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e néolibéralisme est une expression en vogue. Comme le keynésianisme, auquel il
s'oppose, ou le libéralisme, dont il constitue une forme contemporaine, la réalité
qu'il recouvre est complexe et diverse. Le contenu varie pour les uns et les autres.
Il en est toujours ainsi dans le domaine des idées sociales, où les mots ont aussi une charge
polémique. Les termes de néolibéralisme et de keynésianisme sont ainsi largement utilisés
sans que leur contenu ne soit toujours très précis et clairement défini. Ce sont d'ailleurs
souvent les adversaires des idées auxquelles renvoient ces expressions qui les utilisent le plus
fréquemment. Il est rare, par exemple, que ceux qu'on appelle les néolibéraux se définissent
comme tels. Les keynésiens revendiquent plus volontiers leur appellation. Mais elle n'est pas
d'origine contrôlée. Les keynésianismes sont multiples et diversifiés.
Nous avons décrit ailleurs le néolibéralisme comme une résurgence du libéralisme
classique, libéralisme combattu par Keynes, et auquel ce dernier a substitué une forme
d'interventionnisme, qui a dominé les trente années de l'après-guerre1. C'est là un raccourci
un peu simplificateur et qui peut donc être trompeur, comme tous les raccourcis du genre.
Libéralisme et interventionnisme ne sont pas nécessairement incompatibles. Le keynésianisme
et le néolibéralisme peuvent ainsi être considérés comme deux formes de libéralisme,
renvoyant à des traditions libérales différentes. Parmi les penseurs libéraux «classiques»2
auxquels Keynes s'opposait, plusieurs étaient en réalité plus proches de lui – et d'une
tradition qu'on pourrait qualifier de libérale modérée – qu'il ne le croyait lui-même, pressé
qu'il était de se distancer de ses prédécesseurs. Ainsi, non seulement Marshall et Mill, mais
1 Beaud et Dostaler (1993), chapitre 7. Voir aussi Dostaler (1996b) et (1996c). Le présent
texte développe en les modifiant et en les nuançant des idées avancées dans ces publications.
2 «La dénomination d'“économiste classique” a été inventée par Marx pour désigner Ricardo,
James Mill et leurs prédécesseurs, c'est-à-dire les auteurs de la théorie dont l'économie
ricardienne a été le point culminant. Au risque d'un solécisme, nous nous sommes accoutumé
à ranger dans l'“école classique” les successeurs de Ricardo, c'est-à-dire les économistes qui
ont adopté et amélioré sa théorie y compris notamment Stuart Mill, Marshall, Edgeworth et le
Professeur Pigou.» (Keynes [1936] 1982: 29) Depuis Harrod et Hicks, en 1936, jusqu'à ce
jour, plusieurs auteurs ont attiré l'attention sur le fait que l'«économiste classique» est une
construction fictive de Keynes, et que l'économie dite «classique» est un ensemble complexe
d'auteurs très diversifiés.