La forme du
accepta plutôt bien dans l’en-
semble la présomption que
la forme de la tête n’était que
très légèrement influencée
par la génétique, et le nom
de Boas resta comme celui
du principal contributeur de
cette idée que la race n’a pas
de fondement biologique.
Le débat vient d’être relancé par
deux équipes d’anthropologues.
Ils ont refait chacun l’analyse de Boas
pour parvenir à des conclusions opposées. Corey
Sparks et Richard Jantz, de l’université du Tennessee, ont
ouvert le feu avec un article publié à la fin 2002, soutenant
la théorie de l’influence génétique exclusive [2, 3]. Clarence
Gravlee et ses collègues, aujourd’hui à l’université de
Floride, ont rétorqué en 2003 avec un article qui défend
la thèse d’un impact environnemental [4].
Débrouiller un méli-mélo statistique
Sparks et Jantz [5] ont utilisé seulement 8 000 des
13 000 échantillons disponibles, alors que l’équipe de
Gravlee a repris l’ensemble des données et les a même
placées sur le Web afin que tout un chacun puisse les
analyser. Quoi qu’il en soit, il existe une divergence fon-
damentale entre leurs travaux. Sparks et Jantz concluent
qu’en appliquant des méthodes statistiques modernes aux
données collectées par Boas on obtient des différences
minimes, et non significatives, entre les têtes des immi-
grants et celles de leurs enfants nés aux États-Unis : le CI
serait donc un caractère fortement héréditaire, et seule la
composante génétique expliquerait les variations.
Au contraire, l’équipe de Gravlee montre à travers divers
exemples qu’il existe des différences statistiquement
significatives entre le CI des immigrants et celui de leurs
enfants lorsqu’on applique le test-t*. Boas aurait donc
raison, contrairement à ce que Sparks et Jantz suggèrent.
Comment sortir de ce méli-mélo statistique ?
Les bornes du CI vont de 65, ratio des dolichocéphales les plus
extrêmes, à 90, celui des plus grands brachycéphales. Je suis
moi-même hyperbrachycéphale avec un CI de 87, déterminé
durant trois décennies par un grand nombre d’étudiants.
Quand on regarde les tableaux établis par Boas entre 1910
et 1911, il est évident que les différences entre les immigrants
et leurs enfants ne sont que de 1 point ou 2. Si l’on considère
un échantillon très important, alors une différence statistique-
ment significative peut être trouvée en utilisant le test-t. Mais
même avec les travaux réalisés
par Gravlee, les différences
vont rarement au-delà de
2 points.
En fait, durant les quel-
que trente années pen-
dant lesquelles ma tête
a été mesurée par mes
étudiants, mon CI a varié
entre 84 et 90. Ce qui reflète
un fait tout simple : certaines
erreurs se glissent toujours dans les
mesures du corps, que ce soit de la taille ou
du CI. Pourquoi ? Pour mesurer la longueur de la tête,
on prend comme repère la glabelle (sise entre les yeux au
niveau des sourcils) et le point situé le plus loin possible
derrière la tête.
De même, la largeur se mesure par la distance entre
les deux points les plus éloignés sur cette dimension,
les euryons. Ces repères ne correspondent pas à des
points anatomiques précis mais servent uniquement à
mesurer les distances maximales. J’ai donc souvent dû
dire à mes étudiants : « Non, pas ici, plus bas » ou « Non,
appuyez plus fort » ; ou l’inverse : « Vous appuyez trop,
allez-y plus doucement. » D’ordinaire, les têtes ont des
cheveux, notamment à l’arrière et sur les côtés : si ce fait
indubitable se combine à une approche timorée de celui
qui mesure la tête du sujet observé, cela entraîne forcé-
ment quelques erreurs de mesure. Les travaux de Boas
ont-ils tenu compte de ces erreurs possibles ? Combien
de personnes différentes ont-elles effectué les relevés ? La
technique employée était-elle absolument identique pour
tous les sujets observés ? Tous ces cobayes ont-ils coopéré
pleinement lorsqu’on les a soumis à un tel traitement ? On
ne le saura jamais, évidemment.
Finalement, que penser de la controverse ? Le CI semble
avoir une forte composante génétique, tout en étant
légèrement influencé par l’environnement (le régime
alimentaire, la santé, peut-être le climat). Ces influen-
ces externes ne parviendront jamais à transformer des
têtes longues en têtes larges, pas plus que l’inverse. On
pourrait conclure que les tenants de chaque théorie ont
raison. Cependant, les changements que Boas a notés, et
que Gravlee a retrouvés, existent bel et bien, mais ils sont
minimes. Il est donc temps de tordre le coup à l’idée que
la forme de la tête puisse être entièrement modelée par
l’environnement !
R.L. H.
* Le test-t permet
de vérifier si les valeurs
moyennes de deux
séries de données
sont statistiquement
différentes l’une
de l’autre.
Nº 377 | JUILLET-AOÛT 2004 | LA RECHERCHE 59
POUR EN SAVOIR PLUS
F. Boas, Changes
in Bodily Form
of Descendents
of Immigrants, Columbia
University Press, 1912.
S.J. Gould,
La Mal-mesure
de l’homme,
Odile Jacob, 1999.
casse-tête…
crâne,un vrai