Métaphysique et théorie de la représentation. La

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Revue Philosophique de Louvain , 2009
Métaphysique et théorie de la représentation.
La question des origines du transcendantalisme revisitée.
Dominique Demange
Au siècle dernier, il n’est guère de courant philosophique qui n’ait cherché à se situer, voire à se
définir par rapport à l’héritage de la métaphysique. Objet des plus grandes spéculations, la question de
l’« essence » de la pensée métaphysique s’est nourrie de représentations historiographiques, le plus
souvent bien univoques, la plupart du temps peu ou mal fondées historiquement, et quelques fois
franchement simplistes ou paradoxales, qui constituent aujourd’hui encore le fond de commerce de la
vulgate philosophique. De façon encore modeste mais tout de même remarquable, les recherches sur
l’histoire de la métaphysique commencent enfin à faire sentir leurs effets dans la sphère
philosophique1. Le retour aux textes, et singulièrement ceux de la période médiévale, creuse de plus en
plus l’écart entre les représentations modernes et post-modernes sur la métaphysique et son histoire, et
la densité et complexité d’une tradition, qui ne se laisse guère enfermer dans les schémas par lesquels
on a voulu la neutraliser.
Il y a plus d’un demi-siècle, le grand médiéviste Ét. Gilson n’hésitait pas à écrire que « depuis
Descartes jusqu’à tel existentialisme athée de nos jours, le rationalisme philosophique a
confortablement vécu du capital métaphysique accumulé par les théologiens du Moyen Âge. »2 Les
recherches récentes sur l’histoire de la métaphysique ont largement confirmé ce jugement. Parmi bien
des exemples, on a pu montrer en particulier que l’émergence des structures de la théorie moderne de
la représentation objective, à la charnière des XIIIe et XIVe siècles3, constitue un évènement majeur pour
l’histoire de la métaphysique, pour ne pas dire un véritable tournant vers sa forme moderne. L’une des
interprétations proposées par les historiens consiste à soutenir que la métaphysique se serait
progressivement développée en une théorie universelle de l’objectité. Pour s’exprimer brièvement, et
en simplifiant beaucoup : après une première période qui, d’Aristote à Thomas d’Aquin, la
caractériserait essentiellement comme cosmo-théologie, la métaphysique aurait pris à l’époque de
Duns Scot un « nouveau commencement », un tournant décisif vers l’ontologie : science des propriétés
universelles de l’étant en tant qu’étant, elle se serait ensuite infléchie en science du quelque chose, du
pensable ou représentable au sens le plus large, bref : de l’objet en général4.
1
2
3
4
En témoigne en particulier Nef F., 2004.
Gilson Ét., 1952, p. 655.
Tachau K. H., 1988 ; Boulnois O., 1999, p. 55-105, p. 405-515.
« Un dernier trait permet de caractériser la métaphysique des Modernes, comme ontologie, pour autant qu’elle
ne se détermine plus prioritairement comme scientia transcendens ou scientia transcendentalis, mais plus
rigoureusement comme science surtranscendantale. Le terme, comme on sait, n’aura pas réussi à s’imposer ; il
avait pourtant le mérite de mettre clairement l’accent sur la valeur d’objectité, telle qu’elle préside alors sans
partage à toute question relative à l’objet de la métaphysique. Au titre de théorie surtranscendantale, la
métaphysique moderne n’est point ontologie, mais bien tino-logie, science générale (Leibniz) du cogitabile, de
la chose au sens du ‘quelque chose’. » Courtine J.-F., 1990, p. 537. « En visant la res, la métaphysique
n’atteint au statut de science qu’en abandonnant son objet premier, l’être. La métaphysique ne devient
ontologie qu’en devenant tinologie – science de l’aliquid, de ce qui est comme de ce qui n’est pas. » Boulnois
O., 1999, p. 513. Nous reviendrons plus loin sur la signification du terme ‘surtranscendantal’.
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Nous reviendrons plus précisément sur cette question dans notre étude : qu’il nous suffise
d’indiquer ici que, selon l’interprétation en question, la métaphysique transcendantale au sens
médiéval se serait progressivement élargie en une théorie universelle de la représentation. Les liens
avec la métaphysique des XVIIe et XVIIIe siècles pourraient alors être rétablis. Il était licite en effet de
considérer que l’idée d’une théorie transcendantale de la connaissance, telle qu’elle apparaît chez
Kant, n’avait été possible que sur la base de la nouvelle métaphysique, comme science générale de
l’objectité. Et cela pouvait inciter à rechercher plus en amont l’origine du transcendantalisme kantien ;
de sorte que certains ont pu déceler chez Jean Duns Scot déjà, dans sa définition de la métaphysique
comme science des transcendantaux, le point de départ de la seconde métaphysique entendue comme
« science transcendantale » (scientia transcendens) et dont le projet se serait poursuivi, à travers Kant,
jusques chez des auteurs modernes comme Peirce5.
Sans chercher à réduire les divergences qui apparaissent entre les travaux d’histoire de la
métaphysique auxquels nous faisons référence, et en priant le lecteur de s’y reporter pour
véritablement les apprécier dans le détail, la question que nous entendons poser dans cet article est de
savoir si le rapport entre métaphysique et théorie de la représentation est bien tel qu’on nous le décrit.
Plus spécifiquement, nous nous demanderons si la perspective générale dans laquelle ces recherches
s’inscrivent, et qui est celle d’une histoire interne de la métaphysique comme science, est bien la
perspective dans laquelle l’évolution observée se laisse traduire de la façon la plus naturelle. Une telle
question peut surprendre, dans la mesure où la question du sujet et de la constitution de la science
métaphysique a été posée depuis Aristote et jusqu’aux temps modernes, de sorte qu’il s’agit là
manifestement d’un fil directeur privilégié pour analyser la conception que les philosophes ont pu se
faire de la connaissance métaphysique aux cours des siècles6. On prendra garde cependant que
l’histoire de la métaphysique ne s’identifie pas à l’histoire de la théorie de la métaphysique. On ne
peut ignorer en particulier que les définitions épistémologiques disent la plupart du temps peu de
chose sur la nature et le contenu de la pensée métaphysique elle-même, pour la raison que ce contenu
est largement déterminé par des questions où la métaphysique est mise en rapport à une pensée qui lui
extérieure, et qu’elle tente d’intégrer, ou du moins par rapport à laquelle elle doit se déterminer. C’est
par exemple un fait majeur que l’effort constant de Kant en matière de métaphysique, des écrits précritiques à l’Opus postumum, en passant par les Premiers principes métaphysiques de la science de la
nature, aura été de produire des fondements métaphysiques pour la physique newtonienne. Pour ce qui
est de la pensée médiévale, la question du rapport entre la métaphysique et la théologie révélée montre
de la même façon que la détermination des concepts, problèmes et enjeux de la pensée métaphysique
dépend largement de ce qui se définit épistémologiquement comme lui étant extérieur. La perspective
d’une structure ou constitution épistémologique de la métaphysique apparaît rapidement comme
insuffisante, parce qu’elle suppose que la métaphysique est définissable comme une structure
rationnelle, alors que c’est dans le rapport voire le conflit des rationalités que le contenu propre de la
pensée métaphysique se laisse déterminer.
Ces remarques, certes, n’entâment guère la légitimité du point de vue épistémologique, pour
autant qu’on en reconnaisse les limites. Mais quelles sont-elles précisément ? Et s’agissant en
l’occurrence de l’histoire de la métaphysique, qu’avons-nous à objecter concrètement aux
considérations historiques que nous avons mentionnées ? De façon tout-à-fait préliminaire, deux
objections de fond.
Premièrement, si le concept d’objet ou pensable en général s’impose dès la fin du XIIIe siècle,
il n’est pas donné a priori qu’il s’agisse d’un concept ayant une fonction métaphysique (pas davantage
que le concept de ‘signe’, par exemple). Jusqu’au XVIIe siècle, bien rares sont les auteurs7 qui sont
tentés par la définition de la métaphysique comme science ‘surtranscendantale’, c’est-à-dire dont
l’objet transcenderait la distinction de l’être réel et de l’être de raison. Pour F. Suárez en particulier, et
pour la scolastique tardive en général, la métaphysique est une science réelle, et non une science
logique ou une science de la représentation – elle exclut donc de sa sphère l’ens rationis. A fortiori, si
l’on remonte jusqu’aux origines médiévales de ce concept, on trouvera d’autant plus de motifs d’être
5
6
7
Honnefelder L., 1979, 1990, 2001, 2002.
Pour la période médiévale, voir Zimmermann A., 1965 ; Boulnois O., 2001.
Selon Doyle J. P., 1998, il n’y a guère que le calviniste Clemens Timpler (1568-1624) qui soutienne cette
thèse.
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réservé à l’encontre d’une définition ‘tinologique’ de la métaphysique chez Duns Scot et ses
contemporains8 (comme nous le verrons plus précisément).
Deuxièmement, il n’est pas difficile de s’apercevoir que l’extension du concept de
transcendantalisme de Duns Scot à Kant relève du tour de force9. Il est patent en effet que si Kant est
certes parti de la question des fondements de la connaissance objective, pour autant sa théorie
transcendantale de la connaissance sape tout ‘projet’ d’une ontologie première, au sens d’une
métaphysique de l’objectité, à tel point que certains considèrent qu’elle en marque historiquement le
point final.
Lors de la transition du Moyen Âge au Temps Modernes, le développement de la théorie
moderne de la représentation objective a un rapport étroit avec l’évolution de la pensée métaphysique ;
cependant de là à affirmer que la métaphysique, comme science, en serait devenue « métaphysique
transcendantale » ou « métaphysique de l’objectité », c’est passer d’un rapport entre problèmes,
concepts ou questions, à une structure épistémologique, et tout tend à prouver que ce passage ne s’est
pas produit historiquement. D’une part en effet, chez ceux qu’on décrit comme les pionniers de la
nouvelle métaphysique, Henri de Gand (1217-1293) et Jean Duns Scot (1266-1308), on doit renoncer
à leur attribuer la conception « surtranscendantale » ou « tinologique » censée définir la forme de cette
nouvelle métaphysique. D’autre part, à l’autre bout de la chaîne historique, le principe d’un « passage
de relais » entre la métaphysique transcendantale scolastique et la philosophie transcendantale
kantienne pose davantage de problèmes qu’il n’en résout. Si la métaphysique n’a, dans les faits, jamais
été identifiée à une théorie de l’objet en général – sauf peut-être dans le projet leibnizien d’une science
générale –, ce qui semble beaucoup plus évident, en revanche, c’est que le rapport entre métaphysique
et théorie de la représentation a été posé et réfléchi de différentes manières, qu’il a évolué, et qu’il a
constitué un problème – le problème même que la théorie critique de Kant avait pour objet de
résoudre. Prendre la question du rapport entre métaphysique et théorie de l’objet comme un problème,
et non comme une structure : nous avons là peut-être une voie plus praticable pour reprendre la
question de la genèse de la métaphysique moderne. La question – pour le dire autrement – ne serait
plus tant de savoir par quelles voies et sous quelles formes une métaphysique de l’objet de pensée a pu
se constituer, mais au contraire pourquoi elle n’a pas pu se constituer, c’est-à-dire de quelle nature
étaient les problèmes qui la rendaient impossible, problèmes dont certains ne sont manifestement pas
sans avoir joué un rôle dans la genèse de la Critique de la raison pure.
Lorsque Kant est amené à reprendre la question de la possibilité de la métaphysique à
nouveaux frais, c’est, nous le savons bien, pour des raisons intimement liées à sa théorie de la
connaissance. Par quels chemins la théorie de la connaissance nous conduit-elle à la question de la
possibilité de la métaphysique comme science ? La genèse de la pensée critique est suffisamment
documentée, et nous-mêmes sommes trop peu expert en ces questions, pour ne pas nous aventurer très
loin. Nous ouvrirons simplement la fameuse lettre à Markus Herz du 21 Février 1772, document où
Kant se confie sur les motifs fondamentaux qui le guident dans l’élaboration de la Critique de la
raison pure. Or de quoi est-il question dans cette lettre ? De l’articulation onto-théologique de la
métaphysique ? De sa division en métaphysique générale et métaphysique spéciale ? Non pas. Ce dont
nous parle Kant, c’est du rapport de l’intellect humain à l’intellect divin. Cette lettre nous parle des
différences fondamentales entre la pensée humaine et la pensée divine. Et Kant d’indiquer que c’est
dans cette distinction, que se niche la difficulté fondamentale, « la clé du mystère » de la
métaphysique comme science. Relisons donc ce texte célèbre, pour y repérer ce qu’il nous signifie
quant au rôle de théorie de la pensée divine dans la genèse de la Critique de la raison pure :
Tandis que j’examinais point par point la partie théorique dans toute son étendue, avec les rapports
réciproques de toutes les parties, je remarquais qu’il me manquait encore quelque chose d’essentiel que,
8
9
Ainsi que le souligne Aertsen J.A., 2002, p. 153-156. C’est O. Boulnois lui-même qui remet en question, dans
un article ultérieur à Être et représentation, la possibilité d’une définition tinologique de la métaphysique chez
Duns Scot : « Il n’ouvre pas la voie à une compréhension ‘surtranscendantale’ du concept d’être qui serait
univoquement commun au réel et au rationnel dans l’unité d’une représentation. » O. Boulnois, 2002, p. 74-75.
C’est ce que note en particulier Nef F., 2004, p. 262 : « L’hypothèse de Honnefelder a par là quelque chose
d’artificiel et majore, semble-t-il, l’histoire lexicale du transcendantal <…> On pourrait dire que Kant non
seulement détruit la métaphysique comme science transcendante, mais que sa compréhension des
transcendantaux est paradigmatiquement incomparable avec celle des médiévaux. »
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tout comme d’autres, j’avais négligé dans mes longues recherches métaphysiques, et qui constitue, en fait,
la clé de tout le mystère, celui de la métaphysique jusqu’ici encore cachée à elle-même. Je me demandai,
en effet, sur quel fondement repose le rapport de ce qu’on nomme en nous représentation à l’objet. Si la
représentation ne contient que la façon dont le sujet est affecté par l’objet, il est facile de voir comment
elle lui correspond comme un effet à une cause, et comment cette détermination de notre esprit peut
représenter quelque chose, à savoir un objet. Ainsi les représentations passives ou sensibles ont un rapport
concevable à des objets, et les principes qui dérivent de la nature de notre âme ont une validité concevable
pour toutes les choses, en tant qu’elles doivent être objets des sens. De même, si ce qu’on appelle en nous
représentation était actif vis-à-vis de l’objet, c’est-à-dire si par là même l’objet pouvait être produit,
comme l’on se représente la connaissance divine, en tant qu’archétype des choses, alors la conformité de
ces représentations aux objets serait aussi intelligible. On peut ainsi au moins comprendre la possibilité de
l’intellectus archetypus, sur l’intuition duquel les choses elles-mêmes se fondent, comme celle de
l’intellectus ectypus qui tire les data de sa démarche logique de l’intuition sensible des choses. Mais notre
entendement, n’est pas, par ses représentations, la cause de l’objet (à l’exception des fins bonnes, en
morale) pas plus que l’objet n’est cause des représentations de l’entendement. Les concepts purs de
l’entendement ne doivent donc ni être abstraits des impressions des sens, ni exprimer la réceptivité des
représentations par les sens, mais à la vérité avoir leur source dans la nature de l’âme sans pour autant être
causés par l’objet, ni produire eux-mêmes l’objet. <…> Ces questions entraînent toujours une obscurité
concernant la faculté de notre entendement : d’où lui vient cet accord avec les choses mêmes ? Platon
prenait, comme source originelle des concepts purs de l’entendement, une ancienne intuition spirituelle de
la divinité, Malebranche une intuition permanente et encore actuelle de cet être originel. Différents
moralistes firent justement de même en ce qui concerne les premières lois morales. Crusius admit
certaines règles innées de jugement, et certains concepts que Dieu a déjà implantés dans l’âme humaine
sous la forme qu’ils doivent avoir pour se trouver en harmonie avec les choses. <…> Pourtant le deus ex
machina est, dans la détermination de l’origine et de la validité de nos connaissances, ce qu’on peut
choisir de plus extravagant, et il comporte, outre le cercle vicieux dans la série logique de nos
10
connaissances, l’inconvénient de favoriser tout caprice, toute pieuse ou creuse chimère.
Remarquable introduction, riche d’enseignements, au problème de la déduction transcendantale
des concepts purs de l’entendement. Il y a deux cas où le problème de la déduction ne se pose pas :
pour les objets de la sensibilité (il n’y a pas de déduction des concepts mathématiques, puisqu’ils sont
directement construits dans l’intuition sensible) et pour les objets de l’intellect divin, puisque c’est de
sa pure activité que l’intellectus archetypus tire la possibilité de ses objets. Le problème de la portée
objective des concepts a priori de la métaphysique, et ainsi de la possibilité de la métaphysique
comme science, se ramène ainsi à cette difficulté fondamentale que l’entendement humain n’est ni
passif, ni actif – que les concepts de l’entendement pur « doivent avoir leur source dans la nature de
l’âme sans pour autant être causés par l’objet, ni produire eux-mêmes l’objet ». Toute la théorie
transcendantale vise à résoudre cette difficulté, toute la critique du dogmatisme s’y résume. Le
dogmatisme considère en effet que les concepts premiers de la métaphysique, qui sont en réalité de
simples concepts logiques, ont directement, par cette fonction logique universelle, une portée
ontologique. C’est ignorer que l’entendement humain n’est pas directement constitutif de ses objets ;
c’est en quelque sorte lui préter une puissance comparable à celle d’un intellect divin, celle de
produire directement les objets à partir de leur pure pensée. La suite du texte confirme largement le
rôle de ces questions dans la genèse de la théorie critique. On y voit Kant signaler l’importance
historique du modèle platonicien, y critiquer l’exemplarisme de Malebranche et l’innéisme de Crusius.
C’est bien la détermination du rapport entre la pensée humaine et la pensée divine qui conduit Kant à
formuler cette thèse centrale du criticisme, à savoir l’impossibilité d’un entendement humain intuitif.
Or cette manière de poser la question des fondements de la science et de la connaissance est très
ancienne et classique. Poser la question de l’origine des vérités a priori, des vérités universelles et
indubitables qui doivent fonder la science, à partir de la question de la nature de la pensée humaine,
dans son rapport à la pensée divine, est une approche à ce point ancrée dans la philosophie et la
théologie, qu’elle constitue assurément l’un des fils directeurs les plus solides pour suivre l’histoire de
la métaphysique. Dieu n’est-il pas le fondement ultime de toute vérité ? Et si tel est le cas, comment
cette vérité ultime se transmet-elle à la pensée humaine ? Est-ce par une illumination directe
(Malebranche, Henri de Gand) ? Ou bien est-ce parce que Dieu a créé les vérités universelles qui
gouvernent notre monde, au même titre que toute autre créature de ce monde (Descartes) ? A moins
10
Lettre à M. Herz du 21 Février 1772 (I, p. 691-693)
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que Dieu n’ait insufflé à sa créature, à sa naissance, des vérités innées (Thomas d’Aquin) ? A moins
encore que l’on ne refuse toute intervention particulière de Dieu dans la production de la vérité
humaine (ce que Kant appelle le « deus ex machina ») mais alors il faudra trouver le fondement de la
connaissance ou bien dans une théorie de l’expérience naturelle, ou bien dans la constitution naturelle
de l’homme (dans « la nature de l’âme », pour reprendre les termes de Kant).
L’idée d’un intellect intuitif est chez Kant à l’horizon de tout le système de la raison pure, à sa
limite précisément, au sens où il le rend possible. La seconde partie de la Critique de la faculté de
juger, avec en particulier la théorie de l’analogie qui s’y rattache, contient de précieux développements
pour comprendre le rapport entre le système de la raison pure et l’intellect divin. Tout système
rationnel ne sera jamais pour nous qu’une représentation, résultat d’une réflexion partant des éléments
de ce système, et non la connaissance de l’idée elle-même du système comme son principe producteur,
opération synthétique que seul un intellectus archetypus pourrait réaliser11. Le système de la raison
pure est entièrement suspendu à cette idée d’un intellect intuitif, idée transcendantale qui lui fournit
son schème architectonique. La différence entre les connaissances intuitive et discursive sert de
matrice, aussi bien pour l’architectonique du système de la raison pure lui-même, avec ses divisions
(esthétique, analytique, dialectique), que pour la détermination des questions centrales qui s’y jouent.
En particulier, c’est en se réglant sur le principe de la pensée divine, c’est-à-dire l’idée d’« un
entendement dans lequel tout le divers serait en même temps donné par la conscience de soi »12, d’un
sujet qui tire toute sa connaissance de son unité de sujet, que Kant a cherché la solution de la
déduction transcendantale des catégories. Le texte de la déduction de 1787 est à cet égard explicite13.
Cette solution, le sujet transcendantal, apparaît comme l’adaptation, aussi proche que possible, du
modèle de la connaissance divine – le modèle d’une production de la connaissance à partir de la
conscience de soi (noesis noeseos) – aux conditions de la connaissance humaine :
L’intellect divin (a) tire toute sa connaissance de la conscience de soi et (b) produit les objets par cette
conscience de soi ;
Le sujet transcendantal (a) tire toute sa connaissance a priori de la conscience de soi et (b) réalise la
synthèse du divers de l’expérience par cette conscience de soi.
Ce schéma détermine les requisit de la déduction transcendantale. Ce faisant, il nous montre le
rôle majeur qu’y joue le paradigme de la science divine, et en cela la pensée kantienne s’inscrit dans
une longue tradition métaphysique et théologique. Dans cet article, c’est le fil conducteur de ce
paradigme de la pensée divine que nous entendons suivre, ou plutôt simplement repérer, pour
esquisser une histoire de la métaphysique à grande échelle. Pour procéder à ce repérage, nous partirons
de Kant pour remonter à l’époque médiévale. On nous pardonnera à ce sujet de revenir sur des textes
de Kant que le lecteur considérera peut-être comme bien connus, mais il nous a semblé nécessaire de
souligner, avec une précision suffisante, la détermination kantienne du rapport entre le métaphysique
et le transcendantal, de sorte à dissiper, sans plus d’ambiguïté possible, l’illusion d’une continuité
épistémologique de la métaphysique. Ceci nous permettra de dégager le noyau de la question
transcendantale chez Kant et d’attester alors de son affinité avec l’ancienne question de la science
divine. On nous pardonnera aussi de ne pas avoir repéré la totalité du trajet, c’est-à-dire de ne pas
11
CFJ, §77 (trad. p. 346-347). Sur la théorie de l’analogie, voir CFJ, §59 (trad. p. 263-265).
CRP, B135 (I, p. 855)
13
« Un entendement dans lequel tout le divers serait donné en même temps par la conscience de soi
intuitionnerait ; le nôtre ne peut que penser et doit chercher l’intuition dans les sens. Je suis donc conscient du
moi identique, par rapport au divers de mes représentations qui me sont données dans une intuition, puisque je
les nomme toutes mes représentations, qui n’en forment qu’une. Or, cela revient à dire que j’ai conscience
d’une synthèse nécessaire a priori de ces représentations, qui est l’unité synthétique originaire de l’aperception
<…> Mais ce principe n’en est pourtant pas un pour tout entendement possible en général, mais seulement
pour celui dont la pure aperception dans la représentation : je suis ne fournit encore aucun divers. Cet
entendement, dont la conscience de soi donnerait en même temps le divers de l’intuition, un entendement dont
la représentation ferait en même temps exister les objets de cette représentation, un tel entendement n’aurait
pas besoin d’un acte particulier de la synthèse du divers dans l’unité de la conscience, comme en a besoin
l’entendement humain, qui pense seulement et n’intuitionne pas. Mais pour l’entendement humain, l’acte de la
synthèse est bien inévitablement le premier principe… » CRP, B135-139 (I, p. 855-58)
12
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l’avoir suivi chez des auteurs des débuts de l’époque moderne (Descartes, Malebranche, …), pour
nous consacrer plutôt aux origines de la métaphysique moderne, dans la seconde moitié du XIIIe siècle.
Cela ne préjuge évidemment pas des difficultés de terrain que nous aurions rencontrées. Cependant ces
auteurs sont bien mieux connus que nos auteurs médiévaux, et d’autre part le cadre limité d’un article
ne nous permettait d’étendre outre mesure le champ de nos analyses.
(I) KANT ET LA « MÉTAPHYSIQUE TRANSCENDANTALE DES ANCIENS »
L’histoire du concept de transcendantal est aujourd’hui bien connue14. La métaphysique
médiévale reconnaissait l’existence de concepts premiers, dont elle montrait les propriétés purement a
priori, en tant que s’appliquant à toute réalité en général. La chose remonte au moins à Avicenne, qui
avait expliqué dans un passage de sa Métaphysique, qui deviendra un lieu commun au XIIIe siècle, que
toute connaissance simple repose sur certains concepts premiers et indéfinissables – comme ‘étant’,
‘un’ et ‘nécessaire’ –, qui sont spontanément et toujours antérieurement reçus dans l’intellect, et qui
fonctionnent ainsi comme des formes ou conditions a priori de la connaissance15. De tels concepts
seront appelés au Moyen Age des ‘transcendantaux’, car ils transcendent tout genre déterminé et
s’appliquent indifféremment à tous : leur universalité trans-générique en fait des conditions de
possibilité de la connaissance de toute réalité. C’est selon ce principe d’une connaissance purement a
priori des propriétés universelles de l’être en général que se construira, par l’intermédiaire de la
métaphysique médiévale des transcendantaux, l’ontologie pré-kantienne. Le transcendantal exprime
des conditions universelles, et à ce titre a priori, de la connaissance de la réalité ; la métaphysique, en
tant que science a priori de la réalité, se fonde sur la connaissance des propriétés transcendantales de
l’être.
L’idée que la métaphysique est une science transcendantale se trouve en particulier dans le
prologue des Questions sur la Métaphysique de Duns Scot :
Une science universelle est nécessaire qui considère ces transcendantaux. Et cette science nous l’appelons
métaphysique <…> comme pour dire ‘scientia transcendens’ <science transcendante ?
transcendantale ?>, car elle porte sur les transcendantaux.16
Cette définition de la métaphysique comme science des transcendantaux n’est pourtant pas à
proprement parler une innovation de la part de Scot ; on la trouve en particulier chez Albert le Grand17.
Si l’on admet que le concept d’étant et ses propriétés premières s’appelent ‘transcendantaux’, et si l’on
admet que la métaphysique porte sur l’étant en tant qu’étant, la métaphysique est donc une science des
transcendantaux. A la fin du XIIIe siècle, la théorie des transcendantaux est déjà pour l’essentiel
constituée ; si innovation il y a de la part de Scot sur ces questions – et elle est certes de taille –, ce
n’est guère dans la définition de la métaphysique comme science des transcendantaux, c’est dans
l’affirmation de leur univocité – sans laquelle, effectivement, l’ontologie des modernes n’aurait pu se
constituer.
Cette scientia transcendens, peut-on dores et déjà la baptiser de « science transcendantale » ?
Pour l’auteur de la Critique de la raison pure, il n’en saurait être question. L’illusion propre à la
métaphysique pré-critique tient à l’usage transcendant des concepts de l’entendement, faute d’avoir
saisi la véritable nature de la connaissance transcendantale18. Kant est trop conscient du risque de
confusion entre son nouveau transcendantalisme et l’ancien pour ne pas s’expliquer sur ce point19 :
14
Voir en particulier Aertsen, J. A., 1996 ; Le problème des transcendantaux du XIVe au XVIIe siècle, 2002, éd.
par G. Federici Viscovini.
15
Avicenne, La métaphysique du Shifā’, Livre I, chap.5 (trad. p.106)
16
« … necesse est esse aliquam scientiam universalem, quae per se consideret illa transcendentia. Et hanc
scientiam vocumus metaphysicam, quae dicitur a ‘meta’, quod est ‘trans’, et ‘ycos’ ‘scientia’, quasi
transcendens scientia, quia est de transcendentibus. » Jean Duns Scot, Quaestiones super libros
Metaphysicorum Aristotelis, Prol., n.18 (Op. Ph.. III, 9).
17
Voir sur ces questions Demange D., 2007, p. 328 sq.
18
« Aussi le transcendantal et le transcendant ne sont pas la même chose <…> un principe qui repousse ces
limites, et nous enjoint même de les franchir, s’appelle un principe transcendant <...> La dialectique
transcendantale se contentera donc de mettre au jour l’apparence des jugements transcendants et en même
6
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Mais il y a encore dans la philosophie transcendantale des anciens un chapitre qui contient de purs
concepts de l’entendement <…> Ils sont énoncés dans la proposition si célèbre chez les scolastiques :
Quodlibet ens est unum, verum, bonum. <…> Ces prétendus prédicats transcendantaux des choses ne sont
que des exigences logiques, et des critères de toute connaissance des choses en général <…> ; seulement,
ces catégories, qui devaient être prises proprement en un sens matériel, en tant qu’elles concernent la
possibilité des choses elles-mêmes, étaient en fait employées par les anciens avec une signification
seulement formelle, comme concernant l’exigence logique de toute connaissance ; et pourtant les anciens
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faisaient, sans y prendre garde, de ces critères de pensée des propriétés des choses en elles-mêmes.
L’erreur de l’ancienne métaphysique, appelée selon Kant improprement transcendantale, tenait
ainsi à un usage purement logique de certains concepts purs de l’entendement, comme s’il s’agissait en
cela des propriétés des choses elles-mêmes. Or c’est précisément l’extension de la logique générale
(ou analytique) à la connaissance objective, comme si elle y était pour les objets de l’expérience
constitutive (un organon) et non simplement normative (un canon), qui engendre l’illusion
transcendantale par laquelle la métaphysique dogmatique s’est égarée : « la logique générale,
considérée comme organon, est toujours une logique de l’apparence, c’est-à-dire dialectique. » 21
En procédant selon les seules « fonctions logiques universelles de la pensée »22, la métaphysique
est naturellement conduite à leur attribuer une fonction constitutive de la réalité. C’est de cette façon
que les transcendantaux au sens ‘scolastique’, qui sont en fait des concepts purs de l’entendement
(quoique dérivés des catégories), étaient considérés par l’ancienne métaphysique comme des prédicats
réels. Seule la critique transcendantale, c’est-à-dire la recherche des conditions de possibilité de la
connaissance objective, peut mettre au jour l’origine et la nature de cette illusion, à savoir qu’un
concept pur de l’entendement n’est jamais un prédicat réel, mais une règle dans la synthèse de
l’expérience.
Le transcendantal kantien n’est pas (contrairement au transcendantal médiéval) une propriété
prédicable de la réalité, mais ce qui exprime les conditions de possibilité de la connaissance objective.
Or ce point n’a pas été d’emblée acquis par Kant. Dans la lettre à Marcus Herz déjà citée, Kant
présente sa future Critique de la raison pure comme une « philosophie transcendantale », le terme
conservant encore son sens traditionnel : une telle philosophie est dite ‘transcendantale’ en tant qu’elle
expose « tous les concepts de la raison pure en totalité »23. Le terme n’a pas encore reçu sa
signification critique – il n’exprime encore que la connaissance a priori, et non les conditions de
temps d’empêcher qu’elle ne nous trompe … » CRP, A296-297/B352-354 (I, p. 1014-1015) Il y a deux
sources de l’illusion transcendantale : (1) L’usage transcendantal des concepts de l’entendement : au lieu de
les appliquer uniquement aux phénomènes empiriques (usage expérimental), l’entendement prétend produire
directement, par ses concepts purs, une connaissance des choses en soi. L’illusion provient ici de ce que
l’entendement néglige ses propres limites ; mais il ne connaît en vérité rien de déterminé. (2) L’usage
transcendant des idées de la raison : la raison détermine des objets comme correspondant à ses idées, en en
faisant des principes déterminants (alors qu’ils ne sont que régulateurs). C’est alors que la raison « nous
enjoint » de franchir les limites de l’entendement : il ne s’agit plus simplement d’en oublier les limites, mais
de construire concrètement des objets qui les transcendent (noumènes). Voir en particulier Deleuze G., 2004,
p. 37-41.
19
Sur ce texte, voir De Vleeschauwer, 1937 (III, 67-71).
20
CRP, B113-114 (I, p. 839-40)
21
CRP, A61/B86 (I, p. 820). « Cependant, il y a quelque chose de séduisant dans la possession d’un art si
spécieux, celui de donner à toutes nos connaissances la forme de l’entendement, quelque vide et pauvre qu’on
puisse être à l’égard de leur contenu, que l’on use de cette logique générale, qui est simplement un canon pour
l’évaluation, comme d’un organon pour produire réellement, du moins en en donnant l’illusion, des
affirmations objectives, ce qui est en fait abuser de cette logique. La logique générale, donc, comme prétendu
organon, s’appelle dialectique. » CRP, A60-61/B85 (I, p. 819).
22
CRP, B159 (I, 872)
23
« En cherchant de cette manière les sources de la connaissance intellectuelle, sans lesquelles on ne peut
déterminer la nature et les limites de la métaphysique, je ramenais cette science à des sections entièrement
différentes, et je cherchais à ramener la philosophie transcendantale, c’est-à-dire tous les concepts de la raison
pure en totalité, à un certains nombres de catégories, non toutefois comme Aristote qui, dans ses dix
prédicaments, les juxtaposa tout à fait au hasard, comme il les trouva, mais au contraire de la façon dont ils se
répartissent eux-mêmes en classes, au moyen d’un petit nombre de lois de l’entendement. » Lettre à Marcus
Herz (21 Février 1772) (I, p. 693-694).
7
Revue Philosophique de Louvain , 2009
validité a priori de la connaissance24. De même, la distinction entre les expositions métaphysique et
transcendantale de l’espace et du temps n’apparaît clairement que dans la seconde édition de la
Critique de la raison pure, preuve que la claire distinction entre le transcendantal et le métaphysique,
si importante pour la théorie critique, n’a été acquise que tardivement. C’est donc seulement dans la
seconde édition que l’on peut lire :
J’entends par exposition la représentation claire (quoique non détaillée) de ce qui appartient à un concept ;
cette exposition est métaphysique lorsqu’elle contient ce qui présente le concept comme donné a priori. 25
J’entends par exposition transcendantale l’explication d’un concept comme d’un principe, à partir duquel
peut être saisie la possibilité d’autres connaissances synthétiques a priori. 26
Est métaphysique ce qui appartient a priori à un concept. Ainsi, l’exposition métaphysique du
concept d’espace permet de montrer que l’espace est une représentation nécessaire et a priori qui sert
de fondement à toutes les intuitions externes. Les objets extérieurs ne peuvent être représentés que
dans l’espace, lequel est une intuition pure, représentée par nous comme une grandeur infinie. En
exposant cela, nous ne faisons qu’analyser cette intuition et montrer ce qui revient ainsi au concept
correspondant. Dans l’exposition transcendantale de l’espace en revanche, on établit que c’est dans
l’intuition a priori de l’espace, comme forme du sens externe, que se trouve l’origine des
connaissances synthétiques a priori que nous pouvons avoir sur les objets étendus, c’est-à-dire les
propositions de la géométrie. Il ne s’agit plus d’exposer ce qui revient a priori à un concept, à partir de
l’intuition qu’il procure, mais de montrer comment cette intuition, en tant non plus que concept mais
forme de la sensibilité, rend possible une expérience des objets externes, et ainsi rend possible les
jugements synthétiques a priori de la géométrie. L’opposition entre métaphysique et transcendantal
joue donc en parallèle à l’opposition entre analytique et synthétique : est métaphysique la
connaissance du contenu a priori d’un concept, qui reste purement à l’intérieur de ce concept ; est
transcendantale la connaissance de ce qu’un concept, compris comme condition de possibilité de
l’expérience, c’est-à-dire synthétiquement, rend possible a priori.
…toute connaissance a priori ne doit pas être nommée transcendantale mais seulement celle par laquelle
nous connaissons que et comment certaines représentations (intuitions ou concepts) sont appliquées ou
sont possibles uniquement a priori.27
Kant opère donc ici une véritable subversion du concept traditionnel de ‘transcendantal’ : car ce
qui était pour la métaphysique purement a priori, c’est-à-dire ce qui était sans origine, ce qui était
premier, est désormais ramené à ses « conditions de possibilité », et c’est précisément le fait de
ramener un usage a priori à ses conditions de possibilité qui doit désormais être appelé
« transcendantal ». Est transcendantal ce qui ramène l’a priori sur lequel se fonde la science au
pouvoir de connaître qui est à son origine. Si l’intuition des propriétés de l’espace est l’a priori de la
géométrie, la critique transcendantale de la géométrie ramène cette intuition à son origine, c’est-à-dire
à l’esthétique transcendantale comme contenant la source, pour l’entendement, des propositions
géométriques synthétiques a priori. De la sorte, il faut dire que
…ni l’espace, ni aucune détermination géométrique a priori de l’espace ne sont des représentations
transcendantales ; la connaissance de l’origine non empirique de ces représentations et la possibilité
qu’elles ont de pouvoir tout de même se rapporter a priori à des objets de l’expérience peuvent seules être
nommées transcendantales.28
La distinction entre les expositions métaphysique et transcendantale de l’espace et du temps a en
particulier pour fonction de récuser l’idéalisme subjectif, qui assigne comme seul fondement des
mathématiques l’évidence intellectuelle (à la manière de Descartes). De ce point de vue, l’exposition
métaphysique suit la voie cartésienne, elle considère la mathématique comme si elle avait un objet
autonome, purement intellectuel, et c’est pourquoi elle devra être complétée et corrigée par
l’exposition transcendantale, qui montre que c’est au contraire seulement en partant des formes de la
24
Voir les notes des éditeurs (Pléiade, vol.I) : n°7 p.1559 ; n°5 p.1543 ; n°3 p.1543-44.
CRP, B38 (I, p. 785)
26
CRP, B40 (I, p. 787)
27
CRP, A56-57 (I, p. 816)
28
CRP, A56 (I, p. 816)
25
8
Revue Philosophique de Louvain , 2009
sensibilité que la mathématique peut acquérir une évidence objective – c’est-à-dire qu’elle devient
applicable à l’expérience. La même division se reproduit dans la théorie de l’entendement :
Dans la déduction métaphysique, l’origine a priori des catégories a été mise en évidence en général par
leur plein accord avec les fonctions logiques universelles de la pensée, et, dans la déduction
transcendantale, a été exposée la possibilité de ces catégories comme connaissance a priori des objets
d’une intuition en général. 29
La métaphysique est une connaissance par concepts, qui déduit ce qui leur revient a priori en
vertu des lois universelles de la pensée30 ; la métaphysique ne s’occupe que de déduire les propriétés
universelles des concepts, elle ne s’occupe pas des conditions de validité de ces concepts dans
l’expérience, c’est-à-dire qu’elle ne s’occupe pas de l’origine et de la possibilité des objets eux-mêmes
auxquels ces concepts renvoient. Il existe donc une double possibilité de déduction des catégories : ou
bien on établit leur caractère absolument premier et suffisant d’un point de vue logique, c’est-à-dire
pour la seule pensée ; ou bien on établit que ces concepts constituent le système de toute connaissance
a priori des objets de l’expérience sensible. Une fois de plus, on retrouve en filigrane la distinction
entre connaissances analytique et synthétique.
Kant, on le voit, use de l’opposition du métaphysique et du transcendantal comme de deux
termes à la fois complémentaires et correctifs : le point de vue métaphysique considère l’objet (de la
sensibilité pure ou de l’entendement) de façon purement immanente, à l’intérieur de sa sphère propre,
c’est-à-dire en rapport à sa logique interne ; le point de vue transcendantal considère le même objet de
l’extérieur, c’est-à-dire relativement aux conditions de possibilité de son expérience
(synthétiquement), ce qui constitue une critique de la détermination précédente : l’exposition
métaphysique de l’espace est corrigée par son exposition transcendantale (passage du concept dans
l’intuition aux formes qui rendent possible l’intuition), la déduction métaphysique des catégories est
corrigée par leur déduction transcendantale (passage de l’analyse interne des concepts à leur
application à l’expérience possible).
L’introduction de la Critique de la faculté de juger, enfin, présente la distinction entre le
transcendantal et le métaphysique sous la forme suivante :
Un principe transcendantal est un principe par lequel est représentée la condition universelle a priori, sous
laquelle seule des choses peuvent devenir des objets de notre connaissance en général. En revanche, on
nomme métaphysique un principe, lorsqu’il représente la condition a priori, sous laquelle seule des objets,
dont le concept doit être donné empiriquement, peuvent être a priori déterminés plus complètement. 31
On aura noté le quasi-chiasme entre chose (empirique) et objet. Le principe transcendantal rend
possible la connaissance des choses comme objets, c’est-à-dire que les prédicats sont transcendantaux
lorsqu’ils sont tels que si on les supprime, la possibilité de la représentation de l’objet est du même
coup supprimée. Mais une fois l’objet donné a priori pour l’entendement pur, c’est-à-dire une fois
qu’il devient représentable, si l’on veut le déterminer « plus complètement » et toujours a priori, alors
on fera appel à un principe métaphysique, qui doit supposer son existence empirique (comme chose)
pour en déduire purement a priori de nouveaux prédicats. Kant donne l’exemple suivant32 : « Tout
corps a une cause » est un principe transcendantal puisque la causalité (ou relation de dépendance)
appartient à la tables des catégories ; le principe métaphysique, en revanche, sort des seules conditions
de possibilité de la représentation d’un objet comme causable, pour savoir qu’il est causable par une
cause extérieure. En effet, on doit alors supposer plusieurs objets dans l’espace et exerçant entre eux
des relations de causalité ; on doit sortir des seules conditions de possibilité de la représentation pure
d’un objet pour aller vers les propriétés qui lui reviennent a priori en tant qu’il est pris dans l’ordre du
réel. 33
29
CRP, B159 (I, p. 872)
« …dans la métaphysique, l’objet est envisagé tel qu’il doit être représenté d’après les lois universelles de la
pensée, alors que dans les autres sciences il est envisagé selon les données de l’intuition (pure aussi bien
qu’empirique)… » Prem. princ., Préf. (II, p. 371)
31
CFJ, Intr., V (trad. p. 42).
32
Ibid.
33
Le point de vue architectonique correspondant est exposé dans la préface aux Premiers principes
métaphysiques de la science de la nature. Voir en particulier Vuillemin J., 1955, p. 11-25.
30
9
Revue Philosophique de Louvain , 2009
Nous touchons là sans doute le point névralgique de la distinction kantienne du transcendantal et
du métaphysique. Connaissance transcendantale et connaissance métaphysique sont toutes deux des
connaissances purement a priori – ainsi que Kant le rappelle dans la suite de ce texte. Seulement, la
connaissance transcendantale détermine l’objet quant aux seules conditions de possibilité de sa
représentation – c’est-à-dire précisément comme pur objet – tandis que la connaissance métaphysique
le détermine quant aux propriétés qui lui reviennent a priori comme réalité – comme chose. Il est clair
pour Kant que la confusion entre ces deux ordres de connaissance a priori est aussi aisée que
dramatique : en ignorant la distinction entre prédicats transcendantaux et prédicats métaphysiques, la
métaphysique classique aurait ignoré la différence entre les conditions de possibilité de la
représentation (connaissance transcendantale) et les conditions de possibilité de la réalité pour la
pensée pure (connaissance métaphysique). Confusion qui serait précisément à l’origine de l’illusion
transcendantale : c’est faute de revenir aux conditions de possibilité de l’expérience, que s’offre la
tentation de transposer directement les lois universelles de la pensée en lois de constitution de la
réalité.
(II) DE L’INTELLECT DIVIN AU SUJET TRANSCENDANTAL
Si nous suivons l’analyse kantienne, nous aboutissons ainsi à une distinction entre deux
théories de la connaissance. La théorie métaphysique de la connaissance expose les propriétés a priori
de l’être en tant qu’être. La théorie transcendantale de la connaissance ramène cet a priori aux
conditions de possibilité de son expérience ; or « la possibilité de l’expérience est ce qui donne une
réalité objective à toutes nos connaissances a priori. »34 La théorie transcendantale de la connaissance
détermine donc l’être comme corrélat d’un connaître possible, c’est-à-dire comme objet. Si le concept
premier de la connaissance métaphysique est celui d’être, le concept premier de la théorie
transcendantale est celui d’objet. Or il est clair que la distinction entre l’être comme réalité et l’être
comme objectité ne date pas de Kant, non plus que la distinction entre la question de la connaissance
métaphysique et celle de la connaissance objective.
L’affirmation de Kant selon laquelle dans « la métaphysique transcendantale des anciens » les
transcendantaux sont des prédicats réels est assurément exacte. Ce qui revient à dire que ce n’est pas
dans la métaphysique que les anciens situaient la question de la possibilité de la connaissance
objective. Mais ce qui n’implique pas qu’ils l’aient nécessairement ignoré. Simplement, ils pouvaient
la situer ailleurs. Duns Scot, en particulier (nous y reviendrons), avait rigoureusement distingué l’être
comme premier concept métaphysique, de l’être comme objet général de la représentation. Le premier
procure à tout dont il se prédique une réalité formelle générale, à savoir qu’il signifie qu’il s’agit d’une
entité réelle, et non simplement mentale ; le second exprime la simple possibilité de la représentation
en général, c’est-à-dire la non-contradiction interne. Le premier appartient à la structure de la
métaphysique comme science, le second à la théorie de la représentation. Mais si les médiévaux ont pu
distinguer entre la détermination de l’être comme réalité et sa détermination comme objectité, sur
quelle base s’est faite cette distinction ? Elle s’est faite exactement comme dans la lettre de Kant de
1772 : en partant de la question du rapport entre la pensée humaine et la pensée divine.
Bien avant Kant, il existait une théorie prétendant déduire les propriétés a priori de l’être en
général à partir de son connaître possible, à savoir pour l’intellect divin. Dans la pensée divine, tout
être, avant même d’exister, possède un être pensable, condition de possibilité de sa création. L’idée
que la réalité n’a pas en elle-même son fondement premier ou absolu, mais qu’elle reçoit ce fondement
d’une subjectivité constituante, cette idée n’est pas spécifiquement kantienne, elle est inscrite au cœur
de la théologie chrétienne, dans le principe d’une pensée divine qui se donne comme condition de
possibilité de l’universel. La différence d’orientation entre le métaphysique et le transcendantal
remonte ainsi à la dissociation entre les raisons philosophique et théologique au Moyen Âge. Tandis
que la raison philosophique, d’inspiration aristotélicienne, avait naturellement tendance à poser le
monde et les structures conceptuelles de la réalité comme premières, la raison théologique les
concevait comme produites par l’intellect divin. A partir du XIIIe siècle, la théorie, de tradition
augustinienne, des idées divines comme archétypes de la réalité, s’est trouvée confrontée à la
conception aristotélicienne des universaux comme formes a priori de la réalité. Les premières
34
CRP, B195 (I, p. 897)
10
Revue Philosophique de Louvain , 2009
questions de la Summa d’Henri de Gand, en particulier, attestent d’une tentative de conciliation entre
ces deux modèles, métaphysique et exemplariste, au-delà de leur divergence d’orientation : la raison
philosophique (« ex puris naturalibus ») considère que c’est dans les formes abstraites de la réalité
existante que se trouve la source de toute connaissance ; la raison théologique, au contraire, pose qu’à
l’origine de l’universalité métaphysique se trouve une subjectivité constituante – l’intellect divin. En
conséquence, selon la perspective théologique, la question de la fondation de la métaphysique se pose
directement en rapport à la théorie de la pensée divine. C’est un schéma dont toute la métaphysique
moderne va hériter : la question de l’origine divine de l’universalité, comme la question qui détermine
la possibilité et les limites de la métaphysique.
Cette question traverse, avec bien des vicissitudes, tout le Moyen Âge et les débuts de
l’époque moderne. Ce qui caractérise le passage du Moyen Âge aux Temps Modernes sur cette
question, ce n’est pas la convergence, mais bien la divergence des théories. On n’observe nullement
une tendance à l’unification du problème de la relation entre la théorie des universaux et la théorie de
la puissance et des idées divines, mais bien à une tension croissante, qui se résout dans des solutions
très différentes. L’ancien exemplarisme connaît une renaissance chez Malebranche. A l’opposé,
certains auteurs, dans la scolastique tardive, pourront aller jusqu’à nier que l’universalité soit d’origine
divine, de sorte que la pensée divine ne fait que contempler un univers objectif en soi35. Et il n’est sans
doute pas utile de souligner outre mesure le caractère révolutionnaire de la thèse cartésienne de la
création des vérités éternelles, ni sa fonction centrale pour l’économie des Méditations
métaphysiques36.
Comme nous l’avons vu, cette question du rapport entre la pensée divine et la pensée humaine
a joué un rôle déterminant dans la genèse de la Critique de la raison pure. De même que chez
Descartes les Méditations métaphysiques tirent leur force de la thèse d’une création divine de
l’universalité (thèse sans laquelle aucun malin génie ne pourraît jamais vraiment faire vaciller les
fondements de la connaissance), de même la force d’effraction extraordinaire de la Critique de la
raison pure dans la tradition philosophique doit beaucoup à sa théorie d’un intellect humain
producteur de l’universalité37. L’intellect divin et l’intellect humain ne se distinguent plus dans leur
rapport premier à l’universel : ils ont tous deux une fonction active. Nous ne connaissons des choses a
priori que ce que nous y mettons nous-mêmes – exactement comme l’intellect divin. La propriété de
n’être pas soumis à une universalité a priori, mais d’être à l’origine de cette universalité, par sa propre
activité, est une propriété commune à l’intellect intuitif archétype aussi bien qu’au sujet
transcendantal. Leur différence réside seulement dans le mode de production de cette universalité (par
intuition créatrice de l’objet ou par la synthèse du divers de l’expérience). La filiation entre l’ancienne
question de la science divine et la question transcendantale au sens kantien résulte donc directement de
la définition kantienne de l’intellect divin, et du pôle de référence que cet intellect constitue dans
l’élaboration de la question transcendantale. En rejettant l’hypothèse d’idées transcendantes à
l’intellect humain, pour aller chercher dans l’activité même de cet intellect la source de toute
universalité, Kant retrouvait ainsi le chemin d’une question très ancienne, une question qui a été
développée dans l’ancienne théologie : comment concevoir un intellect qui ne soit pas soumis aux
universaux, mais qui en apparaisse au contraire comme l’origine ?
Au Moyen Âge, la question centrale de la théorie de la pensée divine38 est de savoir quel est le
statut ‘ontologique’, pour l’intellect divin, de l’être créable, avant qu’il ne soit créé, sachant que Dieu
ne dispose pas d’idées qui lui seraient préalablement données – sans quoi il n’y aurait pas création ex
nihilo, c’est-à-dire que Dieu ne serait pas le Créateur Absolu qu’il est mais une sorte de démiurge
platonicien. Il faut donc que, d’une certaine manière, l’idée divine, présidant à toute création, ne soit
pas antérieure à la pensée divine mais produite par elle, et qu’elle trouve ainsi dans la « subjectivité »
(au sens moderne du terme) de Dieu son origine. Ce qui a coûté à Kant, de son aveu même, tant de
labeur dans l’élaboration de sa Critique, à savoir le problème de la mise en œuvre des catégories dans
l’activité du sujet transcendantal, rejoint ainsi la vieille question de la mise en œuvre des idées divines
35
Schmutz, J., 2002.
Marion J.-L., 1991.
37
Question longuement développée par Cassirer 2004, 2005.
38
Sur ce qui suit, nous renvoyons à Sur la science divine, 2002, textes traduits sous la direction de J.-C. Bardout
et O. Boulnois, en particulier p. 226-244 sur Henri de Gand et p. 245-272 sur Duns Scot.
36
11
Revue Philosophique de Louvain , 2009
par l’intellect divin. Dans les deux cas, le nœud de la difficulté tient en ceci que ce qui se donne dans
l’activité subjective comme un a priori (les catégories kantiennes ou les idées divines) doit apparaître,
dans sa mise en œuvre même comme a priori, comme un a posteriori en regard de la subjectivité qui
met en œuvre. Les idées divines doivent pouvoir être déduites de l’activité de l’intellect divin comme
les catégories kantiennes de celle du sujet transcendantal. Le problème central de la théorie médiévale
de la pensée divine est bel et bien celui d’une déduction transcendantale des idées divines.
Comme on peut s’en douter, les réponses médiévales à la question du rapport entre
l’universalité métaphysique et la pensée divine ont été diverses. Ainsi, pour Henri de Gand, le grand
prédécesseur de Duns Scot, la théorie de la pensée divine est entièrement fondée sur l’idée
métaphysique d’essence. Selon ce Docteur, Dieu produit la créature en se fondant sur une idée qu’il en
possède, laquelle idée n’est autre qu’une certaine raison d’imitabilité de sa nature. La pensée divine
précède les idées divines comme modèles des choses, en tant qu’elle est l’archétype de tels modèles
(la distinction kantienne entre idée et archétype s’applique admirablement ici). Une chose est
réellement possible (et non une simple fiction) si elle possède en Dieu une certaine idée, idée qui n’est
pas distincte de l’essence divine elle-même puisqu’elle n’est rien d’autre qu’un certain rapport
d’imitation ou de participation à cette essence. L’acte de création consiste alors à donner un être
d’existence (esse exsistentiae) à ce qui possède déjà, dans l’intellect divin, un être d’essence (esse
essentiae), être d’essence dont la nature est d’être une pure relation, à savoir une certaine imitation de
l’essence divine.
Avec une telle construction, Henri s’efforce donc d’effacer toute distance réelle entre
l’intellect divin et ses idées, en les ramenant à l’activité de l’intellect divin en tant qu’il se pense luimême comme essence. Avec Duns Scot cependant, nous nous rapprochons encore davantage de la
caractérisation kantienne du sujet transcendantal. Duns Scot rejette la construction d’Henri de Gand,
l’accusant de platonisme : un être d’essence précédant l’être d’existence supposerait que Dieu ne crée
pas de rien (ex nihilo), mais à partir d’un modèle, comme le démiurge platonicien. Lorsque Dieu
produit la créature, il la crée à la fois dans son essence et dans son existence, il n’y a pas de plan
intermédiaire entre la pensée divine et l’existence réelle. Mais quel est alors le statut métaphysique de
l’idée divine, s’il ne s’agit pas déjà d’une certaine essence ? Ce statut, pour Duns Scot, n’est
précisément plus métaphysique mais purement objectif. Dans la pensée divine, avant toute création, la
chose possède un pur être représenté (esse repraesentatum), un pur être objectif (esse obiectivum), et
rien d’autre. Ce n’est pas parce que Dieu pense à quelque chose, comme pur objet de pensée, que ce
quelque chose reçoit de la sorte une certaine essence, une certaine réalité métaphysique, de même que
ce n’est pas parce qu’une statue représente un centaure que celui-ci existe, ni comme être d’existence
ni comme être réellement possible (être d’essence). L’être objectif que se donne l’intellect divin n’a
aucun statut métaphysique, car la seule origine de cet être réprésenté, à savoir la condition de
possibilité de la représentation d’un objet en général, n’est autre que la pensée divine elle-même,
comme unité.
Ce qu’il faut en effet expressément mettre en lumière dans la critique que Scot opère à l’égard
de la tradition de la théorie médiévale de la pensée divine, c’est précisément qu’il ne substitue pas un a
priori (celui de l’essence) à un autre a priori (celui de concepts métaphysiques), c’est qu’il ne replace
pas une métaphysique par une autre, c’est au contraire qu’il opère, exactement comme le fera Kant,
une critique de l’a priori métaphysique en tant que tel, en partant de la « subjectivité » comme source
ultime de tout a priori, c’est-à-dire comme condition de possibilité ultime de tout objet : la pensée
divine, en tant que pouvoir de connaître ex nihilo, ne doit être précédée par aucun a priori formel, par
aucune métaphysique. Duns Scot « purge » la théorie de la pensée divine de toute métaphysique des
essences ou des concepts a priori ; la seule loi de la pensée divine est la non-contradiction, c’est-àdire son unité comme sujet pensant. Ainsi, la métaphysique reflue de la théorie de la connaissance, elle
laisse place à un espace métaphysiquement neutre, celui d’une connaissance antérieure à tout a priori
métaphysique (c’est-à-dire à toute pré-détermination universelle, qu’elle soit d’essences a priori ou de
concepts a priori) : l’espace de la pure possibilité objective, l’espace transcendantal.
Pour Duns Scot, la compossibilité formelle précède-t-elle l’intellect divin, ou l’intellect divin
la produit-elle ? Même si c’est bien la seconde thèse qui semble devoir s’imposer à l’examen attentif
des textes, il n’est pas sans intérêt pour notre propos de signaler que c’est là un point de discussion
12
Revue Philosophique de Louvain , 2009
parmi les interprètes de Scot39. Tout se passe comme si, à ce point absolument névralgique de toute
théorie de la pensée divine, Duns Scot avait ouvert une double possibilité, qui connaîtra des sorts
différents dans l’histoire de la philosophie : ou bien l’ordre objectif précède l’esprit, même absolu
(ontologie première), ou bien il émane de son activité pure (déduction transcendantale). Toute théorie
de l’intellect divin doit naviguer entre le Charybde d’un repli en soi de la pensée divine dans sa pureté
intérieure et vide (noesis noeseos), et le Scylla d’un Esprit qui, pour tout puissant qu’il soit comme
créateur, ne serait plus absolu comme esprit dès qu’il se laisserait déterminer, aussi infimement soit-il,
par un ordre logique qui le précède. Dans l’élaboration scotiste de la théorie de la pensée divine, cette
difficulté se concentre sur le statut de l’objet. L’intellect divin produit spontanément des objets, dont il
reconnaît les compossibilités ; faut-il dire par conséquent que ces compossibilités le précèdent comme
intellect, c’est-à-dire qu’il y a toujours déjà une logique avant toute subjectivité ? La déduction
kantienne des catégories porte assurément les stigmates de difficultés analogues.
(III) ORIGINE, PRINCIPES ET LIMITES DE LA MÉTAPHYSIQUE DE L’OBJECTITÉ
L’idée d’une théorie universelle de l’objectité semble se trouver en germe chez Henri de Gand.
Ce théologien majeur du XIIIe siècle établit en effet un domaine du pensable en général : il distingue la
« res a reor », soit tout ce qui est pensable ou opinable (y compris l’impossible comme la chimère) de
la « res a ratitudine », soit ce qui est susceptible d’exister réellement, c’est-à-dire ce qui possède une
essence réelle40. Pour la première fois sans doute, on considère que ce qui n’est pas réel, et ne pourra
jamais l’être, n’en est pas moins pensable d’une certaine façon, et qu’il définit un domaine
épistémologique général.
Cette idée devait faire école. Les historiens ont souligné sur ce point l’importance d’un passage
du Quodlibet III de Duns Scot, dont O. Boulnois propose une traduction accompagnée d’un
commentaire conséquent41, de sorte que nous nous limiterons à en rappeler l’essentiel pour notre
propos : Duns Scot y distingue (1) la chose (res) entendue comme l’étant-objectité, c’est-à-dire ce qui
recouvre la totalité du représentable, qu’il soit fictif, purement logique ou réel – c’est l’étant en tant
qu’« objet adéquat » de l’intellect ; de (2) la chose (res) entendue comme l’étant-réalité, concept
premier de la métaphysique, qui exprime l’être-réel (quid) d’un objet et qui est ainsi prédicable de
toute réalité. Mais quelle est la réelle portée épistémologique de cette classification des significations
du terme de « chose » (res) que propose Duns Scot dans ce texte ? Y est-il véritablement question de
la « structure de la métaphysique » ?
Une troisième étape semble ensuite avoir été franchie dans la scolastique espagnole du XVIe
siècle. On y trouve formulée l’idée que des concepts exprimeraient les structures de la représentation
en général : ces ‘surtranscendantaux’, tels que ‘opinable’ ou ‘pensable’, transcenderaient les
transcendantaux au sens médiéval, puisqu’ils recouvrent aussi bien l’être réel (comme le
transcendantal) que l’être de raison42. De la res a reor henricienne, en passant par la res au sens le plus
commun (communissime sumptum) du Quodlibet III de Scot, au surtranscendantal enfin de la
scolastique tardive, nous aurions un nouveau concept définitoire de la seconde métaphysique, c’est-àdire de l’ontologie moderne. Si l’on ajoute, enfin, que dans son Analytique transcendantale, Kant
précise que le concept le plus élevé de la philosophie transcendantale est celui « d’objet en général,
pris de manière problématique, et sans décider s’il est quelque chose ou rien »43, alors la tentation se
fait grande de tracer une longue ligne continue depuis Henri de Gand jusqu’aux portes de la Critique
de la raison pure : la métaphysique des modernes serait « tinologique » – science de l’aliquid, du
représentable.
Cette thèse, pour séduisante qu’elle soit, se heurte pourtant à tout un contexte épistémologique.
Les médiévaux, en particulier, ne considèrent pas que la théorie de la connaissance doive directement
39
Cf. A. Santogrossi A., 2002, en particulier p. 117-118.
On trouvera un exposé de cette doctrine par exemple chez De Libera A., 2002, p. 231-236. Sur ce qui suit, voir
Demange D., 2007, p. 172-187.
41
Boulnois O., 1999, p. 444-452.
42
Sur la doctrine des surtranscendantaux, voir Doyle J. P., 1990, 1997, 1998.
43
CRP, A290/B346 (I, p. 1010).
40
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s’enraciner dans la métaphysique. Selon le modèle exposé par Aristote dans les premières lignes de sa
Physique, l’intellect progresse de la simple connaissance nominale ou confuse (la connaissance par
signe) à la connaissance intellectuelle distincte ; pour les médiévaux, c’est cette progression qui ouvre
et organise la topologie à l’intérieur de laquelle les savoirs s’instituent. En d’autres termes, on ne
saurait isoler ici ce qui relève de la phénoménologie de la connaissance de ce qui relève de la
détermination de ses fondements – selon un modèle assez proche de celui des Recherches logiques et
de Logique formelle et logique transcendantale de Husserl44.
Ainsi, c’est en partant de la question de la genèse de la connaissance qu’Henri de Gand introduit
son concept du pensable en général (res a reor), et non à l’intérieur d’une théorie des concepts
métaphysiques. La res a reor, comme premier niveau de l’intelligibilité, recouvre tout ce qui opinable,
même ce qui est totalement impossible (la chimère), et qui, en tant que tel, n’a donc aucune idée
correspondante dans l’intellect divin, et ainsi aucune réalité possible. Elle est par conséquent pour la
métaphysique un extérieur englobant, mais non pas transcendant : la res a reor ne fonde pas la réalité,
c’est l’idée divine qui l’institue sur le fond général et préalable de l’être opinable. Le rapport entre la
chose opinable et la chose métaphysique n’est donc pas structurel (épistémologique), mais topologique
(architectonique) : si la res a reor est l’espace à l’intérieur duquel la métaphysique va pouvoir être
fondée, elle n’en est pas le fondement, puique c’est l’intellect divin qui fonde toute possibilité réelle.
Ce point peut être rigoureusement établi par le traitement donné par Henri des états de la connaissance
dans sa démonstration de l’existence de Dieu : si le premier degré de la connaissance est la res a reor,
le second est la res a ratitudine conçue tout d’abord seulement de la façon la plus universelle qui soit
(et non pas encore selon sa définition adéquate), c’est-à-dire sous « la raison sous laquelle l’étant est
sujet de la métaphysique »45. Il n’y a donc aucune ambiguïté chez Henri de Gand sur le statut amétaphysique de l’aliquid. Mais a-métaphysique, en l’occurrence, ne veut pas dire sur-métaphysique.
On ne saurait inférer, sans fausser considérablement la perspective henricienne, de l’existence d’un
domaine universel du pensable, à une science universelle du pensable. C’est passer directement de
l’existence d’un champ épistémique, à l’hypothèse de sa structuration épistémologique, passage
d’Henri de Gand ne pouvait concéder puisque les fictions et les négations ne peuvent avoir de
principes logiquement constitutifs.
L’opposition de Duns Scot au concept henricien d’aliquitas (ou res a reor) est bien connue :
Scot accuse en effet un tel concept de ne renvoyer à rien, c’est-à-dire d’être une pure fiction, de tenter
de rendre homogène sous le même concept le possible et l’impossible, c’est-à-dire le représentable et
l’irreprésentable parce qu’intrinsèquement contradictoire 46. En outre, ce qui, chez Duns Scot, prend la
place de la res a reor henricienne comme premier état de la pensée, c’est le pur signifiable (quid
nominis), soit ce qui n’est pas encore déterminé à être représentable. Le quid nominis possède un pur
esse significabile per nomen : il est ce qui est entendu de façon seulement confuse, de sorte qu’on ne
sait pas encore si c’est ou non un objet possible de représentation distincte (quid rei). Une fois de plus,
on s’aperçoit que ce n’est pas de structure ou de hiérarchie ou de relation de fondation dont il s’agit,
mais de topologie. Le quid nominis ne « transcende » pas le quid rei : il est, dans la théorie de la
connaissance, un état antérieur du quid rei. Il a une fonction englobante et non pas transcendante47. Il
rend possible la métaphysique, non pas en la « fondant », mais en ouvrant un espace à l’intérieur
duquel elle va pouvoir s’inscrire : la sémantique. Une fois de plus, l’existence d’un champ
épistémique, ne signifie pas l’existence d’une science.
Enfin, si le Quodlibet III de Duns Scot soutient effectivement que la res entendue en son sens le
plus large, c’est-à-dire comme objet premier de l’intellect, est distincte de la res entendue comme
44
Sur la progression de la connaissance par signe ou confuse à la connaissance intellectuelle distincte, voir en
particulier Logique formelle et logique transcendantale, §16 (trad. p. 79-87).
45
« …et hoc est comprehendere esse de re sub illa ratione qua ens est subiectum metaphysicae.» Henri de Gand,
Summa, art.24, q.3 (I, fol.138v, P). Sur ce qui suit, Cf. Demange D., 2007, p. 183-187.
46
« Quaero tunc, quid intelligit per aliquitatem ? Si enim realitatem opinabilem, cum illa sit communis alicui et
nihilo, illa de se nihil est. Igitur si ratitudo fundetur in aliquitate sic sumpta, fundatur in nihilo<…> ergo tota
res, composita ex ratitudine et aliquitate, sunt duo nihila. » Duns Scot, Ord., I, d.3, p. 2, qu. un., n.311 (Vat.
III, 189).
47
« ‘Esse’ quid nominis est communius quam ‘esse’ et quam ‘quid’ rei, quia pluribus convenit significari
nomine quam ‘esse’. Ubi tamen coniunguntur, idem sunt. » Duns Scot, Ord., I, d.3, p. 1q.1-2, n.16 (Vat. III,
8).
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Revue Philosophique de Louvain , 2009
concept de réalité (d’intention première), ce n’est pas pour fonder la métaphysique sur le concept
d’aliquid, c’est au contraire pour dissocier la question de l’objet premier de l’intellect de celle du sujet
de la métaphysique, c’est-à-dire pour distinguer la théorie de la réalité (la métaphysique) de la théorie
de la représentation. Une fois encore, on se rend compte que ce n’est pas de transcendance, de
fondation ou de structure dont il est question, mais de topologie. Le « lieu transcendantal » (au sens
kantien) de la question de l’objet premier de l’intellect chez Scot – mais cela vaut aussi pour
l’essentiel de sa théorie de la représentation – n’est pas la métaphysique, mais la théologie. Nous
pensons avoir établi en particulier sur ces questions que, sous la pression de questions théologiques
comme la connaissance intuitive du singulier, l’évolution de Scot va précisément dans le sens opposé à
celui d’une identification de la métaphysique à une tinologie. Les principales étapes de cette évolution
seraient les suivantes48 :
(1) (Quaest. de anima q.10-21)
Identification de l’objet premier de l’intellect (la condition formelle de la représentation des objets en
général) au concept d’étant de la métaphysique (concept suprême de la réalité). C’est parce que l’objet
de l’intellect est unique que l’étant est univoque, et réciproquement.
(2) (Ord. Prol. et I, d.3)
Difficultés relatives à l’identification de l’objet premier de l’intellect au concept d’étant de la
métaphysique : (a) la connaissance de Dieu serait purement naturelle (Avicennisme augustinisant) ; (b)
le concept d’étant de la métaphysique ne se prédiquant pas formellement (in quid) de toutes choses, sa
fonction d’objet premier ne peut être ‘sauvée’ que grâce à une structure complexe de double
prédication.
(3) (Quodl. III, Rep. par II d.24)
L’objet premier de l’intellect est le pensable en général, c’est-à-dire le non-contradictoire. Il ne s’agit
pas d’un concept univoque, puisqu’il recouvre aussi bien l’être réel que l’être de raison49. Il y a donc
dissociation complète entre l’étant, entendu comme objet premier de l’intellect, et le concept d’étant de
la métaphysique : le second est univoque, le premier ne l’est pas.
Dans la dernière phase de sa réflexion, Scot soutient ainsi que pour rendre l’intellect humain
capable de la même extension dans sa connaissance objective possible que l’intellect divin, l’objet
premier de l’intellect humain ne pourra donc pas être univoque, c’est-à-dire que ce n’est pas du tout un
concept 50. L’étant-objet est le pur pensable, c’est-à-dire l’objet de la pensée divine. Duns Scot prend
la pensée divine comme modèle pour déterminer la nature de la pensée humaine : il n’y a rien
d’intelligible à Dieu qui ne soit pas en droit intelligible à l’homme. La pensée humaine a la totalité du
représentable pour objet, elle n’est limitée par rien dans l’ordre de la connaissance objective, de sorte
qu’elle est comme liée, en vertu de sa nature, à l’ordre objectif institué par l’intellect divin – l’espace
de la pure possibilité objective, l’espace transcendantal au sens kantien.
En dissociant la question de l’objet de l’intellect de la question de la nature de la connaissance
métaphysique, Duns Scot rend compte d’une authentique exigence architectonique. La connaissance
métaphysique est purement abstraite, commune et universelle ; les concepts métaphysiques, à
commencer par les transcendantaux, sont des propriétés abstraites de la réalité qui se prédiquent
universellement des choses. Cependant cette connaissance abstraite et commune que procure la
métaphysique n’est pas une connaissance de la chose sous sa raison propre ou singulière, c’est-à-dire
en tant qu’elle se donne comme objet propre de connaissance. Dans le premier cas, il s’agit d’une
connaissance par concepts, reposant sur une communauté de prédication ; dans le second, d’une
connaissance par objet, reposant sur la communauté de virtualité que produit tout objet particulier
envers les connaissances qui peuvent en être déduites.
48
Cf. Demange D., 2007, p. 413-452.
« Relationi reali et rationis non est aliquis conceptus unius et eiusdem rationis communis, quia licet posset
abstrahi unus conceptus univocus a Deo et creatura, non tamen a re rationis et re reali, quia conceptus
abstractus a Deo et creatura esset ex utraque parte realis, et sic eiusdem rationis : non sic ab ente reali et
rationis, quia ex una parte esset realis, et ex alia rationis tantum. » Duns Scot, Rep. par. I, d.29, qu. un., n.10
(Wad. XI, 171a)
50
« Sic propter perfectionem intellectus ad tot se extendit, nullum unum obiectum univocum habet sibi
adaequatum. » Duns Scot, Rep. par. II, d.24, qu. un., n.12 (Wad. XI, 366b).
49
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Cette dissociation était d’autant moins facile pour Duns Scot à déterminer conceptuellement
qu’il est lui-même parti d’une tradition philosophique extrêmement confuse sur cette question. La
question de l’objet adéquat de l’intellect était en effet pré-déterminée par la définition aristotélicienne
de l’objet propre d’une faculté comme d’une qualité ou d’une forme universelles : l’objet de la vue est
la couleur ; l’objet de l’ouïe est le son. Si l’on disait alors que l’objet de l’intellect est « l’étant », il
s’agissait d’emblée, par analogie, d’une forme universelle, c’est-à-dire du premier concept de la
métaphysique, ce qui revenait à confondre, à leurs racines, la théorie de la prédication et la théorie de
la représentation, et lier ainsi l’existence d’un objet formel unique de l’intellect à celui de l’univocité
du concept métaphysique d’étant51. Duns Scot a fini par s’apercevoir du caractère amphibologique de
cette caractérisation de l’objet propre d’une faculté : car de toute évidence la couleur ou le son, en tant
que formes universelles, sont abstraites par l’intellect, et non par la vue ou l’ouïe, des objets perçus
par ces facultés. C’est la nature de l’objet particulier qui meut une faculté en général, et non la raison
commune que l’intellect peut en abstraire. Noétique et théorie de l’abstraction doivent être
soigneusement distinguées. Si, dans le cas de la vue ou de l’ouïe, il est effectivement possible à
l’intellect d’abstraire de tous les objets concrets qui affectent la faculté une raison commune, cela tient
à la nature organique de la faculté en question et de ses objets, sur lesquels l’intellect peut ainsi
procéder à une abstraction. En revanche, pour les facultés inorganiques, comme l’intellect et la
volonté, on ne voit pas pourquoi ni comment un concept abstrait devrait leur être assigné comme objet
adéquat.
Quelles seraient les conséquences d’une intégration de la métaphysique et de la théorie de la
représentation ? En premier lieu, faire du concept d’objet un concept purement métaphysique, c’est-àdire dégagé de toute fonction proprement cognitive : ce n’est plus qu’un concept abstrait parmi
d’autres. On s’aperçoit alors que Duns Scot avait averti des conséquences qu’il y aurait à faire du
concept d’objet un concept purement métaphysique ; le Docteur Subtil explique en effet que le
« pensable en général » n’est pas plus un concept déterminant pour la théorie de la connaissance que le
concept de « sensible en général » : de même que ce dernier n’a aucune fonction d’objet premier dans
la sensation, c’est-à-dire aucune communauté réelle (mais seulement de raison) relativement aux
différents sens particuliers, de même le concept de « pensable » n’a aucune fonction déterminée dans
l’intellection des objets particuliers, n’étant pas même réellement commun à l’être réel et l’être de
raison.52 Si l’abstraction d’un concept commun de « sensible » à toutes les facultés sensitives possède
une certaine portée métaphysique, il n’a pas de signification en regard des structures transcendantales
(au sens kantien) de la connaissance sensible – et il en est manifestement de même de notre concept
d’étant, comme objet premier de l’intellect, envers la connaissance réelle comme logique, abstractive
et intuitive, naturelle comme révélée. En refusant d’identifier l’objet premier de l’intellect et l’objet
premier de la métaphysique, Duns Scot rend compte de l’écart, impossible à combler, entre les
conditions de la connaissance universelle et les conditions de la connaissance objective. C’est à Kant
que reviendra la tâche de réacticuler tout cela ; d’élaborer une théorie de la représentation qui à la fois
ne se confond pas avec la théorie des concepts, et qui autorise un passage de l’une à l’autre : comme
on le sait, c’est dans sa théorie du schématisme transcendantal que Kant trouvera la solution de ce
problème.
51
On trouve une expression véritablement ‘pure’ de cette identification dans un argument en faveur de
l’univocité de l’étant formulé par Scot en Quaestiones in Metaphysicam, IV, q.1, n.35 (Op. Ph. III, 302-303) :
« Unius potentiae est unum primum obiectum, quia potentia movetur ab obiecto secundum formam obiecti, et
nisi habeat unam formam non movebit <…> sed primum obiectum intellectus est ens, ut commune omnibus.
– Probatio : illud est primum obiectum potentiae cognitivae sub cuius ratione cognoscuntur omnia alia ab illa,
sicut patet de obiecto visus ; sed nec ratio substantiae nec accidentis repetitur in omnibus intelligibilibus. »
52
« Vel oportet eos dicere quod non est primum obiectum adaequatum intellectui, quod videtur mihi probabilius
propter perfectionem potentiae. Quia sicut videmus quod a sensibus partialibus abstrahitur commune
obiectum, ut qualitas sensibilis, et ultra a sensibus exterioribus et interioribus, tandem convenit concedere
quod nullum unum obiectum sensibile univocum potest esse commune omnibus sensibus. » Duns Scot, Rep.
par. II, d.24, qu. un., n.12 (Wad. XI, 366b).
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(IV) ONTO-THÉOLOGIE ET PHILOSOPHIE DE L’ESPRIT
Les concepts et problèmes de la théorie de la représentation ne se laissent pas ramener aux
seules structures de la métaphysique, ni par conséquent à l’histoire de la métaphysique comme
science : telle est la thèse centrale que nous avons voulu mettre en évidence, et on pourra sans doute
aisément nous concéder que ce n’est pas une thèse très « violente ». En revanche, il nous semble que
de cette simple constatation justifie certains motifs sérieux de scepticisme envers une certaine histoire
de la métaphysique, telle qu’on a voulu l’écrire depuis Heidegger.
A supposer même que les prédécesseurs de Kant aient explicitement cherché à identifier
métaphysique et théorie de l’objet (et nous avons vu qu’il n’en était rien), la question subsisterait
encore de savoir quelle portée effective l’historien de la philosophie devrait attribuer à ces
affirmations. La spéculation épistémologique (définition des objets des sciences, de leurs rapports, de
leurs limites, etc.) ne constitue rien de plus, pour l’historien de la philosophie, qu’un réseau
épistémique particulier ; en regard des autres réseaux de concepts, d’énoncés et de problèmes, il n’a
aucune primauté de principe. Les philosophes que l’on étudie considèrent sans doute que la science est
le cadre dans lequel toutes leurs analyses se résolvent nécessairement ; mais l’historien de la
philosophie n’a pas à considérer cette hypothèse sans réserves. Il doit passer derrière la façade
épistémologique, qui cherche à donner l’illusion que tout s’articule et se structure effectivement
comme le métaphysicien le voudrait, pour découvrir les lignes de force qui sous-tendent véritablement
l’édifice, et les défauts qui le fissurent. Dans la mesure où Kant a proposé son transcendantalisme
comme une solution, c’est donc vers les problèmes dont il prétend être la solution que l’historien de la
philosophie doit se tourner. Or ces problèmes ont une histoire, qui ne coïncide avec celle des structures
épistémologiques que de façon très partielle.
La thèse d’une structure ou articulation onto-théologique de la métaphysique apparaît chez
Duns Scot, en vérité (comme nous l’avons vu) sur le fond d’une théorie médiévale des
transcendantaux pour l’essentiel presque achevée, Duns Scot y apportant la ‘touche finale’ d’une
univocité du transcendantal. Le concept d’étant et ses propriétés premières (passiones entis) se
prédiquent univoquement du créé et de l’incréé, du fini et de l’infini, de Dieu et de sa créature. Cette
unité fondamentale du concept d’étant assure l’unité et la scientificité de la métaphysique. Ainsi que
Duns Scot le souligne, comme argument fondamental en faveur de sa thèse, si le concept premier de la
métaphysique n’était pas univoque, aucune véritable démonstration ne serait possible en métaphysique
ni en théologie53. Toute connaissance métaphysique de Dieu se fait ainsi sur le fond de ce concept
commun : Dieu n’est connu en métaphysique que comme « étant premier », ou « étant infini », ou
« étant incausé », etc., c’est-à-dire comme un étant particulier. C’est dans ce contexte que prend tout
son sens la distinction, formulée par Scot dans ses Questions sur la Métaphysique, entre métaphysique
générale et métaphysique spéciale54.
Du point de vue historique, la validité de cette structure est très circonscrite. D’une part en
effet, on a pu montrer que les métaphysiques antiques et médiévales, dans leur ensemble, ne la
respectaient pas55. D’autre part, le moins que l’on puisse dire c’est que l’époque moderne ne se
caractérise pas par son triomphe. Pour ne prendre que deux des plus grands penseurs de la modernité,
Descartes et Kant, toute leur pensée est vicéralement opposée à l’univocité métaphysique, qu’ils
comprennent comme l’expression par excellence de l’anthropomorphisme en théologie. Descartes s’y
oppose par une conception de la toute puissance divine comme transcendant toute structure
universelle, et Kant élabore toute sa critique de la raison pure dans le sens d’une déconstruction de la
53
« Nisi ens importaret unam intentionem, univocam, simpliciter periret theologia.» Lect., I, d.3, p. 1, q.1-2,
n.113 (Vat. XVI, 266-67). La définition de l’univocité que Duns Scot revendique est directement
épistémologique : il s’agit de rendre possible les syllogismes, sans risque de tromperie d’équivocité (Ord. I,
d.3, p.1, q.1-2, n.26, Vat. III, 18). Voir Boulnois O., 1988, p.94-95 et p. 326.
54
Quaest. in Met., I, q.1, n.137-138, 154 (Op. Ph. III, 63-64, 68-69). Duns Scot rejette finalement cette
distinction, pour lui préférer la formule selon laquelle l’étude de Dieu constitue une « partie » de la
métaphysique. Cette différence, pour notre présent propos, est mineure. Nous avons étudié cette question dans
le détail : voir Demange D., 2007, p. 372-402, et 2008.
55
Boulnois O., 2001.
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thèse, qui constituait précisément le nœud de l’univocité scotiste, de la possibilité naturelle d’une
extension de nos concepts au-delà de la seule sphère de l’expérience sensible. C’est sur cette base
d’une critique de l’anthropomorphisme que Kant formule une théorie de l’analogie fondée sur le
principe d’hétérogénéité des domaines – sorte de résurrection inespérée de l’interdit aristotélicien de la
transgression des genres, interdit d’ailleurs rappelé formellement dans la troisième antinomie et élevé,
dans le chapitre sur l’amphibologie des concepts de la réflexion, au rang d’une topique
transcendantale.
Dans les faits, la critique kantienne de la métaphysique traditionnelle vise directement son
articulation en générale et spéciale. Ce n’est que sous l’effet de l’illusion transcendantale, que la
métaphysique dogmatique a pu croire qu’une théologie pourrait être construite sur le sol d’une
ontologie, c’est-à-dire qu’elle pourrait être une science ‘spéciale’. Dans le système kantien, la
théologie ne peut en aucun cas être annexée à l’ontologie, puisqu’elle ne peut se fonder sur l’opération
schématisante d’aucun concept de l’entendement. Elle est au contraire théologie transcendantale,
c’est-à-dire condition de possibilité du système lui-même. L’idée de Dieu, concept intégratif de toutes
les réalités, « proprement le seul idéal dont la raison pure soit capable »56, est le principe
architectonique suprême du système de la raison pure – « le schème de ce principe régulateur par
lequel la raison, en tant qu’il est en elle, étend l’unité systématique à toute expérience »57. Dans ce
contexte, Kant peut bien la rappeler de façon purement formelle, il n’en reste pas moins que la
distinction traditionnelle de la métaphysique en générale et spéciale n’a plus de fonction structurante.
Il reste, enfin, à se demander quelle portée véritable la structure onto-théologique possède
dans la philosophie même la plus convaincue d’onto-théologisme. Ainsi, chez Duns Scot, l’univocité
est en fait purement épistémologique. Elle n’implique pas une réelle participation ou unification des
réalités signifiées par les concepts. Elle vise même consciemment à se débarrasser, à supplanter la
métaphysique de la participation réelle. Parce que purement conceptuelle, la structure ontothéologique, chez Duns Scot, ne détermine rien a priori quant au contenu et aux orientations de la
métaphysique elle-même. Elle est parfaitement neutre, ne faisant que donner un cadre purement
logique à la spéculation métaphysique. C’est ici que réside un risque d’illusion, pouvant conduire à
une interprétation historique beaucoup trop forte du concept d’onto-théologie. Car si l’on interprète
l’univocité scotiste dans un sens essentialiste, on sera tenté de conclure que l’être commun univoque
est le centre métaphysique, dont découlent les principes de toute la réalité et la pensée, qu’elle soit
divine ou humaine. C’est ainsi que certains ont voulu croire que l’opposition entre Duns Scot et Maître
Eckhart se jouait sur la primauté de l’être et du connaître58. Le premier, en soutenant la primauté de
l’essence sur la pensée en Dieu, aurait ouvert la voie à l’onto-théologie, tandis que l’autre, en
soutenant au contraire que Dieu est d’abord intellect – à savoir que c’est par sa pensée qu’il est, et non
par son être qu’il pense –, aurait ouvert la voie à la philosophie de l’esprit. Cette lecture, ainsi qu’il a
été rigoureusement établi59, n’est guère tenable. Duns Scot développe sa théorie de l’intellect divin de
façon tout-à-fait libre par rapport à sa métaphysique de l’être, et le primat de l’intellect dans la
génération du verbe divin n’est pas moindre chez Duns Scot que chez Thomas d’Aquin. Qu’en
conclure alors ? Que l’onto-théologie, même là où elle semble toute puissante, n’a qu’un effet très
limité sur le contenu de la métaphysique elle-même. Elle n’a qu’un effet limité, parce qu’elle est
purement formelle. Si l’univocité scotiste a certes une conséquence métaphysique pour la théorie de la
connaissance, c’est en tant qu’elle affirme l’univocité conceptuelle quand on passe des structures de la
pensée humaine à celles de la pensée divine ; assurément, ce n’est pas rien ; mais cette univocité
conceptuelle n’interdit nullement, et ne dit rien en fait sur le contenu de la métaphysique elle-même,
par exemple sur les rôles de l’essence et de l’intellect dans la connaissance divine..
Il y a une philosophie de l’esprit chez Duns Scot, et cette philosophie de l’esprit n’est guère
déductible de la structure de sa métaphysique. Elle se développe dans le sens d’une théorie de la
représentation objective, c’est-à-dire dans le sens d’une théorie de la connaissance vidée de toute
métaphysique des essences et des concepts a priori. Or cette décision n’était nullement dictée par
l’univocité de l’étant, ni par la structure onto-théologique, puisqu’elle vise au contraire à instituer, à
56
57
58
59
CRP, A576/B604 (I, p. 1198-99)
CRP, A681-682/B709-710 (I, p. 1275)
Wéber É., 1984.
Bérubé C., 1985.
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ouvrir un domaine qui n’y est pas soumis. Chez Duns Scot, et sans doute pour la première fois dans
l’histoire de la philosophie, la noétique et la théorie de la cognition s’affranchissent de leurs liens avec
la métaphysique. Ockham saura s’en souvenir. En ce sens, Duns Scot accomplit une rupture qui est, à
tout bien considérer, plus importante encore que le passage à l’univocité métaphysique. Rendre
compte de la nature de cette rupture, nous force à comprendre que la transgression ou le dépassement
de la raison métaphysique n’est pas un phénomène moderne ou post-moderne, mais qu’il appartient de
longue date à l’histoire de la métaphysique elle-même.
Bibliographie
SOURCES
Abréviations utilisées pour les œuvres de Kant :
<CRP> Critique de la raison pure ;
<CFJ> Critique de la faculté de juger ;
<Prol.> Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science ;
<Prem. Princ.> : Premiers principes métaphysiques de la science de la nature.
Nous citons Kant dans la traduction des Œuvres philosophiques, sous la direction de F. Alquié, 3 vol.,
Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1980sq., à l’exception de la Critique de la faculté de
Juger, que nous citons dans la traduction de A. Philonenko, Paris, J.Vrin, 1993.
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