Promotion 2003
Année 3
Majeure 1
PHY551
Optique quantique 1 : Lasers
Édition 2005
Alain Aspect, Claude Fabre, Gilbert Grynberg
MAJEURE DE PHYSIQUE
Tome I
Avant-Propos
La découverte des lasers, en 1960 a complètement renouvelé l’optique. Au niveau fon-
damental, comme dans le domaine des applications, des possibilités radicalement nouvelles
ont été offertes au physicien et à l’ingénieur, par la directivité, la monochromaticité, la
puissance de la lumière laser. Certaines applications, comme les télécommunications par
fibre optique, présentent des enjeux économiques considérables. Des progrès récents en re-
cherche fondamentale, comme le refroidissement d’atomes par laser, ou le développement
des « peignes optiques de fréquences », offrent des perspectives d’amélioration considé-
rable des horloges atomiques, dont la précision et l’exactitude pourraient dépasser les
1015, soit une seconde d’incertitude en trente millions d’années, permettant alors une
augmentation spectaculaire de la précision de la localisation par satellite, un meilleur
contrôle des flux de données, ou de nouveaux tests de la relativité générale. Ce cours
a pour but de présenter les notions de base de l’optique quantique, nom sous lequel on
désigne traditionnellement la discipline très vaste consacrée aux lasers et à leurs applica-
tions. Notre premier objectif est de présenter une théorie des lasers simple mais puissante
et générale. Elle donne une compréhension unifiée applicable à la grande variété des lasers
dont nous disposons aujourd’hui, et sans doute à ceux qui ne manqueront pas d’apparaître
dans le futur. Nous essaierons ensuite de dégager les propriétés spécifiques de la lumière
laser qui la rendent apte à des applications inconcevables avec les sources traditionnelles.
Pour comprendre le principe des lasers, nous devrons d’abord étudier l’interaction
lumière-matière, dont l’exemple le plus simple est l’interaction atome-rayonnement.Les
processus en jeu ne peuvent se décrire que dans le cadre quantique, et nous utiliserons donc
les connaissances acquises dans le tronc commun, que nous complèterons par l’étude des
transitions d’un système quantique entre deux états, ou entre un état discret et un conti-
nuum (chapitre 1). En fait, on utilise la mécanique quantique pour traiter les atomes,
mais on décrit la lumière laser par un champ électromagnétique classique. Cette théorie
« semi-classique » de l’interaction atome-rayonnement, universellement utilisée en phy-
sique des lasers, permet de rendre compte de façon quantitative d’un très grand nombre
de phénomènes, tout en donnant des images simples et fécondes. Elle permet aussi de
décrire en détail l’amplification de lumière par émission stimulée, à la base de tous les
lasers (chapitre 2). On peut se demander pourquoi ne pas utiliser une théorie complète-
ment quantique où la lumière aussi est quantifiée. On peut en fait montrer, en utilisant
une telle théorie1, que la description d’un faisceau laser par une onde électromagnétique
1Voir le cours « Optique Quantique 2 » de la majeure de physique 2.
4AVANT-PROPOS
classique est particulièrement judicieuse et commode, notamment pour rendre compte des
propriétés remarquables de cohérence.
Armés de ce modèle de l’interaction matière-rayonnement, nous pourrons donner une
description générale du fonctionnement des lasers, et de quelques propriétés essentielles,
qui seront présentées sur des exemples représentatifs de divers types de lasers très répandus
(chapitre 3).
Dans les chapitres 4 et 5, nous approfondirons l’étude du fonctionnement des lasers,
soit en régime stationnaire, soit au contraire en régime transitoire. Nous verrons ainsi
apparaître des comportements caractéristiques de deux grandes catégories de laser : les
lasers continus d’une part, pouvant être ultra-stables, et souvent de faible puissance; les
lasers en impulsion d’autre part, qui permettent de délivrer en des temps incroyablement
brefs (jusqu’à 1015 s, c’est-à-dire une femtoseconde, et même moins puisqu’on a atteint
en 2004 l’échelle des attosecondes, 1018 s) des énergies correspondant à des puissances
crêtes qui se comptent en milliers voire en millions de gigawatts. Pour décrire ces différents
régimes, nous partirons d’équations apparemment très simples, mais qui comportent des
termes non-linéaires, à l’origine d’une très grande variété de phénomènes importants :
compétition entre modes, impulsions de relaxation, déclenchement passif par absorbant
saturable... L’intérêt de ces phénomènes va bien au-delà de la physique des lasers, car on ne
saurait surestimer l’importance des effets non-linéaires dans la physique moderne, et plus
généralement dans toute la science et la technique. Dans ce domaine, le laser nous offre
des exemples concrets, relativement faciles à modéliser et à étudier expérimentalement,
permettant de se familiariser avec les phénomènes non-linéaires.
La lumière laser est en général extraordinairement plus monochromatique que celle
fournie par les sources traditionnelles. Pourtant, on ne peut se borner à la décrire par
une onde monochromatique idéale. Ce problème nous conduira à introduire, au chapitre
6,deséléments d’optique statistique, nécessaires pour donner un sens à la notion de
largeur de raie laser, de cohérence temporelle... Il s’agit en fait d’un exemple important
de l’utilisation des concepts statistiques en physique, où nous retrouvons le nom d’Albert
Einstein qui traita brillamment le problème du mouvement Brownien, avant d’introduire
le concept d’émission stimulée, à la base de l’effet laser !
Ce cours est très centré sur l’interaction laser-atome. Cette interaction est à la base
du fonctionnement du laser, mais la lumière laser a en retour profondément renouvelé la
physique atomique, conduisant à l’invention de nouvelles méthodes qui ont débouché sur
des applications spectaculaires. Ainsi, les physiciens ont appris à utiliser les lasers pour
contrôler le mouvement des atomes, que l’on sait refroidir ainsi au nanokelvin, ou que
l’on peut espérer focaliser pour réaliser des objets « nanoscopiques ». Cette possibilité de
manipulation et refroidissement des atomes par laser constituera notre dernier exemple
d’application de la théorie de l’interaction lumière-matière : il est présenté au chapitre
7. Ces méthodes ont d’ores et déjà des applications pratiques, aussi bien dans le domaine
des horloges atomiques, que dans le développement de nouveaux senseurs inertiels et
gravitationnels basés sur des interféromètres atomiques.
AVANT-PROPOS 5
Il n’est pas insignifiant de remarquer que le contenu du chapitre 7 correspond à un
champ de recherche qui a démarré dans la deuxième moitié des années 80 et qui a conduit
en 1997 à l’attribution du prix Nobel de physique à Claude Cohen-Tannoudji, Steven Chu,
et Bill Phillips. Depuis, ce domaine a débouché sur une nouvelle découverte majeure, celle
des « condensats de Bose-Einstein d’atomes en milieu dilué », elle aussi récompensée par
un prix Nobel en 2001 (E. Cornell, C. Wieman, W. Ketterle). Ces systèmes, dont on dira
quelques mots en fin du chapitre 7, présentent de fortes analogies avec les lasers, et on
commence aujourd’hui à parler de « Lasers à Atomes ». On ne pouvait rêver de meilleure
conclusion pour ce cours.
Le tome I du cours polycopié « Optique quantique 1 : Lasers » est basé sur un
travail collectif de longue haleine avec Gilbert Grynberg et Claude Fabre, et enrichi d’un
complément (II.5) rédigé par Emmanuel Rosencher, qui nous fait profiter de ses immenses
connaissances en optique quantique des semi-conducteurs. Quant au tome II, rédigé plus
récemment, ses imperfections sont dues à moi seul.
Je ne saurais terminer cet avant-propos sans évoquer la mémoire de Gilbert Grynberg
qui nous a quittés au début de 2003, nous laissant avec une grande peine, et un grand vide.
C’est lui qui a créé cet enseignement d’Optique Quantique. Il avait d’abord introduit, au
sein du tronc commun de mécanique quantique, des exemples puisés dans ce domaine, à
une époque où l’optique n’était pas encore redevenue une discipline incontournable. Il avait
alors été assez convaincant pour qu’on lui demande de créer un cours d’optique quantique
lors de la réforme ayant introduit les majeures. C’est dans ce cadre que j’ai eu la chance
de travailler avec lui, découvrant sa conception originale de l’enseignement de l’optique
quantique, basée sur une expérience de recherche de très haut niveau, et sur une réflexion
personnelle profonde. Cette conception sous-tend le cours que vous allez recevoir. Elle
consiste à vous montrer que si l’on veut comprendre en profondeur les phénomènes afin
de pouvoir ensuite devenir créatif, il ne faut pas être dogmatique, et savoir jongler avec des
approches très différentes permettant de voir les phénomènes sous des angles variés, de se
les représenter avec des images diverses, de les traiter avec plusieurs formalismes. Gilbert
n’avait pas son pareil pour sauter du modèle classique de l’électron lié élastiquement,
au modèle complètement quantique de l’atome habillé, en passant par le modèle semi-
classique de l’interaction lumière-matière. Il voulait faire partager aux polytechniciens
cette expérience intellectuelle, dont il pensait qu’elle avait une valeur générale, bien au-
delà de notre discipline. Son influence nous a marqués si fortement que son esprit vit
toujours au travers de ce cours.
Alain Aspect
Septembre 2005
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