En vs en plein : une manifestation de l’aspect grammatical dans le domaine nominal Pauline Haas STL - UMR 8163 Les verbes connaissent un aspect lexical et un aspect grammatical. En français, l’aspect grammatical est principalement porté par les temps verbaux et permet d’envisager une situation comme un tout ou au contraire dans son déroulement (en termes guillaumiens il s’agit de l’opposition « global / sécant »1, dans les études slaves, il s’agit de l’opposition « perfectif / imperfectif »). Les noms, dépourvus de conjugaison, ne sont a priori pas concernés par ce type d’aspect2. Comme les verbes, certains noms, en particulier les nominalisations employées prédicativement, peuvent être porteurs de propriétés aspectuelles. Différentes études se sont penchées sur l’aspect lexical des noms qui peut être décrit par des faisceaux de traits sémantico-aspectuels [± dynamique], [± duratif], [± borné], cf. Van de Velde (1995), G. Gross (1996), Kiefer (1998), Huyghe & Marín (2008), Haas (2009), Heyd & Knittel (2009), entre autres. Outre cet aspect lexical, je souhaite montrer que les nominalisations peuvent être affectées par une forme d’aspect grammatical. Je propose d’étudier les deux structures être en N et être en plein N lorsque N dénote une situation dynamique afin de mettre en évidence qu’au delà des restrictions de sélection différentes que ces deux structures imposent à leur argument nominal, elles modifient également l’angle sous lequel la situation est présentée : (1) (2) Pierre est en (promenade / répétition) Pierre est en pleine (promenade / répétition) Entre (1) et (2), la différence de sens semble ténue. Pourtant, plusieurs faits linguistiques suggèrent qu’avec en la situation est présentée de manière globale alors qu’avec en plein la situation est présentée de manière sécante : (3) (4) a. * L’averse a surpris Pierre en promenade b. * Pierre a été interrompu en répétition a. L’averse a surpris Pierre en pleine promenade b. Pierre a été interrompu en pleine répétition Alors qu’avec en il n’est pas possible de sélectionner un point du temps à l’intérieur de l’intervalle temporel de référence de l’action, l’ajout de plein rend cette opération possible. 1 Cf. Guillaume (1929/[1984]). Ferret, Soare & Villoing (2009) ont néanmoins montré que certains suffixes expriment l’opposition grammaticale perfectif / imperfectif. Elles proposent d’analyser le suffixe –age comme un suffixe donnant une vision imperfective de la situation et le suffixe –ée comme un suffixe donnant une vision perfective de la situation. 2 Cela montre que en présente l’action comme une étendue sans structure interne (d’où l’étrangeté des énoncés en (3)), alors que l’ajout de plein permet d’appréhender l’action dans son déroulement et par conséquent d’isoler un point dans celui-ci (cf.(4)). La différence de visée impliquée par l’emploi de en seul (aspect global) vs en plein (aspect sécant) a pour conséquence divers effets de sens. Je montrerai (i) que ces effets de sens variés s’expliquent tous à la lumière de l’opposition grammaticale global / sécant, (ii) que l’opposition global / sécant se double d’une opposition statif-dynamique / dynamique. Références citées Ferret, K., Soare, E. & Villoing, F. (2009). Rivalry between French –age and –ée: the role of grammatical aspect in nominalization, Seventeenth Amsterdam Colloquium, Amsterdam, 1618 dec 2009. Gross, G. (1996). Prédicats nominaux et compatibilité aspectuelle, Langages 121 : 54-72. Guillaume, G. (1929/[1984]). Temps et verbe, théorie des aspects, des modes et des temps, Paris : Editions Champion. Haas, P. (2009). Comment l’aspect vient aux noms. Les propriétés aspectuelles des noms à l’épreuve des restrictions de sélection imposées par certaines prépositions, thèse de doctorat, Université de Lille 3. Heyd, S. & Knittel, M.-L. (2009). Les noms d'activité parmi les noms abstraits : Propriétés aspectuelles, distributionnelles et interprétatives, Lingvisticae Investigationes 32 : 124-148. Huyghe, R. & Marín, R. (2008). L’héritage aspectuel des noms déverbaux en français et en espagnol, Faits de Langues 30 : 265-273. Kiefer, F. (1998). Les substantifs déverbaux événementiels, Langages 131 : 56-63. Levrier, F. (1995). Les phrases de structure N0 être en X : problèmes de nominalisation et variantes aspectuelles, Cahiers de Grammaire 20 : 65-86. Van de Velde, D. (1995). Le spectre nominal : des noms de matières aux noms d’abstractions, Louvain-Paris : Peeters. 2