De la maladie naissent parfois des amitiés exceptionnelles

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Société
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Le Matin Dimanche | 28 septembre 2014
Société
28 septembre 2014 | Le Matin Dimanche
Cancer
du sein
Style L’objet de la semaine
BIG-GAME passe à la caisse
Le collectif de designers lausannois
fête ses 10 ans. A cette occasion,
il installe une boutique éphémère
dans les Design Days qui s’achèvent
ce soir à Renens. Et vend cette boîte
à tout faire que la marque italienne
Alessi vient de mettre sur le marché.
R
estons sérieuses.» Elles
pouffent au moment de
faire la photo. Serrées
l’une contre l’autre, dissipées comme des gamines,
elles enchaînent les blagues, puis se reprennent,
lissent leur chemisier, en imaginant déjà les
commentaires qu’elles essuieront après la parution de l’article. Mais ça ne leur fait pas
peur. Le pire est derrière. Elles veulent y croire. Y croire ensemble, parce c’est ensemble
qu’elles ont traversé l’épreuve qui les a marquées dans leur chair.
Lorsque le cancer du sein les frappe, il y a
cinq ans, Brigitte Bugnon et Joëlle Grivel ne se
connaissent pas. La première habite le village
de Bottens, dans la campagne vaudoise, la seconde Yverdon-les-Bains. Les deux femmes
se retrouvent dans un groupe de soutien organisé par la Ligue contre le cancer, à Lausanne.
Parmi les participantes, le courant passe au
point que certaines, le «noyau dur» comme
elles l’appellent, sont resté soudées jusqu’à
aujourd’hui. Ni malades, ni ex-malades, juste
une bande de copines qui continue à se voir
avec la régularité d’un métronome. «Toutes
les quatre à cinq semaines, on se retrouve
chez l’une ou chez l’autre, parfois on va au restaurant. On est sept folles, on rit beaucoup.
Ne croyez pas qu’on parle tout le temps de
cancer!»
Encaisser le choc
Le temps a fait son œuvre, il a apaisé la douleur et l’angoisse. «On a pris du recul, mais je
ne me vois pas renoncer à ces soirées», confie
Joëlle, avec ce mélange de force et de vulnérabilité qui habite ceux que le destin a fait vaciller. Les cicatrices sont encore là, elle n’en
fait pas mystère. «Je parle assez facilement.
J’étais coiffeuse», rigole-t-elle. Française mariée à un Suisse, Joëlle avait son propre salon,
Contrôle qualité
En chiffres
«On ne se voit pas
des femmes sont en
vie cinq ans après le
diagnostic.
Contrairement au
nombre de cancers
du sein qui a
tendance
à augmenter, le taux
de mortalité a baissé.
comme des malades.
Ensemble, on rit
comme des folles»
Joëlle Grivel
Brigitte non plus n’a pas retenu ses larmes.
«J’avais ce que j’appelle mes jours «fontaine». Ces jours où, quand vous vous réveillez,
vos enfants et votre mari sont partis et vous,
vous avez les larmes au bord des yeux. Je me
disais, c’est une journée comme ça, demain
ce sera différent.» Le groupe de parole, c’était
un peu sa thérapie, estime-t-elle: «Je pouvais
dire mon ras-le-bol.» L’été 2008, trois mois
après un contrôle gynécologique de routine,
elle repère une boule suspecte dans la poitrine. Le verdict est sans appel: cancer. «Le ciel
m’est tombé sur la tête.» Elle enchaîne opération, chimiothérapie, radiothérapie. «C’est
un sacré programme, vous êtes en traitement
durant plusieurs semaines, puis vous avez un
répit et ça recommence… C’est concret, vous
faites quelque chose, vous ne subissez pas et
5000
femmes sont
diagnostiquées
chaque année en
Suisse, ainsi qu’une
trentaine d’hommes.
Le cancer
du sein est le cancer
le plus courant chez
la femme.
80%
DR
Petit et Grégoire Jeanmonod. Un Français, un Belge
et un Suisse, tous diplômés de l’ECAL et tous
fondateurs en 2004 de BIG-GAME, à Lausanne.
En anglais, le terme qualifie la chasse au gros gibier.
Il sous-entend surtout que le studio prend le design
comme un jeu. Son premier grand succès est
d’ailleurs un faux trophée, une tête d’élan en bois
à monter et à accrocher au mur. Les créations
BIG-GAME sont éditées par le fabricant japonais
Karimoku New Standard, le danois HAY et le français
Moustache.
vous êtes entourée de personnel médical,
mais quand ça se termine, vous vous retrouvez comme suspendu dans le vide.» Avec le
risque de ressasser les mêmes questions dans
son coin: pourquoi tout ça, pourquoi moi,
pourquoi maintenant.
Le masque peut tomber
Le corps est à vif et c’est ce moment-là que
l’esprit choisit pour vous défier. «Moi, je ressentais de la culpabilité de faire subir ça à
mon mari, à mes enfants, à mes parents»,
confie Brigitte. Mais devant d’autres malades, le masque peut tomber, la parole se libérer. «On peut dire des choses qu’on ne dirait
pas aux gens qui n’ont pas été malades, parler
de ce mal-être dont on voudrait épargner nos
proches, explique la quinquagénaire. Même
si on se trouve à des stades différents, on sait
que l’on va toutes passer par les mêmes étapes.» La révolte, le déni. Pour Joëlle, «les
gens qui n’ont pas vécu ça ne peuvent pas res-
l’âge à partir duquel
le risque de
développer un
cancer du sein
augmente
sensiblement.
Néanmoins, près
de 20% des patientes
sont plus jeunes.
sentir ce que vous ressentez, et on ne le demande pas! Mais pouvoir partager cela, ça
fait énormément de bien.»
Réunies entre elles, les femmes victimes
d’un cancer du sein se créent un univers à part,
où elles évoquent sans tabou notamment les
traitements, leurs effets, la perte du goût, des
cheveux, des sourcils, le fait que quand la pilosité revient sur la tête, c’est d’abord… en couronne. Un monde où chacune peut exprimer
ses tourments, ses peurs, le besoin de pouvoir
compter à la fois sur le soutien infaillible de ses
proches et l’envie de se replier sur soi-même.
«J’ai eu énormément de chance d’avoir un
gentil mari. Mais, c’est vrai, il y a des moments
où on voudrait être seule, complètement seule, admet Joëlle. Et des moments où l’on devient agressive avec la vie. Personnellement,
j’ai encore de la peine à admettre le fait d’avoir
eu un cancer, même si aujourd’hui je vis normalement. Je n’étais ni buveuse, ni fumeuse…
C’est épouvantable à accepter.»
Yvain Genevay
«Ensemble, on peut
parler de ce mal-être
dont on voudrait
épargner nos
proches»
Brigitte Bugnon
Entre malades, on se comprend, «même
s’il n’y a pas deux cas identiques», relèvent
Joëlle et Brigitte. Entre malades, on s’accorde
aussi le droit de plaisanter, «même sur nos
nénés», rient les deux copines. Petit à petit,
les réunions s’allongent. «On a commencé à
rester pour boire un café après les rencontres,
et puis on se voyait avant pour manger une
morce.» Aujourd’hui, les larmes se mêlent
encore aux rires, mais une page est tournée.
Celles qui ont choisi de cultiver cette amitié
née du hasard et de la douleur y ont puisé une
force admirable.
«Les groupes de parole permettent de rompre l’isolement induit par la maladie»
$ Les groupes de parole s’adressant aux
50 ans
uniquement destinée à ranger des
outils. Alessi est un fabricant
d’accessoires pour la cuisine et les
sanitaires. Il a donc fallu coller à cette
philosophie. «C’est plus un objet
domestique à usages multiples»,
confirment ses créateurs. Un
contenant chic et branché qui sied à
tous les contenus. Il peut ainsi servir
au bureau pour ranger ses fournitures
d’écriture, à la salle de bains pour
caser ses produits cosmétiques et
dans le salon comme boîte à couture.
ö Ils sont trois. Augustin Scott de Martinville, Elric
Joëlle Grivel et Brigitte Bugnon se sont rencontrées en 2009 dans un groupe de parole chapeauté par la Ligue vaudoise contre le cancer.
Genevieve. [email protected]
ö C’est une caisse, mais pas
Les designers
Connivence Joëlle Grivel et Brigitte Bugnon ne se
connaissaient pas avant qu’une tumeur ne bouleverse
leur vie. Cinq ans après, elles ne s’imaginent pas
couper ces liens noués dans la douleur, et le rire.
Geneviève Comby
Qu’est-ce que c’est?
Par Emmanuel Grandjean
De la maladie
naissent parfois
des amitiés
exceptionnelles
une vie bien remplie, un train-train rassurant
lorsque, après un contrôle de routine, son gynécologue lui découvre une tumeur. Elle doit
encaisser le choc, la perte de son travail, la
vente de son salon, l’ablation d’un sein.
«Autant je n’avais pas peur de me faire opérer
la première fois parce qu’on m’enlevait quelque chose de mauvais, autant j’ai été terriblement angoissée à l’idée d’une reconstruction,
se souvient-elle. Je n’avais jamais entendu
parler d’une chose pareille. En discuter avec
quelqu’un qui était passé par là m’a donné
confiance.» Joëlle se laisse convaincre de participer à un groupe de parole, même si l’idée
ne l’emballe pas. «Je me disais qu’on allait
toutes pleurer, explique-t-elle. Et on a toutes
pleuré à certains moments! Mais ça m’a fait
du bien.»
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personnes atteintes de cancers existent un
peu partout en Suisse. «Il n’est pas rare que
des liens s’y créent et durent ensuite», remarque Florence Rochon, infirmière en oncologie aux Hôpitaux universitaires de Genève, membre du groupe Image
Corporelle. Selon elle, ces espaces permettent aux patients de s’exprimer «sans avoir
à donner d’explication, sans avoir à se justifier, en laissant simplement laisser venir
ses émotions». Ils compensent, par
ailleurs, l’isolement dans lequel ces personnes se trouvent fréquemment. «Le cancer
isole. Lorsque vous tombez malade, certaines personnes de votre entourage se détournent. Le cancer est une maladie qui
crée encore le malaise. Pour s’en convain-
cre, il suffit de lire les avis mortuaires qui
parlent d’une «longue maladie»…»
Les hospitalisations, relativement fréquentes, contribuent encore à couper les
liens. «Si vous suivez un traitement de chimiothérapie, vous devez venir toutes les semaines à l’hôpital. Si vous suivez une radiothérapie, c’est tous les jours. Ça vous prend
du temps et, en plus, on vous demande
d’éviter d’approcher les gens enrhumés. Si
vous devez arrêter de travailler, vos collègues vont vous appeler une fois, deux fois,
trois fois, et sans doute arrêter… Sans parler
des stigmates de la maladie qui font que
vous pouvez vous retrouver dans la peau de
quelqu’un que vous n’êtes pas.»
Mais les groupes de parole, qui sont habituellement encadrés par du personnel
médical, répondent également à un besoin d’information des patients, estime
Florence Rochon. «La médecine a énormément évolué, il existe une quantité de
traitements différents contre le cancer.
Dans les journaux, on découvre toutes
sortes de nouveautés qui n’ont pas toujours lieu d’être, voire de produits miracle,
et forcément les patients, eux, cherchent
des clarifications.»
Le cancer du sein constitue indéniablement une des maladies qui rassemble le
plus, admet l’infirmière spécialisée. «Je
crois que c’est un peu dans la nature des
femmes d’oser parler de leurs problèmes.
Mais il existe beaucoup de groupes concernant le cancer de la prostate, qui concerne
les hommes.»
Contrôle qualité
«On ne se considère pas comme des malades. Ensemble, on rit comme des folles», résume Joëlle. Cet été, deux mois se sont écoulés sans qu’elles se voient. Brigitte admet
qu’elle a trouvé ça long: «J’ai besoin de ces
moments.» Des moments simples où «on
parle beaucoup chiffons», de «l’image de
soi», précise Joëlle. Mais aussi de boulot, des
petits-enfants et du temps libre. «Le cancer?
On en parle de moins en moins.» U
Le mois du cancer du sein
consacré à la solidarité
A l’occasion du
mois d’octobre,
traditionnelleme
nt consacré à la
lutte contre le
cancer du sein,
la Ligue suisse
contre le cancer
lance une
campagne
d’information
et de
sensibilisation
autour de la solidarité qui se crée envers les
patients et entre eux, notamment au sein des
groupes de parole. C’est la journaliste de la
RTS Agnès Wuthrich, dont les parents ont été
emportés par le crabe, qui joue cette année
les ambassadrices en apparaissant,
avec ses sœurs, sur des affiches.
Parallèlement, avec les ligues des différents
cantons la Ligue suisse contre le cancer
organise une série d’actions et de
manifestations. Elle invite également les
personnes touchées à partager sur une
plateforme communautaire.
Plus de renseignements sur
www.liguecancer.ch/cancerdusein
Le look
ö Il a une forme de bateau en plastique, de barge
large et creuse capable de tout transporter. Cargo
porte donc plutôt bien son nom. La caisse n’étant
pas spécialement destinée à dormir dans un garage,
elle existe en trois couleurs – blanc, noir et rouge –
et s’attrape par une poignée en frêne. «Le même
bois utilisé pour les manches de marteau,
par exemple», précise BIG-GAME.
La référence
En avoir une
ö «Alberto Alessi est complètement fasciné par le
ö Jusqu’à ce soir, la caisse Cargo est
design anonyme suisse, explique Augustin Scott de
Martinville, designer de BIG-GAME. Et
particulièrement par ces caisses en métal des
années 50 sur lesquelles le dessin d’une chaussure
ou d’un outil indique le contenu. Il voulait quelque
chose de semblable, qui puisse servir à ranger
n’importe quoi dans la maison.»
en vente au prix de 50 francs au «smallshop»
BIG-GAME, boutique éphémère montée
pendant les Design Days (anciens ateliers
Mayer & Soutter, www.designdays.ch).
Après cette date, elle sera disponible chez
les revendeurs Alessi et sur le site du fabricant,
www.alessi.ch
La crème des cougars
Nos
singeries
Renata Libal
Journaliste
D
epuis quelques années, j’ai l’insigne
honneur (et la joie non dissimulée)
de faire partie du jury du Prix de
beauté organisé par le magazine alémanique Annabelle. Du coup, ma
boîte aux lettres déborde de colis parfumés. Mes
copines s’en réjouissent comme moi, car je distribue à tout va des pots de magie à peine entamés après mes évaluations – je ne dispose hélas
pas de suffisamment de surface de visage pour
absorber seule l’abondante production annuelle
de l’industrie cosmétique. Qui veut un souffle de
beauté, un nuage de caresse, une esquisse de
bonheur doux?
Cette saison, il m’incombe – j’attribue cela à
un pur hasard du tirage au sort, tsss! – de tester
les produits anti-âge. Je nage donc avec volupté
dans les «essences détoxifiantes», les «libérateurs de jeunesse» et autres «crèmes cellulaires
radiance». Or voilà que, dans cette litanie apaisante et incantatoire, je tombe sur un soin «Cougar skin». Allons bon: voilà une crème qui s’est
échappée du zoo… OK, OK, j’ironise: il ne s’agit
pas de pommader les museaux velus des vrais
pumas, mais de donner l’illusion aux dames en
voie de flétrissement qu’elles peuvent encore
(enfin?) aimanter le jeune homme. Un rien de
phytostéroïdes, de vederine, d’actée noire et de
chromabright (non, pas de bave de crapaud!) sur
nos joues, Mesdames, et voilà que les écoliers
vont se précipiter pour nous les dévorer de baisers passionnés, à peine la cloche de la récré
aura sonné… «Grrrr», rugit la féline en s’en remettant une couche.
Hum. La marque qui s’aventure dans ce nouveau concept marketing s’appelle Rodial, et elle
est basée à Londres. J’en déduis qu’il s’agit d’humour anglais. D’ailleurs une autre ligne de la
marque s’appelle Dragon Blood, sang de dragon,
ce qui colle assez bien aux vertus ésotériques du
genre… Mais retour aux fauves: je me demande
bien qui cette perspective de cougaritude est
censée convaincre. Corollaire: à laquelle
de mes copines vais-je bien pouvoir filer ce potlà, sans qu’elle ne le prenne pour un message caché («Zut, elle m’a vu en trottinette avec Kevin»), ni son mari pour un avertissement…?
Je sais, je vais offrir l’élixir magique à ma grandmaman: avec un peu de pot, elle ne parle
pas assez d’anglais pour se poser
des questions… Sérieusement: si vraiment
je voulais m’offrir des vertiges avec
un jeunot, vous croyez que je laisserais traîner
des produits estampillés «Cougar»
dans ma salle de bains?
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