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INTELLECTUELS À LA SYNAGOGUE. LA PRODUCTION DE
L'AUTORITÉ DANS LE JUDAÏSME NON ORTHODOXE EN FRANCE
Béatrice de Gasquet
2012/3 n° 88 | pages 46 à 67
ISSN 1155-3219
ISBN 9782701162485
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-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------!Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Béatrice de Gasquet, « Intellectuels à la synagogue. La production de l'autorité dans le judaïsme
non orthodoxe en France », Genèses 2012/3 (n° 88), p. 46-67.
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Belin | « Genèses »
Intellectuels à la synagogue.
La production de l’autorité dans le judaïsme
Béatrice de Gasquet
PP.
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L
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ongtemps dominé par le Consistoire, une institution héritée du concordat
napoléonien, le judaïsme français a connu depuis la Seconde Guerre mondiale une forte différenciation interne (Podselver 2004) et une intégration
croissante au judaïsme mondial. Ces deux évolutions inversent la centralisation
religieuse et l’homogénéisation nationale précédemment imposées par le Consistoire. À côté des synagogues consistoriales se sont ainsi développées, à partir des
années 1960, de nombreuses synagogues et écoles se revendiquant « traditionalistes » ou « orthodoxes », dont certaines sont affiliées à des mouvements religieux
transnationaux comme les Loubavitch. Quant au judaïsme consistorial, alors qu’il
s’était depuis le XIXe siècle constitué comme une synthèse spécifiquement française
(par opposition au clivage qui émergeait en Europe entre tenants d’une réforme
du judaïsme et opposants orthodoxes), il s’est progressivement aligné, à l’échelle
internationale, sur le judaïsme orthodoxe, notamment pour les circuits de validation de la viande casher, les conversions, la formation des rabbins (Nizard 1998 ;
Allouche-Benayoun et Podselver 2003 ; Tank 2003 ; Endelstein 2006). Enfin, en
réaction à ce déplacement vers l’orthodoxie, les courants libéral puis massorti (ou
conservateur1), deux mouvements transnationaux principalement représentés aux
États-Unis, se sont plus récemment organisés en France (Allouche-Benayoun
2004 ; Archives juives 2007). Alors qu’il n’y avait qu’une synagogue libérale de 1907
à 1977 (rue Copernic, à Paris), ces deux courants en regroupaient une vingtaine
dans les années 2000. Au-delà de nettes différences historiques, institutionnelles
et théologiques, ils ont notamment en commun, par opposition aux synagogues
orthodoxes, la mixité et l’égalité des sexes dans la participation aux offices religieux
(les femmes peuvent monter à la Torah, diriger la prière, présider la synagogue,
devenir rabbin), l’usage du français en plus de l’hébreu pour certaines parties
de l’office et une politique d’accueil des démarches de conversions au judaïsme.
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Dans ce contexte de pluralisation religieuse, cet article s’intéresse plus particulièrement à ces deux derniers courants, regroupés ici sous le terme de « non
orthodoxes » du fait de leur commune opposition à la domination institutionnelle du judaïsme consistorial en France2 et à l’affiliation religieuse de ce dernier
à un judaïsme orthodoxe accusé de défendre une vision figée de la loi juive. La
construction de l’autorité religieuse prend en effet nécessairement des formes particulières dans ces synagogues où l’on revendique, avec des nuances suivant le
courant, la pluralité des interprétations possibles des textes religieux, la nécessité
d’interpréter la loi juive au regard du contexte social et historique et l’importance
du libre arbitre individuel face aux commandements divins (Krygier 1995 ; Farhi
et Lentschner 1997 ; Bebe 2006). L’émergence et la légitimité de leaders religieux
y sont aussi compliquées par les spécificités du recrutement. Du fait de leur caractère récent, elles sont principalement constituées de nouveaux entrants qui, soit
ont l’habitude de synagogues consistoriales ou orthodoxes, soit en fréquentent une
pour la première fois et n’ont pas l’habitude de suivre des normes religieuses. Parce
que ces synagogues sont largement minoritaires en France, leur pérennité est en
même temps conditionnée par l’émergence de cadres aptes à faire reconnaître leur
légitimité à l’extérieur, ainsi qu’à déterminer et stabiliser en interne les normes
propres à ces nouveaux mouvements.
Les rabbins ne sont pas les seuls à pouvoir diriger le rituel, à décider des usages
rituels locaux, ni à enseigner et commenter les textes religieux. S’appuyant sur
une enquête ethnographique menée dans les années 2000 dans des synagogues
non orthodoxes françaises (voir encadré 1), cet article met de côté la question de
l’autorité rabbinique pour s’intéresser à l’autorité religieuse telle qu’elle est produite par les interactions entre fidèles. Dans ces synagogues nouvelles, comment
accède-t-on à un statut d’autorité ? Comment la construction de l’autorité religieuse y sert-elle les stratégies de distinction à l’égard du judaïsme orthodoxe,
ou au contraire y est-elle présentée comme une réinterprétation des usages traditionnels ? Quelles pratiques produisent l’admiration et la déférence de leurs
membres envers les plus virtuoses ? Admire-t-on les mêmes qualités d’une synagogue à l’autre ? Certains plutôt que d’autres accèdent ainsi à des statuts locaux de
prestige, notamment pour leur connaissance des textes religieux. Régulièrement
célébrés ou félicités publiquement, ces femmes et ces hommes sont sollicités par
les fidèles pour des participations publiques (dans le cadre des offices religieux, de
conférences ou de cours réguliers) ou pour la formation religieuse des adultes et
des adolescents. Leur statut n’est pas nécessairement formalisé par un titre officiel3. Pour autant, ces experts détiennent une autorité en ce qu’ils participent à
la définition des normes locales du judaïsme, que ce soit par des enseignements
explicitement normatifs (par exemple sur ce que dit le judaïsme libéral sur le shabbat, ce que dit le judaïsme massorti sur l’homosexualité, etc.) ou en contribuant à la
routinisation d’usages propres à chaque synagogue (mélodies utilisées, discipline
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Encadré 1. L’enquête
Cet article s’appuie sur une enquête ethnographique
menée entre janvier 2004 et juin 2009 dans deux
synagogues non orthodoxes parisiennes, et à partir
d’une position d’observatrice non pratiquante : dans
les interactions, je présentais ma situation d’étudiante
en sociologie, non juive et ne pratiquant pas de religion. Cette position fut facilitée par le fait que ces
synagogues (du fait notamment de leur ouverture
aux demandes de conversion et de leur engagement
dans le dialogue interreligieux) sont particulièrement
habituées à la présence de non-juifs à leurs offices.
La position d’étudiante observatrice y était également
rendue possible par la familiarité avec le monde de la
recherche (non seulement les rabbins, mais la majorité
des fidèles rencontrés avait un niveau d'étude au moins
égal au master, et un nombre non négligeable d'entre
eux un doctorat).
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J’ai ainsi pu assister dans chaque synagogue aux offices
de shabbat du vendredi et du samedi (présence hebdomadaire pendant six mois environ dans chacune
d’elles, ponctuelle ensuite), à une activité hebdomadaire d’enseignement (suivie sur une année), ainsi qu’à
d’autres événements plus ponctuels (fêtes, conférences).
Les observations, interactions et discussions informelles,
consignées dans un journal de terrain, ont été complétées par des entretiens non directifs enregistrés. La
recherche s’est également appuyée sur la consultation
approfondie des productions écrites juridico-religieuses
des mouvements religieux concernés, et le positionnement de ces deux synagogues dans le judaïsme français
a été précisé par l’observation de la participation de leurs
porte-parole respectifs à des événements communautaires extérieurs, et par l’analyse du traitement qu’il en
était fait dans la presse juive française.
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des corps pendant l’office, etc.). Ces experts affectent ainsi l’expérience religieuse
de l’ensemble des membres de la synagogue.
L’hypothèse développée ici est que la construction de l’autorité religieuse ne
dépend pas seulement des caractéristiques initiales des personnes, mais aussi de
paramètres locaux que sont le recrutement, les pratiques propres à chaque synagogue et sa position dans le champ religieux. L’article développe plus précisément
la comparaison de deux synagogues où les « intellectuels » de profession, enseignants et/ou chercheurs, sont prédominants dans cette position d’expertise religieuse. Dans la première, les personnes les plus admirées sont principalement des
hommes, « virtuoses » capables à la fois de dominer les discussions sur les textes
religieux et de maîtriser la direction du rituel, et ce sont des universitaires non
spécialisés dans des thématiques liées au judaïsme. Dans la seconde synagogue,
on admire tant des hommes que des femmes pour une érudition sur les textes qui,
pour les femmes notamment, est liée à une spécialisation universitaire en études
juives. Cette comparaison semble illustrer une conversion de capitaux universitaires en capitaux religieux, mais le fait que les personnes sélectionnées ne sont pas
les mêmes d’une synagogue à l’autre indique que cette conversion est loin d’être
automatique. De même, la prédominance des hommes suggère que sont à l’œuvre
des mécanismes de reproduction de la domination masculine dans ces deux synagogues pourtant en principe égalitaires, mais la différence entre elles deux pointe
un effet du contexte local sur la valorisation des femmes.
Dans un premier temps, nous présenterons les deux synagogues observées et
la manière dont les pratiques d’étude des textes y sont inséparables de la construction d’un judaïsme non orthodoxe. Nous montrerons ensuite comment les qualités
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valorisées par les fidèles chez celles et ceux qu’ils estiment pour leur expertise
varient d’une synagogue à l’autre, car elles sont produites par les pratiques locales
d’étude collective des textes. Nous reviendrons en conclusion sur la manière dont
ces dispositifs de socialisation et de construction de l’autorité sont liés à la position
occupée par chaque synagogue dans le champ religieux, et notamment à l’intérêt
accordé par les membres à la concurrence avec le judaïsme orthodoxe.
Usages de « l’étude » et légitimation religieuse
dans deux synagogues non orthodoxes
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« On est une communauté qui réfléchit » : Laurent, officiant ponctuel à la
synagogue Kehila Hadasha4 et par ailleurs enseignant-chercheur, justifie ainsi en
entretien la présence de nombreuses professions intellectuelles. Ethnographe sur
un terrain qui m’était religieusement étranger, j’ai été rapidement frappée par la
forte visibilité des enseignants et des chercheurs dans ces deux synagogues parisiennes, qui devenaient ainsi pour une doctorante un terrain socialement plus
familier. Cette visibilité est liée non seulement à un recrutement particulier, mais
aussi à des dispositifs qui, en valorisant la critique des textes comme une attitude
spécifiquement non orthodoxe, favorisent les personnes qui ont acquis des compétences en matière d’exégèse publique d’un texte, que ces compétences soient
issues d’une socialisation religieuse, universitaire ou professionnelle (professions
culturelles, professions libérales).
Un rapport critique au judaïsme orthodoxe
Kehila Hadasha et la Communauté juive moderne (CJM) ont en commun
d’être des synagogues relativement connues dans le judaïsme français (forte présence sur internet, sollicitations fréquentes de leurs rabbins pour des conférences).
On les rejoint toutes deux pour leur appartenance à des courants non orthodoxes,
beaucoup plus que par proximité géographique, d’autant que ces courants autorisent l’utilisation des transports à shabbat pour aller à la synagogue. Cette quête
de synagogues non orthodoxes peut obéir à différents motifs. Celles-ci constituent notamment un point d’entrée dans le judaïsme pour des individus ne fréquentant pas habituellement de synagogue, mais en demande d’un rite de passage.
Il s’agit alors de personnes pour qui la pratique religieuse, voire l’identification
au judaïsme ne vont pas nécessairement de soi ; elles sont souvent insérées dans
des sociabilités juives séculières aujourd’hui en déclin, liées notamment au communisme ou au sionisme socialiste. Parmi elles, certaines recherchent pour leur
enfant un enseignement religieux n’imposant pas aux parents les normes de pratique orthodoxes et permettant aux filles d’accéder à une cérémonie équivalente de
la bar-mitsva (majorité religieuse des garçons). D’autres encore, peu familières de
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La construction historique de « l’étude » comme pratique juive
C’est notamment à travers les pratiques de commentaire des textes, regroupées dans le judaïsme sous le terme générique d’« étude », que l’on peut observer
les interactions qui construisent dans la durée à la fois l’expertise des uns et la
déférence des autres. À la CJM et à Kehila Hadasha, comme dans la plupart des
synagogues, ces usages représentent une part importante des activités régulières.
Souvent présentée comme un invariant du patrimoine juif, l’« étude » (limoud en
hébreu, lernen en yiddish) est un terme utilisé dans le judaïsme pour désigner un
ensemble variable de pratiques qui ont en commun d’être reliées à l’un des commandements religieux les plus nobles, celui d’étudier la Torah – commandement
réservé aux hommes suivant l’interprétation dominante dans le judaïsme orthodoxe. L’étude est source de prestige pour ceux qui la pratiquent, et plus encore
pour ceux qui la maîtrisent et peuvent la diriger. Cependant, loin d’être intemporelle, elle prend des formes extrêmement diverses d’une synagogue à l’autre,
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l’hébreu ou de la pratique religieuse, cherchaient une synagogue accessible pour un
mariage ou un enterrement, ou bien encore sont venues dans le cadre d’un projet
de conversion au judaïsme (de soi-même ou d’un proche). Chez ceux qui fréquentaient auparavant une synagogue consistoriale ou orthodoxe, s’ajoute souvent à
ces motifs un rejet de ce qui est perçu comme une « orthodoxisation » du judaïsme
français, notamment consistorial5. Ces types de trajectoires sont dans les deux cas
à l’origine d’un rapport critique au judaïsme orthodoxe, d’où une forte valorisation
du « choix » et de la « réflexion » dans de ces synagogues où l’on se retrouve rarement par reproduction familiale.
L’une des différences entre les deux synagogues est que si ces deux profils
– nouveaux entrants dans la pratique du judaïsme et dissidents consistoriaux –
sont présents dans l’un et l’autre cas, le premier est proportionnellement plus
représenté à Kehila Hadasha et le second à la CJM. Ce recrutement différent
va de pair avec un positionnement religieux distinct. Kehila Hadasha est plus
nettement éloignée du judaïsme orthodoxe par ses usages rituels (présence plus
importante du français dans le rituel, modifications du texte de la prière), ainsi que
par un moindre statut normatif du droit religieux issu de l’exégèse talmudique. La
CJM jouit quant à elle d’une légitimité plus élevée aux yeux des personnes familières des synagogues consistoriales, voire des rabbins consistoriaux et orthodoxes,
notamment en raison de sa proximité plus grande par rapport aux usages rituels
en vigueur dans ces dernières (hébreu, texte de la prière, absence d’instruments de
musique pendant shabbat). Or c’est surtout à la CJM, la synagogue la plus proche
du judaïsme consistorial, que des femmes sont citées et admirées pour leur expertise religieuse.
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qui sont le produit d’une construction historique complexe et qui déterminent la
manière dont les fidèles conçoivent la pratique du judaïsme.
L’étude varie d’abord en fonction des textes étudiés, l’opposition structurante
étant celle entre le texte premier, celui de la Torah, et ses commentaires, dont le plus
important est le Talmud. Pour l’essentiel constitué par la compilation de disputes
entre rabbins destinées à fixer le droit hébraïque à partir de l’interprétation de la
Torah, le Talmud a défini un modèle de l’étude comme activité d’exégèse à vocation
juridique, modèle qui définit le rabbin comme un expert en droit hébraïque. De plus,
dans le judaïsme orthodoxe, l’accès à l’étude est hiérarchisé en fonction des textes
(ainsi, les femmes sont exclues de l’étude du raisonnement talmudique et n’ont accès
qu’au commentaire de la Torah) et des approches (la discussion de la dimension juridique des textes, ou halakha, est généralement considérée comme plus prestigieuse et
technique que celle de leur dimension narrative, non normative, ou aggada). L’étude
varie aussi suivant les courants religieux. La réforme du judaïsme au XIXe siècle en
Allemagne (Meyer 1988) remplaça l’idéal de la yeshiva (espace clos consacré à l’étude
collective du Talmud sous la direction d’un maître) par celui du séminaire rabbinique
(l’étude y est structurée sur le modèle des universités) et introduisit un nouvel idéal
de mise en regard de la lecture des textes religieux et des savoirs séculiers (histoire,
sciences). Parallèlement, dans le courant libéral, beaucoup plus que chez les précurseurs du judaïsme massorti, l’approche des textes changea : ils furent de moins en
moins analysés comme une source de droit, et plutôt comme un témoignage de la
révélation divine, un patrimoine historique, une inspiration éthique ou encore une
métaphore de la destinée humaine. Cela inversait les hiérarchies antérieures entre
Torah et Talmud et entre halakha et aggada. Dans le même temps, avec la sécularisation, l’accès des juifs à la citoyenneté réduisit la portée pratique du droit hébraïque à
la portion congrue et la pratique religieuse diminua, ce qui conduisit à une régression
des pratiques d’étude talmudique hors des cursus rabbiniques.
Au XXe siècle, la pratique de l’étude juive a connu un changement d’échelle à
partir des années 1960, aux États-Unis et en Israël (Heilman 2002), puis en France
(Cohen 1990 ; Cohen 1991 ; Eskenazi et Waintrop 1991). Non seulement elle s’est
renouvelée dans les milieux orthodoxes, mais elle s’est aussi beaucoup plus largement diffusée dans les courants non orthodoxes, ainsi que dans la contre-culture
juive non religieuse et dans les associations culturelles juives ; partout, elle s’est
ouverte aux femmes et, dans certains de ces contextes, aux non pratiquants. Depuis
les années 1980 en particulier, s’est développé en France tout un marché de l’étude
juive, sous des modalités extrêmement variables : « cours de pensée juive » ou « cercles
d’étude talmudique » s’y sont notamment émancipés des rabbins et des synagogues.
Ils peuvent être organisés par des associations culturelles juives à caractère non religieux, ou par des particuliers (et se tenir, par exemple, dans l’appartement d’un amateur de Talmud). Ces pratiques ont fabriqué ainsi la représentation de « l’étude »
comme un continuum qui va de l’étude du Talmud dans une yeshiva ultra-orthodoxe
à la réunion d’un groupe d’amis un samedi après-midi autour d’une page de Talmud
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« Étude » et légitimité religieuse dans les synagogues non orthodoxes
Si ce renouveau a été principalement étudié dans le cadre de l’orthodoxie
(Boyarin 1989 ; El-Or 2002 ; Heilman 2002), il a tout autant concerné les courants non orthodoxes, avec des spécificités. La première, héritage historique de la
réforme du judaïsme au XIXe siècle, est l’ouverture relativement plus grande à des
registres séculiers de commentaire du texte religieux. La seconde est l’accès sans
restriction des femmes à l’étude.
Les pratiques associées à l’étude jouent un rôle central dans l’inculcation pratique d’un rapport critique à l’orthodoxie. Dans les synagogues non orthodoxes, les
activités désignées comme « étude » sont en effet aussi présentées par opposition au
registre de l’obligation et de l’obéissance religieuses censées caractériser l’étude dans
le judaïsme orthodoxe (l’étude comme commandement et comme transmission
d’une interprétation unique de la loi juive). Les enseignants et les participants valorisent ainsi particulièrement les pratiques mettant en scène une discussion collective
et une pluralité d’interprétations – étude d’un passage talmudique sous la direction
d’un enseignant, groupes de discussion sur une thématique juive. Ils mettent aussi
en avant le rôle de l’étude dans la réflexivité individuelle par rapport à la pratique
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et d’une tasse de thé, en passant par un colloque sur homosexualité et judaïsme
organisé un dimanche par une institution culturelle juive et faisant intervenir psychanalystes, rabbins et militants associatifs. Nombre des membres des synagogues
étudiées, quel que soit leur parcours, ont ainsi déjà été exposés à des activités d’étude,
indépendamment ou en parallèle d’une pratique religieuse.
Liées à la démocratisation de l’enseignement supérieur (les étudiants ont joué
un grand rôle dans ces changements), ces pratiques ne sont qu’en partie dans
la continuité immédiate du champ scolaire ou universitaire. Certaines formes
d’étude peuvent être vues comme proches d’une activité d’enseignement classique, comme les « cours » des rabbins en semaine, parfois payants, ou les cycles
de conférences à thème religieux proposés à l’Alliance israélite universelle ou à
l’institut Elie-Wiesel à Paris, qui requièrent une inscription et sont souvent dispensés par des universitaires. Mais la déclinaison de l’étude en une multiplicité de
pratiques regroupées sous un même terme contribue, par familiarisation pratique
progressive, à les associer à une sphère d’activité autonome, obéissant à des règles
spécifiques (les hommes portent souvent une kippa pour une conférence qui a lieu
dans un espace juif, les sexes peuvent être séparés pour un cours dans une synagogue orthodoxe, on n’écrit pas si l’étude a lieu à shabbat…). De plus, les finalités
de ces pratiques d’étude ne sont pas d’ordre strictement intellectuel : il peut s’agir
de remplir un commandement religieux (l’étude de la Torah le jour de shabbat), de
mieux connaître les commandements religieux, ou bien avant tout d’une pratique
de sociabilité juive (voire d’une stratégie endogame dans le cas des jeunes adultes),
parfois dans un cadre thérapeutique (lorsque le cours à thème juif s’inscrit dans
une quête des origines).
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religieuse. Les pratiques les plus originales peuvent alors être présentées sous l’angle
de la tradition. Ainsi, à Kehila Hadasha, l’interruption de l’office par une discussion
semi-improvisée sur les textes est justifiée par le rabbin comme une manière d’intégrer
les différentes dimensions de la synagogue dans la tradition juive (maison de prière,
maison d’étude et maison de réunion). Elle est aussi interprétée, par le rabbin et de
nombreux membres, comme un retour à une authenticité juive qui aurait été oubliée
par le judaïsme orthodoxe (le débat pluraliste sur les textes étant considéré comme un
élément fondateur du judaïsme, la synagogue étant vue comme une réactualisation
ponctuelle de la yeshiva), ou qui distinguerait le judaïsme de la religion dominante en
France qu’est le catholicisme (l’abolition de la séparation entre officiants et assistance
étant associée à une critique de la passivité des fidèles dans d’autres contextes).
Au-delà des justifications explicites, la comparaison des usages de l’étude dans
les deux synagogues permet d’analyser en quoi ils contribuent à construire un style
d’autorité religieuse distinct de l’orthodoxie, comment les participants y apprennent
à apprécier le judaïsme et dans quelle mesure ils favorisent ou non directement les
professions intellectuelles. De plus, en référence aux travaux qui suggèrent que les
femmes seraient aujourd’hui avantagées quand l’accès à l’autorité se fait par le biais
du diplôme (Bargel 2007), on se demandera si l’étude est une activité plus ouverte à
la féminisation que la direction du rituel, dans un contexte où l’accès des femmes (et
des jeunes filles) au rituel synagogal est extrêmement récent.
L’étude à la synagogue et la naturalisation des compétences rituelles
À Kehila Hadasha, l’un des usages spécifiques à la synagogue est, comme on l’a
vu, l’organisation régulière d’une discussion collective de la Torah pendant l’office
du shabbat matin. Ce dispositif de socialisation particulier contribue pour le public
à l’incorporation progressive des normes tant idéologiques qu’interactionnelles de la
synagogue (« ouverture », « diversité », « communauté », alliance de la « tradition » et de
la « modernité ») et peut produire un rapport enchanté au judaïsme non orthodoxe6.
Ce dispositif est en même temps inégal et producteur de rapports d’autorité. On a
reproduit dans l’encadré 2 le résumé d’une discussion tout à fait représentative de la
vingtaine observée sur six mois pour ce qui concerne la répartition de la parole et le
type de registres mobilisés. On y notera d’emblée la diversité des savoirs mobilisés et
la mobilisation de savoirs scolaires ou universitaires séculiers.
Inégalités de parole et invisibilisation des hiérarchies sexuées
Malgré la spontanéité apparente, la répartition de la parole dans ce dispositif
est systématiquement inégale. Certains, comme Jean, Laurent, Samuel, Noam ou
Monique, s’expriment ainsi très régulièrement. Beaucoup n’interviennent que ponctuellement, pour une remarque brève ou pour une question (comme Carine, pourtant une habituée de longue date) et un grand nombre des assistants aux offices ne
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« Ce samedi matin à Kehila Hadasha, le déroulement
usuel de l’office s’interrompt un moment pour une discussion collective de la parasha (passage de la Torah)
de cette semaine. Il s’agit de la parasha “Bo (Exode
10 : 1–13 : 16)”, qui retrace la fuite des Hébreux hors
d’Égypte. Après la séquence des chants en hébreu qui
célèbrent le don de la Torah au peuple hébreu, chacun
se rassoit, ouvre un exemplaire bilingue de la Torah. Le
rabbin propose en particulier de commenter le verset où,
la nuit précédant l’envoi de la dixième plaie (la mort des
premiers-nés égyptiens), Dieu dit à Moïse : “que chacun
ait à demander (veyish’alu) à son voisin égyptien, et chacune à sa voisine, des vases d’argent et des vases d’or”.
La question posée est alors : “pourquoi cette demande ?”
Dans un premier temps, la discussion porte sur le sens de
la racine sha’al dans ce verset7 : emprunt, rétribution (en
paiement des torts subis durant l’esclavage), exigence ?
Le rabbin donne d’abord la parole à Laurent, un universitaire qui prépare les adolescents à la bar-mitsva et qui
a fait la veille au soir une drasha (homélie) sur ce même
texte. Tous deux s’appuient sur les commentaires traditionnels de ce verset, comme ceux de Rashi8, qui s’interrogent sur la légitimité de cette demande (s’agissait-il d’un
vol ?). Samuel, un homme plus âgé qui a grandi dans une
famille peu pratiquante avant de s’investir dans le chant
traditionnel, s’interpose : mais est-ce que sha’al, en hébreu
moderne, ce n’est pas “demander” tout simplement ?
Jean, qui dirige généralement une grande partie de l’office (il a l’expérience des synagogues depuis l’enfance),
explique alors que sha’al c’est aussi l’interrogation, la
réflexivité, comme dans l’expression she’ela veteshouva
(“questions et réponses”) qui désigne dans le judaïsme
la littérature jurisprudentielle. Pour lui, le verset suggère
une interrogation métaphysique, un peu comme si Dieu
disait aux Égyptiens, entre la neuvième et la dixième
plaie : “interrogez-vous sur ce qui vous arrive”.
Monique, une artiste âgée, se tourne vers Jean en lui
disant qu’elle est tout à fait d’accord avec lui. Pour elle,
le verset dit en fait aux Hébreux de demander aux Égyptiens s’ils approuvent les persécutions que Pharaon fait
subir au peuple juif ; elle développe ensuite un commen-
taire d’inspiration psychanalytique des termes du verset.
Personne ne répondant à Monique, Carine, une
employée de banque à la retraite, habituée de la synagogue, l’interrompt presque pour poser une question
plus concrète : mais pourquoi demander des vases en
argent, et pas de la monnaie ? Le rabbin relance la discussion sur les usages des Égyptiens, mentionnant une
visite au Louvre avec ses enfants, et suggère à Laurent,
par ailleurs enseignant, d’en dire plus sur les monnaies
égyptiennes, ce qu’il fait.
La discussion évolue brièvement vers les différentes
plaies d’Égypte et la difficulté de rendre compte rationnellement de ce qui est présenté comme miracles
(quelqu’un mentionne à ce sujet un documentaire à la
Géode sur les catastrophes naturelles), et moralement
de la cruauté divine à l’égard des Égyptiens.
Puis la discussion se relance sur la réparation : ces objets
précieux ne sont-ils pas une forme de légitime réparation
des torts subis ? Un homme relance la discussion sur les
réparations après la Seconde Guerre mondiale, et en particulier sur les restitutions des biens juifs spoliés. Le rabbin
évoque les débats qui opposèrent Ben Gourion et Begin à
ce sujet. Hélène, une femme qui fréquente depuis peu la
synagogue, témoigne à partir de son histoire personnelle :
ce débat s’est aussi déroulé dans les familles de survivants
de la Shoah, où certains étaient pour des réparations, et
d’autres ne voulaient pas en entendre parler.
Reprenant la référence à la Shoah, le rabbin relance la
question de la responsabilité collective (tous les Allemands étaient-ils responsables collectivement de ce
qui avait été fait aux juifs ?). Noam, enseignant au Talmud-Torah d’une quarantaine d’années, prend la parole.
Dans le cas de la Première Guerre mondiale, le montant excessif des réparations exigées de l’Allemagne fut
une des causes de la Seconde Guerre mondiale. Noam
fait une différence entre la réparation individuelle, qui
est juste moralement, et la responsabilité collective, qui
peut poser beaucoup plus de problèmes et être source
d’amertume. Tourné vers Jean pour parler, il débat avec
lui de la question du dosage de la punition ». (Journal de
terrain, 31 janvier 2004)
participent jamais. À ancienneté égale dans la synagogue, les hommes prennent
plus facilement et plus longuement la parole dans ces échanges, qui durent généralement une vingtaine de minutes. La discussion rapportée à l’instant (encadré 2) est
représentative de la répartition usuelle9 : sur les dix femmes et onze hommes présents, quatre femmes et cinq hommes ont parlé, mais, en dehors de Monique, une
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Encadré 2. Une discussion collective de la Torah pendant l’office
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habituée âgée, ce sont surtout des hommes qui ont pris la parole de manière répétée
et développée. Elle est de plus systématiquement dominée par un groupe d’hommes
qui partagent des caractéristiques similaires. Les « intellectuels de la synagogue » que
sont ici Laurent, Jean, Samuel et Noam sont tous enseignants et/ou chercheurs de
profession. Quadragénaires, ils ont grandi, sauf l’un d’entre eux, dans des familles
pas ou peu pratiquantes, mais se sont investis à Kehila Hadasha dans l’apprentissage
des compétences spécifiquement religieuses (hébreu, textes, liturgie) et sont devenus
enseignants bénévoles au Talmud-Torah (éducation religieuse des enfants) ou officiants réguliers. Ainsi, le jour de la discussion citée, Jean et Samuel ont partagé avec
le rabbin la direction des chants, de la lecture de la Torah et des différentes prières
en hébreu et guidé les autres participants dans l’accomplissement du rituel – en indiquant à telle personne comment dire une bénédiction, ou en montrant à telle autre
comment mettre un châle de prière.
S’il existe également à la synagogue des femmes exerçant des professions intellectuelles ou culturelles, comme Monique, une artiste qui suit des cours d’hébreu et de
pensée juive depuis une trentaine d’années, elles se sont surtout investies dans d’autres
modalités de la vie à la synagogue que le domaine rituel : activités culturelles plus que
directement religieuses, sociabilités amicales, bénévolat ponctuel. Si les différences
entre les femmes et les hommes qui participent à la discussion sont en partie antérieures à leur arrivée à Kehila Hadasha (carrière professionnelle, socialisation juive
initiale), d’autres s’y sont creusées (apprentissage du rituel), et l’on peut se demander
dans quelle mesure des interactions locales comme la discussion publique et collective des textes y ont participé. Cette inégale répartition est très rarement aperçue et
commentée. Au contraire, la plupart des habitués, comme Laurent ou Sasha, citent
la discussion de la Torah comme la preuve de l’égalitarisme de leur synagogue. Cette
invisibilité du rapport de pouvoir tient en partie au dispositif lui-même. De manière
similaire aux techniques de démocratie participative ou délibérative (Gaxie 2004 ;
Blatrix 2009), l’ouverture formelle et la spontanéité apparente du dispositif rendent
invisible son inégale appropriation en fonction de la maîtrise préalable des règles du
jeu. Quelles sont ici ces « règles du jeu » qui conduisent à l’exclusion des uns et qui
favorisent les autres ? Pourquoi les commentaires de Monique ne donnent-ils lieu à
aucune réponse, quand Laurent est encouragé par le rabbin à prendre la parole, et
quand Noam et Jean peuvent transformer la fin de la discussion en un débat bilatéral ?
Un dispositif producteur d’autorité
Ce dispositif produit en effet de l’autorité religieuse locale, sous le contrôle
du rabbin. Dans la discussion citée, le rabbin contribue ainsi par ses sollicitations
à construire la légitimité de Laurent, qui commence tout juste cette année-là à
prendre des responsabilités dans le rituel. D’autres que le rabbin y acquièrent ainsi
un statut d’expertise religieuse, comme ici Jean, et l’ascendant que le rabbin les
laisse prendre dans la discussion peut ensuite engendrer un sentiment d’infériorité
pour les membres de l’assistance.
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« Le commentaire de la parasha pendant l’office est ce jour-là dominé par les interventions de Jean et Laurent. En discutant ensuite pendant le kiddoush (buffet qui suit
l’office), Carine (qui n’a pas fait d’études supérieures) les mentionne tous deux en les
appelant “les hauts intellectuels” ».
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Les participants apprennent ainsi à écouter, poser des questions à ceux qui interviennent le plus souvent (j’ai plusieurs fois entendu des voisines se murmurer entre
elles qu’elles ne comprenaient pas tout ce que disaient Jean ou Monique), parfois à
se mesurer à leur savoir. Il est ainsi arrivé qu’une nouvelle venue vienne demander
à Jean après l’office s’il donnait des cours par ailleurs, parce qu’elle avait admiré
ses commentaires pendant la discussion. D’autres membres de la synagogue sollicitent parfois ces virtuoses (au sens wébérien) pour un complément de formation
en matière liturgique, par exemple pour préparer une bar-mitsva ou une bat-mitsva.
Cette autorité masculine informelle qu’ils acquièrent par leur performance
dans la discussion est aussi incorporée physiquement – ainsi, il arrive à Jean,
Samuel ou Noam de se lever, spontanément, pour prendre la parole pendant la
discussion ou débattre entre eux. C’est aussi que par ailleurs, ils sont beaucoup
plus à l’aise physiquement dans l’espace de la synagogue, comme officiants habitués à se tenir debout face à la salle, et comme enseignants bénévoles passant une
bonne demi-journée par semaine dans la synagogue en sus des offices. On peut
alors se demander si ce ne sont pas plus leurs compétences rituelles que leur compétence professionnelle d’enseignants qui expliquent leur statut local.
Naturels dans le rituel : la capacité à incarner physiquement la communauté
Dans la mesure où l’autorité des uns n’existe pas sans des interactions par lesquelles d’autres leur reconnaissent une légitimité, il est important de s’intéresser
plus précisément au discours et aux dispositions de celles et ceux qui citent spontanément de tels hommes comme des références (Kalinowski 2005).
Chez plusieurs personnes pour qui la pratique religieuse ne va pas encore de soi,
l’apprentissage du goût pour la synagogue est médiatisé par la figure de ces hommes.
C’est ainsi le cas de Sasha, qui, athée et encore réticente à la pratique religieuse,
recherche surtout à la synagogue le fait de « se sentir bien » dans une communauté
juive. Politiquement engagée à l’extrême-gauche, ayant grandi dans une famille
ashkénaze non pratiquante dont plusieurs membres ont été assassinés au cours de
la Shoah, Sasha a longtemps limité sa fréquentation de la synagogue à la célébration de Kippour en mémoire de la Shoah. C’est moins directement les compétences
religieuses de ces hommes qu’elle valorise que le naturel qu’elle perçoit dans leurs
échanges improvisés et qu’elle met sur le même plan que la (relative) diversité sociale
de la synagogue.
« J’en ai pas encore parlé, mais ce que j’aime bien dans cette communauté, c’est que
j’ai l’impression qu’il y a le plus de “tout”, tu vois ? Le plus de tordus, le plus… et plus
qu’ailleurs. Il n’y a pas longtemps, j’avais été à (une autre synagogue), et il y avait ce
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(Journal de terrain, 8 octobre 2005)
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côté froid, guindé, je rajouterais bourgeois… (…) Et je me suis dit : “Oh la la, ça ne
me va pas !” Et donc nous dans la nôtre… Par exemple Noam, l’autre jour Jean lui
disait : “j’ai rien compris à ce que tu disais !”… C’est vrai que Noam, des fois (…) tu ne
comprends rien, et en même temps, ça me plaît, que ce ne soit pas tout bien carré (…)
Il y a les cas sociaux, il y a par exemple Yvonne, qu’on ne voit plus trop, et de temps en
temps, avec son CAP [certificat d’aptitude professionnelle], elle dit au rabbin (Sasha
imite un ton bourru) « alors ça va rabbin ? » et ça passe… C’est ça la vie, et c’est ça le
mélange… Donc ça, je trouve que ça aide à ce qu’on s’y sente bien ».
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(Entretien avec Sasha, 2005)
Mentionnant quant à elle ces mêmes hommes pour évoquer la « communion »
qu’elle apprécie à la synagogue, Carine ne mentionne pas non plus les connaissances religieuses dont ils font preuve dans les discussions, mais plutôt leurs compétences rituelles, qu’elle admire d’autant plus qu’elle-même n’a commencé à pratiquer le judaïsme (à Kehila Hadasha) qu’à un âge tardif.
« — C’est quoi les moments dans l’office qui comptent le plus pour toi ?
Carine. — C’est-à-dire que tous les moments sont bien, dans la mesure où il y a une
communion entre les fidèles, tu vois ?… C’est vrai que j’apprécie des gens comme Jean
et Samuel, et puis… Il y a (parmi ceux qui dirigent parfois la prière) un jeune qui veut
être rabbin… c’est pareil. Si tu veux, c’est cette foi avec laquelle ils prient, et vraiment
je voudrais comprendre plus pour pouvoir apprécier encore plus ».
(Entretien avec Carine, 2004)
Ce qu’admire ici Carine, ce sont moins les savoirs de ces hommes que leur
capacité à incarner une communauté qui prie. S’ils peuvent rendre visible à autrui
« la foi avec laquelle ils prient », c’est qu’ils maîtrisent suffisamment le rituel, et s’y
sentent suffisamment à l’aise, pour que leurs voix dominent l’assemblée pendant
les chants, ou pour que leurs gestes marqués pendant la prière guident ceux et
celles qui ne maîtrisent pas encore le rituel en hébreu. Sasha et Carine évoquent
ainsi moins ces hommes pour ce qu’ils savent (et qui est notamment lié à leur
capital scolaire ou universitaire) que pour leur capacité à incarner physiquement
le collectif. Cette capacité provient essentiellement de leur aisance dans le rituel,
acquise par une longue pratique dès leur enfance ou par un apprentissage intensif à
Kehila Hadasha. Cela les sépare de personnes comme Monique, par exemple, qui
expliquent en entretien avoir un engagement spirituel intense dans le rituel, nourri
par une riche culture juive, mais qui ne maîtrisent pas la technique du rituel (les
gestes associés aux différents moments, la technique vocale des chants, etc.). La
valorisation de cette capacité à représenter la communauté, et la manière dont elle
naturalise des compétences rituelles acquises, est surtout présente chez une catégorie particulière de personnes, les plus récemment entrées dans le judaïsme, qui
sont plus spectatrices qu’actrices de la pratique religieuse : je n’ai jamais entendu
Sasha prendre part à la discussion des textes, et si les interventions de Carine sont
fréquentes, elles sont généralement brèves, souvent limitées à des questions.
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Si c’est avant tout l’aisance dans le rituel que les nouveaux entrants apprécient,
on peut se demander pourquoi ce sont plus particulièrement des universitaires qui
émergent dans ce rôle. L’analyse du contenu des discussions offre ici des pistes.
Par différence avec le format des drashot (commentaire de la Torah pendant
l’office, homélie), dans de nombreuses synagogues, ces discussions sont ouvertes à
une grande variété de registres, ce qui contribue à l’impression que « tout le monde »
peut participer. On y trouve certes des références à un savoir spécifiquement juif :
analyse interne du texte, partant souvent du commentaire étymologique d’un terme
hébreu (la Torah est lue en hébreu à la synagogue, même si l’on suit dans des exemplaires bilingues, et la plupart des habitués ont appris un minimum d’hébreu, à
la synagogue ou ailleurs), références aux commentateurs de la tradition juive (du
Moyen Âge jusqu’au XXe siècle). Mais on trouve aussi des croisements fréquents
avec les connaissances scientifiques séculières (histoire, sciences naturelles), des références culturelles (citations de Woody Allen, débats sur La passion du Christ de Mel
Gibson), des parallèles avec l’actualité politique (une discussion en 2004 établissait
un parallèle entre le choix du grand prêtre dans la Torah et l’élection du président
des États-Unis) et avec l’expérience juive contemporaine (Shoah, antisémitisme en
France, conflit israélo-palestinien). Cet éclectisme des références entre en résonance
avec la proportion relativement importante de personnes opérant un « retour » ou
plutôt une entrée dans le judaïsme, comme Sasha. Elles apprécient ainsi d’autant
plus les officiants qui rendent le rituel accessible en ne le séparant pas radicalement
de l’univers séculier. La forme adoptée, celle d’une juxtaposition de points de vue,
permet aussi de placer le commentaire des textes sur un registre non explicitement
normatif qui facilite l’entrée dans le judaïsme d’un public éventuellement rétif à la
pratique religieuse. Ainsi, dans la discussion citée (encadré 2), aucune solution n’est
proposée aux problèmes éthiques qui sont soulevés, et aucun lien n’est fait avec des
commandements religieux que l’assemblée serait incitée à respecter ou méditer. Cela
n’empêche pas que la discussion véhicule implicitement un ensemble de normes, ne
serait-ce que celle selon laquelle tout texte biblique, même obscur, peut être rattaché à l’expérience juive contemporaine, qu’il s’agisse de la mémoire de la Shoah à
l’échelle individuelle (voir l’intervention d’Hélène dans la discussion, sur laquelle le
rabbin rebondit) ou de la politique israélienne (voir le rappel sur l’histoire d’Israël).
L’aisance dans ce dispositif est cependant inégalement accessible, notamment suivant la socialisation juive préalable et le milieu social. Dans une synagogue qui,
pour beaucoup est, sinon l’entrée dans le judaïsme, du moins la première synagogue
fréquentée à titre régulier, les croisements entre savoirs séculiers et tradition juive et
la possibilité de prendre librement la parole sont à la fois rassurants et intimidants.
Tous et toutes n’ont pas la même habitude de la prise de parole en public (surtout
improvisée, sans notes), la même aisance à se mouvoir dans une synagogue, la même
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La double valorisation des compétences rituelles et des savoirs non religieux
dans une synagogue centrée sur « le retour » au judaïsme
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familiarité avec la discussion intellectuelle et l’exégèse, les mêmes connaissances en
matière religieuse, et toutes et tous ne se sentent pas au même degré habilités à
exprimer une opinion sur le texte sacré. Le dispositif avantage ceux qui cumulent
ces dispositions, et qui sont ici des hommes ayant à la fois l’habitude de la prise de
parole en public (comme enseignants), une vaste culture générale et scientifique (par
leur haut niveau d’étude) et une ancienneté dans la synagogue ou dans la pratique
religieuse (c’est le cas de Jean et Samuel, qui ont fait leur bar-mitsva dans l’enfance)
plus importantes que la moyenne. Ces caractéristiques ne se traduisent cependant
en autorité que dans la durée, par la participation régulière à des discussions qui les
rendent visibles pour l’ensemble de la synagogue, et où le rabbin et les « intellectuels » déjà établis localement les valident en les sollicitant comme interlocuteurs.
Ce n’est donc pas directement parce qu’intellectuels dans le champ scolaire que ces
hommes gagnent un prestige d’intellectuels à la synagogue : le cas de la seconde
synagogue étudiée, la CJM, montre combien la valorisation relative des savoirs non
religieux dépend des pratiques locales.
L’étude et la valorisation des capitaux propres au champ religieux
« Des femmes compétentes »
D’une synagogue à l’autre, les dispositifs de commentaire des textes varient
fortement. À la CJM, où les membres ont plus souvent qu’à Kehila Hadasha déjà
fréquenté une synagogue consistoriale, le dispositif est plus classique : drashot
pendant l’office, cours et conférence en semaine et parfois étude de passages talmudiques ou bibliques l’après-midi de shabbat. Or les « intellectuels » de la synagogue qui émergent par ces activités n’ont pas le même profil. Outre le rabbin, les
quelque cinq ou six personnes dont les habitués vantent les qualités d’exégèse en
entretien, dont les drashot sont reproduites sur le site de la synagogue, voire dont
on recommande les cours et conférences (à la synagogue ou ailleurs), sont surtout
des femmes, spécialisées en études juives. Bien plus, leurs interprétations peuvent
avoir un statut équivalent à celles du rabbin :
« Ce samedi après l’office, Nicole (enseignante à la retraite) cherche à parler au rabbin
de la drasha qu’il vient de faire. En effet, Florence, universitaire spécialisée en études
juives, a fait la veille sur le même thème une drasha que Nicole a beaucoup appréciée.
Or Florence a proposé une interprétation différente de celle du rabbin, que Nicole
trouve beaucoup plus séduisante, et Nicole veut savoir ce qu’en pense le rabbin ».
(Journal de terrain, décembre 2005)
Nicole n’est pas la seule à valoriser des femmes comme Florence. François, un
membre du conseil d’administration de la synagogue, enseignant de profession,
commente ainsi l’investissement des femmes dans les activités de la synagogue, et
notamment aux drashot :
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« Les femmes qu’on a (ici) sont relativement plus instruites que les hommes du point
de vue religieux, peut-être plus pratiquantes, donc en l’occurrence elles ne sont pas
sur la défensive, elles n’ont pas à prouver leurs compétences ou leur bonne volonté,
puisqu’elles sont plus compétentes et de meilleure volonté globalement que les
hommes du même milieu ! ».
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Son propos contraste avec les discours habituels tenus à Kehila Hadasha sur
l’absence de hiérarchie, la diversité, la communauté, et suggère des normes d’évaluation très différentes. Ce lexique de la « compétence », de la « bonne volonté »
et même du degré de pratique religieuse serait en effet presque déviant à Kehila
Hadasha, du fait de l’insistance du rabbin et des habitués placée sur la liberté
individuelle et sur l’importance de laisser chacun trouver son rythme dans l’entrée dans la pratique religieuse. Il témoigne d’une valorisation forte des qualités
spécifiques au champ religieux – à la fois connaissance des textes, investissement
dans la vie de la synagogue et pratique religieuse personnelle. Cette valorisation
n’est pas propre à François et aux responsables, mais elle est partagée par la majorité des habitués de la synagogue, quelle que soit leur performance perçue en la
matière.
Notre hypothèse est que la présence et la valorisation de femmes spécialisées en études juives à la CJM s’explique en grande partie par la manière dont
l’« étude » et le commentaire des textes y sont pratiqués : elle ne conduit pas les
habitués à admirer les mêmes qualités qu’à Kehila Hadasha et elle n’amène pas
les mêmes types d’intellectuels à s’y investir. La présence dans une synagogue
non orthodoxe de femmes comme Nicole, qui ont acquis hors de la synagogue
un savoir spécialisé en études juives, professionnel ou amateur, peut se justifier
par le fait qu’elles ne peuvent prendre la parole dans une synagogue consistoriale
ou orthodoxe. Mais entre deux synagogues non orthodoxes, si elles s’investissent
plus à la CJM que dans une synagogue comme Kehila Hadasha, c’est que dans
la première, leur expertise est pleinement mise en valeur par la manière dont s’y
pratique « l’étude », alors que dans la seconde, le registre des études juives est mis
sur le même plan que les registres de commentaire séculiers.
L’imbrication de l’étude et de la pratique religieuse dans une synagogue plus
proche de l’orthodoxie
Cette intériorisation d’un haut degré d’exigence en matière de savoir et de
pratique religieux, qui est l’une des conditions de possibilité de l’admiration pour
les expertes, ne va pas de soi, en particulier chez ceux qui découvrent le judaïsme,
mais elle est produite par une pratique de l’étude spécifique.
« Nous sommes ce samedi après-midi assis en cercle à la synagogue autour de Jonathan, qui est là dans le cadre d’un stage de fin d’études rabbiniques. Nous sommes
une douzaine, en me comptant : outre Jonathan, quatre hommes et six femmes, la
plupart célibataires, ayant entre vingt et soixante-dix ans. Le plus jeune, Benjamin, est
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(Entretien avec François, 2005)
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étudiant et se destine aussi au rabbinat. Les plus âgés du groupe, deux femmes et un
homme, sont à la retraite, et parmi les plus assidus aux offices.
Avant de commencer, les conversations portent sur la fête de Pourim qui a eu lieu la
semaine dernière, sorte de debriefing des offices de la synagogue. À la fin de l’étude, il y
aura un tour de table pour préparer la fête de Pessah, pour savoir qui compte participer
au repas communautaire organisé par la synagogue le deuxième soir de la fête et qui sera
seul le premier soir (où la fête est célébrée chez soi). Léa, qui a une quarantaine d’années
et fréquente la synagogue depuis peu (depuis que son fils y prépare sa bar-mitsva), en
profite pour demander pourquoi il y a deux célébrations, ce que Jonathan explique.
L’étude commence. Jonathan commence par rappeler où nous en étions la fois dernière. Nous étudions depuis deux semaines un passage du Talmud, dans le traité Baba
Metsi’a, à partir de photocopies de l’édition française du Talmud d’Adin Steinsaltz, qui
comprend le texte hébreu, une traduction française littérale et une traduction expliquée. Comme le passage étudié aujourd’hui fait une allusion à un épisode biblique,
Jonathan a aussi apporté des photocopies des passages de la Torah correspondants
(hébreu et français).
L’étude est linéaire : Jonathan lit à chaque fois deux à trois phrases en hébreu (seules
deux femmes ne parviennent pas à suivre dans le texte hébreu), l’un d’entre nous lit
ensuite le passage correspondant en français, puis on passe à la discussion.
La semaine dernière, Céline, une jeune professeure en collège qui venait pour la première fois, avait pris quelques notes, mais François, l’un des responsables de la synagogue, l’avait ensuite prise à part gentiment pour lui dire que l’on ne doit pas écrire à
shabbat ; elle n’écrit pas aujourd’hui ».
(Journal de terrain, 26 mars 2005)
L’étude, ici menée en l’absence du rabbin de la synagogue, est beaucoup plus
imbriquée qu’à Kehila Hadasha dans l’apprentissage des normes de la pratique religieuse, comme on le voit avec la discussion sur les fêtes, et avec le rappel des règles
de shabbat. Surtout, on note l’absence de références extérieures au judaïsme pendant le temps de l’étude : c’est une lecture formellement interne du Talmud et de la
Torah qui est systématiquement privilégiée à la CJM, ce qu’accentue le dispositif
matériel des jeux de photocopies destinés à mettre en regard différentes strates de
commentaire (voir illustration p. 63). Cela correspond à un usage général à la CJM,
où textes et sources non juives ne sont que rarement mis en regard, mais où la dynamique des commentaires est généralement tirée d’un dialogue entre textes juifs.
L’étude, les femmes et les frontières avec le judaïsme orthodoxe
La CJM n’est cependant pas une synagogue orthodoxe : ses membres doivent
y apprendre et y démontrer un rapport critique aux commentaires de la tradition
tels qu’ils sont transmis dans le judaïsme orthodoxe. Le cas de Jonathan semble
suggérer que, dans ce contexte, l’autorité peine à s’établir précisément quand ce
rapport critique n’est pas assez clairement marqué. Jeune rabbin en stage de fin
d’études, il a ce jour-là échoué à s’imposer au groupe dans la discussion suivante.
Sa préparation du texte n’a visiblement pas anticipé les réflexes critiques de son
public à l’égard du sexisme des rabbins du Talmud.
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(Journal de terrain, 26 mars 2005)
S’il n’est pas publiquement critiqué par les participants – tout se passe par le
biais du texte – il n’est pas non plus écouté avec révérence et admiration et il ne sera
pas réinvité par la synagogue au-delà de son stage. Cela tient en grande partie au fait
qu’il n’a pas su déplacer la discussion sur le terrain de la critique du biais misogyne
du texte du Talmud. Or il s’agit d’une synagogue où la dénonciation du sexisme des
textes est une pratique courante, en ce qu’elle permet à la fois de se poser en critique
du judaïsme orthodoxe (en proposant des réinterprétations égalitaristes de la loi
juive), tout en démontrant sa maîtrise des textes et méthodes traditionnelles (en
débusquant les biais sexistes des raisonnements talmudiques, sans remettre en cause
la légitimité d’ensemble de cette construction du droit). C’est notamment pour leur
capacité à défendre des positions égalitaristes à partir d’un cadre traditionnel que
tant le rabbin que les intellectuelles de la synagogue sont admirés.
Le statut dans la synagogue ne se gagne pas seulement par un savoir sur les
textes, mais aussi par un rapport au champ religieux. Dans une synagogue où une
proportion des habitués plus importante qu’à Kehila Hadasha est constituée de
dissidents de synagogues orthodoxes, et où c’est notamment sur la question des
femmes qu’est perçue la différence avec le judaïsme orthodoxe, l’échec de Jonathan à s’imposer ne tient pas à son absence de connaissances religieuses, mais au
fait qu’il ne situe pas son usage des textes dans les luttes de légitimité pertinentes
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« Le texte que nous avions étudié la semaine dernière rapporte une discussion talmudique sur le fait que faire pâlir de honte une personne en public est aussi grave
que verser son sang. Dans le passage lu aujourd’hui, il est fait à ce propos référence à
l’adultère du roi David avec Bethsabée, la femme de l’un de ses soldats, Urie. Le Talmud cite un midrash (ajout à la Torah transmis par tradition orale) selon lequel David
aurait répondu à des contradicteurs qui mentionnaient publiquement son adultère que
sa faute était moins grave que la leur, puisqu’ils l’humiliaient en public.
L’aspect “pro-David” des rabbins du Talmud dans ce passage choque la majorité de
l’assemblée, et le fait de relire ensemble les passages de la Torah correspondants n’arrange rien. Simon, qui s’est converti au judaïsme il y a quelques années, souligne
que David se préoccupe peu de l’humiliation d’Urie, mais qu’il est de toute façon
choquant que Bethsabée soit vue comme une propriété des hommes. Jacqueline, une
enseignante à la retraite, très respectée dans la synagogue, notamment parce qu’elle
pratique l’étude depuis sa jeunesse11, explique que cet épisode, “j’ai beau faire, je ne
peux pas l’avaler”.
Elle est très choquée quand Jonathan mentionne des interprétations qui cherchent à
justifier l’adultère de David, et quand il semble lui-même le justifier. Il explique qu’en
Israël, les soldats donnent toujours un acte de divorce préventif à leur femme12 quand
ils partent au combat, pour qu’elles puissent se remarier si l’on ne retrouvait pas leur
corps, et que c’était probablement le cas pour Urie (Bethsabée était en fait divorcée
selon cette interprétation). La rébellion collective contre le sexisme des rabbins du
Talmud, et de manière plus voilée contre Jonathan, ne s’arrange pas avec la lecture de
la suite de la discussion talmudique, qui enchaîne sur des remarques paternalistes à
l’égard des femmes ou misogynes ».
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Extrait d’un passage talmudique discuté à la Communauté juive moderne lors d’une étude shabbatique
(d’après photocopies distribuées aux participants) : Le Talmud. L’Édition Steinsaltz, Paris, Ramsay, 2000,
t. XIV. Baba Metsi’a 3, p. 141 (chap. 4, f° 58b-59a).
L’édition choisie est la version française de l’édition du Talmud de Babylone entreprise par le rabbin israélien
Adin Steinsaltz depuis les années 1960. « L’édition Steinsaltz » comporte, au centre le texte araméen original, à
droite une traduction littérale, et se caractérise par l’ajout à gauche d’une traduction plus largement commentée
(l’allusion à David, Bethsabée et Urie, implicite dans le texte original, n’est ainsi explicitée que dans la traduction assistée). En hébreu, ont été reproduits les commentaires de ce passage par le rabbin médiéval Rachi,
quelques gloses additionnelles issues de générations rabbiniques antérieures (« Études »), ainsi qu’une rubrique
halakha (loi juive) qui indique le commandement religieux qui a été tiré de ce passage (le Choul’han ’Aroukh est
une compilation de la loi juive réalisée au XVIe siècle par le rabbin Joseph Caro).
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« En sortant de l’étude shabbatique, je discute avec deux participants, Simon et Jo ;
Simon me félicite pour mes commentaires pendant l’étude (“tu sais mieux la Torah
que moi !”) et m’explique qu’il suit le cours de Talmud hebdomadaire d’un rabbin
orthodoxe parisien, cours réservé aux hommes. Il est très choqué de la position de ce
rabbin sur les femmes. Jo, qui a grandi aux États-Unis dans une synagogue Conservative, recommande d’aller un peu partout. Il va plutôt aux cours du rabbin Rivon
Krygier (figure de proue du judaïsme massorti en France) et à ceux du rabbin Gilles
Bernheim, rabbin consistorial plus modéré (élu en 2008 grand rabbin de France).
Mais il lui arrive aussi d’aller, au Centre communautaire juif de Paris13, aux cours du
rabbin Philippe Haddad (un ancien rabbin du Consistoire, perçu comme proche des
libéraux) et à ceux du rabbin libéral Tom Cohen dans sa communauté franco-américaine de Saint-Germain-en-Laye. » (Journal de terrain, 26 mars 2005)
La fréquentation des cours offerts par la concurrence construit une habitude
de la confrontation des points de vue qui implique que pour quelqu’un comme Jo,
les discussions entre rabbins du Talmud ne sont finalement pas si éloignées des
discussions internes au judaïsme français contemporain (les rabbins consistoriaux
qu’il cite ont la particularité d’accepter la discussion avec les rabbins des courants
non orthodoxes). De son côté, Simon justifie sa fréquentation de l’ennemi orthodoxe par l’entretien d’une indignation contre le machisme orthodoxe.
La même tradition, la discussion talmudique, est ainsi appropriée différemment
dans les deux synagogues. À Kehila Hadasha, on apprend à apprécier la joute oratoire pour elle-même, la confrontation semi-improvisée de points de vue, pour le
plaisir esthétique et pour le sentiment de communauté authentique qu’ils procurent,
et la capacité à faire des liens entre des textes de statut hétérogène (par exemple,
entre midrash et psychanalyse). Ce goût est à relier à un recrutement en moyenne
plus débutant dans la pratique religieuse. À la CJM, on valorise beaucoup plus l’exégèse de type juridique, c’est-à-dire la capacité à argumenter une position normative
précise, qui peut éventuellement devenir la règle commune dans la synagogue (peuton prendre le métro pour aller à la synagogue le shabbat ? Une femme peut-elle
lire dans la Torah ? Une personne non juive peut-elle participer à la célébration de
Pessah ? Le texte de la prière peut-il être modifié en un sens moins sexiste ?). Et si,
comme à Kehila Hadasha, les positions défendues doivent être « modernes », l’argumentaire doit s’appuyer sur des références internes à la tradition juive, partagées et
recevables par tout le champ religieux (et notamment par un rabbin orthodoxe), ce
qui est à relier à la plus forte présence de dissidents consistoriaux à la synagogue. Ces
normes ne sont pas enseignées de manière abstraite aux nouvelles et nouveaux venus
(ainsi Sasha à Kehila Hadasha ou Céline à la CJM), mais construites et incorporées
dans la durée par des pratiques comme l’étude shabbatique, et ce sont ces pratiques
qui construisent la valorisation des femmes lettrées, qui incarnent non seulement
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pour cette synagogue – alors que la conversation qui suit montre comment l’étude
est perçue par ces habitués comme un jeu de relations entre les différentes tendances du judaïsme parisien.
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L’étude des textes dans le judaïsme n’est donc pas, en elle-même, une pratique
qui privilégie une catégorie de sexe plutôt qu’une autre, et elle ne favorise pas, en
elle-même, les détenteurs d’un capital universitaire. Si elle peut s’appuyer sur des
répertoires d’autorité séculiers, ceux du professorat ou du militantisme, c’est de façon
imbriquée avec les répertoires spécifiques au champ religieux. On n’admire pas dans
ces synagogues des professeurs, mais, dans un cas, l’aisance à circuler du registre
rituel à des registres séculiers, et, dans l’autre, la capacité à produire une exégèse
engagée contre le judaïsme orthodoxe. Les processus repérés ici ne sont pas spécifiquement religieux. Ils tiennent à l’existence d’un champ relativement autonome où,
au sein de chaque organisation, la construction de l’autorité est liée au degré d’engagement dans les luttes spécifiques au champ. Ici, la synagogue la moins « établie »
et engagée dans le champ religieux est aussi celle où les compétences extérieures au
champ sont les plus reconnues, mais cela ne favorise pas nécessairement les femmes.
La question de l'accès des femmes à l'autorité religieuse est donc inséparable de
la manière dont cette autorité était construite par des pratiques locales, liées à chaque
organisation (Guillaume et Pochic 2007). Si, dans chaque synagogue, ce sont des
catégories de personnes différentes qui accèdent, plus ou moins régulièrement, à
la capacité de formuler le discours public de l’organisation, et à un statut d’autorité
locale qui bénéficie de marques de déférence publiques, ce n’est pas mécaniquement
parce que les synagogues ont un recrutement différent, ou parce que les rabbins font
des choix différents. Cela passe, dans la durée, par des pratiques qui font d’abord
que ces personnes restent, puis qu’elles gagnent une légitimité croissante. Certaines
n’acquièrent un statut local d’autorité que parce que des pratiques fabriquent, pour
tous, le goût pour des manières d’être et l’habitude d’écouter, de solliciter l’avis, de
commenter et d’admirer ceux et celles qui manifestent ces qualités.
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D O S SI E R
par leur érudition et par leur pratique religieuse, mais par leur sexe même, cet engagement collectif dans les concurrences religieuses.
Ouvrages cités
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monde juif, n° 10-11: 37-59.
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Observatoire du monde juif.
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des femmes à la direction
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« L’École Gilbert Bloch. Témoignage
sur un lieu de rencontre entre jeunes
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Genèses 88, septembre 2012
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2. Le grand rabbin du Consistoire est ainsi fréquemment considéré par les pouvoirs publics
français comme représentant l’ensemble des juifs
pratiquants.
3. Même si elle peut l’être dans les conversations
locales, où certains peuvent être appelés « reb »,
« rabbi » (traditionnellement, le titre de rabbin peut
être informellement donné à une personne reconnue pour son savoir religieux).
4. « Communauté nouvelle en hébreu ». Par souci
d’anonymat, les noms des deux synagogues (Kehila
Hadasha et Communauté juive moderne) et les
prénoms de mes interlocuteurs ont été modifiés.
5. Ces dissidents dénoncent suivant les cas la centralité religieuse croissante d’Israël (où un nombre
grandissant de rabbins consistoriaux complètent
leur formation dans des yeshivot orthodoxes), la
diminution de la place des savoirs séculiers dans
la formation des rabbins, le recul de la mixité dans
les activités religieuses ou encore la hausse des exigences en matière de pratique de la casherout, qui
complique les relations avec les non-juifs et avec les
juifs non pratiquants.
6. Laurent, un participant régulier à ces discussions, m’explique ainsi en entretien que « la hiérarchie est… quasiment inexistante dans cette
synagogue… », en faisant référence notamment à
cet usage.
7. La discussion classique de cet épisode, d’origine
très ancienne, porte plutôt sur le verbe « dépouiller » (« et vous dépouillerez l’Égypte », Exode, 3 : 22,
d’après la traduction du rabbinat français).
8. Rabbin français du Moyen Âge, son commentaire verset par verset de la Torah est reproduit sur
de nombreuses éditions de celle-ci.
9. Sur un échantillon de dix-huit discussions retranscrites exhaustivement pendant la période principale
du terrain, vingt-trois hommes et treize femmes
(sur une assistance généralement paritaire) ont pris
la parole au moins une fois ; et cinq personnes, des
hommes uniquement, plus d’une fois sur deux.
10. Quelques mois plus tôt, comme je lui proposais de faire un entretien sur son parcours, Carine
m’avait suggéré de faire plutôt un entretien avec
Jean, Laurent ou Samuel.
11. Pendant ses études, elle a notamment participé à
l’école Gilbert-Bloch d’Orsay (Benguigui 2009), qui,
à l’initiative des Éclaireurs israélites de France, avait
pour but de former les futurs cadres du judaïsme de
l’après-guerre. Il s’agissait d’offrir, tant aux femmes
qu’aux hommes (fait nouveau à l’époque), un enseignement de haut niveau en complément de leur
cursus universitaire, en établissant des ponts entre
savoirs scientifiques, critique biblique et pratique
religieuse. Le rabbin Léon Askénazi et le biologiste
Henri Atlan y ont notamment enseigné.
12. Les modalités du divorce religieux dans le
judaïsme orthodoxe sont fréquemment critiquées
à la CJM, comme par les féministes juives orthodoxes (Lipsyc : 2008 : 147 et suiv.).
13. Institution culturelle indépendante des différents mouvements religieux, qui propose de nombreux cours et conférences sur le judaïsme, assurés
par des personnalités médiatiques, des universitaires ou des rabbins (orthodoxes essentiellement).
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1. « Massorti » (traditionaliste) est le terme hébreu
employé en Israël, mais aussi en France, pour traduire le nom du courant Conservative, qui s’est institutionnalisé aux États-Unis à la fin du XIXe siècle
autour du Jewish Theological Seminary de New
York. En français, le terme « traditionaliste » est
quant à lui plutôt utilisé pour décrire la pratique
religieuse de personnes fréquentant des synagogues
orthodoxes et surtout consistoriales, mais ne s’identifiant pas elles-mêmes comme orthodoxes.
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