Connaissances et attitudes des étudiants en fin d`études médicales

Santé publique
2007,volume 19,2,pp. 119-132
ÉTUDES
Correspondance:
M.Hsairi
Réception :
04/04/2006 -
Acceptation :
17/01/2007
Connaissancesetattitudesdesétudiants
en fin d’étudesdicales vis-à-vis
desdépistagesdescancers ducol utérin
etdu sein
Knowledge and attitudesof medicalstudents at the end
of theircurriculum,towardsbreast and cervicalcancer screening
MohamedHsairi(1),HegerBen Gobrane (1),NissafBen Alaya(2),Ridha Bellaaj(3),
Noureddine Achour (1)
(1) Institut Nationalde la SantéPublique 5-7RueKhartoum-1002,Tunis,Tunisie.
(2)Institut Pasteur Tunis.
(3)Serviced’hygiène hospitalière, Hôpital militaire – Tunis.
Résu:Cette étudedécritlesconnaissancesetl’attitudedesétudiants de lafacultéde
decine deTunis,en fin d’étudesdicales,vis-à-visdesdépistagesducancerducol
utérin etde la détection précoceducancerdu sein. Parmi les 644 stagiairesintersissus
de lafacultéde médecine deTunis,592ont réponduàunauto questionnaireanonyme (taux
deréponse = 92%). Les résultats montrentque le dépistage ducancerducol utérin aété
indiquédune manièresystématique,par uniquement 34,1 % contre61,0% pour l’examen
des seins.La majoritédesétudiants (70,2%) ontproposédecommencercedépistage dès
lespremiers rapports sexuels. 44,2%sontfavorablespour une périodicitéannuelle,39,2%
pour une périodicitétous les troisans,7,2% pour une périodicitétous lescinq anset9,4%
pour une périodicitéaumoins une foisdanslavie. Si pour l’examen des seins,94,1 % des
étudiants ontdéclaréavoirapprisàle faire, cen’est pasle caspour lapratiquedufrottis
cervical,pour lequel cette proportion n’est quede 55,1 %. L’enseignementàlafacultéde
decine deTunis, de laluttecontre le canceren général etdescancers ducol utérin etdu
sein en particulier,savère insuffisantetrited’êtrerenforcé etmieux structuré.
Mots-cs:
Cancerdu sein - cancerducol utérin - dépistage - attitude - étudiants en médecine.
Summary:
This studyassessesknowledge and attitudesof medicalstudents of the faculty of
medicine of Tunis, at the endof theirmedicalcurriculum,towardsbreast and cervicalcancer
screening. Among the 644 medicalstudents at the endof theircurriculum,592answeredto
anonymous questionnaire (responserate = 92%). Results show that 34.1% have proposed
systematic cervicalcancer screening. Thisproportion was 61.0% forclinicalbreast cancer
examination. The majority of students (70.2%) proposedtostart thiscervicalscreening since
the first sexualactivities.Asfor the periodicity of this screening,44.2%are favourable fora
yearlyperiodicity,39.2% forevery three years,7.2% forevery fiveyears and9.4% fora
periodicity atleast once in life. 94.1% of students declaredto have learned clinicalbreast
examination, contrarily to papsmear,for whichthisproportion wasonly55.1%. Breast and
cervicalcancercontrol training,in the faculty of medicine of Tunis,isinsufficientandshould
be improved andrestructured.
Keywords:
Breast cancer-cervicalcancer-screening - attitude - medicalstudents.
M.HSAIRI, H.BEN GOBRANE, N.BEN ALAYA, R.BELLAAJ, N.ACHOUR
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Introduction
Lecancerdu sein etle cancerducol utérin représententen Tunisie lesdeux
localisations tumoraleslesplus fréquenteschezlafemme ;l'incidencedu
cancerdu sein etducancerducol utérin ontété estiméesen Tunisie respec-
tivementà19,7/100000 et5,8/100000 pour lariode 1993-1997[13].Ce
cancerest caractérisé en Tunisie par son diagnosticrelativement tardif dans
lamajoritédescas, avec des tumeurs assez volumineuses(5 cmdediatre
en moyenne),etd’emblée un pourcentage élevéd’extension métastatique. Le
diatre moyen de latumeur est de 49 ± 29,7mm,etladiane est de
45 mm. La taille tumorale étaitcomprise entre2et5cm, chez55,7%des
patientes,etinférieureà2cmuniquementchez 7,6%d’entre elles[3].
Actuellement,la Tunisie est sur le pointdeconcrétiserlamise en place
dun plancancerpour lariode2006-2010[21].Ce plan,quirepose
principalement sur les structurespubliques,prévoitpour laluttecontre le
cancerducol utérin,undépistage de masse parle frottiscervicalàraison
dun frottis tous les5ans.Concernantlaluttecontre le cancerdu sein,le
plan prévoitlapromotion de la détection précocedececanceràtravers
l’examen physique effectué parlesdecinsetles sages-femmesexerçant
en première ligne. La mammographie est réservée pour le diagnosticetle
suividesfemmesayantdesantécédents familiaux dececancer.C’est ainsi
que le plancanceraccordeune place importanteaux decinsetaux sages-
femmesexerçanten première ligne,quidevrontappliquerlesthodes
dedépistage (frottiscervical,examen physiquedes seins, demandede
mammographie dedépistage pour lesfemmesàrisque élevé),motiverles
femmespour adreraudépistage,suivre lescasquisesont révéléspositifs
audépistage etassurer une bonne coordination avecleslaboratoiresde
cytologie, descentresde mammographie,les structuresdetraitementdes
maladescancéreux.Ils sontamenésaussià détecter une éventuelle
extension de latumeur oul’apparition dautrescomplications.
La sensibilisation desfemmes revêt une placetrèsimportantedansces
programmesdedétection précoce;en effet,une étude menée dansdeux
gouvernorats duNord de la Tunisie,l’un plutôt urbain etmieux loti (Ariana)
etl’autre plutôt rural etmoinsloti (Zaghouan), a misen évidence que le
recours audecin ouàlasage-femme pour le dépistage ducancerdu sein
est relativementfaible (22,4 % àl’Ariana
vs
5,8 % à Zaghouan) ;il en est de
même pour le recours àlamammographie dedépistage (14,3%àl’Ariana
vs
4,31à Zaghouan) [11].
Dunautrecôté,pour cesactivitésdedépistage ducancerducol utérin et
de la détection précoceducancerdu sein,lesfemmesobservent une certaine
réticencevis-à-visdesdecinshommes,etpréfèrent recouriraux sages-
femmesetaux decinsdesexe féminin pour bénéficierdeces
prestations[11].
Pour ce qui est desattitudesetpratiquesdesdecinsgénéralistesde
première ligne vis-à-visdudépistage ducancerducol utérin etde la
détection précoceducancerdu sein,il aétédémontrédans untravail
précédent sur l’attitude etpratiques[12]que leur niveaudadsion à ces
programmesdedépistage n’est pas satisfaisant.D’oùl’intérêtdecetravail
quise proposederemonterauniveaude laformation desfuturs decins,
pour évaluerdansquellesmesures,lesétudiants en médecine sont
DÉPISTAGE DU CANCER ET CONNAISSANCES DES ÉTUDIANTS EN MÉDECINE 121
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suffisammentpréparésetforsaudépistage ducancerducol utérin età
la détection précoceducancerdu sein. Ainsi,l'objectif decetravail est de
décrire lesconnaissancesetl’attitudedesétudiants de lafacultéde
decine deTunis,en fin d’étudesdicales vis-à-visdudépistage du
cancerducol utérin etde la détection précoceducancerdu sein.
Méthodologie
Lesystème desantétunisien est unsystème pluraliste, composédunsec-
teur public, dunsecteur privé etdunsecteur parapublic(relevantdescais-
sesdesécuritésociale). Lesecteur publicest le principal fournisseur des
soinsdesanté; toutefoisle secteur privé observeundéveloppementassez
marquéaucours desdernièresannées.Il n’existe pasactuellement un méca-
nisme derégulation adéquatentre les trois secteurs ; ce quiapour consé-
quences une faible adsion du secteur privéaux programmesde prévention.
Lesdépenses totalesdesantéreprésentaient5,6%duPIB en 2003, dont
25 % dedépensesétatiques.Lesprincipales sourcesde financementdes
dépensesdesantésontlesménages(53,6%),lescaissesdesécuritésociale
(23,3%) etl’État(21,8 %) [23].
Aucours de l’année universitaire2003-2004,2 085 étudiants étaient
inscrits, dont453en premièreannée et 338 en cinquième année. Le nombre
destagiairesintersde première etdedeuxième année étaitde644. La
cancérologie est enseignée en deuxième cycle d’étudesdicales, avecun
module decancérologie générale ;parcontre l’enseignementde lapatho-
logie cancéreusescifiquedesdifférenteslocalisations,est répartidansles
différentesdisciplinescliniques(pneumologie,gycologie….). Lestage
interné est accompli dansleshôpitaux etautresformations sanitaires.Le
programme nationalde luttecontre le canceraccordeune place importante
aux decinsexerçanten première ligne,notammenten matrededépis-
tage descancers du sein etducol utérin.
L’enquêtes'est déroulée aucours dudeuxième trimestrede l’année 2004.
Les 644 stagiairesintersissus de lafacultéde médecine deTunisontété
invitésàrépondreàunauto questionnaireanonyme. Ce questionnaire
comporteune préambule expliquantl’intérêtde l’étude pour sensibiliserles
étudiants àrépondresoigneusementaux différentesquestions.Au total,
28questionsontété posées.Lesdonnées recueilliesavaient traità
l’identification de l’étudiant(âge,sexe,service hospitalierdaffectation), aux
connaissancesépidémiologiques sur le cancerdu sein etducancerducol
utérin en Tunisie etdansle monde (incidence,principaux facteurs derisque),
àleur attitudevis-à-visdudépistage de massedesdeux cancers,etenfin aux
principales recommandationsproposéespour réussir un programme de
dépistage de massedecesdeux localisationscancéreuses.Lesdonnées
relativesaux connaissancesontété le plus souventdetype ouvert etcelles
serapportantaux attitudesdetype semi-fermé.
Lesdonnéesontétésaisiesàl'aidedulogiciel Epi-info (version 6) et
analyséesàl'aidedulogiciel STATA (version 6). Ontétéconsidéréescomme
réponsescorrectesles valeurs entre2et10/100.000 pour le cancerducol
utérin etentre 15 et 25/100.000 pour le cancerdu sein. Letest duchi-2aété
utilisé pour la comparaison de pourcentages.
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Résultats
Parmi 644 étudiants inscrits sur lalistedesinternespour l’année 2003-2004,
592étudiants ont réponduauquestionnaire,soit untaux deréponsede 92%.
Lâge moyen étaitde25,01 ± 1,45 ans,et 60,5 % étaientdesexe féminin.
Connaissances relativesàl’épidémiologie descancers en Tunisie
La majoritédesétudiants (89,1 %) avaientconnaissancede l’existencede
registresducanceren Tunisie. Parmi lesétudiants interrogés,uniquement
21,1 % ontdonné une réponsecorrecte pour l’incidenceducancerdu sein en
Tunisie,et13,6% pour l’incidenceducancerducol utérin (Figure 1).
Lesfacteurs mentionnés,pouvantexpliquerle niveauplus élevéde
l’incidenceducancerdu sein danslespays occidentaux sontprincipalement
le niveaude performanceduprogramme dedépistage (52,6%),un meilleur
niveau socio-économique (17,9 %),une parité moinsélevée (11,3%),une
fréquence faible dallaitementmaternel (9,2%), desfacteurs alimentaires
(7,1 %) etdesfacteurs génétiques(6,0%).
Attitudes vis-à-visdudépistage descancers du sein etducol utérin
La majoritédesétudiants interrogés,pensentqu’il existedesmoyenseffi-
cacespour réduire l’incidenceducancerdu sein etducancerducol utérin res-
pectivement,84,1 % pour le cancerdu sein et96,2% pour le cancerducol utérin.
Pour ce qui est de laperception de lafinalitédudépistage,lamajoritédes
étudiants (73,3% pour le dépistage ducancerducol utérin et85,0% pour le
dépistage parlamammographie) pensentque l’amélioration dupronosticest
le but le plus recherc;alors quuniquement18,5 % pensentque le dépis-
tage parle frottiscervical permetd’éviterl’apparition dececancer(TableauI).
Figure 1 : Connaissancedesétudiants, de l'incidencedescancers du sein etducol utérin
selon le sexe.
23,7
incidence
du cancer
du col utérin
(% de réponses
correctes)
incidence
du cancer
du sein
(% de réponses
correctes)
11,6
14, 8
p=0, 5
p=0,3
1 9 ,5
051 0 1 5 2 0 2 5
F é m inin Masculin
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Concernantlesfemmesciblées,64,8 % ontproposéde limiterce frottis
cervicalaux femmesàrisque particulièrementcellesayantdesantécédents
d’infections sexuellement transmissibles ; alors quuniquement 34,1 % pour
touteslesfemmesquel quesoitleur niveauderisque (TableauIII). Pour ce
qui est de l’examen des seins, c’est plutôtlatendance inverse, avec61,0%
pour touteslesfemmeset 37,9 % pour lesfemmesàrisque. Lesétudiantes
sontplus favorablespour élargircetexamen àtouteslesfemmes(64,7%
vs
55,2% p = 0,02) (TableauII).
Pour ce qui est de l’âge préconisé pour commencerle dépistage parle
frottiscervical,lamajoritédesétudiants (70,2%) ontproposédecommencer
cedépistage dèslespremiers rapports sexuels.Sagissantde lariodicité
decedépistage,44,2%sontfavorablespour une périodicitéannuelle,
39,2% pour une périodicitétous les troisans,7,2% pour une périodicité
tous lescinq anset9,4 % pour une périodicitéaumoins une foisdanslavie.
Concernantlaperception de l’efficacitédesdifférents modesdedétection
précoceducancerdu sein, c’est lamammographie quiaété jugée plus
fréquemment trèsefficace (65,1 %),suivie de l’examen des seins(23,7%) et
en dernière position l’auto examen des seins(14,2%) (TableauIII).
Apprentissage de lapratiquedufrottiscervical etde l’examen des seins
La grande majorité (97,9 % pour le col utérin et99,0% pour le sein) est
favorable àl’apprentissage de lapratiquedufrottiscervical etde l’examen
des seins.Parcontre,si pour l’examen des seins,94,1 % desétudiants ont
déclaréavoirapprisàle faire;ce n’est pasle caspour lapratiquedufrottis
cervical,pour lequel cette proportion n’est quede 55,1 %. Lesprincipales
raisonsavancéespour expliquercedéfaut dapprentissage sont« l’occasion
ne s’étaitpasprésentée » (61,3%) et undéfaut d’encadrement(38,7%).
TableauI : Perception de lafinalitédudépistage de masseducancerdu sein
etducancerducol utérin
Féminin
(n=358) %Masculin
(n=222)%Total
(n = 580)%
Finalitédudépistage ducancer
ducol utérin :
Améliore le pronostic74,071,973,2
Évite lamaladie 18,219,018,5
Autre7,89,08,3
p = 0,85
Finalitédudépistage par
lamammographie :
Améliore le pronostic8683,385
Évite lamaladie 4,75,95,2
Autre9,210,99,8
p = 0,56
1 / 14 100%