Vincent Morel (PRESIDENT DE LA SFAP): « Le procès

Vincent Morel (PRESIDENT DE LA SFAP): « Le procès Bonnemaison n’est pas le procès de l’euthanasie »
(in L’Humanité de mardi 10 juin)
Tandis que s'ouvre le procès de l'ancien urgentiste de l'hôpital de Bayonne Nicolas Bonnemaison, accusé
d'avoir empoisonné sept patients en fin de vie, le président de la Société française d’accompagnement et de
soins palliatifs plaide pour une meilleure connaissance et une juste application de la loi Leonetti.
Vincent Morel est également médecin à l’équipe mobile de soins palliatifs du CHU de Rennes.
Humanité : Que vous inspire le cas du Dr Bonnemaison ?
Vincent Morel : D’abord de la prudence. Car on n’a pas aujourd’hui tous les éléments pour comprendre ce qui
s’est passé. C’est le procès qui devrait nous les livrer. Certes, le Dr Bonnemaison s’est déjà exprimé, a reconnu
avoir accéléré le décès de plusieurs personnes, de façon intentionnelle. J’en attends la confirmation au procès,
ainsi que des précisions sur les sept cas pour lequel il est poursuivi. Car dans toutes ces affaires, ce sont
souvent les détails qui importent.
Humanité : Son cas divise le monde médical. Certains disent qu’il est allé trop loin. D’autres le soutiennent,
expliquant être confrontés quotidiennement à des décisions similaires à celles qu’a pu prendre le Dr
Bonnemaison…
Vincent Morel : Rappelons les bonnes pratiques. D’abord, le médecin ne doit pas être seul pour prendre des
décisions au moment de la fin de vie d’une personne. La loi Leonetti est très claire : lorsqu’une personne arrive
au terme de sa vie et que l’on doit réfléchir à poursuivre des traitements qui pourraient relever de
l’acharnement thérapeutique ou de l’obstination déraisonnable, le médecin ne doit pas décider seul. Il doit
consulter ses confrères, l’équipe de soin, la famille, la personne de confiance, et bien sûr le malade, s’il en est
capable. L’organisation des services permet toujours cet échange.
Humanité : Aucune des sept familles concernées n’a néanmoins porté plainte contre le Dr Bonnemaison. Une
seule est partie civile, et plusieurs autres le soutiennent. Comment l’analysez-vous ?
Vincent Morel : Je n’ai pas à expliquer ce soutien. Cela regarde chaque famille, chaque cas particulier. Comme
président de la SFAP, je me dois toutefois de rappeler qu’arrêter un traitement pour éviter un acharnement
thérapeutique, ça ne se décide pas seul. Idem pour endormir un malade qui présente un symptôme
insupportable.
Humanité : La fin de vie suscite un vaste débat en France. François Hollande a promis un texte qui irait plus
loin que la loi actuelle. Une loi mal, voire pas appliquée du tout, selon le rapport Sicard, qui évoque une «
culture du tout-curatif » et une « surdité face à la détresse psychique des patients ». Ce sont des accusations
lourdes…
Vincent Morel : La loi est mieux connue qu’il y a quelques années. Du fait notamment des affaires récentes
comme celle du Dr Bonnemaison ou de l’affaire Vincent Lambert. Mais, c’est vrai, si l’on en croit les sondages,
7 Français sur 10 ne la connaissent pas. Une méconnaissance qui est aussi très importante chez les médecins.
Or, quand on demande à ceux qui veulent dépénaliser l’euthanasie les raisons de cette revendication, ils en
avancent deux : la crainte de l’acharnement thérapeutique et la peur de souffrir. Or, ce sont les deux bases de
la loi Leonetti. Aussi, je m’attriste que cette loi ne soit pas assez connue. Car, quand on l’applique
correctement, on arrive à soulager les malades, à lutter contre l’acharnement thérapeutique, sans avoir besoin
de provoquer le décès de la personne. Ces progrès réalisés par les soins palliatifs depuis 10 ou 15 ans, il faut
les poursuivre, les diffuser, faire en sorte qu’ils soient plus accessibles. Il faut aussi soutenir les médecins qui se
retrouvent seuls face à ce type de décision. Si le docteur Bonnemaison s’est retrouvé dans ce cas, c’est peut-
être parce qu’il n’a pas pu être entouré.
Humanité : Son service n’avait d’ailleurs pas vocation à accueillir autant de malades en fin de vie…
Vincent Morel : C’est en effet le quotidien de ces unités « post-urgences », où les patients sont censés rester
entre 24 et 48 heures, pas plus. Mais, même dans ces services, il faut s’organiser pour mettre en œuvre les
bonnes pratiques soignantes, et notamment les soins palliatifs pour soulager les malades. Et dans un très
grand nombre de situation, on arrive à le faire.
Humanité : Que faire néanmoins face aux demandes d’euthanasie active ?
Vincent Morel : Toutes les semaines, je suis confronté à des personnes qui demandent à mourir. Et toutes les
semaines, je fais le constat, patient après patient, que l’on trouve les réponses soignantes à ces demandes. On
peut soulager le malade suffisamment, et accompagner la famille suffisamment, pour que ces demandes
d’euthanasie disparaissent, ou s’atténuent assez pour que le temps qui reste à vivre devienne acceptable.
Provoquer la mort ne soulage pas un malade.
Humanité : Les services de soins palliatifs ont-ils les moyens de mener à bien ces tâches ?
Vincent Morel : La problématique, c’est l’accès à ces soins. D’après le rapport 2013 de l’Observatoire des soins
palliatifs, en France, une personne sur deux (dont l’état le requiert) n’aurait pas accès à des soins palliatifs de
qualité. C’est ça l’enjeu. A l’hôpital, à domicile comme en maison de retraite. Or, ce que je vois au quotidien,
ce sont des personnes âgées qui arrivent à l’hôpital la nuit ou le week-end. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas
d’infirmière dans les maisons de retraites à ces moment- (seules 15% en ont). Donc, on les envoie mourir à
l’hôpital. C’est le fond du problème.
Humanité : Les restrictions budgétaires n’augurent rien de bon en la matière…
Vincent Morel : C’est vrai que le contexte budgétaire n’incite pas à ‘demander plus’. Essayons alors de
‘redistribuer mieux’. Essayons d’être plus solidaires vis-à-vis des personnes en fin de vie, et notamment des
personnes âgées. Réfléchissons sur le coût de l’acharnement thérapeutique. Nous savons que dans certaines
situations, des traitements sont réalisés alors qu’ils sont inutiles. Pas disproportionnés, mais bien inutiles. Un
collègue chirurgien me citait le cas d’une dame qu’il avait opérée, alors que ça n’était pas utile. Coût de
l’opération : 45.000 euros, soit le coût une infirmière pendant un an dans une maison de retraite la nuit.
Humanité : Pourquoi l’opération a-t-elle été réalisée, alors ?
Vincent Morel : C’est ça qui est compliqué. Notre rapport à la médecine va de plus en plus vers le soin, vers les
actes. On nous pousse à toujours utiliser la dernière technologie, laquelle évolue sans cesse. Cette opération
n’aurait d’ailleurs pas été possible il y a dix ans sur une personne âgée. Il faut prendre en compte ce que peut
faire la médecine - des exploits parfois - et la demande des patients. Et parfois, on est conduit à faire des actes
inutiles ou qui relèvent de l’acharnement thérapeutique. C’est pourquoi je plaide pour redistribuer une partie
des moyens de la santé vers les personnes les plus fragiles, les plus vulnérables. Et notamment vers la fin de
vie et les personnes âgées.
Humanité : Que vous inspire le cas Vincent Lambert, qui sera examiné le 20 juin prochain par le Conseil
d’Etat ?
Vincent Morel : C’est complètement différent de l’affaire Bonnemaison, pour laquelle la justice a été saisie
pour des mauvaises pratiques de soins. Dans le cas Vincent Lambert, c’est en effet le Conseil d’Etat qui est
saisi, du fait de la complexité de la situation. Cette affaire illustre selon moi le défaut d’information sur la loi
Leonetti. Ce qui manquait aux médecins, c’était l’avis de Vincent Lambert, qui n’avait pas écrit de directive
anticipée, ni désigné sa personne de confiance. Dans ce cas-, il faut consulter la famille. Mais celle-ci est
totalement déchirée. C’est donc un drame familial qui s’ajoute à un drame humain. Le Conseil d’Etat devra
donc déterminer, avec un certain nombre d’experts, si on a là un acharnement thérapeutique. Comment ? En
vérifiant si Vincent Lambert peut entrer en communication avec son entourage, s’il a une vie d’interactions
possible, et si enfin il peut récupérer de sa condition. Semble-t-il, à ces questions, les experts répondent non. A
cela s’ajoute le fait que Vincent Lambert aurait confié à sa femme son souhait de ne pas vivre dans une
situation de coma végétatif. Le Conseil d’Etat devra dire si cela suffit à qualifier la volonté de Vincent Lambert.
En fait, le Conseil d’Etat va vérifier chaque aspect de la loi Leonetti : Y a-t-il acharnement thérapeutique ? Y a-t-
il expression de la volonté de la personne malade ? Si c’est le cas, la loi dit que le médecin peut suspendre un
traitement jusqu’à abréger la vie. C’est un processus de décision, qui n’a pas été suivi dans l’affaire de Bayonne
: pas de discussion collégiale, pas d’expertise extérieure, pas de consultation de la famille, ou d’une personne
de confiance…
Humanité : Ce qui a pu susciter l’émotion des soutiens du Dr Bonnemaison, ce sont les qualificatifs très
lourds (empoisonnement sur personne vulnérable) pour lesquels il est poursuivi, au fond comme n’importe
quel ‘criminel’…
Vincent Morel : On peut trouver les qualificatifs durs, mais ce sont des termes juridiques. Maintenant,
attendons de voir ce que va dire le docteur Bonnemaison au procès, quelles vont être ses explications, quelles
étaient précisément les circonstances dans lesquelles il a agi, avec peut-être des circonstances atténuantes, en
terme d’organisation, en terme individuel… Ce sera à la cour d’assises de se prononcer. Le procès
Bonnemaison n’est pas le procès de l’euthanasie. Ce sont 7 cas, 7 situations singulières à analyser, au regard
du droit et des bonnes pratiques médicales. Il ne faut pas généraliser à tout prix.
Entretien réalisé par Alexandre Fache
Voir également : http://www.sfap.org/
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