De la maladie naissent parfois des amitiés exceptionnelles

70 Société Le Matin Dimanche | 28 septembre 2014 28 septembre 2014 | Le Matin Dimanche Société 71
Contrôle qualité
Contrôle qualité
Joëlle Grivel et Brigitte Bugnon se sont rencontrées en 2009 dans un groupe de parole chapeauté par la Ligue vaudoise contre le cancer. Yvain Genevay
Cancer
dusein
Connivence Joëlle Grivel et Brigitte Bugnon ne se
connaissaient pas avant qu’une tumeur ne bouleverse
leur vie. Cinq ans aps, elles ne simaginent pas
couper ces liens nos dans la douleur, et le rire.
Geneviève Comby
Genevieve.Comby@lematindimanche.ch
Restons sérieuses.» Elles
pouffent au moment de
faire la photo. Serrées
l’une contre lautre, dissi-
pées comme des gamines,
elles enchaînent les bla-
gues, puis se reprennent,
lissent leur chemisier, en imaginant déjà les
commentairesquellesessuierontaprèslapa-
rution de larticle. Mais ça ne leur fait pas
peur. Le pire est derrre. Elles veulent y croi-
re. Y croire ensemble, parce c’est ensemble
quelles ont traversé lépreuve qui les a mar-
quées dans leur chair.
Lorsque le cancer du sein les frappe, il y a
cinqans,BrigitteBugnonetJoëlleGrivelnese
connaissentpas.Lapremière habitelevillage
deBottens,dans lacampagnevaudoise,lase-
conde Yverdon-les-Bains. Les deux femmes
seretrouventdansungroupedesoutienorga-
niparlaLiguecontrelecancer,àLausanne.
Parmi les participantes, le courant passe au
point que certaines, le «noyau dur» comme
elles lappellent, sont resté soudées jusqu’à
aujourd’hui. Ni malades, ni ex-malades, juste
une bande de copines qui continue à se voir
avec la régularité d’un métronome. «Toutes
les quatre à cinq semaines, on se retrouve
chezluneouchezlautre,parfoisonvaaures-
taurant. On est sept folles, on rit beaucoup.
Ne croyez pas quon parle tout le temps de
cancer!»
Encaisser le choc
Le temps a fait son œuvre, il a apaisé la dou-
leur et langoisse. «On a pris du recul, mais je
nemevoispasrenonceràcessoirées»,confie
Joëlle,aveccelangedeforceetdevulra-
bilité qui habite ceux que le destin a fait va-
ciller. Les cicatrices sont encore là, elle nen
fait pas mystère. «Je parle assez facilement.
J’étaiscoiffeuse»,rigole-t-elle.Françaisema-
riée à un Suisse, Joëlle avait son propre salon,
une vie bien remplie, un train-train rassurant
lorsque, après un contrôle de routine, son gy-
cologue lui découvre une tumeur. Elle doit
encaisser le choc, la perte de son travail, la
vente de son salon, l’ablation d’un sein.
«Autantjenavaispaspeurdemefaireopérer
la première fois parce quon menlevait quel-
que chose de mauvais, autant j’ai été terrible-
mentangoisséeà l’idéedunereconstruction,
se souvient-elle. Je navais jamais entendu
parler d’une chose pareille. En discuter avec
quelqu’un qui était passé par là m’a donné
confiance.»Joëlleselaisseconvaincredepar-
ticiper à un groupe de parole, même si l’idée
ne lemballe pas. «Je me disais qu’on allait
toutes pleurer, explique-t-elle. Et on a toutes
pleuré à certains moments! Mais ça ma fait
dubien.»
Brigitte nonplus napasretenuseslarmes.
«J’avais ce que j’appelle mes jours «fontai-
ne». Ces jours où, quand vous vous réveillez,
vos enfants et votre mari sont partis et vous,
vous avez les larmes au bord des yeux. Je me
disais, c’est une journée comme ça, demain
ceseradifférent.»Legroupedeparole,c’était
un peu sa thérapie, estime-t-elle: «Je pouvais
dire mon ras-le-bol.» Lété 2008, trois mois
aps un contrôle gynécologique de routine,
elle repère une boule suspecte dans la poitri-
ne. Le verdict est sans appel: cancer. «Le ciel
mesttomsurlate.»Elleenchaîneopéra-
tion, chimiothérapie, radiothérapie. «C’est
un sacré programme, vous êtes en traitement
durant plusieurs semaines, puis vous avez un
pit et ça recommence… Cest concret, vous
faites quelque chose, vous ne subissez pas et
vous êtes entourée de personnel médical,
mais quand ça se termine, vous vous retrou-
vez comme suspendu dans le vide.» Avec le
risquederessasserlesmesquestionsdans
son coin: pourquoi tout ça, pourquoi moi,
pourquoi maintenant.
Le masque peut tomber
Le corps est à vif et cest ce moment-là que
lesprit choisit pour vous défier. «Moi, je res-
sentais de la culpabilité de faire subir ça à
mon mari, à mes enfants, à mes parents»,
confie Brigitte. Mais devant dautres mala-
des, le masque peut tomber, la parole se libé-
rer. «On peut dire des choses quon ne dirait
pasauxgens quinontpasétémalades, parler
dece mal-êtredont onvoudrait épargner nos
proches, explique la quinquagénaire. Même
si on se trouve à des stades différents, on sait
que lon va toutes passer par les mêmes éta-
pes.» La révolte, le déni. Pour Joëlle, «les
gensquinontpascuçanepeuvent pasres-
sentir ce que vous ressentez, et on ne le de-
mande pas! Mais pouvoir partager cela, ça
faiténormémentdebien.»
unies entre elles, les femmes victimes
d’uncancerduseinsecréentununiversàpart,
où elles évoquent sans tabou notamment les
traitements, leurs effets, la perte du goût, des
cheveux,dessourcils,lefaitquequandlapilo-
sité revient sur la tête, c’est d’abord… en cou-
ronne. Un monde où chacune peut exprimer
ses tourments, ses peurs, le besoin de pouvoir
compteràlafoissurlesoutieninfaillibledeses
proches et lenvie de se replier sur soi-même.
«J’ai eu énormément de chance davoir un
gentilmari.Mais,c’estvrai,ilyadesmoments
où on voudrait être seule, complètement seu-
le, admet Jlle. Et des moments où lon de-
vient agressive avec la vie. Personnellement,
j’aiencoredelapeineàadmettrelefaitdavoir
eu un cancer, même si aujourd’hui je vis nor-
malement.Je nétais nibuveuse, nifumeuse
Cestépouvantableàaccepter.»
Entre malades, on se comprend, «même
s’il n’y a pas deux cas identiques», relèvent
Joëlle etBrigitte. Entremalades,onsaccorde
aussi le droit de plaisanter, «même sur nos
s», rient les deux copines. Petit à petit,
les réunions sallongent. «On a commencé à
resterpour boireuncafé aprèsles rencontres,
et puis on se voyait avant pour manger une
morce.» Aujourd’hui, les larmes se mêlent
encore aux rires, mais une page est tournée.
Celles qui ont choisi de cultiver cette amit
eduhasardetdeladouleuryontpuiune
forceadmirable.
«Onneseconsidèrepascommedesmala-
des. Ensemble, on rit comme des folles», ré-
sume Joëlle. Cet été, deux mois se sont écou-
s sans quelles se voient. Brigitte admet
quelle a trouvé ça long: «J’ai besoin de ces
moments.» Des moments simples où «on
parle beaucoup chiffons», de «l’image de
soi», précise Joëlle. Mais aussi de boulot, des
petits-enfants et du temps libre. «Le cancer?
Onen parledemoins enmoins.»U
pas de pommader les museaux velus des vrais
pumas, mais de donner l’illusion aux dames en
voie de flétrissement qu’elles peuvent encore
(enfin?) aimanter le jeune homme. Un rien de
phytostéroïdes, de vederine, d’actée noire et de
chromabright (non, pas de bave de crapaud!) sur
nos joues, Mesdames, et voilà que les écoliers
vont se précipiter pour nous les dévorer de bai-
sers passionnés, à peine la cloche de la récré
aura sonné… «Grrrr», rugit la féline en s’en re-
mettant une couche.
Hum. La marque qui s’aventure dans ce nou-
veau concept marketing s’appelle Rodial, et elle
est basée à Londres. Jen déduis qu’il s’agit d’hu-
mour anglais. Dailleurs une autre ligne de la
marque s’appelle Dragon Blood, sang de dragon,
ce qui colle assez bien aux vertus ésotériques du
genre… Mais retour aux fauves: je me demande
bien qui cette perspective de cougaritude est
censée convaincre. Corollaire: à laquelle
de mes copines vais-je bien pouvoir filer ce pot-
là, sans qu’elle ne le prenne pour un message ca-
ché («Zut, elle ma vu en trottinette avec Ke-
vin»), ni son mari pour un avertissement…?
Je sais, je vais offrir l’élixir magique à ma grand-
maman: avec un peu de pot, elle ne parle
pas assez d’anglais pour se poser
des questions… Sérieusement: si vraiment
je voulais m’offrir des vertiges avec
un jeunot, vous croyez que je laisserais traîner
des produits estampillés «Cougar»
dans ma salle de bains?
Depuis quelques années, j’ai l’insigne
honneur (et la joie non dissimulée)
de faire partie du jury du Prix de
beauté organisé par le magazine alé-
manique Annabelle. Du coup, ma
boîte aux lettres déborde de colis parfumés. Mes
copines sen réjouissent comme moi, car je dis-
tribue à tout va des pots de magie à peine enta-
més après mes évaluations – je ne dispose hélas
pas de suffisamment de surface de visage pour
absorber seule l’abondante production annuelle
de l’industrie cosmétique. Qui veut un souffle de
beauté, un nuage de caresse, une esquisse de
bonheur doux?
Cette saison, il m’incombe – j’attribue cela à
un pur hasard du tirage au sort, tsss! – de tester
les produits anti-âge. Je nage donc avec volupté
dans les «essences détoxifiantes», les «libéra-
teurs de jeunesse» et autres «crèmes cellulaires
radiance». Or voilà que, dans cette litanie apai-
sante et incantatoire, je tombe sur un soin «Cou-
gar skin». Allons bon: voilà une crème qui s’est
échappée du zoo… OK, OK, j’ironise: il ne s’agit
La cme des cougars
Nos
singeries
RenataLibal
Journaliste
Style L’objet de la semaine
BIG-GAME passe à la caisse
Le collectif de designers lausannois
te ses 10 ans. A cette occasion,
il installe une boutique épre
dans les Design Days qui s’acvent
ce soir à Renens. Et vend cette bte
à tout faire que la marque italienne
Alessi vient de mettre sur le marché.
La référence
ö
«Alberto Alessi est complètement fasciné par le
design anonyme suisse, explique Augustin Scott de
Martinville, designer de BIG-GAME. Et
particulièrement par ces caisses en métal des
années 50 sur lesquelles le dessin d’une chaussure
ou d’un outil indique le contenu. Il voulait quelque
chose de semblable, qui puisse servir à ranger
n’importe quoi dans la maison.»
Les designers
ö
Ils sont trois. Augustin Scott de Martinville, Elric
Petit et Grégoire Jeanmonod. Un Français, un Belge
et un Suisse, tous diplômés de l’ECAL et tous
fondateurs en 2004 de BIG-GAME, à Lausanne.
En anglais, le terme qualifie la chasse au gros gibier.
Il sous-entend surtout que le studio prend le design
comme un jeu. Son premier grand succès est
d’ailleurs un faux trophée, une tête d’élan en bois
à monter et à accrocher au mur. Les créations
BIG-GAME sont éditées par le fabricant japonais
Karimoku New Standard, le danois HAY et le français
Moustache.
En avoir une
ö
Jusqu’à ce soir, la caisse Cargo est
en vente au prix de 50 francs au «smallshop»
BIG-GAME, boutique éphémère montée
pendant les Design Days (anciens ateliers
Mayer & Soutter, www.designdays.ch).
Après cette date, elle sera disponible chez
les revendeurs Alessi et sur le site du fabricant,
www.alessi.ch
Le look
ö
Il a une forme de bateau en plastique, de barge
large et creuse capable de tout transporter. Cargo
porte donc plutôt bien son nom. La caisse n’étant
pas spécialement destinée à dormir dans un garage,
elle existe en trois couleurs – blanc, noir et rouge –
et s’attrape par une poignée en frêne. «Le même
bois utilisé pour les manches de marteau,
par exemple», précise BIG-GAME.
Qu’est-ce que c’est?
ö
C’est une caisse, mais pas
uniquement destinée à ranger des
outils. Alessi est un fabricant
d’accessoires pour la cuisine et les
sanitaires. Il a donc fallu coller à cette
philosophie. «C’est plus un objet
domestique à usages multiples»,
confirment ses créateurs. Un
contenant chic et branché qui sied à
tous les contenus. Il peut ainsi servir
au bureau pour ranger ses fournitures
d’écriture, à la salle de bains pour
caser ses produits cosmétiques et
dans le salon comme boîte à couture.
«Les groupes de parole permettent de rompre l’isolement induit par la maladie»
$
Les groupes de parole sadressant aux
personnes atteintes de cancers existent un
peu partout en Suisse. «Il n’est pas rare que
des liens s’y créent et durent ensuite», re-
marque Florence Rochon, infirmière en on-
cologie aux Hôpitaux universitaires de Ge-
nève, membre du groupe Image
Corporelle. Selon elle, ces espaces permet-
tent aux patients de s’exprimer «sans avoir
à donner d’explication, sans avoir à se justi-
fier, en laissant simplement laisser venir
ses émotions». Ils compensent, par
ailleurs, l’isolement dans lequel ces person-
nes se trouvent fréquemment. «Le cancer
isole. Lorsque vous tombez malade, certai-
nes personnes de votre entourage se dé-
tournent. Le cancer est une maladie qui
crée encore le malaise. Pour sen convain-
cre, il suffit de lire les avis mortuaires qui
parlent d’une «longue maladie»…»
Les hospitalisations, relativement fré-
quentes, contribuent encore à couper les
liens. «Si vous suivez un traitement de chi-
miothérapie, vous devez venir toutes les se-
maines à l’hôpital. Si vous suivez une radio-
thérapie, c’est tous les jours. Ça vous prend
du temps et, en plus, on vous demande
d’éviter dapprocher les gens enrhumés. Si
vous devez arrêter de travailler, vos collè-
gues vont vous appeler une fois, deux fois,
trois fois, et sans doute arrêter… Sans parler
des stigmates de la maladie qui font que
vous pouvez vous retrouver dans la peau de
quelqu’un que vous nêtes pas.»
Mais les groupes de parole, qui sont ha-
bituellement encadrés par du personnel
médical, répondent également à un be-
soin d’information des patients, estime
Florence Rochon. «La médecine a énor-
mément évolué, il existe une quantité de
traitements différents contre le cancer.
Dans les journaux, on découvre toutes
sortes de nouveautés qui n’ont pas tou-
jours lieu d’être, voire de produits miracle,
et forcément les patients, eux, cherchent
des clarifications.»
Le cancer du sein constitue indéniable-
ment une des maladies qui rassemble le
plus, admet l’infirmière spécialisée. «Je
crois que c’est un peu dans la nature des
femmes doser parler de leurs problèmes.
Mais il existe beaucoup de groupes concer-
nant le cancer de la prostate, qui concerne
les hommes.»
«Ensemble, on peut
parler de ce mal-être
dont on voudrait
épargner nos
proches»
Brigitte Bugnon
Lemois ducancerdu sein
consacré à lasolidari
A l’occasion du
mois d’octobre,
traditionnelleme
nt consacré à la
lutte contre le
cancer du sein,
la Ligue suisse
contre le cancer
lance une
campagne
d’information
et de
sensibilisation
autour de la solidarité qui se crée envers les
patients et entre eux, notamment au sein des
groupes de parole. C’est la journaliste de la
RTS Agnès Wuthrich, dont les parents ont été
emportés par le crabe, qui joue cette année
les ambassadrices en apparaissant,
avec ses sœurs, sur des affiches.
Parallèlement, avec les ligues des différents
cantons la Ligue suisse contre le cancer
organise une série d’actions et de
manifestations. Elle invite également les
personnes touchées à partager sur une
plateforme communautaire.
Plus de renseignements sur
www.liguecancer.ch/cancerdusein
Par Emmanuel Grandjean
DR
«On ne se voit pas
comme des malades.
Ensemble, on rit
comme des folles»
Joëlle Grivel
De la maladie
naissent parfois
des amitiés
exceptionnelles
En chiffres
5000
femmes sont
diagnostiquées
chaque année en
Suisse, ainsi qu’une
trentaine d’hommes.
Le cancer
du sein est le cancer
le plus courant chez
la femme.
80%
des femmes sont en
vie cinq ans après le
diagnostic.
Contrairement au
nombre de cancers
du sein qui a
tendance
à augmenter, le taux
de mortalité a baissé.
50ans
l’âge à partir duquel
le risque de
développer un
cancer du sein
augmente
sensiblement.
Néanmoins, près
de 20% des patientes
sont plus jeunes.
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