Introduction
1 Pourquoi faire une étude sur Altiero Spinelli?
Le nom d'Altiero Spinelli figure dans tous les livres qui traitent des pères de l’Europe. N’importe quel
étudiant de la construction européenne peut trouver facilement une brève biographie et une description
succincte de son combat pour la construction d’une Europe fédérale. Mais seul l’étudiant qui possède des
connaissances de la langue italienne peut aller au-delà et avoir quelques informations plus détaillées sur sa
personne et sur les raisons les plus profondes qui l’ont porté à soutenir le fédéralisme européen. Car
malheureusement, la majorité des écrits d’Altiero Spinelli n’a pas été traduite. Et le peu d’ouvrages qui
l’ont été sont souvent très utiles pour appréhender son combat politique fédéraliste, mais moins pour
comprendre les raisons qui peuvent expliquer ce combat et les idées qui le sous-tendent.
Ce qui est proposé dans ce mémoire, c'est donc de donner la possibilité à un public francophone de se
faire une opinion plus complète sur ce grand activiste et avocat de la nécessité d’une Europe unie; et,
pourquoi pas, d’encourager quelqu’un à traduire certaines de ses œuvres les plus significatives.
Cet exercice devient encore plus intéressant quand on découvre - à travers son autobiographie, ses carnets,
ses lettres et ses notes écrites pendant la période d’incarcération et de confino sous le régime fasciste - que
derrière ce politicien se cachait un véritable homme de réflexion. Un homme qui n’hésitait pas à se
remettre en question. Le doute, l’absence de préjugé intellectuel, l’analyse incessante de ses croyances, à
laquelle il avait été amené par son ami Eugenio Colorni1, faisaient partie de son quotidien, surtout pendant
les années d’incarcération et de confino sous les fascistes. Années de ségrégation qui ont été, comme on
aura l’occasion de le mettre en lumière, et comme Spinelli lui-même l’affirme, providentielles pour son
âme2.
La période d’incarcération a été un moment de mûrissement pour Spinelli. Pendant ces années, il apprend
à mieux se connaître et il réfléchit sur sa vocation en politique, jusqu’à arriver à prendre ses distances par
rapport à ses positions d’avant son arrestation.
Au fur et à mesure que j’approfondissais et que j’avançais dans mes recherches, je me rendais donc de plus
en plus compte que les réflexions de Spinelli sur l’homme, le monde et le pouvoir, menées durant toute
son existence, mais en particulier pendant son incarcération, étaient quelque chose d'essentiel pour
comprendre dans sa profondeur la transformation personnelle et politique de ce père de l’Europe. Sans
avoir la possibilité de s’y confronter directement, il est en effet impossible de comprendre pourquoi
Spinelli se trouve avant la guerre du côté des communistes pour l’édification d’une Europe communiste,
tandis qu’après la guerre on le trouvera du côté de la social-démocratie pour la construction d’un Etat
fédéral européen démocratique. Le changement est grand, mais des documents en français qui
l’expliquent, il y en a peu ou presque pas.
Si l’on n’a donc pas la possibilité de saisir les raisons de cette transformation, non seulement une
dimension profonde de sa personne nous échappe, mais on ne peut pas comprendre non plus l’essence de
la pensée politique de Spinelli.
2 Sources auxquelles je me réfère
L’œuvre de Spinelli n’est pas divisée entre la catégorie «personnelle» et la catégorie «politique» - c’est-à-dire
entre livres qui traiteraient uniquement de son vécu personnel et des réflexions que ce vécu l’amène à
faire, et ouvrages qui traiteraient uniquement de son action politique et du combat pour construire un Etat
fédéral européen. Au contraire, les réflexions plus philosophico-existentielles se trouvent précisément à
l’intérieur des livres de combat politique. Le seul ouvrage qui fait en partie exception est son
1 Eugenio Colorni était un philosophe et antifasciste italien, d’origine juive. Il avait été relégué avec sa famille sur
l’île de Ventotene, suite à sa lutte contre le pouvoir fasciste. Il fut tué, quelques jours avant la libération de
Rome, par les forces fascistes.
2 Altiero SPINELLI, Come ho tentato di diventare saggio, Bologna, Società editrice il Mulino, 3e édition, 1999, p. 342.