis les
origines, les nouvelles instructions font commencer l’histoire du judaïsme à l’époque du roi Josias
(641-611 av. J.-C.), soit à une époque où le culte de YHWH commence à devenir hégémonique
dans le royaume de Juda, même s’il ne s’agit pas encore d’un véritable monothéisme. Ainsi, on
occulte tout le passé protohistorique d’Israël en présentant le judaïsme comme une religion sans
histoire. On laisse le champ libre au texte biblique qui repousse l’horizon monothéiste à l’humanité
adamique, laissant ainsi la place à une religion révélée à l’humanité au moment même de sa
création.
Certes, c’est bien l’image qu’en donnent les trois obédiences, juive, chrétienne et musulmane !
Mais est-ce pour autant celle qui doit figurer dans les manuels de l’école laïque ? Nous pouvons en
douter. La classe de Sixième n’est bien sûr pas le lieu pour évoquer en profondeur le retour d’un
religieux radical, dont aucun des trois monothéismes n’a le monopole. Mais en raison précisément
de cette résurgence, il paraît essentiel d’en comprendre l’origine et d’inscrire chaque religion dans
son histoire, avec le plus grand discernement possible. Et comme le programme de Seconde ne
s’intéresse guère qu’au christianisme, c’est sur les manuels de Sixième que va se focaliser l’enjeu
de cette genèse.
Dans une étude thématique des différents manuels, nous tenterons donc de répondre à trois
questions simples concernant les "débuts du judaïsme", selon la programmation officielle : de qui
parle-t-on ? De quoi parle-t-on ? Comment en parle-t-on ?
1 - DE QUI PARLE-T-ON ?
Lorsque les historiens le désignent par un terme gentilice, le peuple de la Bible reçoit
généralement quatre appellations différentes : hébreu, israélite, judéen et juif. Historiquement, ces
termes ne sont pas interchangeables et chacun d’eux reflète une histoire, une sociologie et une
spiritualité particulières. Ce n’est donc pas sans surprise que nous découvrons, dans le
programme officiel et en caractères gras, la mention des "Hébreux du royaume de Juda". Espérant
que les auteurs des manuels auront eu le bon goût de passer outre cette grossière erreur de
chronologie, nous découvrons au contraire, au fil des pages, que seuls deux termes subsistent :
Hébreux et Juifs. Les deux autres ont disparu, hormis le nom s’Israélites, qui surnage par moment.
En fait, les auteurs se font l’écho des programmes officiels : les mots "hébreu" et "juif" sont
devenus interchangeables et, de ce fait, parfaitement synonymes. Dans les manuels, les Hébreux
sont de toutes les époques bibliques, des plus anciennes, ce qui est normal, aux plus récentes, ce
qui l’est moins. Florilège :
Les Hébreux supportent mal la domination étrangère. Ils espèrent la venue d’un Messie qui doit
les délivrer des Romains. (Hachette, p. 144)
Les Hébreux se révoltent contre les Romains. En 70, l’empereur Titus s’empare de Jérusalem et
détruit le Temple. (Nathan, p. 124)
Situer les Hébreux au Ier siècle de notre ère est aussi saugrenu que de faire de Philippe le Bel le roi
des Gaulois ou d’affirmer que les Vikings de Norvège ont refusé, par référendum, d’adhérer au
Marché Commun. Rappelons en effet que le terme hébreu ‘iv est essentiellement utilisé, dans la
Bible, avant la période royale. Les Hébreux semblent donc devoir être rattachés au mouvement
des Habiru/Apirû de la seconde moitié du II° millénaire avant notre ère1 qui nomadisaient le long du
1. Voir simplement André LEMAIRE, Histoire du peuple hébreu, Collection Que sais-je ?, Presses
Universitaires de France, Paris, 1981.
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Croissant Fertile, entre Égypte et Mésopotamie. Ils constituent bien sûr une partie de l’origine du
peuple de la Bible, une partie sans doute très active, mais une partie seulement.
D’ailleurs, les auteurs de certains manuels éprouvent le besoin, fort légitime, de définir ce terme.
Certains y arrivent avec plus ou moins de bonheur :
Hébreux : peuple du Moyen Orient qui s’installe en Canaan vers 1200 av. J.-C. (Hachette, p. 141)
Il eût été bon de préciser que, déjà à l’époque, le pays de Canaan n’était pas "une terre sans
peuple pour un peuple sans terre", selon l’image forgée au XIX° siècle et reprise par le mouvement
sioniste.
Dommage également pour l’histoire que les auteurs poursuivent ainsi, sur la même page :
Juifs : nom donné aux Hébreux chassés du royaume de Juda ainsi qu’à leurs descendants.
Ainsi, tous les auteurs sont unanimes à parler des Hébreux comme d’un peuple immuable, des
origines jusqu’à l’Exil, et même au-delà, pendant l’occupation romaine de la Palestine. Jusqu’à ce
qu’on commence à les appeler "Juifs" : le peuple de la Révélation. Cette volonté d’uniformisation
permet naturellement de simplifier le message. Rappelons que l’âge du public auquel s’adressent
les manuels –onze à douze ans– n’est pas à proprement parler l’âge des grandes spéculations
intellectuelles. Ce qui est plus gênant, c’est que cette "simplification" passe aussi par une
falsification, et ce avec la même unanimité de la part des auteurs.
D’une manière presque systématique, on remplace, dans les extraits bibliques, l’expression "fils
d’Israël" (= Israélites) par Hébreux. Dans le passage de la mer Rouge, en Exode XIV (et pas XV
comme l’affirme un peu imprudemment Hachette), le remplacement est systématique dans tous les
manuels qui ont choisi de le rapporter, tout comme pour la remise des tables de la Loi à Moïse ou
l’entrée en Canaan. À ce sujet d’ailleurs, ne boudons pas notre plaisir de relire une citation biblique
inédite :
Après avoir guidé les Hébreux dans le désert, Moïse les conduit au seuil de la Terre promise,
il n’entre pas. C’est Josué, un juge, qui les y fait pénétrer (Deutéronome XXXII, 48, 49, 50, 52).
(Magnard, p. 124)
Il doit sans doute s’agir d’une forme originale de "Tritonome", sans doute d’inspiration plus tardive,
car ces deux phrases n’apparaissent dans aucune version biblique connue du Deutéronome. À
moins que les auteurs, dans un accès de démiurgie aiguë, n’aient été tentés de réécrire la Torah.
En outre, la qualité de "juge" accordée à Josué, pour discutable qu’elle soit, n’est nullement
explicitée. Et elle n’a surtout pas le sens que de nombreux élèves lui prêtent aujourd’hui.
Cependant, on sent confusément, chez certains auteurs, une indéniable réticence à suivre à la
lettre les incitations langagières du ministère. Ils s’efforcent en effet, pour la plupart, à donner des
Hébreux la définition la plus précise possible, sans doute pour en justifier l’usage. Ainsi, Belin les
présente de cette manière :
Hébreux : membres de la tribu d’Abraham et descendants. (p. 120)
Le problème, c’est que les auteurs de ce manuel ajoutent, page suivante, que l’existence
d’Abraham n’est pas historiquement attestée. Ils ont absolument raison de le préciser. En
revanche, comment un élève –ou même un professeur– peuvent-ils appréhender la nature d’un
peuple descendant d’un ancêtre qui n’existe probablement pas ?
Nous avons souligné que, dans de nombreux extraits bibliques tirés des manuels scolaires, le mot
"Hébreux" se substituait au mot "Israélites". Certains cependant mentionnent ce terme, soit sous
sa forme biblique "fils d’Israël", soit sous sa forme francisée, "Israélites". Ils en donnent chacun une
définition un peu différente :
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