les bracelets connectés s`invitent dans l`entreprise

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analyse techno
UNE NOUVELLE FORME D’«INCENTIVE»
LES BRACELETS CONNECTÉS
S’INVITENT DANS L’ENTREPRISE
Les employeurs sont de plus en plus nombreux à équiper leurs collaborateurs de bracelets
connectés, qui mesurent leur activité quotidienne. Objectif: motiver les travailleurs à améliorer
leur condition physique et leur bien-être. Une pratique qui suscite certaines craintes en matière
de respect de la vie privée. GILLES QUOISTIAUX
C
48 8 DÉCEMBRE 2016 WWW.TRENDS.BE
Pulse, une filiale du groupe de Richard
Branson, à laquelle l’entreprise pharmaceutique a fait appel. Vu l’engouement
suscité par ce programme, GSK songe
à l’étendre à l’ensemble de ses sites, répartis dans 36 pays à travers le monde.
Esprit d’équipe
L’exemple de GSK est loin d’être unique.
De plus en plus d’organisations font appel
à ce type d’outil de «monitoring» pour
inciter leur personnel à faire de l’exercice physique. Chez Energy Lab, société
présente aux Pays-Bas et en Belgique,
on développe précisément ce genre d’incentive sportif pour les entreprises.
« Les gens utilisent déjà les wearables
dans leur vie quotidienne. Nous aidons
les sociétés à étendre cette pratique dans
le cadre professionnel», explique Jeroen
Plasman, responsable du programme
Energy@Work chez Energy Lab.
La société fournit les appareils et la
plateforme à ses clients. Pour l’instant,
PG
hez GSK, le compteur de pas
s’affole. Depuis près de 100 jours,
les employés de l’entreprise
pharmaceutique sont engagés
dans une compétition un peu
particulière: le Global Corporate Challenge. Répartis en équipes de
sept personnes, leur objectif est d’accumuler le plus de kilomètres possibles.
Et tous les moyens sont bons. «Les cages
d’escaliers sont très fréquentées. Je vois
aussi beaucoup de travailleurs qui se promènent autour du site pendant les heures
de pause », observe Antoon Loomans,
general counsel et responsable du business development chez GSK.
Ce challenge en équipes fait partie du
programme Move, développé en interne
par le spécialiste du vaccin. Le succès est
au rendez-vous, puisque 2.800 employés
de GSK y participent, ce qui représente
près d’un tiers du personnel basé en
Belgique. «L’objectif est de renforcer le
bien-être des travailleurs, de leur permettre de mieux comprendre leur état de
santé et de les inciter à faire de l’exercice
physique. Cela cadre parfaitement avec
notre mission vis-à-vis de nos patients
comme de nos employés: nous voulons
contribuer à ce qu’ils se sentent mieux et
qu’ils vivent plus longtemps», explique
Antoon Loomans.
Pour mesurer leurs performances, les
membres des 400 équipes sont équipés
de wearables. Soit il s’agit de l’appareil
personnel de l’employé: Apple Watch,
montre Garmin, bracelet Fitbit, etc. Soit
l’employeur lui fournit un «Pulse». Cet
appareil a été développé par la société
organisatrice de ces «challenges», Virgin
LE PROGRAMME CONCOCTÉ
PAR ENERGY LAB POUR DELTA LLOYD
Si les participants atteignent ensemble
l’objectif établi en termes de nombre de pas,
tous les travailleurs accèdent à un bonus
collectif.
il s’agit exclusivement de produits
Garmin. Mais dès 2017, Energy Lab proposera une solution compatible avec différentes marques, comme Fitbit, et différentes applications sportives, comme
Runkeeper. «En permettant une utilisation du programme via des applications
gratuites, nous réduirons le ticket d’entrée pour nos clients, sachant qu’un produit Garmin coûte au bas mot 50 euros»,
poursuit Jeroen Plasman.
Energy Lab a déjà convaincu une belle
brochette d’entreprises en Belgique: ING,
Accenture, Delta Lloyd, Adecco, Deloitte,
etc. La motivation principale des employeurs est de mettre sur pied un projet mobilisateur, permettant de renforcer l’esprit d’équipe au sein de la société.
Pour y parvenir, Energy Lab mise sur la
gamification, c’est-à-dire la mise en avant
d’un aspect ludique, par exemple via une
mini-compétition entre les membres du
personnel. «Pour créer de l’engagement,
il faut que le challenge soit fun», indique
Jeroen Plasman. Chez le consultant
BDO par exemple, les employés ont été
invités à se mesurer à leur CEO, qui publiait son compteur d’activité physique.
Chez DEME, la société internationale
de dragage, les travailleurs se sont challengés dans le monde entier, ce qui a créé
une émulation permettant de passer de
5.000 à 9.000 pas par jour en moyenne
par personne (sachant que l’objectif le
plus fréquemment mis en avant est fixé
à 10.000 pas).
Bonus collectif
Au-delà de l’aspect ludique, certaines
sociétés ajoutent des incitants pour les
LE PROGRAMME MOVE DE GSK
Le succès est au rendez-vous:
2.800 employés participent,
soit près d’un tiers du personnel
basé en Belgique.
champions de l’activité physique: bons
d’achat pour des box repas Hello Fresh,
massages des pieds, workshop pour des
conseils santé, etc. Chez l’assureur Delta
Lloyd, on est allé un cran plus loin. Si les
participants atteignent ensemble l’objectif établi en termes de nombre de pas,
tous les travailleurs accèdent à un bonus
collectif. «Ce n’est pas lié à la performance
individuelle. Personne n’est obligé de participer, tout se fait sur une base volontaire. Mais le résultat profite à tout le
monde», explique Siviglia Berto, events
and sponsoring expert chez Delta Lloyd.
Dans l’entreprise, une centaine de personnes (sur 450 environ) sont équipées
d’un bracelet connecté et participent quotidiennement à ce programme.
La collecte de données sportives ou
d’activité physique via des wearables fait
toujours partie d’une action plus large
visant à améliorer le bien-être au travail
via la pratique du sport. Pour éviter que
l’objectif de pas ne semble inatteignable
au travailleur, l’entreprise doit aussi proposer des possibilités concrètes de faire
de l’exercice pendant la journée de travail. Quand on a un travail de bureau assez
statique, comme c’est souvent le cas dans
les sociétés de services, le compteur de
pas risque fort de rester bloqué. «Nous
ne forçons pas les gens à bouger. Mais
nous mettons à leur disposition une infrastructure qui leur permet de le faire, sou-
ligne Siviglia Berto (Delta Lloyd). Nous
avons réalisé cette année plus de 500 tests
permettant aux collaborateurs et aux courtiers faisant partie de notre réseau de vente
d’évaluer leur condition physique. Nous
proposons des cours de pilates, de natation, de course à pied et de spinning. Nous
motivons aussi le personnel à participer
à des événements comme les 10 miles
d’Anvers. Toutes ces actions créent un
état d’esprit positif au sein des équipes.»
Des données très personnelles
Les objectifs en termes de bien-être et de
motivation du personnel peuvent facilement être partagés et acceptés par les collaborateurs. En témoignent les propor-
pas un risque qu’un jour ou l’autre, les
travailleurs les moins en forme soient
sanctionnés d’une façon ou d’une autre?
Les entreprises, de leur côté, se défendent de poursuivre un quelconque objectif « caché » derrière ces programmes.
Toutes les sociétés contactées dans le
cadre de ce dossier nous ont affirmé
qu’elles n’étaient pas intéressées par les
données privées de leur personnel. «Nous
ne collectons pas les données de manière
individuelle. Tous les trois mois, nous
extrayons simplement le chiffre global
du nombre de kilomètres parcourus par
l’ensemble des participants», explique
Siviglia Berto.
Que ce soient les entreprises ellesmêmes ou les intermédiaires comme
Energy Lab, tous indiquent collecter des
données globalisées et anonymisées. Reste
que dans certains cas, les données se font
plus précises, notamment quand il s’agit
d’un challenge par équipes comme chez
GSK. Même si le chiffre individuel n’est
pas connu, l’idée même de l’action est de
créer une petite compétition, qui débouche forcément sur un classement.
Pour rester dans les clous légaux,
les entreprises doivent informer correctement leurs travailleurs sur les objectifs
et les contours de l’action. «Lorsqu’il traite
avec des données qui peuvent être considérées comme liées à la santé du travailleur, l’employeur doit s’assurer qu’il
obtient le consentement éclairé de son
collaborateur. Sachant que ce consentement peut être retiré à tout moment»,
pointe Thierry Vierin, associé spécialisé
en droit du travail chez Osborne Clarke.
L’avocat conseille aux entreprises de préparer un document à faire signer par le
Au-delà de l’aspect ludique, certaines entreprises
ajoutent des incitants: bons d’achat pour des box
Hello Fresh, conseils santé, massages, etc.
tions plutôt significatives d’employés qui
participent à ces programmes. Cela n’empêche pas que ceux-ci soulèvent des questions importantes en matière de respect
de la vie privée. Si mon employeur collecte toutes ces données personnelles
concernant mon état de forme et mon
activité physique, cela ne va-t-il pas un
jour se retourner contre moi? N’y a-t-il
travailleur, qui lui indique précisément
quelles données sont collectées, comment
elles seront traitées, à quelles fins, et qui
pourra y avoir accès. Cela permettra de
dissiper les craintes légitimes que peuvent avoir les travailleurs vis-à-vis de ce
genre d’outil, qui ne pourra en aucun cas
être imposé à ses collaborateurs, mais proposé sur une base volontaire.
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WWW.TRENDS.BE 8 DÉCEMBRE 2016 49
analyse techno
PG
LES «WEARABLES» DE WITHINGS
Ils ont été déployés chez Pfizer en Belgique
dans le cadre de la politique de bien-être au travail,
de gestion du stress et de lutte contre le burn-out.
Le phénomène des wearables risque bien
de se propager dans les entreprises. De
plus en plus d’applications voient en effet
le jour. Au-delà du simple décompte des
pas, certains capteurs permettent de
mesurer la qualité du sommeil de leur utilisateur. C’est le cas notamment des bracelets développés par Withings, une
société française récemment rachetée par
Nokia. Outre le comptage des pas, ces
wearables sont capables de mesurer la
durée de votre sommeil, de détecter les
«micro-réveils» et de distinguer les phases
de sommeil profond et léger. Ils ont
notamment été déployés chez Pfizer en
Belgique, dans le cadre de la politique de
bien-être au travail, de gestion du stress
et de lutte contre le burn-out développée
par l’entreprise. «C’est une façon innovante de motiver les gens à prendre soin
d’eux en faisant de l’exercice physique et
en veillant à la qualité de leur sommeil»,
détaille Kevin Raymakers, responsable
du digital chez Pfizer. A Bruxelles, une
soixantaine de personnes (sur 150) participent à ce programme au sein de l’entreprise pharmaceutique.
Mais Pfizer veut aller plus loin. L’entreprise a mis sur pied un programme de
monitoring à destination des patients
atteints de douleur chronique, qui est en
test dans certains pays et sera déployé en
Belgique en 2017. L’objet connecté est utilisé par le malade pour jauger son degré
de douleur, afin de permettre au médecin d’évaluer plus précisément l’état de
son patient. Pfizer teste également des
applications concernant la prévention de
l’arythmie cardiaque. Les données d’un
cardio-fréquencemètre peuvent en effet
être envoyées en direct depuis le patient
50 8 DÉCEMBRE 2016 WWW.TRENDS.BE
vers le médecin. «On peut imaginer différents systèmes d’alerte si les données
cardiaques sont inquiétantes, poursuit
Kevin Raymakers. C’est le futur. Cela
pourrait sauver des vies.»
La société Withings est également
engagée dans ce nouveau champ d’exploration. Elle travaille aux Etats-Unis avec
Bank of America, qui a équipé des milliers d’employés avec des tensiomètres.
Les collaborateurs qui se voient détecter de l’hypertension bénéficient d’un
coaching particulier afin de tenter d’agir
sur les facteurs (stress, alimentation, etc.)
qui ont conduit à ces symptômes. Ce système est évidemment aussi tout bénéfice
pour l’employeur américain, puisqu’il
pourrait réduire la facture de la (très
PG
Détecteur de sommeil
THIERRY VIERIN, ASSOCIÉ
SPÉCIALISÉ EN DROIT DU TRAVAIL
CHEZ OSBORNE CLARKE
«Lorsqu’il traite avec des données
qui peuvent être considérées
comme liées à la santé du travailleur,
l’employeur doit s’assurer
qu’il obtient le consentement éclairé
de son collaborateur.»
chère) couverture santé qu’il contracte
pour ses collaborateurs.
Nouvelles applications
pour les assureurs
Ce type d’outil pourrait-il conduire des
compagnies d’assurances à équiper leurs
clients de wearables afin de monitorer leurs
paramètres de santé… et de faire évoluer
leur prime d’assurance en fonction de la
qualité de leur hygiène de vie? On n’en est
pas là. Mais cela n’empêche pas les assureurs de tester de nouvelles formes de relations avec leurs assurés. En France, Axa
a fait un test grandeur nature avec 1.000
clients volontaires équipés d’un bracelet
connecté: s’ils atteignaient 10.000 pas par
jour, ils recevaient certains avantages,
comme des chèques-cadeaux. Ce projet
pilote n’est pas à l’ordre du jour en
Belgique, nous a-t-on assuré chez Axa.
Par contre, l’assureur propose, dans le cadre
d’un contrat d’assistance, un système de
«coaching santé» basé sur des données
issues d’un wearable ou d’une application.
Le but est de donner des conseils à l’assuré
pour l’aider à mener une vie plus «saine».
Les données contenues dans nos bracelets connectés donnent décidément pas
mal d’idées aux entreprises soucieuses
de notre bien-être. z
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