Béatrice de Gasquet Intellectuels à la synagogue
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des corps pendant l’offi ce, etc.). Ces experts affectent ainsi l’expérience religieuse
de l’ensemble des membres de la synagogue.
L’hypothèse développée ici est que la construction de l’autorité religieuse ne
dépend pas seulement des caractéristiques initiales des personnes, mais aussi de
paramètres locaux que sont le recrutement, les pratiques propres à chaque syna-
gogue et sa position dans le champ religieux. L’article développe plus précisément
la comparaison de deux synagogues où les « intellectuels » de profession, ensei-
gnants et/ou chercheurs, sont prédominants dans cette position d’expertise reli-
gieuse. Dans la première, les personnes les plus admirées sont principalement des
hommes, « virtuoses » capables à la fois de dominer les discussions sur les textes
religieux et de maîtriser la direction du rituel, et ce sont des universitaires non
spécialisés dans des thématiques liées au judaïsme. Dans la seconde synagogue,
on admire tant des hommes que des femmes pour une érudition sur les textes qui,
pour les femmes notamment, est liée à une spécialisation universitaire en études
juives. Cette comparaison semble illustrer une conversion de capitaux universi-
taires en capitaux religieux, mais le fait que les personnes sélectionnées ne sont pas
les mêmes d’une synagogue à l’autre indique que cette conversion est loin d’être
automatique. De même, la prédominance des hommes suggère que sont à l’œuvre
des mécanismes de reproduction de la domination masculine dans ces deux syna-
gogues pourtant en principe égalitaires, mais la différence entre elles deux pointe
un effet du contexte local sur la valorisation des femmes.
Dans un premier temps, nous présenterons les deux synagogues observées et
la manière dont les pratiques d’étude des textes y sont inséparables de la construc-
tion d’un judaïsme non orthodoxe. Nous montrerons ensuite comment les qualités
Cet article s’appuie sur une enquête ethnographique
menée entre janvier 2004 et juin 2009 dans deux
synagogues non orthodoxes parisiennes, et à partir
d’une position d’observatrice non pratiquante : dans
les interactions, je présentais ma situation d’étudiante
en sociologie, non juive et ne pratiquant pas de reli-
gion. Cette position fut facilitée par le fait que ces
synagogues (du fait notamment de leur ouverture
aux demandes de conversion et de leur engagement
dans le dialogue interreligieux) sont particulièrement
habituées à la présence de non-juifs à leurs offi ces.
La position d’étudiante observatrice y était également
rendue possible par la familiarité avec le monde de la
recherche (non seulement les rabbins, mais la majorité
des fi dèles rencontrés avait un niveau d'étude au moins
égal au master, et un nombre non négligeable d'entre
eux un doctorat).
J’ai ainsi pu assister dans chaque synagogue aux offi ces
de shabbat du vendredi et du samedi (présence heb-
domadaire pendant six mois environ dans chacune
d’elles, ponctuelle ensuite), à une activité hebdoma-
daire d’enseignement (suivie sur une année), ainsi qu’à
d’autres événements plus ponctuels (fêtes, conférences).
Les observations, interactions et discussions informelles,
consignées dans un journal de terrain, ont été com-
plétées par des entretiens non directifs enregistrés. La
recherche s’est également appuyée sur la consultation
approfondie des productions écrites juridico-religieuses
des mouvements religieux concernés, et le positionne-
ment de ces deux synagogues dans le judaïsme français
a été précisé par l’observation de la participation de leurs
porte-parole respectifs à des événements communau-
taires extérieurs, et par l’analyse du traitement qu’il en
était fait dans la presse juive française.
Encadré 1. L’enquête
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