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Météo
LE MAGAZINE NUMÉRO 07 - SEPTEMBRE 09
Nourrir la planète, vaste et noble programme auquel prennent part les services météorologiques
du monde entier. Ils y contribuent même plutôt deux fois qu’une : par la prévision
du temps qu’il va faire dans les heures ou les jours à venir, indispensable à la planification
des travaux des champs, par les études sur la climatologie du lieu pour aider l’agriculteur
à choisir la variété de plante la mieux appropriée… Sans oublier qu’un changement
climatique est en cours, que précipitations, températures, fréquences des tempêtes et autres
événements extrêmes sont appelés à changer d’ici 50 ans, ce qui a des conséquences
dès aujourd’hui sur les choix des plantes à croissance lente, les arbres notamment.
Mais nourrir la planète sans nuire à l’environnement passe nécessairement par une utilisation
optimale des traitements phytosanitaires. Il faut traiter quand il le faut, où il le faut et pas plus.
Or, ce que l’on sait moins, c’est que chaque produit a sa propre « fenêtre météo » d’utilisation.
D’où cette nécessité pour l’agriculture d’une météo de précision, « à la parcelle ». C’est ce que nous
expliquent, dans ce numéro de septembre de Météo-Le magazine, les spécialistes de Météo-France,
de l’INRA, d’Arvalis-Institut du végétal…
Et comme septembre, c’est le mois des vendanges et que Météo-France compte parmi ses clients
les producteurs des vins les plus prestigieux de France, nous avons complété ce dossier
d’agrométéorologie par un reportage à Château d’Yquem. Aux dires du viticulteur, plus que tout
autre vin, les sauternes sont façonnés par les conditions météorologiques de l’année, de la première
pousse de la vigne jusqu’à la dernière cueillette du raisin qui peut avoir lieu très tard en automne.
Mais septembre est aussi le mois de la rentrée. Or, en matière d’éducation, l’année 2009-2010
verra une trentaine de collèges et lycées s’équiper de stations météorologiques automatiques.
De quoi donner envie aux élèves de s’initier à la physique de l’atmosphère, à la technologie
des instruments, à l’informatique, aux subtilités du calcul des moyennes et écarts types, et même,
on le verra dans l’article, au français et aux arts plastiques.
Bonne lecture.
La rédaction
- 4 - Météo - Le magazine - N°7
Météo - Le magazine - N°7 - 5 -
DE L’IMPACT DU CLIMAT
sur l’activité agricole
Interview d’Emmanuel Cloppet, responsable du service
d’agrométéorologie de Météo-France, à Toulouse.
Propos recueillis par Véronique Petit
Nourrir la population mondiale croissante nécessite de
gérer au mieux la ressource, tant en eau qu’en possibilité de production des terres agricoles. Pour répondre
à cette demande tout en ménageant l’environnement,
l’information météo est primordiale.
Il n’y a pas d’activité économique qui soit
plus dépendante du climat que l’agriculture,
Emmanuel Cloppet en sait quelque chose
puisqu’il s’occupe à Météo-France, avec une
équipe de cinq ingénieurs et techniciens,
de tout ce qui touche de près ou de loin à ce
secteur d’activité.
Sa première mission consiste à tenir les
données climatiques utiles à la disposition
de tous les acteurs du monde agricole : en
premier lieu les exploitants, l’Institut national
de la recherche agricole (INRA) et les instituts
techniques (Arvalis, Institut de la vigne et du
vin…), le ministère de l’Agriculture, mais aussi
les semenciers, les organismes de collecte,
les assureurs, les firmes phytosanitaires… tous
ceux qui, en amont et en aval, gravitent autour
de la fonction agricole et ont des besoins différents en termes d’information météo.
« Nous travaillons soit en tant que fournisseur de données et produits, soit sous forme
de collaboration étroite avec d’autres instituts
pour développer des services élaborés. Nous
apportons les données météo mais les modèles de culture et de maladies sont développés
par d’autres institutions. Il arrive aussi que
pas de produits phytosanitaires si le vent est
trop fort (la réglementation dans ce domaine
est très stricte) ou si des précipitations sont
prévues (la pluie « lessive » le traitement qui
est alors perdu, avec le coût économique que
cela implique). « Chaque produit a sa propre
fenêtre météo d’application : on précise quelle
est la plage de température mais aussi l’humidité de l’air requise pour que l’efficacité des
molécules actives soit optimale. »
Ensuite, le monde agricole a besoin de « caractériser le climat », c’est-à-dire connaître,
grâce à un historique de plusieurs années,
le climat spécifique d’une zone. En général,
la production en un lieu donné est adaptée
au climat que l’on y rencontre et le choix des
produits agricoles et des variétés se fera en
fonction des caractéristiques de la dite zone.
« En agronomie, on considère qu’un risque
acceptable correspond à la satisfaction des
besoins des cultures quatre années sur cinq
en moyenne. »
Pour déterminer le bilan hydrique d’une parcelle ou les sommes de températures d’une
zone donnée (voir encadré), l’agrométéorologue va donc mobiliser des outils statistiques,
« En agronomie, on considère qu’un
risque acceptable correspond à la
satisfaction des besoins des cultures
quatre années sur cinq en moyenne. »
nous mettions à disposition nos moyens de
calcul. C’est le cas notamment avec l’INRA
pour ses recherches sur l’évolution des cultures et des forêts en liaison avec les différents
scénarios d’évolution du climat », explique-t-il.
1
- 10 - Météo - Le magazine - N°7
Les leçons du ciel
En effet, l’information météo est l’élément
de base qui permet à l’exploitant de planifier
son activité en fonction des aléas climatiques
(température, pluie, vent). Elle a d’abord
une dimension stratégique et de planification à court terme. L’agriculteur a besoin de
prévisions immédiates à quelques heures
– par exemple pour stopper un travail dans les
champs à l’arrivée de l’orage – et de prévision
à courte échéance (3-4 jours). Il n’épandra
l’enjeu étant d’apporter les données météo les
plus fines possible d’un point de vue spatial.
« Les outils et les produits progressent. Nous
pourrons bientôt personnaliser les données
météo pour chaque exploitation » avance
Emmanuel Cloppet.
Alors qu’on parle beaucoup, aujourd’hui, de
la gestion de la ressource en eau dans une
démarche d’agriculture raisonnée, respectueuse de l’environnement, un certain nombre
d’outils et de services est mis à la disposition
de l’irriguant pour apporter exactement la
quantité d’eau nécessaire pour ses cultures :
ni trop, pour ne pas gaspiller la ressource, ni
trop peu, pour ne pas faire souffrir la plante
d’un stress hydrique qui compromettrait sa
croissance et altérerait sa production.
Un peu de
technique
Certains paramètres météo sont
spécifiques à l’agriculture.
Unité de temps
En agrométéorologie, les données d’insolation, de
température, de précipitation… sont généralement
moyennées sur 10 jours, une période qui correspond bien au rythme de développement du monde
végétal.
Sommes de températures
La somme de températures consiste à cumuler
chaque jour l’écart entre la température moyenne
du jour et un certain seuil, variable selon les cultures. Ce paramètre représente l’accumulation de
chaleur disponible pour la plante pendant la saison
agricole ; il est directement corrélé avec son développement. Pour telle variété de blé ou de maïs, on
sait combien de degrés-jours il faut accumuler dans
l’année pour arriver à maturité. Grâce au suivi quotidien des sommes de températures, on est capable
de prévoir si les récoltes seront en avance ou en
retard, et de combien de jours. On peut aussi, pour
une date de récolte donnée, choisir une variété qui
arrivera à maturité à temps, en fonction des degrésjours que le climat de la région autorise.
Bilan hydrique
Le bilan en eau (bilan hydrique) d’une parcelle
agricole permet une estimation fiable des besoins
en eau des cultures en période sèche et donc le
pilotage de l’irrigation. Le calcul prend en compte à
la fois l’eau qui entre (précipitations ou apports en
irrigation) et l’eau qui sort du système (ce qui est
transpiré par les cultures, ce qui ruisselle et ce qui
est drainé). La partie transpirée par les cultures est
estimée par un calcul d’évapotranspiration potentielle (ETP) qui prend en compte la température et
l’humidité de l’air, la force du vent, et le rayonnement
global. Défini pour un couvert végétal de référence (gazon), ce paramètre peut être utilisé pour
toutes les productions végétales grâce à la prise en
compte de coefficients culturaux.
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2
NOURIR LA
PLANÈTE
Les agriculteurs de la planète produisent en moyenne 4 600 kilocalories par habitant et par jour.
Sur ces 4 600 kcal, 600 sont perdues à l’exploitation
(surtout dans les pays en voie de développement)
et 800 lors de la consommation et de la distribution
(surtout dans les pays développés).
Sur les 3 200 restantes, 1 700 servent à nourrir
le bétail qui, au final, ne fournira que 500 kcal.
Bilan, 2 000 kcal sont disponibles chaque jour
pour nourrir le monde ce qui correspond au besoin
moyen d’un adulte.
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Nourrir une population mondiale
en augmentation passe donc aussi par
une réduction des pertes et des gaspillages.
Chiffres extraits d’un entretien avec Hervé Guyomard, directeur scientifique à l’INRA, paru dans Pour
la science, juillet 2009.
« Une densité d’observation
exceptionnelle »
« Pour fournir à l’agriculteur les informations
les plus fiables possible, nous nous appuyons
d’abord sur un réseau de plus de 800 stations
automatiques, mesurant au moins température et précipitation, réparties sur tout le
territoire français, et environ 3000 postes
tenus par des observateurs bénévoles. Quand
on fournit des données observées, ajoute
Emmanuel Cloppet, on est ainsi capable de
garantir leur qualité. En matière de prévision
du temps, chaque département a été découpé
en six ou sept zones homogènes qui s’appuient à la fois sur le résultat des modèles de
prévision mais aussi sur l’expertise humaine,
grâce aux informations fournies par nos collègues des centres départementaux de la météorologie et des sept centres interrégionaux.
C’est la donnée la plus fine que l’on puisse
élaborer. » Même si les phénomènes orageux,
et la grêle a fortiori, restent encore difficiles
à prévoir, à la limite de la science. « Depuis
quelques mois, nous sommes en mesure
de fournir la pluviométrie observée avec un
maillage d’un kilomètre, en combinant des
données issues de pluviomètres classiques
avec celles des 24 radars pluviométriques.
- 12 - Météo - Le magazine - N°7
3
C’est ce que nous appelons la « lame d’eau
Antilope ». Les radars offrent une très grande
précision spatio temporelle mais il est parfois
difficile de faire la correspondance entre
l’intensité de l’écho radar et l’intensité de la
pluie au sol. En combinant ces deux sources
d’information, Météo-France établit des cartes
indiquant la quantité de pluie tombée dans
l’heure précédente ou sur tout autre période
de temps. Cette nouvelle donnée présente un
réel intérêt pour alimenter les modèles de
prévision des maladies et le monde agricole a
été le premier à se manifester pour le tester. »
« On ne peut plus passer sous silence
le changement climatique »
Passionné par son métier, à la frontière entre
deux mondes, Emmanuel Cloppet avoue que
le changement climatique a redonné un coup
de fouet à l’agrométéorologie en tant que
discipline. Car, au-delà des prévisions à court
terme, l’un des enjeux de la météorologie moderne est de fournir des prévisions avec des
échéances de plus en plus longues.
La « prévision à six mois d’échéance » vise
à définir des tendances, comme savoir, par
exemple, s’il fera plus chaud et plus sec que
la normale, ou plus doux et plus humide.
Ces « prévisions saisonnières » fonctionnent
assez bien dans les régions tropicales. Elles
sont très utiles en particulier en Océanie et
autour du Pacifique Sud, régions soumises au
phénomène El Niño. En Australie, l’agriculture
les utilise d’ores et déjà pour mieux piloter les
cultures annuelles. Quant aux régions de climat tempéré, comme l’Europe, on commence
tout juste à les tester.
Emmanuel Cloppet représente la France au
sein de la Commission de météorologie agricole de l’OMM (Organisation météorologique
mondiale). Cette commission se réunit tous
les quatre ans pour réfléchir à l’impact du
changement climatique sur l’agriculture, pour
faire le point sur l’état des recherches mais
également la standardisation des mesures,
car il faut s’assurer que dans tous les pays
on utilise les mêmes formules pour estimer
les mêmes paramètres. Il a eu l’occasion
de réaliser des missions de consultance en
Inde et, dans le cadre de contrats à l’étranger, d’apporter à la fois son œil d’agronome
et l’expertise développée à Météo-France.
« Météo-France apporte un appui méthodologique et des services météo à des pays qui
n’en ont pas forcément les moyens ni les infrastructures, comme l’Inde, l’Afrique, l’Égypte
1992 puis de 2003). Les aides furent versées
à la condition que l’agriculteur respecte les
bonnes conditions agricoles et environnementales ainsi que le bien-être animal. Il n’était
plus incité à produire beaucoup.
« Mais on entre maintenant dans une troisième voie où l’accent sera mis à nouveau sur la
production afin de répondre à l’augmentation
de la demande alimentaire. C’est le concept
de l’agriculture écologiquement intensive :
produire plus tout en étant propre.
5
« S’il n’est pas facile de dire à quoi
notre agriculture ressemblera dans
50 ans, il est difficile également
de mesurer l’impact du changement
climatique sur les maladies… »
C’est très complexe à étudier, cela implique
de connaître l’impact du changement climatique sur la culture, sur le champignon (parasite) et sur l’interaction entre les deux. »
Par ailleurs, le monde agricole va être amené
à réduire fortement sa consommation de
produits phytosanitaires (de l’ordre d’au
moins 50 %, selon les directives du Grenelle
Environnement). Cela signifie que si l’on veut
garder des niveaux de rendements acceptables, il faudra que chaque traitement soit
appliqué à la période où la culture en a le
plus besoin et où l’efficacité du produit est
maximale. Cela suppose à la fois une bonne
prévision des conditions météo à court terme
mais aussi une bonne connaissance du temps
qu’il fera dans l’année afin de modéliser exactement le risque maladie sur la culture.
« Un beau défi à relever », confie Emmanuel
Cloppet, convaincu de l’importance du rôle de
l’agrométéorologie dans cette révolution en
marche de l’agriculture. « Cela passera nécessairement par la mise au
point de produits et de services visant à aider
l’agriculteur à anticiper de façon plus fine et
intelligente mais aussi par la mise au point
« Produire plus et de plus en plus
d’outils de dissémination, pour s’assurer que
propre »
l’information parviendra bien jusqu’à lui.
« En France, le contexte économique, la rentabilité et la PAC (Politique agricole commune) « Reste que dans le contexte du changement
ont fortement façonné l’agriculture. Ainsi,
climatique, il faut être humble. Il y a encore
dans les années 1950-1960 (la PAC fut mise
d’énormes incertitudes sur la façon dont les
en place en 1962), on a demandé à l’agriculcultures vont réagir ; on parle de production
ture d’accroître sa productivité, de stabiliser
agricole à l’échelle de 50 ans, ce qui veut dire
les marchés et d’assurer des prix raisonqu’on parle de rendements de variétés qui
nables aux consommateurs, l’objectif étant
n’existent pas encore, l’industrie agronomique
l’autosuffisance alimentaire. Ensuite, on s’est mettant au point en permanence de nouvelles
rendu compte que ce productivisme avait eu
variétés.
des impacts négatifs sur la qualité des eaux et « S’il n’est pas facile de dire à quoi notre
de l’air. Nous sommes alors entrés dans une
agriculture ressemblera dans 50 ans, il est
nouvelle logique avec priorité au respect de
difficile également de mesurer l’impact du
l’environnement et des paysages (réformes de changement climatique sur les maladies.
1_ Orage : Prévision immédiate des orages, prévision
pour les jours à venir, statistiques climatiques, évolution du climat à long terme, l’agriculture fait appel à
tous les aspects de la météorologie.
2_ Traitement : Le monde agricole va devoir réduire
d’au moins 50 % sa consommation de produits phytosanitaires. Leur utilisation optimale est de rigueur. Or
chaque produit a sa propre fenêtre météo.
3_ Lame d’eau Antilope : En combinant les mesures
des pluviomètres classiques et des radars météorologiques, Météo-France peut établir, kilomètre-carré par
kilomètre-carré, la quantité de précipitation tombée
sur une période donnée.
4_ Station auto : Météo-France archive les données de
plus de 800 stations automatiques de ce type mesurant
température et précipitation.
5_ Variété : La façon dont les cultures vont réagir au
changement climatique reste incertaine. Elle dépend
des variétés de culture qui seront utilisées dans 50 ans.
– pays pour lesquels la sécurité alimentaire
reste un enjeu national. » Des missions importantes, si l’on estime qu’au niveau mondial
il faudra augmenter la production agricole
de 35 % d’ici 2020, compte tenu à la fois de
la croissance démographique de la planète
et des modifications des comportements
alimentaires (la consommation alimentaire
des pays en développement se rapproche de
celle des pays développés avec notamment
une alimentation plus carnée nécessitant une
augmentation de la production agricole pour
élever les animaux).
Météo - Le magazine - N°7 - 13 -
de nous des produits fiables, rapides d’utilisation et simples à apprivoiser. » Pour ce
faire, l’institut a développé son propre réseau
de stations météo – 25 réparties sur l’ensemble du territoire – et il a des conventions
avec d’autres fournisseurs de données, dont
le plus important est Météo-France. « Chez
nous on collabore, c’est très associatif…
Souvent, c’est un collègue, spécialiste dans
un domaine (une culture, une thématique) qui
souhaite construire un modèle – l’irrigation,
par exemple, pour mieux gérer la quantité
d’eau à apporter à tel type de culture. Il dit :
voilà les éléments dont j’ai besoin… Après
c’est un puzzle, chacun va apporter sa contribution pour essayer de construire l’outil final.
C’est comme un cocktail. On mélange et on a
un beau produit. »
Piloter
Propos d’Olivier Deudon, spécialiste
d’agrométéorologie d’Arvalis-Institut du végétal.
Propos recueillis par Véronique Petit
les cultures
1
Les agriculteurs sont exigeants mais leurs demandes sont claires.
À Arvalis-Institut du végétal, on utilise les informations de Météo-France
pour répondre au mieux aux besoins du monde agricole.
Dans la conduite de la protection des
cultures, la démarche de l’agriculteur n’est
pas simple. Il lui faut conjuguer efficacité,
économie et respect de l’environnement, et
ceci dans une grande diversité de climats,
de types de sols et de situations. Les progrès dans la connaissance des différentes
séquences d’une épidémie et des relations
inoculum/conditions climatiques/stades
de cultures conduisent à l’élaboration de
modèles permettant la simulation de l’évolution des épidémies. La mise en place d’une
lutte raisonnée passe par l’utilisation d’outils
d’aide à la décision basés sur ces modèles de
simulation.
Une des missions d’Arvalis-Institut du végétal
- 14 - Météo - Le magazine - N°7
est d’améliorer les pratiques de cultures et
de durabilité des systèmes d’exploitation. À
Arvalis, on travaille aussi bien sur le développement des plantes, les ravageurs, la fertili-
modèles. » Il récupère, traite, valide et archive
l’information météo en provenance de quelque
700 stations ; charge ensuite à ses collègues
de les exploiter soit pour leur activité de
« Les agriculteurs sont exigeants mais leurs demandes
sont toujours claires ; ils attendent de nous des produits
fiables, rapides d’utilisation et simples à apprivoiser. »
sation azotée, les itinéraires techniques, les
modèles économiques. « C’est très bigarré,
nous avons tout un panel de produits à notre
disposition, explique Olivier Deudon, je suis le
gestionnaire de bases de données climatiques
nécessaires à l’Institut pour faire tourner ses
recherche, soit pour faire tourner les modèles
(un nombre de modèles très différents selon
les cultures) et diffuser des conseils et outils
d’aide à la décision auprès de l’agriculteur.
« Les agriculteurs sont exigeants mais leurs
demandes sont toujours claires ; ils attendent
L’exemple du blé
Pour le blé, on sait que, selon son stade
de développement, certaines conditions
météo peuvent lui être néfastes. Quand il
gèle l’hiver, en dessous de - 5 °C, cela peut
pénaliser la plante, voire la faire mourir ;
certaines sécheresses printanières peuvent
l’affecter ; durant la phase de remplissage
du grain, il peut y avoir ce qu’on appelle des
températures échaudantes (températures
maximales supérieures à 25° C) qui vont
altérer le rendement. Ainsi, chaque plante
a ses propres phases de sensibilité, ce ne
sont pas forcément les mêmes. Les modèles
d’écophysiologie permettent de les connaître
et d’essayer de les atténuer. « Pour le blé
et le maïs, nous fournissons des prévisions
de dates d’apparition de stades phénologiques. Nous disons : attention, tel stade va
arriver… La plante étant sensible à tel type
de ravageur, on conseillera à l’agriculteur
de surveiller ou, par précaution, de faire un
premier traitement parce qu’on estime que le
risque est réel. »
Gérer mieux l’environnement, un défi
pour demain
« Aujourd’hui, on s’oriente de plus en plus
vers une agriculture raisonnée. Un traitement est appliqué uniquement quand c’est
nécessaire, pour éviter toute pollution des
eaux par les produits, aussi bien dans le cas
de lutte contre les maladies que dans tout
ce qui est gestion azotée : là, on utilise des
cultures intermédiaires de type moutarde
ou radis (pièges à nitrates) qui ont la faculté
d’absorber l’azote excédentaire pour éviter
que cet azote, suite à des pluies importantes,
aille polluer les nappes phréatiques et les
cours d’eau. »
Les agriculteurs commencent à s’équiper en
station météorologique. Les plus en avance
en ce domaine sont les viticulteurs, les arbo-
2
Farmstar
piloter sa parcelle au plus juste grâce à la précision des satellites
Farmstar est un produit phare qui permet un pilotage des cultures par satellite. Il concerne essentiellement
le blé tendre, l’orge, le colza. Les informations sur l’état du végétal, issues des images satellite, sont interprétées par les instituts avec des modèles agronomiques qui intègrent aussi les conditions météorologiques
et les caractéristiques culturales des parcelles. Les résultats sont traduits en conseils agronomiques et sont
livrés à l’agriculteur sous forme de cartes faciles à utiliser. En établissant un diagnostic précis des besoins,
ce système évite les excès d’intrants (azote, régulateurs, fongicides) et contribue ainsi à une agriculture
productive et respectueuse de l’environnement.
MILEOS
un outil de lutte contre le mildiou de la pomme de terre
Coproduit par Arvalis et le ministère de l’Agriculture (service de protection des végétaux), Mileos permet
de répondre de très près aux besoins du terrain, de connaître à tout moment le risque de mildiou des
parcelles. L’agriculteur achète un abonnement en ligne. Il enregistre les données météo (température,
hygrométrie, pluie, recueillies par la station météo de sa parcelle ou d’autres réseaux), la variété, la date de
plantation et de levée, l’état sanitaire autour de la parcelle et les interventions – traitements et irrigations –
réalisées. À partir de toutes ces données, Mileos va évaluer le risque de mildiou et préconiser une stratégie
de lutte.
ARVALIS
Arvalis-Institut du végétal est un organisme de recherche appliquée agricole, financé et géré par les producteurs. Stations de recherche, plate-forme d’essais, fermes d’application et laboratoires, l’institut compte
35 sites implantés sur l’ensemble du territoire national et 400 collaborateurs. Il met au point et diffuse des
informations et des techniques permettant aux producteurs de céréales à paille (blé, orge, avoine, triticale,
seigle, sorgho), de protéagineux (pois, féverole, lupin), de pomme de terre, de maïs et de fourrage, de
s’adapter à l’évolution des marchés agroalimentaires et de rester compétitifs au plan international, tout en
respectant l’environnement.
riculteurs et les producteurs de légumes « Ce
qui se comprend… Un Pomerol, ce n’est pas
le même prix qu’un quintal de blé…»
Mais avec l’évolution du climat, s’inquiète
Olivier Deudon, certains phénomènes ne
peuvent pas être pris en compte, comme les
sauts de températures, qui sont imprévisibles sur le long terme. « Il y a peut-être des
moyens d’action comme la prévision saisonnière, c’est une première piste de recherche.
On espère que d’ici quelques années on
arrivera à donner une information pertinente
à l’agriculteur. »
En attendant l’agriculteur va chercher l’information là où elle se trouve, au meilleur
prix. « Internet a démocratisé l’utilisation des
outils et modèles et il y a aujourd’hui pléthore
de sites qui fournissent de l’information, c’est
une concurrence supplémentaire mais cela
nous oblige à nous dépasser et à montrer
qu’on a un savoir-faire. » 1_ Moisson : « Pour le blé et le maïs, nous fournissons des prévisions de dates d’apparition de stades
phénologiques ».
2_ Farmstar : Exemple de carte conseil pour le blé
d’hiver peuplement et potentiel de rendement ARVALIS-Institut du végétal. Images satellite et modèles
agronomiques intégrant les conditions météorologiques et les caractéristiques de la parcelle sont utilisés
pour conseiller l’agriculteur.
Météo - Le magazine - N°6 - 15 -
Extraits des registres du xixe siècle
château d’yquem
Une longue tradition de météorologie
Michel Hontarrède
Entre la forêt des Landes et la vallée de la Garonne, le pays de Sauternes
étend ses « croupes » aux pentes douces. Un paysage de vignes parsemé
de châteaux, de fermes fortifiées et de lieux-dits dont les noms parlent
aux amateurs de grands vins liquoreux. Au cœur de ce terroir, Château
d’Yquem élabore un vin dont la renommée n’est plus à faire.
À Yquem, Francis Mayeur est directeur
technique. De lui dépend la bonne gestion
des vignes et des vendanges et la qualité du
vin qui en découle. C’est aussi un passionné
de météorologie. Jonglant avec aisance dans
les tableaux de température et de précipitations, que cinq stations disséminées sur les
189 ha de la propriété alimentent en continu,
il est intarissable pour expliquer les relations
complexes entre conditions météorologiques
et qualité d’un millésime.
« Plus que tout autre vin, la qualité d’un sauternes dépend des conditions météo. Jusqu’à
mi-septembre, nous travaillons la vigne comme
pour produire un grand raisin. Il nous faut un
temps sec ; un certain « stress hydrique » de la
vigne est nécessaire pour faire un bon vin et la
sécheresse évite la prolifération des moisissures
et des maladies. Comme tout vigneron, nous
craignons la grêle. Les gelées de printemps
nous gênent moins que d’autres, la région n’y
est pas trop sensible. Mais, à la différence des
rouges, au lieu de vendanger quand le raisin
est mûr, nous attendons le plus possible que la
« pourriture noble » s’installe. C’est là qu’intervient le microclimat de la région. Trop sec et
le botrytis cinerea, le champignon responsable
de la pourriture du raisin, ne s’installe pas.
Trop humide ou trop de pluie et le champignon
- 16 - Météo - Le magazine - N°7
consomme tout le sucre. Le temps idéal, ce sont
des brumes matinales et un temps ensoleillé
l’après-midi. On dit qu’ici, c’est le Ciron, affluent
de la Garonne coulant sous les arbres, qui
apporte cette humidité. En automne, ce type de
temps s’accompagne de vents d’est et la bonne
exposition des vignes du domaine d’Yquem,
leur altitude (jusqu’à 75 m, ce qui est beaucoup
pour un vignoble bordelais), est sans doute pour
quelque chose dans la qualité du vin. »
Si les conditions sont remplies, la peau du
grain devient perméable, l’eau s’évapore et le
sucre se concentre pour atteindre des niveaux
bien au-delà de la maturation normale,
jusqu’à 30 degrés d’alcool potentiel. La vendange n’a lieu que lorsque le raisin a atteint
20 degrés. Ici, on ne cueille pas la grappe,
seulement les grains à points, de vilains petits
grains violets, tachés, ridés, couverts de la
pourriture noble. La vendange se fait par passages successifs, les « tries », de 5 à 10, de
mi-septembre à novembre, et parfois même
en décembre.
« Le grain doit être cueilli sec, sinon au pressage, le sucre serait dilué. Pour convoquer
les vendangeurs, environ deux cents, il faut
donc être sûr que le lendemain, il n’y aura ni
pluie, ni brouillard persistant toute la journée. Un message est enregistré chaque jour
sur notre répondeur vers 17 h pour informer
les vendangeurs. J’ai noté depuis 15 ans une
réelle amélioration des prévisions météo ;
on n’a quasiment plus jamais de convocation
inutile. Ça peut même être un problème pour
le personnel qui de ce fait gagne moins d’argent qu’autrefois, toute journée appelée étant
rémunérée. »
« Si la prévision pour le lendemain est essentielle pour gérer les vendanges, la prévision
pour les jours suivants permet de « jouer des
coups ». Par exemple, si de la pluie est annoncée, je peux être tenté de ramasser les grains
qui ont atteint les 20° d’alcool potentiel. Mais
si je sais qu’il ne pleuvra pas trop et qu’après
se profile une bonne période de beau temps,
je peux attendre et laisser les grains gagner
encore quelques degrés. Pour ça, j’apprécie
beaucoup la nouvelle présentation des prévisions probabilistes de Météo-France où l’on
choisit les seuils des paramètres. »
La prévision du temps est également primordiale en matière de traitement phytosanitaire.
« En viticulture, on ne peut pas alterner les
cultures d’une année sur l’autre pour limiter
les développements des parasites, explique
Francis Mayeur. La vigne est une monoculture
de plusieurs centaines d’années, alors vous
pensez que les parasites, ils ont eu le temps
Il n’y a plus qu’à voir où se place le millésime
en cours pour estimer sa qualité.
La méthode est rôdée et convaincante.
Vignes et Château d’Yquem
de s’adapter. » Autrefois, on faisait du traitement préventif régulièrement. Aujourd’hui,
il n’en est plus question. D’abord, la réglementation impose un vent inférieur à force
3 Beaufort (19 km/h) pour éviter la dispersion
des produits. Ensuite, pour optimiser
l’efficacité du traitement, le viticulteur
prendra en compte le risque de précipitation qui lessive les feuilles, ainsi
que la température qui, trop élevée,
entraîne une évaporation rapide du
produit.
Si Francis Mayeur est parfaitement
à l’aise pour louer ou critiquer les
produits concernant la prévision du
temps, il manipule avec tout autant
d’aisance la climatologie. Il faut dire
qu’à Château d’Yquem, on mesure température et précipitations depuis le xixe
siècle. Un croisement avec les archives
de Météo-France a permis de combler
les trous et de faire débuter la série
en 1896. Château d’Yquem est ainsi
devenu la plus longue série de données
météorologiques de la Gironde, sur
un même site, sans aucune interruption même
pendant les deux guerres mondiales, ce qui
est rare. Et, comme les vignerons ont tout noté
depuis 1880 cette fantastique base de données
peut être croisée avec les dates de vendange,
les stades phénologiques de la vigne et … la
qualité du millésime. Ce dont Francis Mayeur
ne se prive pas. Car, au mois d’avril, le vin est
vendu « en primeur », c’est-à-dire bien avant
que son « élevage » soit terminé. Typiquement,
le vin vendu en avril est âgé de 18 mois ; il ne
sera livré au client que trois ans plus tard. Pour
savoir ce que sera ce millésime et donc négocier au mieux sa vente, le directeur technique
recherche les années analogues au point de vue
météorologique. Températures et précipitations
! Lesparre
! Blaye
! St
André de C
! Libourne
! Bordeaux
! Sainte
Foy
! Bergerac
! Sauveterre
! Langon
sont moyennées sur des périodes critiques pour
le développement du raisin. Sur les graphiques,
les millésimes se regroupent en fonction de ces
moyennes. Il n’y a plus qu’à voir où se place le
millésime en cours pour estimer sa qualité. La
méthode est rôdée et convaincante.
Une telle maîtrise de la météorologie appliquée à la vigne m’incite à poser une dernière
question : quelles conséquences le réchauffement climatique peut-il avoir sur la production de Château d’Yquem ?
« Le réchauffement constaté depuis les
années 1980 me permet de gagner en qualité. Aujourd’hui, je ne me contente plus des
20 degrés d’alcool, je peux être plus exigeant
sur la qualité des raisins. Donc un réchauffement climatique de 2 °C permettra
de gagner encore en qualité. En tout
cas, pour l’ensemble de la viticulture,
il évitera la chaptalisation (ajout de
sucre pour gagner en degré d’alcool,
pratique qui n’a jamais été utilisée à
Château d’Yquem, ndlr). « Au-delà de
2 °C de réchauffement, je pense qu’on
pourra peut-être s’adapter par exemple en mettant en culture les “ terres
froides ” de la propriété (Sur les
189 ha du domaine, seuls 100 ha sont
plantés en vigne, ndlr). On replante
régulièrement les parcelles de façon à
ce que les pieds ne dépassent pas 40
à 45 ans. Actuellement, les « clones »
utilisés sont ceux des périodes froides.
En cas de réchauffement, on pourra
1
s’adapter en replantant des pieds
sélectionnés différemment. Mais si le
réchauffement dépasse 4 °C, alors je ne sais
pas si on pourra y faire face. » 1_ Carte du risque potentiel de développement du mildiou au 1er mai 2008. Document élaboré par l’Institut
français de la vigne et du vin (IFV) à partir d’un modèle utilisant en entrée les données de précipitation et
de température analysées par Météo-France. Il existe
aussi une version « prévision » de cette carte élaborée à
partir des prévisions probabilistes jusqu’à 8 jours.
Météo - Le magazine - N°6 - 17 -
Agriculture
Propos recueillis par la rédaction
Quelle récolte en 2050 ?
Comment les plantes réagiront-elles au changement climatique ?
Comment savoir si elles pourront s’adapter ? Interview de Bernard Seguin,
directeur de recherche à l’Institut national de recherche agronomique, à
Avignon, responsable de la mission « changement climatique et effet de serre ».
Dans tous les secteurs d’activité, on s’interroge
sur les conséquences du réchauffement
climatique. A fortiori dans le domaine
de l’agriculture, très sensible aux conditions
météorologiques. Comment les chercheurs
font-ils pour estimer quelle sera la production
agricole de demain ?
On a commencé à aborder la question, il y a vingt
ans, avec des expérimentations : par exemple,
en cultivant des plantes sous serre, avec 5 °C
de plus et un peu plus de CO2. Le problème est
que, d’une part, cela ne concerne qu’un nombre
cycle. Encore faut-il dissocier la température
du jour et celle de la nuit. De plus, une fois
les feuilles apparues, il faut prendre en compte
le rayonnement atmosphérique et la teneur
en CO2 pour calculer la photosynthèse. Sans
oublier l’eau. Sans elle, la plante meurt.
Or la disponibilité de l’eau dépend bien sûr
des précipitations et de l’évaporation, mais
aussi de la nature du sol, de sa capacité
à conserver le précieux liquide. Ainsi, le modèle
de culture prévoit, pour une plante donnée
et un lieu donné, les différents stades de dé-
Grâce à l’explosion de la puissance des ordinateurs,
l’INRA a développé et mis en œuvre des « modèles de
culture » directement couplés aux modèles climatiques.
limité de plantes, et que d’autre part, sous
une serre rien ne se passe exactement comme
à l’extérieur. On peut aussi observer la végétation
dans des régions où le climat est proche de ce
qui est prédit. Mais là aussi l’analogie n’est que
partielle, et les informations recueillies sont
de portée relativement limitée. Il nous fallait
autre chose de plus complet et de plus précis.
Grâce à l’explosion de la puissance des ordinateurs, l’INRA a développé et mis en œuvre
des « modèles de culture » directement
couplés aux modèles climatiques. Car, dire
que la température moyenne de l’air augmente
de 2 °C ou de 4 °C ne suffit pas pour en déduire
ce que sera le rendement de telle ou telle culture.
Certes, le réchauffement accélère en général
le calendrier de la plante et raccourcit son
- 20 - Météo - Le magazine - N°7
veloppement de la plante au cours de l’année
en fonction des températures, des précipitations,
de l’ensoleillement, du taux de CO2 rencontrés
jour après jour.
Généralement, un modèle de climat fait
évoluer les conditions météorologiques
(pression, vent, température, humidité,
précipitation…) heure par heure, d’abord
sur une période passée – par exemple de 1960
à 2000 – pour vérifier le bon fonctionnement
du modèle, puis sur les cent prochaines
années en faisant varier la concentration
de gaz à effet de serre selon des scénarios
types retenus par la communauté scientifique.
Les modèles de culture sont-ils couplés
au modèle climatique sur toute cette période ?
Exactement. Nous simulons jour après jour,
année après année, sur la même période
que le modèle de climat, le développement
de la plante et sa production annuelle,
qu’il s’agisse de blé, de maïs, de pomme
de terre, de vigne, de forêt… La prévision pour
une année donnée – par exemple la quantité
de blé produite en 2047 – n’a évidemment
aucun sens. Ce qui compte, ce sont les statistiques que nous en tirons à l’horizon 2050,
2060, 2070, en fonction des différents
scénarios de concentration de gaz à effet
de serre.
Comme pour le climat, l’intégration du modèle
de culture sur les années passées et sa comparaison avec l’observation permettent
de le calibrer et de le valider. Cette simulation
du passé a même permis d’expliquer des phénomènes observés. Par exemple, la culture
des céréales a connu une croissance phénoménale des rendements, passant de 10/15
quintaux à l’hectare en 1960 à 70/100 en 1995.
Depuis, les rendements stagnent. Les modèles
de culture ont montré que cette stagnation
venait bien de l’évolution du climat, notamment
l’augmentation du stress hydrique. Une observation parmi d’autres qui renforce la crédibilité
des projections sur le futur.
Modèles de climat et modèles de culture
ont dû beaucoup évoluer ces dernières
années. Sont-ils suffisants pour mener
toutes les études ?
Il y a quinze ans, une donnée (un point
de grille) représentait environ 250 km. C’était
à la limite suffisant pour l’ensemble du Bassin
L’INRA dispose, près de Clermont-Ferrand, de grandes serres dans lesquelles il est possible de tester la croissance des plantes en faisant varier
température de l’air, humidité, taux de CO2…
parisien, mais difficilement applicable sur
les autres régions. Dans les années 2000,
Météo-France a ramené cette résolution à 50 km.
Et aujourd’hui, les possibilités de calcul
permettent aux travaux de recherche de se faire
avec un point tous les 8 km.
L’INRA mène actuellement un projet
de recherche, Climator, consistant à refaire
les simulations, à l’aide des modèles de dernière
génération, pour un grand nombre de cultures,
ainsi que la forêt, et pour une dizaine de sites
en France. Les premiers résultats sont attendus
fin 2010.
Un autre axe de recherche concerne les événements extrêmes. Une canicule, une sécheresse,
une chute de grêle, une gelée de printemps,
une tempête, peuvent en quelques jours ou
quelques heures détruire complètement une
forêt ou une récolte. Or les modèles de climat
sont encore insuffisants pour bien représenter
ces phénomènes extrêmes. Il faut compléter
leurs résultats par des études statistiques.
Météo-France a travaillé là-dessus lors
du projet Imfrex (voir encadré).
Que pense le monde agricole de ces travaux ?
Les forestiers, qui travaillent à échéance
de 30 ou 50 ans, choisissent d’ores et déjà
les variétés d’arbres à planter en fonction
des simulations. Les agriculteurs, eux, sont
plus demandeurs de ce qui va se passer
dans un futur plus proche. Nous devons encore
travailler, avec Météo-France, pour répondre
à cette demande. Mais les modèles de culture
permettent aussi de comparer différentes
variétés de plantes, de tester les méthodes
de production (date de semis et autres
travaux, effeuillage plus ou moins prononcé
de la vigne…), d’évaluer les besoins en eau
et donc en irrigation, d’estimer les risques
de développement de maladies et d’insectes
ravageurs… Autant d’études qui serviront
à définir les meilleures stratégies d’adaptation
au changement climatique. Imfrex
La principale crainte liée à une évolution du climat vient de l’augmentation possible de la fréquence
des événements extrêmes : tempêtes, épisodes de pluie abondante, sécheresses, canicules, vagues
de froid, ouragans dans les régions tropicales… C’est pourquoi, de 2003 à 2005, Météo-France a participé,
aux côtés de divers laboratoires de recherche, au projet Imfrex visant à évaluer l’évolution de la fréquence
de ces phénomènes au cours du xxie siècle. Pour cette étude, une simulation des conditions météorologiques,
jour après jour, a été effectuée jusqu’à 2100 à l’aide des modèles de climat de Météo-France et de l’Institut
Pierre-Simon-Laplace. Ces deux modèles utilisaient, en entrée, les concentrations prévues des gaz à effet
de serre et des aérosols proposées par le GIEC.
Les études ont conclu, entre autres, à :
l’augmentation de la fréquence, de la durée et de l’intensité des vagues de chaleur estivales ;
la quasi disparition des vagues de froid ;
l’augmentation sur la moitié nord de la France des fortes précipitations hivernales ;
l’augmentation des sécheresses estivales et automnales, surtout dans le Sud ;
l’augmentation des pluies associées aux ouragans de l’Atlantique nord.
On trouvera sur le site imfrex.mediasfrance.org l’ensemble des résultats, sous forme de cartes
et de graphiques.
Ce travail de recherche se poursuit dans le cadre des projets Ensembles et Cyprim.
L’utilisation des dernières générations des modèles de prévision du temps, de maille plus fine et plus apte
à prévoir les phénomènes de taille limitée (rafales, épisodes de pluie intense…), permet de mieux
discerner, région par région, l’évolution du climat.
Météo - Le magazine - N°7 - 21 -
3_ Atmogramme pour un vignoble de la Gironde,
du 26 juin à 8 h au 29 juin à 20 h.
1_ Catalogue des produits de la Climathèque.
De la mesure ponctuelle d’un paramètre météorologique
aux produits statistiques les plus élaborés, la Climathèque
de Météo-France s’affiche comme la « mémoire
du climat » de notre pays.
a.
2_ Prévision probabiliste. Courbes et tableaux indiquent
les probabilités que les températures mini et maxi soient
supérieures ou inférieures à certains seuils définis par les
curseurs, au cours des six prochains jours.
Des outils pour
L’AGROMÉTÉOROLOGIE
Du temps qu’il a fait aux prévisions à longue échéance, l’agriculture
fait appel à toutes les formes d’information météorologique.
Le temps passé, la « mémoire du climat »,
c’est l’affaire de la Climathèque [1]. Ce service
met à la disposition de tous l’ensemble
des mesures météorologiques faites en France,
métropole et outre-mer, depuis plus de 150 ans
pour certains postes. L’agriculteur y trouvera
également des produits élaborés tels que
des fiches climatiques, les réserves en eau
des sols, l’évapotranspiration potentielle
(ETP), le « bulletin irrigation », les fréquences
de dépassement de seuils de précipitations,
des durées de retour des précipitations
exceptionnelles…
En matière d’hydrologie, Météo-France
a développé depuis peu la « lame d’eau
Antilope » [4]. Fusionnant les données issues
des radars météorologiques et des pluviomètres,
cet outil permet de connaître, kilomètre-carré
par kilomètre-carré, la quantité d’eau tombée
au cours d’une période déterminée (l’heure
précédente, la journée, la semaine…).
S’agissant du temps prévu, « l’atmogramme » [3]
reste l’outil le plus répandu. Disponible pour
chaque point de grille du modèle, il détaille
pour les jours à venir le temps, la température,
l’humidité, le vent, les précipitations, sous
forme de courbes et de symboles.
Plus nouveau, la prévision probabiliste [2].
- 22 - Météo - Le magazine - N°7
Courbes et tableaux indiquent pour les jours
à venir la probabilité pour que tel paramètre
(température, précipitation, vent) soit supérieur
ou inférieur à un seuil fixé par l’utilisateur.
S’agissant d’un outil internet interactif,
le client peut tout à loisir modifier les seuils
en déplaçant un curseur.
Pour ceux qui préfèrent une information
accessible immédiatement, le bulletin
d’avertissement météorologique [5] s’impose.
Des plages de couleurs indiquent, selon un code
évident, la possibilité ou non d’effectuer une
tâche particulière au cours des jours à venir.
Les règles qui conduisent à définir la couleur
de la période en fonction des paramètres météo
prévus sont définies en accord avec le client.
Une relation étroite entre les spécialistes
de Météo-France et leur client aboutit parfois
au développement d’un service spécifique.
C’est le cas de « Météovigne », un service
destiné aux exploitants viticoles les plus
exigeants. Le service rassemble une prévision
adaptée au site et aux critères de décision
de l’exploitant, un accès au prévisionniste
départemental, la prise en charge d’une station
météorologique locale et une application
« web » particulièrement novatrice. Sa particularité est d’associer la base de données
météorologiques (précipitations, température,
humidité, vent, mesurés par une station
implantée sur le domaine viticole) à une base
de stades phénologiques de la vigne. Ce sont,
pour chaque année, les dates des principaux
états de la vigne et du raisin (25 états pris
en compte par le logiciel), depuis le gonflement
des bourgeons jusqu’à la fin de la chute des
feuilles, informations fournies par l’exploitant.
Ce croisement des bases de données permet
de comparer l’année en cours avec les années
précédentes tant du point de vue climat
que développement de la vigne et d’en déduire
les caractéristiques de la production à venir.
Tous ces produits sont accessibles soit
directement par le site internet de MétéoFrance (www.meteofrance.com, cliquer sur
Climathèque ou sur Agriculture dans le pavé
Espace Pro) ou, plus généralement, par
l’intermédiaire d’un site « extranet » élaboré
spécifiquement pour le client.
Enfin, Météo France travaille également avec
de grands organismes du domaine agricole sur
les impacts possibles du changement climatique : déplacements des cultures, évolution
des rendements, résistance des différentes
espèces… Des prestations sur mesure menées
sous forme d’études. 4_ Grâce à la « lame d’eau Antilope », le prévisionniste connaît
kilomètre-carré par kilomètre carré, les quantités d’eau tombée.
a. Cumuls d’eau du 1er au 29 juillet 2009.
b. Cumuls d’eau en 24 heures du 7 au 8 juillet 2009
sur les départements d’Île de France. Pixels de 2,5 km.
b.
5_ Bulletin d’avertissement météorologique
indiquant les périodes favorables ou non
à une tâche au cours des jours à venir.
Météo - Le magazine - N°7 - 23 -
On ferme en hâte les fenêtres de la salle
Olivier
Berrouet
Plus que de raisin
En prenant la succession de son père à la direction de Pétrus,
mythique vin de Pomerol, Olivier Berrouet s’affirme comme l’un
des œnologues les plus en vue. Rencontre avec un vinificateur
pour qui le vin est non seulement affaire de science,
mais aussi de sensibilité et d’harmonie.
Texte et photos Laurent Charpentier
- 30 - Météo - Le magazine - N°7
de dégustation. La pluie dense, violente,
flagelle les feuilles, martèle l’argile de la vigne.
Sur les vitres, le crépitement se fait plus sec,
aigu : de la grêle, tant redoutée des viticulteurs ! Heureusement, l’orage s’éloigne vite.
Olivier Berrouet vient à ma rencontre. « Il n’y
a eu que quelques grêlons, c’est donc sans
conséquences. Nous étions surtout inquiets
hier soir, à la lecture des bulletins de vigilance
orange ! » Jeans, chemise de coton, godasses
tout-terrain. Le jeune – 31 ans – directeur de
Pétrus a l’allure simple et ouverte d’un homme
d’action. Pour notre entretien, il choisit
un endroit calme : l’entrepôt abritant
les barriques de chêne tout juste
soufrées. « Vous n’êtes pas allergique ? »
Non, juste très curieux de mieux connaître
le maître d’œuvre du légendaire Pétrus,
pomerol dont la splendeur et la rareté
en font un vin de grand luxe. « Tout
le mystère, tout l’intérêt de Pétrus,
c’est d’abord son sol. Si vous mettez
la même équipe ailleurs, elle ne pourra
jamais faire le même vin. »
Les 11,5 hectares du domaine sont plantés
sur des argiles noires et bleues qui
alimentent la vigne en eau de façon
constante, même en cas de sécheresse.
Les châteaux alentour – Petit Village,
L’Évangile, La Conseillante, Gazin –
ne bénéficient pas des mêmes terres.
« Leurs directeurs sont à peu près de ma
génération, et on s’entend très bien.
Pas de concours entre nous, mais
de la curiosité, de l’échange technique.
C’est un enrichissement permanent
parce que personne ne détient la vérité. »
En prenant, en janvier 2008, la direction
de Pétrus et ses sept employés, Olivier
succède à son père, Jean-Claude Berrouet,
vinificateur mondialement respecté pour
l’élégance de ses vins, son enthousiasme
et sa discrétion érudite. « Il ne nous
a jamais poussés à suivre les mêmes
voies que lui, explique Olivier, dont le frère
Jean-François s’occupe du Vieux Château
Saint-André, le vignoble familial. Notre
père nous a transmis ses passions sans
nous les imposer. Je ne me suis pas réveillé
un matin en me disant “ tiens, je vais faire
du vin ”. C’est venu naturellement. » Enfant,
il jouait dans les marcs de raisin. Plus tard,
les deux frères ont goûté au vin « sans tabou
vis-à-vis de l’alcool », le breuvage devenant
à table prétexte à discussions, à l’expression
de leur ressenti. « On a été éduqué à boire
des vins qui ont beaucoup de charme.
La philosophie de mon père est de faire
des vins avec de l’équilibre, de la longueur
et surtout une grande “ buvabilité ”. La notion
de plaisir est fondamentale. Le plaisir n’est
pas forcément dans le quantitatif ou dans
le paraître. Il est dans des choses plus
complexes, plus fines, plus élégantes. »
Diplôme d’ingénieur agronome en poche,
Olivier Berrouet part en Australie, parce que
c’est un rêve de gosse et pour travailler dans
une winery… Lui qui connaissait les domaines
de taille modeste se trouve confronté à l’industrie du vin. Au diable la subtile recherche
des saveurs ! L’entreprise vinicole qui l’accueille
produit 40 millions de bouteilles par an
(Pétrus : environ 32 000) avec un process
à respecter. « C’était passionnant à voir.
On oublie que dans le monde, une grande
majorité du vin est fabriqué comme çà,
en relation directe avec les gens du marketing.
Si la mode de l’été en Grande-Bretagne est
tel type de vin avec tant de couleur, de sucre,
d’acidité et de tanin, on le fabrique ! Explique-til. Ce ne sont pas de mauvais produits, mais ils
sont standardisés et répondent à une attente.
Dès lors il n’y a plus de surprise. »
De retour sur son terroir, le jeune homme
obtient son diplôme national d’œnologue,
puis entre chez Cheval Blanc et Yquem, deux
grands crus du bordelais, après un passage
chez Romanée-Conti, le plus célèbre des vins
de Bourgogne… Aux antipodes de la production
industrielle, Berrouet retrouve la haute couture,
la délicate recherche d’un équilibre dans
la structure du vin, ses arômes, son onctuosité.
« En vinification, il faut avoir en tête un idéal
de vin, un idéal d’harmonie. Ce n’est pas parce
qu’un morceau de musique a plus de notes
qu’il est plus agréable à entendre. Pour le vin
c’est la même chose. Ce n’est pas parce qu’il
y a une quantité de matière plus importante
qu’il va être plus agréable à boire. » Olivier
Berrouet gère le vignoble, le travail quotidien
sur les sols, la plante, de la taille à la vendange.
Il parle sans ostentation, avec la clarté
d’un ingénieur maîtrisant son sujet. Son vin
est dégusté par une élite fortunée ; lui, garde
une réserve courtoise, comme un marin,
sachant que la nature décide toujours.
« Faire du vin, c’est essayer de raconter
une histoire. L’histoire d’un sol, d’un lieu
donné pour un millésime donné. Nous
cherchons à maintenir un niveau qualitatif
constant avec un vin qui est différent
d’une année sur l’autre. C’est souvent
ce que les Anglo-Saxons ont du mal
à comprendre : ce n’est pas parce que
le goût du vin évolue que la qualité n’est
pas là. » Il m’explique que le vin est formé
de plus de 1 000 composés chimiques,
que l’alchimie des arômes qui se crée
dans la baie de raisin avant la récolte ne
se maîtrise pas, qu’il n’y a pas de recette
pour faire un bon bordeaux, que malgré
les procédures analytiques et scientifiques
qui guident l’œnologue, la sensibilité est
fondamentale : c’est en goûtant le raisin
ou le vin en cours d’élaboration que
les décisions se prennent.
Sa passion pour la vigne est canalisée
par son savoir, mais il trouve toujours
du plaisir à goûter un bon vin. Olivier
Berrouet a pratiqué le rugby (« je n’étais
pas très bon, mais passionné »), aime
la chasse et s’intéresse à la tauromachie.
Pour lui, préserver sa bande d’amis est
essentiel, tout comme les liens quasifamiliaux qui l’unissent à la maison de
négoce Jean-Pierre Moueix, propriétaire
de Pétrus. « Je suis la deuxième génération à travailler avec eux. J’y suis très
bien. Ils attachent beaucoup d’importance
aux valeurs humaines, à la transmission,
à la continuité, idées que je partage. »
Nous nous aventurons hors des chaix, pour
une photo dans les vignes. L’argile noire colle
aux chaussures. Une nouvelle averse approche.
Pour le directeur de Pétrus, la météo est une
obsession. « La vigne et le vin sont révélateurs
d’une climatologie donnée. Les travaux d’une
année ne seront pas répétés l’année suivante.
On est en constante adaptation, parce que la
réponse du végétal aux conditions climatiques
varie d’une année sur l’autre. Notre travail est
constamment remis en question. Grâce aux
prévisions, on peut anticiper certaines tâches,
mais la météo, on la subit. » Météo - Le magazine - N°7 - 31 -
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