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UNVERSITE PARIS IV-SORBONNE
UFR DE GEOGRAPHIE
CNRS-UMR 8185
ESPACE, NATURE ET CULTURE
ECOLE DOCTORALE DE GEOGRAPHIE DE PARIS
LE PARTENARIAT EURO-MEDITERRANNEEN :
UNE GEOGRAPHIE POLITIQUE DES
RELATIONS NORD SUD
Thèse en vue d’obtenir le grade de Docteur de l’Université de Paris IV-Sorbonne
Présentée et soutenue publiquement
Par
STEPHANIE DARBOT-TRUPIANO
En Septembre 2007
Directeur de thèse : Professeur Jean-Robert PITTE
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La politique de l’Union européenne vis-à-vis des pays méditerranéens est ancienne mais
elle a beaucoup évolué au cours du temps. Dans les années 1960, les premières relations
euro-méditerranéennes étaient essentiellement limitées aux échanges commerciaux (Erwan
Lannon, 1999). Les années 1970 voient un premier renforcement important puisque la
Communauté européenne adopte une politique méditerranéenne plus globale ayant pour
objectif essentiel l’établissement d’une coopération financière et technique en vue du
développement économique et social avec les pays arabes de la rive Sud et Est de la
Méditerranée. Vingt années plus tard, face aux résultats décevants de la coopération avec ces
pays, les pays membres de l’Union européenne prennent enfin conscience qu’il est
indispensable de ne pas laisser s’accroître la fracture économique et sociale entre les deux
rives méditerranéennes. Dans ce contexte, la première conférence ministérielle euroméditerranéenne se tenant à Barcelone les 27 et 28 novembre 1995 a permis de définir le
nouveau cadre des relations euro-méditerranéennes et de lancer le processus de Barcelone
grâce à l’adoption de la Déclaration de Barcelone et de son programme de travail. Le
processus de Barcelone est à l’origine du partenariat euro-méditerranéen qui élargit le cadre
des relations politiques, économiques et sociales entre, à l’époque, les quinze Etats membres
de l’Union européenne et les douze partenaires de la rive Sud de la Méditerranée : l’Algérie,
l’Autorité palestinienne, Chypre, l’Egypte, Israël, la Jordanie, le Liban, Malte, le Maroc, la
Syrie, la Tunisie et la Turquie.
Cette initiative européenne apparaît comme une véritable innovation dans la tradition de la
coopération au développement. En effet, elle s’appuie sur le concept de partenariat. Le
partenariat est un mode de coopération actif et participatif entre les partenaires. Ce concept de
partenariat évoque des objectifs conjoints, des responsabilités partagées au niveau des
réalisations, des engagements réciproques et une obligation de rendre compte. Ce nouveau
mode de coopération a des priorités de fonctionnement quant au développement des capacités
locales, la décentralisation des interventions et la responsabilisation des partenaires
notamment par l’association au processus de développement des pouvoirs publics, de la
société civile et du secteur économique privé.
Géographiquement, l’initiative européenne est d’une nature beaucoup plus ambitieuse
qu’une simple coopération au développement puisqu’elle propose une véritable construction
régionale euro-méditerranéenne regroupant des Etats riches et industrialisés du Nord et des
Etats en développement de la rive Sud. Cette nouvelle résolution européenne repose sur
l’emblème de la mer Méditerranée. La stratégie européenne a privilégié l’image braudelienne
de la Méditerranée : « Qu’est-ce que la Méditerranée ? Mille choses à la fois. Non pas un
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paysage, mais d’innombrables paysages. Non pas une mer, mais une succession de mers. Non
pas une civilisation, mais des civilisations entassées les unes sur les autres. » (F. Braudel,
1979). Par cette acceptation, la mer Méditerranée devient donc un espace de coopération
intracontinentale de 2,5 millions de kilomètres carrés entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Cette
« mer au milieu des terres » (Isidore de Séville, VIIème siècle) a été durant toute l’Antiquité,
le plus important lieu d’échanges maritimes à vocation commerciale mais surtout un
extraordinaire espace de brassage des peuples et de métissage culturel.
Politiquement, comme pour sa propre construction, l’Union européenne veut fonder ce
partenariat sur l’établissement d’ « une zone de paix, de sécurité et de stabilité ». L’Union
européenne c’est d’abord le projet de plusieurs Etats voulant construire une association
durable sur le plan économique mais également politique. Si les six Etats ayant signé le traité
de Rome privilégiaient les stratégies économiques en fondant la Communauté Economique
Européenne, la signature du Traité de Maastricht le 7 février 1992 montre que désormais les
Etats membres visent l’Union politique. Tout au long de cette construction, le nombre d’Etats
adhérant à ce projet n’a cessé de croître, ce succès est démontré par le fait que depuis sa
création, la CEE des six est devenue l’UE des vingt-sept. L’UE représente à présent un pôle
d’attraction et de prospérité aussi bien pour les pays de l’Est que pour les pays riverains de la
Méditerranée. Les frontières de l’Europe sont en perpétuelle évolution car l’Union
européenne est avant tout un projet politique, l’adhésion des Etats n’est pas seulement
géographique mais idéologique. Ces membres adhèrent à un modèle prônant la démocratie,
l’Etat de droit, le droit des personnes et des minorités. Le principe de partenariat mis en place
par la Déclaration de Barcelone s’inscrit dans ces valeurs. Les associés du Sud et du Nord
doivent donc adhérer aux même principes. Par les processus de Barcelone, l’Union
européenne tente de diffuser les valeurs qui ont fait son succès par delà la Méditerranée.
Cette diffusion des valeurs européennes se retrouve au niveau du projet économique.
L’Union européenne et les pays partenaires méditerranéens veulent pérenniser leurs échanges
commerciaux en créant une zone euro-méditerranéenne de libre-échange. Ainsi, le partenariat
euro-méditerranéen répond aux logiques actuelles de la mondialisation des échanges et prône
la libéralisation économique des pays de la rive Sud de la Méditerranée afin de les intégrer à
l’économie mondiale.
Après presque trente ans de coopération, l’Union européenne devait relever le défi de ses
relations avec ses voisins du Sud. Depuis la chute du rideau de fer, l’adhésion à l’Union
européenne est devenue un objectif pour de nombreux pays. 2004 fut l’année du plus grand
élargissement que celle-ci n’ait jamais connu avec l’entrée de dix pays d’Europe centrale et
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orientale (Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie,
Slovénie) et deux îles méditerranéennes (Chypre et Malte), anciennement partenaires. Le 1er
janvier 2007, la Bulgarie et la Roumanie ont fait leur entrée dans l’Union. Depuis le 3 octobre
2005, la Turquie et la Croatie ont entamé leurs négociations d’adhésion. L’ancienne
République yougoslave de Macédoine a obtenu le statut de candidat au mois de décembre
2005. Les autres Etats des Balkans occidentaux, l’Albanie, la Bosnie et Herzégovine, le
Monténégro et la Serbie y compris le Kosovo sont des pays candidats potentiels.
En parallèle de ce processus d’élargissement se pose la question des relations de l’Union
européenne avec ses futurs voisins. La proximité géographique de certains Etats, tels que
l’Irak ou la Syrie, oblige Bruxelles à élaborer des stratégies politiques, économiques et
sociales à leur égard. Le bassin méditerranéen est le parfait exemple de cette réalité
géopolitique. En effet, la mer Méditerranée a longtemps été le secteur sensible des relations
entre Etats lors de la guerre froide, à présent elle est le théâtre des relations globales entre les
Etats du Nord et les Etats du Sud. La proximité géographique renforce l’importance des
facteurs d’insécurité (trafics illicites et terrorisme) et du dossier brûlant de l’immigration.
D’autre part la rive Sud représente tout un arc de crise (G. Mutin) inquiétant pour l’Europe.
Du Maroc jusqu’en Turquie, aucun Etat n’est préservé par les tensions intra ou extraétatiques. Quelles relations l’Union européenne peut-elle construire avec ces pays ? Quelles
sont les véritables raisons qui motivent l’Union européenne à devenir le leader de la mise en
ordre d’un système régional euro-méditerranéen ? En effet, la création d’une nouvelle région
euro-méditerranéenne peut-elle permettre à ces pays, d’une part d’intégrer les dynamiques de
l’économie mondialisée et d’autre part de pacifier l’arc de crise méditerranéen ?
La position du géographe doit ici apporter un éclairage différent du spécialiste des relations
internationales et de l’économiste en insistant sur les processus de régionalisation que connaît
actuellement le monde entier. Les rapports de forces, surtout économiques, s’organisent de
plus en plus entre systèmes régionaux. Assisterait-on à l’heure actuelle à un véritable
agrandissement de la maille territoriale en ce qui concerne les rapports de forces
économiques ?
Cette étude repose principalement sur deux grandes hypothèses de départ pouvant
expliquer ce processus de régionalisation conduit par l’Union européenne. La première est
que le processus de Barcelone s’inscrit dans la régionalisation des rapports de force supposant
la construction de systèmes régionaux autour de puissances dominantes. La recherche de
marchés commerciaux et de débouchés pourrait être une des raisons de la création d’une zone
euro-méditerranéenne. La seconde hypothèse est que dans la zone euro-méditerranéenne, le
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développement apparaît comme un objectif à atteindre, une stratégie pour pacifier ce système
géographique et géopolitique inter-régional entre l’Europe et la rive Sud de la Méditerranée.
La régionalisation devient alors une stratégie de pacification pour éviter le chaos dans le Sud
et l’Est méditerranéen mais également pour assurer la sécurité et la sécurisation de l’Europe.
En essayant d’établir une zone de libre-échange, l’Union européenne veut-elle créer une
nouvelle zone de développement afin de se protéger de ces espaces instables et de leurs flux
migratoires ? Ou bien l’Union européenne va-t-elle décider que la Méditerranée sera sa
frontière au Sud ?
Le partenariat euro-méditerranéen a été le sujet de nombreux ouvrages de sciences
politiques et d’économie. Peu de géographes se sont intéressés à ce nouveau type de
coopération au développement mis en place entre l’Union européenne et les pays
méditerranéens. La géographie est pourtant « une tentative d’interprétation de l’écriture de la
surface de la Terre par les sociétés qui l’occupent » (Retaillé, 1987). Le partenariat
euro-méditerranéen a pour ambition au niveau politique et sécuritaire de définir un « espace
commun de paix et de stabilité » et au niveau économique de construire une « zone de
prospérité partagée » (Déclaration de Barcelone, 1995). Ces désignations ne sont autres que
des interprétations géographiques puisqu’il s’agit bien de description et d’organisation de
l’espace. La question du partenariat euro-méditerranéen prend en compte l’ensemble des
facteurs et des relations qui caractérisent et conditionnent la vie des populations, leurs
activités et leurs conséquences. En effet, le partenariat économique et financier pour la
construction d’une zone de prospérité partagée se concentre sur un certain nombre de
secteurs : industrie, agriculture, énergie, aménagement du territoire, tourisme, environnement,
eau, autant de domaine où l’analyse du géographe a fait ses preuves. Le partenariat politique
ayant pour objectif de définir un espace de paix et de stabilité s’intéressent quant à lui aux
migrations, aux conflits, au terrorisme, aux trafics illicites, des questions où la géographie a
toujours tenu un rôle. Si on part d’un premier postulat : « Le but de la géographie politique est
de déterminer comment les organisations politiques sont ajustées aux conditions
physiographiques et comment ces facteurs affectent les relations internationales » (A-L.
Sanguin, 1977). L’étude du partenariat euro-méditerranéen s’inscrit bien dans une analyse de
géographie politique. En effet, le processus de Barcelone est un processus de relations
internationales devant décider si la Méditerranée devient un espace de coopération ou bien si
elle reste la frontière naturelle du Sud de l’Europe. « La géographie politique apparaît donc
comme l’analyse des conséquences spatiales du processus politique. » (A-L. Sanguin, 1977).
La création d’une région euro-méditerranéenne à travers le partenariat est bien une
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conséquence du processus politique mis en place en 1995 entre les membres de l’Union
européenne et les pays partenaires méditerranéens. Le partenariat euro-méditerranéen est en
lui-même un sujet de géographie politique et de géopolitique. C’est un sujet de géographie
politique puisqu’il s’intéresse aux phénomènes spatiaux engendrés par la mondialisation, la
régionalisation et les flux de toutes sortes. C’est également un sujet de géopolitique puisqu’il
prend en compte la position des acteurs sur l’échiquier international, influencé par les grilles
lectures du Monde mis en place par un certain nombre d’auteurs, essentiellement Mackinder.
Le processus de Barcelone est bien une tentative d’organisation régionale entre un pôle
économique et politique, l’Union européenne et une périphérie les pays de la rive Sud de la
Méditerranée.
L’étude du partenariat euro-méditerranéen est également l’illustration de l’interaction de
plus en plus présente entre la géographie politique et la géographie économique dans le
contexte actuel de mondialisation. L’analyse géographique ne peut exclure les conséquences
économiques sur l’organisation de l’espace (Chrystaller, 1933) et sur les relations entre les
acteurs politiques. L’analyse du partenariat euro-méditerranéen doit prendre en compte les
effets de la mondialisation de l’économie sur la géographie. En effet, l’organisation des
territoires s’inscrit de plus en plus en réseau. Ainsi, l’accent sur certains critères économiques
des territoires doit être mis en exergue par le géographe, tels que l’attrait des investisseurs
étrangers, les délocalisations industrielles et les échanges commerciaux. L'étude du partenariat
euro-méditerranéen fait appel aux théories des localisations sur l’économie spatiale de Von
Thünen, Weber et Christaller, mais également à la théorie des échanges et de l’économie
internationale essentiellement représentée par Ricardo. En géographie économique et en
géographie politique, l’espace devient un enjeu. Dans le partenariat euro-méditerranéen, la
coopération dans certains secteurs fait appel à cette interaction tel que l’énergie, l’eau,
l’environnement, les transports ou le tourisme. L’espace est également un déterminant de
l’économie dans le choix de la localisation, des spécialisations et des coûts de transport. Ces
aspects font également parti des enjeux du partenariat euro-méditerranéen. La géographie
économique et politique sont deux branches de la géographie humaine qui doivent relever le
défi de s’intéresser au concept de la mondialisation, aux inégalités de développement mais
aussi à la définition des risques, des ressources et du développement durable autant de thèmes
illustrés dans l’exemple du partenariat euro-méditerranéen.
En partant des hypothèses précédemment exposées, les principaux aspects de l’étude
proposée reposent sur une démarche déductive. En effet, la démonstration des hypothèses
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avancées dans chacun des chapitres était un des principaux objectifs de ce travail. La
démarche déductive « élabore une construction théorique des processus qu’elle présume
explicatifs du monde réel et elle confronte avec la réalité afin de vérifier la validité » (Bally et
Béguin, 1994). En partant dans un premier temps du principe de la fracture Nord-Sud puis du
concept de mondialisation et de régionalisation, cette étude tente de confronter l’initiative du
partenariat euro-méditerranéen aux réalités actuelles.
Ainsi, cette thèse s’organise en trois grandes parties. La première partie cherche à définir
les principaux concepts théoriques intervenant dans le sujet et mettant en exergue l’innovation
géopolitique que représente le partenariat euro-méditerranéen d’une part en analysant le rôle
de la Méditerranée dans la création du partenariat euro-méditerranéen, en présentant les
différentes innovations de ce partenariat et enfin en exposant les défis majeurs du processus
de Barcelone. La seconde partie étudie la position des différents acteurs du partenariat par
rapport aux enjeux politiques, sécuritaires et économiques. Enfin, la troisième partie repose
sur les cas particuliers (Israël, les Territoires palestiniens, l’Egypte, la Tunisie et la Turquie)
ayant donné lieu à des voyages d’études principalement dans les capitales de ces pays afin de
rencontrer des responsables politiques et économiques.
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