INSTITUT D’ETUDES POLITIQUES DE TOULOUSE Étude du processus de marchandisation et de privatisation de l’eau au Chili, sous une approche Polanyienne. Mémoire préparé sous la direction de C. Baron Présenté par Chloé Nicolas-Artero 30/08/2013 Année Universitaire 2012-2013 A mi abuela Mamy-Conchita y A mi tío Agustín, que en paz descanse. 2 Remerciements J’adresse tout d’abord mes remerciements à ma directrice de mémoire, C. Baron, à la fois présente et disponible, elle a encouragé mes initiatives pour effectuer le terrain à Santiago du Chili. Je remercie également Andrei Jouravlev, pour m’avoir facilité l’accès à ses nombreux contacts afin de réaliser les entretiens. Enfin un grand merci à Sergio Fuenzalida, Loic Saqué, et Sarah Dami, pour leurs conseils et leurs soutiens. 3 Sommaire Introduction : ........................................................................................................................................6 I - L’application du référentiel néolibéral au chili conduit au processus de marchandisation et de privatisation de l'eau. .......................................................................................................................9 A – Le processus de néo-libéralisation ancré dans des théories économiques spécifiques. ............. 9 A.1. Un premier processus de désencastrement de l’économie (1860 -1925) .............................9 A.2 La remise en cause du libéralisme : le processus de réencastrement (1925-1973) ..............16 A.3 La fondation d’un nouveau type de libéralisme : le néo-libéralisme. ..................................20 A. 4 Le nouveau désencastrement chilien : des théories économiques spécifiques qui traduisent la prégnance du néolibéralisme au Chili aujourd'hui. ................................................26 B. L'impact sur la représentation dominante des « biens et services environnementaux » tels que l'eau : un processus de marchandisation et de privatisation de la ressource différé. ............... 29 B.1 Une marchandisation des ressources amorcée dès la période coloniale ...............................29 B.2 La privatisation partielle du service de distribution engagée pendant la transition démocratique. ..............................................................................................................................36 II-La remise en cause du « marché autorégulateur » dans le cas de l'eau au Chili. ...........................42 A. Les apports de l’anthropologie économique substantive. .......................................................... 42 A .1 L’eau est une marchandise fictive........................................................................................42 A.2 L’économie demeure encastrée dans les relations sociales, politiques et environnementales. ......................................................................................................................50 B Les résistances au processus de marchandisation et de privatisation de l'eau, analyse du « contre-mouvement » civil chilien. ............................................................................................... 60 B.1 La capacité de la « société civile» à démocratiser l'économie. ............................................61 B.2 L'impact du nouvel engagement associationiste dans le secteur de l'eau. ............................69 Conclusion : .................................................................................................................................... 78 Liste des abréviations : ................................................................................................................... 80 Bibliographie ......................................................................................................................................81 Liste des annexes : .......................................................................................................................... 91 Annexe 1: Cartographie. ................................................................................................................. 92 Annexe 2 : Rappel historique sur l’histoire du Chili. ................................................................... 102 Annexe 3 : L’importance de la cosmovision Andine. ................................................................... 107 Annexe 4 : Système de distribution et de répartition de l’eau des peuples de cultures indigènes. ...................................................................................................................................... 107 Annexe 5 : Les institutions compétentes pour la gestion des ressources hydriques et pour le contrôle du service de distribution de l’eau. ................................................................................. 108 Annexe 6 : Le cadre normatif applicable au secteur sanitaire urbain et rural................................112 Annexe 7 : Le projet de loi de 1998 et les modifications apportées depuis 2010 .........................113 Annexe 8 : La disponibilité totale des ressources face à la pression croissante de la demande 4 par secteur. .....................................................................................................................................115 Annexe 9 : La privatisation du service de distribution de l’eau et l’augmentation consubstantielle des tarifs. .............................................................................................................118 Annexe 10 : Définition du milieu rural et taux de couverture d’eau potable et assainissement en milieu rural et urbain. ............................................................................................................... 120 Annexe 11 : Liste des entretiens réalisés et des visites de terrain................................................. 123 Annexe 12 : Grilles d’entretiens et d’observation. ....................................................................... 125 Annexe 13 : Synthèse des résultats du terrain .............................................................................. 128 Annexe 14: Les limites de l’analyse coût-avantage pour l’évaluation des investissements des projets d’eau potable rurale. .......................................................................................................... 131 Annexe 15 : Photographies de terrain. .......................................................................................... 132 5 Introduction : Depuis le Carnaval pour l’eau qui s’est tenu le 22 avril 2013 à Santiago du Chili, la question de l’eau est un point sensible dans les débats politiques, relayée par les médias nationaux. Les conflits de l’eau se sont multipliés ces dernières années (Larrain 2001). Les manifestants s’opposent à la « privatisation de l’eau » et demandent le retrait du Code de l’eau de 1985. Ces conflits s’enracinent dans un débat plus large, perceptible dans la sphère internationale depuis la montée des préoccupations environnementales. Ils opposent les défenseurs d’une valorisation marchande de l’eau aux mouvements altermondialistes dénonçant la tendance à la marchandisation de l’eau et à la privatisation du service de distribution de l’eau. La marchandisation de l’eau peut être définie comme le processus de construction sociale par lequel les ressources hydriques deviennent dans les représentations cognitives des individus, assimilables à un capital naturel auquel on assigne un prix de marché. Lorsque l’on parle de la privatisation du service de l’eau il s’agit du transfert de la gestion d’un service traditionnellement public à une entreprise de type capitaliste privée. L’objet de notre étude est l’analyse des processus de marchandisation et de privatisation de l’eau au Chili, puis, des débats, remises en question, et conflits qu’ils suscitent au sein de la population civile. Il existe dans ce pays, depuis la période de la dictature militaire (19731990), laboratoire de l’idéologie néolibérale naissante, un cas de figure intéressant : le marché de l’eau. Aujourd’hui, il fait l’objet de fortes critiques, à l’instar du modèle néolibéral qui l’a vu naitre. Michel Foucault (2004) définit le néolibéralisme comme un nouvel art de gouverner des sujets considérés comme des calculateurs intéressés. C. Laval (2007) précise que le néolibéralisme n’est pas une simple réactivation du vieux libéralisme, cherchant une diminution ou un retrait de l’Etat. Le projet politique néolibéral est conduit par une logique normative qui concerne tous les champs de l’action publique et tous les domaines de la vie sociale et individuelle. Il est fondé sur l’anthropologie totale de l’homme économique et vise à produire un « homme nouveau » qui serait apte à se laisser gouverner par son propre intérêt. L’objet du pouvoir se réalise donc dans des dispositifs que le gouvernement crée, entretient et stimule. L’approche historique de l’économie qu’autorise l’anthropologie économique permet de dépasser les traditionnels débats économicistes centrés sur l’efficience du marché ou de l’Etat. 6 Elle permet de déconstruire la vision fataliste qui donne à choisir entre le Léviathan de T. Hobbes ou la théorie politique de J. Locke (Dardot 2010). A cet égard, l’approche substantiviste développée par K. Polanyi, est particulièrement pertinente. Dans La grande transformation (1944), il explique que l’économisme inhérent de la « société de marché » apparu en Angleterre au XIXème siècle, repose sur la confusion entre une économie formelle et une économie substantive. L’approche substantive de l’économie s’oppose à la définition dominante défendue par les théories économiques orthodoxes, dite formelle « où la science économique est appréhendée comme la science qui étudie les choix humains face à des ressources limitées sollicitées par des fins multiples et des besoins insatiables » 1. Pour K. Polanyi « Le sens substantif [du terme économique] tire son origine de la dépendance de l’homme par rapport à la nature et à ses semblables pour assurer sa survie. Il renvoie à l’échange entre l’homme et son environnement naturel et social. Cet échange fournit à l’homme des moyens de satisfaire ses besoins matériels 2». L’économie substantive permet la production et la circulation des moyens matériels pour satisfaire les besoins de tous, par la reconnaissance des trois principes d’intégration économique institués : la réciprocité – repose sur le modèle institutionnel de la symétrie – l’échange – repose sur le marché autorégulé – la redistribution – encouragée par le modèle institutionnel de la centralité. La reconnaissance de l`hybridation de ces trois principes économiques dans un même espace-temps revient à reconnaitre que l’économie est encastrée dans les relations sociales, la culture et la politique. L’encastrement est selon lui l'inscription de l’économie-substantive dans des règles sociales, culturelles et politiques qui régissent certaines formes de production et de circulation des biens et services. La construction politique d’une économie de marché donne place à un désencastrement autrement dit à l’autonomisation de l’économie des affaires sociales. Il se différencie de la définition de M. Granovetter et de la nouvelle sociologie économique, qui suggèrent que les activités économiques sont encastrées -embedded - au sein de réseaux de relations personnelles et par conséquent, que les institutions économiques émanent d'une construction sociale et forment des réseaux personnels figés (Laville 2004). Reprendre l’approche de K.Polanyi pour l’analyse des sociétés contemporaines permet de se 1 Citation : Degavre F., 2008 p.5 La définition de Robbins est la plus répandue. Il considère l’économie comme « la relation entre des fins et . des moyens rares ayant des usages alternatifs » (Robbins 1932, p. 15 cité par Degavre F., 2008 p.5). 2 Citation : 2 Polanyi, Arensberg et Pearson 1957, in Polanyi, 2002, p. 57 cité par Degrave F, 2008 p.5 7 focaliser sur l’importance de l’idéologie dans l’élaboration des politiques publiques, et sur les mouvements de contestation qui s’élèvent contre l’économie de marché, pouvant donner naissance à ce qu’il a appelé le contre-mouvement. En cela, il dépasse la vision Marxienne et Weberrienne puisqu’il pense qu’un mouvement de la population civile organisée, dépassant les seules classes sociales, peut constituer un frein à la marchandisation et à la rationalisation du monde social. Aujourd’hui l’approche de l’économie sociale et solidaire cherche à déceler dans les mouvements associationnistes l’existence d’organisations économique et sociale hybrides, remettant en question politiquement l’économie de marché (Caillé 2007). L’ensemble des travaux sur la question de la gestion et l’appropriation des ressources au Chili, finissent pas prendre position pour ou contre la marchandisation sans remettre fondamentalement en question sa constitution en un bien économique. L’approche polanyienne permet de dépasser ces tensions. Nous nous demanderons : Dans quelle mesure le processus de marchandisation des ressources d’eau douce et de son approvisionnement est-il freiné par un contre-mouvement ? Je poserai comme hypothèse que face à la construction politique de l’eau en sa forme marchande, un mouvement contestataire, constitué surtout par les organisations d’eau potable rurale, remet en cause les principes de marchandisation de l’eau douce en démontrant la survivance d’une économie substantive attachée aux modes de gestion de l’eau. Pour répondre à cette problématique j’ai utilisé plusieurs méthodes d’investigation. D’une part, elles ont consisté en un travail de recherche historique à partir de documents bibliographiques. D’autre part, en un travail de terrain par la réalisation d’entretiens à des acteurs clés dans le secteur de l’eau, l’assistance à des réunions d’institutions publiques, et la visite de terrains à plusieurs organisations d’eau potable rurale. Ces dernières ont été suffisamment nombreuses pour émettre des conclusions, mais par manque de moyens et de temps, ne rendent pas compte de la diversité des organisations dans l’immensité du territoire chilien. Ainsi, nous aborderons dans un premier temps, comment l’application du référentiel néolibéral conduit au processus de marchandisation et de privatisation de l’eau, puis dans un second temps les remises en cause de l’existence d’un marché autorégulateur pour la gestion de l’eau. 8 I - L’application du référentiel néolibéral au chili conduit au processus de marchandisation et de privatisation de l'eau. La construction de la société néolibérale suit un processus historique spécifique lié aux particularités sociales et culturelles du Chili. La restructuration des rapports entre la société et la nature, accroit les pressions anthropiques sur la biodiversité, en conséquence de quoi les politiques confient au marché la régulation des biens et services de la nature. A – Le processus de néo-libéralisation ancré dans des théories économiques spécifiques. Pour comprendre l’existence actuelle de l’économie de marché, il est nécessaire de dépasser l’approche polanyienne en déterminant l’existence de deux processus de désencastrement successif. L’un est porté par le libéralisme économique classique dès la fin du XIXème siècle, l’autre par sa restructuration après la Grande Transformation de 1970, qui prend la forme d’un libéralisme nouveau, le néo-libéralisme. A.1. Un premier processus de désencastrement de l’économie (1860 -1925) A.1.a. La période pré-indépendance : la prédominance d’une économie encastrée dans les relations sociales. (9.000 avant J.C – 1810) Avant l’indépendance politique du Chili, les rapports économiques des populations qui habitaient le territoire chilien3 étaient fortement encastrés dans les relations sociales, et l’environnement naturel. Les formes de productions et d’échanges prédominantes au sein des sociétés précolombiennes et coloniales étaient imbriquées dans les relations sociales, politiques et culturelles qui faisaient la spécificité de leur organisation sociale. L’analyse des formes d’organisations économiques des peuples de cultures indigènes et de la société coloniale révèle l’hybridation des trois principes d’intégration économique déterminés par K. Polanyi : l’échange marchand, la réciprocité et la redistribution et l’inexistence du marché. Nous entendons par marché, l’acceptation polanyienne du marché autorégulé, dans laquelle l’offre et la demande se rencontrent pour fixer un prix optimal, sans être influencé par des rapports politiques ou sociaux. K. Polanyi distingue du marché autorégulé, les lieux de marché 3 Nous entendons par territoire chilien celui correspondant aux frontières politiques actuelles. (voir annexe 1) 9 et la pratique du commerce. Sur les lieux de marché se déroulent des échanges mais non nécessairement sous la forme des mécanismes marchands. La pratique du commerce ne prend pas nécessairement le modèle de marchandage (Caillé, 2007). Les rapports économiques des peuples de cultures Incas et Mapuche. 4 Sous l'empire Inca, la forme d'intégration prépondérante était la redistribution étatique puisque les biens sont appropriés vers un centre, l'Etat Inca, puis redistribués vers l'extérieur. Il existait deux types d’économies, celle qui permettait la production de biens de subsistances et l’économie étatique. La première se déployait à l’échelle de l’ayllu, unité sociale et territoriale de base, et permettait la production de biens pour l’ensemble des habitants de la communauté. Elle est assimilable à la forme d’administration domestique. L'économie étatique se composait de la ''mil'ta''5, et du contrôle du commerce au loin de biens précieux. Elle repose sur le principe de redistribution et les liens de réciprocité entre l’Etat et le peuple. Les prix étaient fixés par l’Etat, en fonction de la coutume ou de la nature des biens échangés et non pas des mécanismes marchands (Itier 2008). Dans la société Mapuche le modèle d'administration domestique dans la ruka était le mode de production de subsistance dominant, les surplus de production étaient échangés en temps de paix lors de rassemblements rituels appelés lakutun qui permettaient la réactualisation des liens entre membres d’un même kuga 6(Zavala, 2000 : p.53-60). Le lakutun peut être assimilé à un potlach, propre aux sociétés dites archaïques, dans laquelle la valeur des choses échangées n'est pas réductible à leurs valeurs monétaires. Ici la logique du don est au fondement du prestige et du maintien du lien social entre membres d’un même kuga. Il ne s'agit pas dans cet échange, comme l'avait pressenti M. Mauss (Dupuy 2001), d'avoir pour avoir mais d'avoir pour être ce qui souligne le caractère non-utilitariste de la société Mapuche. 4 Par soucis de justesse historique, je n'étudierai l'organisation économique des sociétés indigènes précoloniales qu'à partir de l’invasion Inca. Les données historiques avant cette période sont peu précises puisque les sources sont, mis à part les récits des premiers explorateurs, postérieures à la colonisation espagnole(Karsten,1993 ; Itier, 2008 ; Blancpain, 1996). Ne pouvant tous les traiter de manière précise, j'ai fait le choix d'étudier les peuples dont le poids démographique était le plus important au moment de la colonisation espagnole. L'ensemble des groupes formant les Mapuches représentaient près des 2/3 des 800 000 indigènes peuplant le Chili en 1535. Les populations du nord, porteur de la civilisation incaïque représentaient quant à eux entre 35 000 à 40 000 indigènes. 5 Forme d’organisation socio-économique consistant en la mobilisation de sujets forcés à réaliser une corvée pour la société (pour la construction de canaux d’irrigation ou d’édifices par exemple). 6 Le kuga est une forme d’organisation clanique défini comme un groupe d’unifiliation dont les membres peuvent établir des liens généalogiques réels qui les relient à un ancêtre commun. (Zalaya, 200 p.57) 10 Les échanges de biens de subsistances avaient une place importante entre les différents groupes composant la société mapuche ou avec d’autres peuples 7, mais la valeur d'usage prévalait sur la valeur d'échange et ces relations interethniques permettaient surtout de renforcer l’identité de chacun des groupes (Zavala, 2000 : 20). Les rapports économiques sous le Royaume du Chili.8 L'administration politique coloniale était une administration forte, composée d'une multitude d'institutions hiérarchisées et spécialisées, vouées à contrôler et gérer l'ensemble de la vie économique, politique et sociale des colonies. Les relations sociales de domination entre les colons et les peuples indigènes déterminaient l’ensemble de la vie politique et économique de la colonie. La répartition des activités économiques et des postes politiques était liée au statut social des individus déterminée par les origines familiales et les liens de filiation des personnes. Les fonctions politiques et économiques étaient fortement imbriquées puisque le processus de colonisation avait pour objectif l'enrichissement de la couronne espagnole et des groupes sociaux dominants. Le roi déterminait le droit de propriété sur les moyens de production, autrement dit sur l’accès au foncier, aux esclaves, et aux ressources naturelles. Si la conquête était une initiative individuelle, privée et libre, les fruits de celle-ci restaient contrôlés et canalisés par l’Hacienda Publica, institution chargée d’appliquer un système fiscal complexe destiné à financer l’administration coloniale, la défense militaire, et les prétentions sociales et économiques des groupes dominants, tout en dégageant un excédent pour la métropole. Le royaume d’Espagne régulait le marché puisqu’elle détenait le monopole du commerce avec ses colonies et fixait le prix des produits d’exportation. A partir du XVII siècle sont apparus deux types de commerces triangulaires régionaux sans donner lieu à l’existence de vastes marchés régionaux de vente de produits similaires, en concurrence par les prix. (Collier 1998, Sarget 1996). L'immensité du territoire et le manque de moyens de communications permettant une diffusion rapide de l’information empêchent les négociations des prix sur un marché autorégulé. L’objectif des échanges était l’acquisition de produits 7 Le peuple Mapuche établissait des échanges avec les peuples de culture indigène habitant de l’autre cote de la cordillère des Andes, et avec les colons espagnols. 8 Il est difficile d'utiliser le concept d'espace national à l'époque coloniale puisque les phénomènes économiques n'ont pas de frontières à cette époque. L'espace colonial hispano-américain n'était pas uniforme et homogène. Le nord du Chili, qui avait été occupé par les Incas faisait partie du virreinato de Peru. On y comprenait de fait, les audiencias de Quito, Lima, Charcas la vice-royauté du Chili (Murúa [1590] 1962: II, 144). 11 complémentaires pour lesquels la valeur des biens était fixée par leur valeur d'usage et non par leur valeur d'échange (Assadourian 1982). Au XVIIIème siècle, la dynastie des Bourbons applique des réformes économiques et politiques s’inspirant des Lumières, notamment les théories mercantiles inspirées de Colbertisme et non des théories d’économie politique classique, ce qui corrobore le principe de centralisme économique en œuvre durant toute l’époque coloniale. Toutefois, même si ce marché n’était pas autorégulé il était tout autant destructeur. (Corragio 2012) Contrairement à ce qu’ont pu croire les premiers colons, idées relayées par les courants d’anthropologie formaliste et d’économie classique, l’organisation économique des peuples de cultures indigènes ne se résumait pas à des stratégies de subsistance et les rapports d’échanges n’étaient pas mus par l’appât du gain. Il est préférable de parler de société d’autosuffisance ou société d’abondance à l’instar de F. Dupuy (2001) et S. Sahlins9. Il contrebalance l’idée selon laquelle le troc était l’unique forme d’échange antérieure à l’existence de la monnaie et que l'avènement du capitalisme marchand date du XVIème siècle avec l'émergence d'une première mondialisation caractérisée par la multiplication des échanges. Ainsi, jusqu’à l’indépendance, les formes d’organisation économique déployées sur l’ensemble du territoire étaient encastrées dans l’organisation politique et sociale des sociétés chiliennes. A.1.b L’édification de l’Etat Nation sous-tendu par le libéralisme politique et économique. (1810-1925) Le principal apport de La Grande Transformation (1944) est de montrer que l’économie est un processus institutionnalisé. Le marché n’émane pas de façon spontané comme le prétendent les économistes orthodoxes, il est institué par le « principe organisateur du libéralisme »’ qui façonne l’ensemble des politiques économiques du XIXème siècle, reposant sur la croyance en la véridicité des théories économiques classiques. (Polanyi, 1944) Les idées provenant des révolutions nord-américaine et française lors de la construction de l’Etat nation chilien sont un premier vecteur de pénétration des idées philosophiques libérales. Ce n’est toutefois qu’en 1860 que la pensée d’économie politique classique anglaise au fondement du libéralisme 9 F. Dupuis rejette le terme de société d'autosubsistance qui selon lui réduit leur économie à la production de ''biens de subsistance'' et masque l'existence des échanges inter- et intra-groupe. Il préfère parler de société d'autosuffisance ce qui sous-entend explique-t-il ''que l principe à l'œuvre est de produire, en quantité et en diversité, le maximum de ce qui est nécessaire à la subsistance et plus généralement à la vie''. (Dupuy, 2001:32) 12 économique pénètre totalement la pensée politique chilienne. En effet, le processus d’indépendance n’a pas conduit à une révolution profonde des structures sociales et jusqu'à la gouvernance du président Diego Portales, les politiques économiques restent marquées par l’idéologie mercantile et les mesures économiques sont appliquées de manières pragmatiques, loin des théories d´économie classique. La république Portalienne fonde une nouvelle structure institutionnelle, dans laquelle l’Etat autoritaire fort et centralisateur intervient dans les affaires économiques et sociales pour la modernisation du pays. Toutefois, l’expansion des exportations du secteur cuprifère, et agricole et le développement du commerce permettent l’enrichissement et la domination de l’élite économique libérale sur l’oligarchie terrienne (Meller, 1996). Dans les années 40, un mouvement culturel qui s’inspire de la pensée anglosaxonne en matière économique et des courants de pensée française en matière culturelles, philosophiques et artistiques bouleverse les représentations collectives dominantes de l’élite chargée de fait10 de la politique du pays (Sunkel, 2011). Au même moment le gouvernement au pouvoir fait appel à des intellectuels et économistes étrangers pour réaliser une étude faisant l`état des lieux de la situation économique et politique du Chili. C’est dans ce contexte que l‘économiste français Jean Gustave Courcelle-Seneuil s’installe au Chili en 1855 et diffuse les idées d’économie politique classique par le biais de la création de la chaire d’Economie Politique à l’Université du Chili, de la publication du Tratado teorico y practico de economia politica et de la fondation de la Revista Economica11. A partir de la présidence de Jose Joaquin Perez (1861-1871), la science économique se convertit en un outil de gouvernance et les représentations attachées aux lois économiques performent la réalité sociale par le biais de mesures économiques d’orientation libérale (Mac-Clur, 2011). Ce renversement idéologique a lieu à la suite de la crise économique de 1857-1861. Après cette date l’État développe une politique expansionniste qui lui permet de construire les conditions matérielles nécessaires pour l’implantation d’une économie de marché : infrastructures ferroviaires, des ponts et chaussées, infrastructures d’irrigations, des services publics de communication, des institutions bancaires publiques et privées (Meller 1996). Ainsi, les principes du libéralisme économique sont une construction politique, dont les soubassements matériels créés par l’Etat sont indispensable à son émanation. 10 Le mode de suffrage était censitaire jusqu’en 1925. 11Toutefois, les études sur la pensée de Courcelle-Seneuil montrent que le mécanisme de transfert idéologique et de connaissance n'a pas été systématique; il a été sujet d'appropriations et d'adaptations en fonction des idées et des intérêts prédominants dans le pays. 13 Dès la fin du XIXème siècle, les activités économiques marchandes reposant sur la propriété privée des moyens de production de capitaux étrangers, provenant de Grande-Bretagne et des Etats-Unis, prenne un espace grandissant dans l’économie chilienne, entrainant la décadence de l’oligarchie libérale nationale. L’influence de l’oligarchie étrangère aura un poids important dans la vie politique et économique du pays (Cariola 1982). A.1.c Le premier processus de désencastrement de l’économie et la création d’une société de marché. L’apport de l’approche de K. Polanyi est de dater l’apparition du marché postérieurement à ce que l’ensemble des chercheurs en science sociale ont pu faire (Caille 2007). Le marché autorégulé est une construction sociale, qui apparait selon lui pendant la révolution industrielle en Angleterre avec la naissance du système de fabrique. Pour assurer la rentabilité du nouveau modèle de production, l’ensemble des moyens de production - la terre, le travail et la monnaie-, deviennent commercialisable sur un marché. Même si l’édifice critique polanyien repose sur l’identification du caractère non marchand de ces moyens de production, pour que le capitalisme fonctionne il est nécessaire de créer une fiction marchande et les rendre facile d’accès. Cette fiction marchande, conduit au processus de désencastrement de l’économie (Polanyi 1944). L’économie est restreinte au marché autorégulateur et les entreprises à la forme de production capitaliste. Au Chili, il est possible de dater la naissance du système de fabrique à partir de la seconde moitié du XIXème siècle, lorsque les entrepreneurs étrangers industrialisent les modes de production en augmentant l’intensité capitalistique des entreprises de productions agricoles, minières et industrielles. Sous le gouvernement de Balmaceda la création des Société nationale des mines (1884), la Société de Fomento Fabril (1883) et le Ministère de l’industrie et des travaux publiques (1887), consacre la naissance du nouveau système industriel de production (Cariola 1982, Meller 1996). La constitution et délimitation formelle de la terre, de la monnaie et du travail en marchandises, sont facilitées par l’émergence d’un droit rationnel. Il consacre la possibilité de leur appropriation privée et de leur marchandisation sur un marché. La procédure de commercialisation des terres est lancée par un décret en 1823 qui met fin au monopole de répartition des terres détenues par la royauté espagnole. En 1864, une loi redéfinit les modalités de commercialisation et de passation des terres pour faciliter 14 l’investissement productif agricole et l’élevage notamment dans la « Valle Central » et dans l’extrême sud du pays (MOP 2003). Elle officialise la commercialisation de la terre et sa constitution en marchandise. Le processus de colonisation des terres indigènes s’étend jusqu’au XXème siècle. Pour y avoir accès tout en reconnaissant leurs droits consuétudinaire, les communautés sont confinées dans des espaces limités et constitués en pueblos (Gentes 2001). La consécration de l’effort humain en une force de travail « libre » et aliénable est réalisée pour la première fois par le Code civil de 1855. La conversion du travail en marchandise se fait par la reconnaissance de l’existence légale des péons libres, sortes de travailleursvagabonds qui depuis la seconde moitié du XIX siècle, erraient dans les zones urbaines en refusant d’intégrer les systèmes de travail à caractères féodaux. A cette époque les personnes qui n’appartenaient pas à une classe aisée devaient travailler pour leur patron en devenant des inquilinos12 d’une hacienda13 ou des manœuvres stables dans un campement minier. Les ‘’manœuvre libres’’ servaient de variable d’ajustement pour répondre aux besoins des systèmes de productions traditionnelles, et des nouveaux systèmes de productions industrielles lorsque le coût du travail était relativement moins cher que l’investissement en capital, ou lorsque la force de travail importé était insuffisante (Salazar 1985, Sunkel 2011). Enfin, en 1860, la première loi bancaire autorise les banques commerciales à émettre une monnaie papier, disjointe de l’or et l’argent pour répondre aux besoins de liquidités de l’économie chilienne (Cariola 1982). Cette loi qui consacre la marchandisation de la monnaie a pour effet la naissance d’une multitude d’institutions bancaires et financières privées et publiques et une explosion de l’offre monétaire par le biais de crédits bancaires. Ces derniers permettent la réalisation d’investissements productifs. Selon K. Polanyi, avec la naissance de cette fiction marchande, les activités économiques sont perçues comme étant les composantes d'un vaste circuit interdépendant dans lequel la fixation des prix libres sur de multiples marchés est la condition de viabilité du Marché, ce qui donne naissance à une « économie de marché ». La croyance en cette fiction marchande préfigure une nouvelle architecture sociale basée sur les théories utilitaristes de J. Bentham ou J.S Mill. 12 Inquilinos : métayer indigènes, métisses. 13 Hacienda : est un système d’exploitation agricole en Amérique Latine, par laquelle le propriétaire espagnol confie à un métayer, indigènes de cultiver une terre en échange d’une partie de la récolte. 15 Les actions qui poussent les hommes à agir sont réduites à la faim et le gain, autrement dit à ce que M. Weber a appelé la rationalité instrumentale en finalité. Dorénavant pour ne pas se présenter comme un frein aux échanges économiques marchands, l'ensemble des rapports sociaux et activités sociales doit s’accorder avec le modèle utilitariste et devenir les auxiliaires de l’économie de marché, ce qui donne naissance à une société de marché (Polanyi 1944, Postel 2010). A.2 La remise en cause du libéralisme : le processus de réencastrement (1925-1973) L’histoire du XIXème siècle se caractérise selon K. Polanyi par un double-mouvement. Pour contrer l’autodestruction provoquée par la mise en place de la société de marché suivant le « principe organisateur du libéralisme », un contre-mouvement spontané porté par les populations et soutenu par l’intervention de l’Etat donne naissance à un « principe de protection sociale » qui a pour but le réencastrement de l’économie. Au Chili, le choc de ces deux principes a conduit à une tension institutionnelle permanente dès la fin du XIXème siècle qui prend fin en 1973, lorsque le désencadrement atteint son paroxysme. A.2.a La naissance d’un contre-mouvement associationniste. A la fin du XIX siècle le système politique demeure impénétrable : une poignée de personnes membre de l’oligarchie économique dirigent le pays depuis les salons, tournant le dos aux inégalités et à la misère sociale croissante. Le développement industriel reposant sur l’exploitation et exportation du salpêtre (1880-1920) a conduit à une prolétarisation et urbanisation croissante. Les classes laborieuses vivent dans des conditions précaires et insalubres souffrant de misère et de pauvreté. Les contradictions entre le capital et le travail s’accroissent et donne place à des conflits politiques extrêmement violents réprimés par les forces policières (Sarguet 1996, Collier 1998, Salazar 1985). Dans ce contexte, les populations chiliennes s’organisent pour répondre aux besoins matériels fondamentaux des populations pauvres. Le mouvement social naissant prend deux formes: dans le nord il est mené par les travailleurs des usines de salpêtre et prend une orientation communiste-syndicaliste dirigé par Luis Emilio Recabarren. Dans les villes de Santiago et Valparaiso, l’hybridation entre les artisans, les vendeurs de rue et les ouvriers immigrés conduit à la formation d’une tendance plus anarchiste libertaire. Pourtant les deux 16 mouvements sont des mouvements sociaux autonomes, sans projet politique fixe qui combattent la misère sociale en créant des formes d’organisation économique et sociale alternatives basées sur les principes de solidarité et d’aide mutuelle. Ces initiatives prennent la forme de mutuelles, société de résistance ou coopératives. Depuis 1914, un mouvement municipaliste, dit mancomunal, s’organise également en demandant la dépolitisation et l’autonomie des municipalités. L’objectif de l’ensemble de ces mouvements est d’améliorer les conditions de vies et le bien-être des travailleurs opprimés en créant des organisations sociales de base autonome et autogéré (Salazar 2012). Il ne s’agit pas d’une quête d’enrichissement personnel, mais de créer des formes alternatives d’ « habitation »14digne des hommes dans le monde. Au même moment, la situation sociale inquiète une partie de l’élite qui cherche à aider et prendre en charge les populations plus défavorisées. L’église catholique développe des formes organisées d’œuvre de charité à partir d’une nouvelle doctrine sociale. En cantonnant la charité à la sphère privée, elle appelle à la responsabilité des personnes démunies, renforce la hiérarchisation sociale et nie l’espace public comme moyen de délibération et vecteur de construction d’alternative. Cette pensée sera relayée par deux grands partis politiques, le Parti social-chrétien et le Parti Démocrate-chrétien (Salazar 2012). Elle donne naissance à une solidarité philanthropique qui récupère et annihile les formes de solidarité démocratique spontanées provenant de la société civile (Laville 2001, 2012). A.2.b L’émergence du « principe de protection sociale » soutenu par l’essor des idées marxistes. Pour freiner l’effet dévastateur provoqué par l’économie de marché, l’Etat mobilise, selon K.Polanyi, le principe de redistribution et crée des institutions pour réguler et encadrer le marché. Au Chili ce contre mouvement spontané apparait dès la fin de la Guerre du Pacifique, lorsque les revenus nationaux découlant de l’exportation minière ont permis au président Balmaceda de développer des politiques sociales protectrices (Meller, 1996). Toutefois la force du contre-mouvement ne prend forme qu’à partir de 1925, à la suite de la grande crise, lorsque le discours politique d’inspiration marxiste va gagner en influence et s’opposer frontalement au libéralisme. Désormais, des partis politiques marxisant vont coopter la spontanéité des 14 Karl Polanyi, La grande transformation, p. 148 17 mouvements contestataires et s’octroyer le monopole de la représentation de la classe ouvrière (Salazar 2012). Le but était de prendre le contrôle de l’Etat et de le rendre responsable de la protection de la société en érigeant le « principe de protection sociale ». Cette tendance se renforce progressivement sous l’influence de la révolution russe qui instaure un Etat communiste puissant, avec la montée des classes moyennes représentées par le Parti Radical qui renforcent la responsabilisation sociale de l’État, et avec l’ouverture de la participation électorale et démocratique à tous les citoyens chiliens. A cela s’ajoute l’affaiblissement de l’influence du Parti libéral qui a perdu ses soubassements idéologiques avec l’émergence de la doctrine sociale de l’église (Salazar 2011, Meller 1996). Ainsi, la nouvelle question sociale devient la bannière des nouveaux partis de gauche 15. Cette effervescence politique et le renforcement des contradictions systémiques se traduisent par une pénétration accrue des idées de gauche dans la vie politique. Elle se solde par la conquête du pouvoir en de multiples occasions et le développement d’une législation sociale protectrice. En 1920 Arturo Alessandri Palma instaure un gouvernement populaire et populiste, mais son gouvernement jugé réformiste va conduire le dictateur Carlos Ibañez del Campo à organiser un coup d’Etat pour modifier de façon drastique la structure institutionnelle de l’Etat par le biais de la Constitution de 1925. Ces deux présidents inaugurent le contre-mouvement politique par l’instauration d’une série de lois économiques et sociales qui visent à réguler le marché et ses effets sur l’organisation sociale. Cette tendance va se développer tout au long du XXème siècle, qu’elle prenne la forme de politique réformiste ou révolutionnaire lors de la victoire du Front Populaire (1938 – 1952), du retour à la présidence de Carlos Ibanez del Campo et d’Arturo Alessandri, puis lors des victoires de Juan Antonio Rios (1942 -1946) et de Gabriel Gonzalez Videla (1946 – 1952) grâce à l’appui du Parti Communiste (Sarguet 1996, Collier 1998). A.2.c Le début de la Grande Transformation Chilienne : la naissance d’un Etat social consolide une société fondée sur le couple Etat-Marché. Après la grande crise économique mondiale de 1929, la Constitution de 1925 établie par Carlos Ibanez del Campo érige l’architecture institutionnelle qui fonde le nouvel Etat-Social 15 En 1912 Luis Emilio Recabarren fonde le Parti Ouvrier Socialiste, qui devient en 1922 le Parti Communiste d’orientation marxisteléniniste. Le Parti Socialiste est fondé en 1933, a partir de sensibilités provenant du socialisme humaniste. 18 chilien. Ainsi, comme le montre K.Polanyi, les principes économiques du libéralisme n’ont pas pu avoir d’application empirique réelle en conformité au modèle théorique puisque la force du contre-mouvement politique empêche la mise en place d’une économie de marché et de la fiction marchande (Polanyi 1944). En 1931, l’Etat légifère le secteur du travail en créant le Code du travail et en créant un système de protection sociale. Dans les années 30, il endosse de nouvelles fonctions dans le processus productif et devient un Etat promoteur en promouvant le crédit pour l’investissement privé et les subventions au secteur exportateur. Dans les années 40, il devient un Etat entrepreneur en créant des entreprises publiques dans les secteurs basiques comme le transport, l’énergie et les communications. En 1939, le gouvernement créé la CORFO, agence destinée à élaborer un programme national de développement. Enfin, dans les années 60, l’Etat devient programmateur, en impulsant la stratégie d’Industrialisation par Substitution des Importations prônée à la CEPAL sous influence de la théorie de la dépendance développée par R. Prebish. Ainsi, de 1925 jusqu’en 1973, l’ensemble des politiques économiques et sociales du pays sont guidées par le « principe de protection sociale », qui vise à limiter les effets néfastes provoqués par la société de marché et à amplifier son champ d’intervention dans la sphère économique (Sunkel 2011). Dorénavant les mouvements sociaux se structurent autour de partis politiques et exigent à l’Etat de leur garantir leurs droits fondamentaux. L’Etat et le marché deviennent les principaux acteurs de la société, dans laquelle on octroie un rôle prépondérant à l’Etat (Meller 1996). Cela entraine un processus d’institutionnalisation des mouvements sociaux par lequel l’Etat annihile les expériences spontanées des populations et participe à une cooptation des organisations économique et sociale alternative (Razeto, 1983). A la suite des victoires électorales de 1932 et de 1938, les partis de centre et de centre gauche en mobilisant la majorité électorale canalisent les mouvements populaires et les rend loyale au centralisme politique. Les revendications et demandes sociales s’orientent désormais contre l’Etat central en légitimant la prééminence des Institutions nationales au détriment des institutions locales (Salazar 2012). Cette tendance s’accompagne d’un renforcement de l’associativité militante partidiste et d’un affaiblissement de l’associativité mancomunal strictement citoyenne (Salazar 1998). 19 A.2.d La victoire de S. Allende, « la grande transformation » atteint son paroxysme. (19701973). La victoire électorale de l'Union Populaire en 1970 marque, si l'on reprend la terminologie polanyienne, l'apogée du processus de ré-encastrement avec le lancement de la Révolution Socialiste à la Chilienne. Le leader socialiste Salvador Allende représente « La Grande Transformation » qui suppose l'avènement d'une économie planifiée inspirée des idées marxistes-léninistes, et l’échec de l’utopie libérale de l’économie de marché. Le système économique et politique chilien alors en vigueur est perçu comme un système capitaliste, économiquement dépendant et dominé par une élite oligarchique monopolistique. Le système de propriété capitaliste, est à la source des injustices sociales et des inégalités. En conséquence de quoi, le programme de l’Union populaire est anticapitaliste, anti-impérialiste et antimonopolistique. Pour accroître le contrôle étatique sur les affaires économiques le gouvernement de S. Allende proclame la nationalisation des grandes industries minières. Il décrète l’application totale de la Réforme Agraire par le biais de la Loi de réforme agraire de 1967 n° 16.640 qui n’avait été appliquée que de façon limitée. Et il crée l’aire de propriété sociale comme instrument juridique pour atteindre la socialisation des moyens de production, ainsi que la Direction National de l’Industrie et du Commerce comme institution permettant une maîtrise nationale des prix. Il établit le contrôle total du secteur bancaire et l’étatisation de la Banque Centrale. Les réformes structurelles mises en place attaquent le droit de propriété puisque l’U.P considère que la simple existence du droit de propriété affecte l’assignation des ressources et les distributions des biens. Ce droit doit être aboli puisqu’il est selon l’Union Populaire à la source du système de domination capitaliste (Nolff 1993, Sunkel 2011) A.3 La fondation d’un nouveau type de libéralisme : le néo-libéralisme. Si La Grande Transformation prend place avec la victoire de l’Union Populaire et marque l’apogée du réencastrement, depuis les années 70, une pensée nouvelle, le néo-libéralisme influence l’élaboration des politiques économiques donnant lieu à un nouveau désencastrement (Dardot 2010). La Grande Transformation n’a été selon C. Laval (2009) qu’une « parenthèse historique de quelques décennies ». 20 A.3.a La démonstration de l’erreur polanyienne : récupération néolibérale des critiques marxistes. La reconstruction d’un libéralisme nouveau, baptisé néolibéralisme n’a pas été prévu par K. Polanyi. C’est pourquoi il est nécessaire de reprendre l’analyse de ce que C. Laval et P. Dardot (2009) ont appelé « l’erreur polanyienne » pour rendre compte de ce phénomène. Les politiques menées par l’Union Populaire ne rompaient pas avec l’économisme16 dominant des sociétés de marché ce qui n’a pas conduit à un réencastrement total de l’économie. Ce parti ouvriériste analysait la société sous l'approche de la lutte des classes. Les politiques économiques ne prenaient pas en compte la diversité des représentations et des croyances des populations chiliennes et notamment des peuples indigènes (Allende 1998). L'U.P. a également nié la problématique écologique en soutenant une politique de développement « extractiviste »17. Par ailleurs, bien que dans les années soixante le mouvement « développementiste »18 remettait en cause les théories du développement basées sur les visions de D. Ricardo ou de W. Rostow, il avait pour principal objectif de mettre en place un développement national autocentré. Celui-ci se traduisait par une restructuration des industries nationales sous l'impulsion étatique et de leur nationalisation sans remettre en question ni la dépendance extérieure ni les méthodes de productions fondées sur la dégradation de l'environnement (Moulian 2002). La rupture engagée pendant cette période consistait à prôner une plus forte intervention de l’Etat mais pas de rompre avec le mobile économiciste dominant. Par ailleurs, dans un contexte de guerre civile larvée, la violence du discours de l’Union Populaire a empressé les partisans du libéralisme à refonder leur pensée. Si, comme le souligne Sébastien Plociniczak (2007), « La Grande Transformation » est l’échec de 16 On fait ici référence à l’économisme macro, c'est-à-dire, la tendance à expliquer les phénomènes sociaux uniquement par leur origine économique. 17 Swampa M. entend par « extractivisme », toutes activités d'appropriation de produits naturels d'origine minérale, animale, ou végétale, en vue de leur commercialisation. In Swampa M. et Durand G., « Néo- « développementisme » extractiviste, gouvernements et mouvements sociaux en Amérique Latine ». 18Swampa M. entend pas « développementisme » la proposition de la CEPAL pour que les pays d'Amérique Latine ouvre une voie propre d'industrialisation et rompent avec les formules de l'économie classique qui condamnent le sous-continent à la spécialisation économique suivant les ''avantages comparatifs'' par pays. 21 l'institutionnalisation d'une connaissance agissante19, rapidement les intellectuels partisans du libéralisme conscients des limites de l’économie politique classique, cherchent à refonder un courant de pensée reprenant tout ou une partie de la pensée économiste classique. C’est en récupérant les principales critiques marxistes adressées au libéralisme économique que ces intellectuels posent les fondamentaux de la pensée néolibérale (Dardot, Laval, 2009). Tous deux considèrent que le modèle libéral est incompatible avec la démocratie et ils critiquent le dogmatisme de la pensée classique fondée sur la croyance aveugle en l’autorégulation du marché. Selon eux, le libéralisme conduit à la dictature du prolétariat, et une intervention minimale de l’Etat est nécessaire pour faire émerger un nouvel ordre social dans une société capitaliste à économie de marché. Ce nouveau « libéralisme constructeur » ou « libéralisme organisateur » dépasse l'opposition entre le « Marché » et « l’État » et voit, dans la législation et dans une certaine forme d'intervention étatique, des instruments nécessaires au fonctionnement du capitalisme de marché (Laval, 2007). Les premiers penseurs néolibéraux se regroupèrent en 1938 à Paris autour de W. Lippman20. A partir de 1947, la Société du Mont Pèlerin réunit tous les penseurs pour répandre cette nouvelle doctrine et influencer sur la définition des politiques publiques nationales et internationales. Dans les années 1970, après le choc pétrolier, les économistes formés à Chicago gagnent une influence notable dans l’élaboration des politiques économiques partout dans le monde en appliquant le référentiel néolibéral. Au Chili, les hommes politiques et les économistes qui cherchent à réorganiser la pensée libérale, s’inspire de la pensée néolibérale naissante pour mener une guerre idéologique contre le communisme(Fourcade-Gourinchas 2002, Matisse 2002). Dès 1955, des échanges entre l'Université Catholique de Santiago et le département d'économie de l'Université de Chicago s'organisent. Les Chicago boys participent à l’élaboration du programme politique de J. Alessandri pour la campagne de 1964 où était déjà candidat S. Allende (Sunkel 2011). A.3.b L’implication du régime dictatorial dans l’instauration d’une nouvelle idéologie. Le système néolibéral a été mis en place par la Junte militaire à partir du coup d’Etat du 11 19Entendue comme une connaissance qui donne forme à des croyances et des représentations individuelles et collectives qui orientent les individus et les rapports sociaux in Plociniczak S., Plociniczak Sébastien, « Au-delà d'une certaine lecture standard DE La Grande Transformation », Revue du MAUSS, 2007/1 n° 29, p. 207-224. 20Deux grands courants idéologiques se sont dessinés : celui de l'ordolibéralisme Allemand autour de Walter Eucken et celui du néolibéralisme, conçu comme un ensemble de ''règles du jeu'' à la manière de F.V. Hayek. (Dardot P., Laval C. 2009) 22 septembre 1973 jusqu' au 11 mars 1990, date à laquelle le dictateur A. Pinochet passe le pouvoir à P. Aylwin. L’usage de la terreur fut la pierre angulaire de l’application du référentiel néolibéral chilien (N Klein 2008, Moulian 2002). Le coup d´Etat a lieu dans un climat social et politique violent ou des mouvements sociaux populaires de gauche affrontent des groupes d’extrême droite. Cette guerre civile larvée se déroule dans un contexte international de guerre froide. Chacune des parties du conflit recevaient un soutien politique extérieur provenant de Cuba, de l’URSS ou des Etats-Unis, ce qui ancra les tensions politiques nationales dans les luttes idéologiques mondiales21 (Salazar 2012). Durant les deux semaines qui ont suivi le coup d’Etat, la Junte au pouvoir n’avait pas un programme politique et idéologique déterminé (Vergara 1984). Les militaires hésitaient entre restaurer le système politique d’avant 1970 ou de fonder un nouveau système de société. Les principaux objectifs à court terme étaient de réprimer les forces sociales qui soutenaient l’U.P, et de réinstaurer l’ordre et la démocratie soidisant mises en péril par la révolution communiste. L’application du référentiel néolibéral dans les politiques publiques s’est réalisée à partir de 1975. Jusqu’à cette date les entrepreneurs et les militaires au pouvoir établissaient une politique pragmatique, détachée de toute théorie économique, qui cherchait à satisfaire l’ensemble des classes sociales soutenant le régime. Les deux visions alors dominantes, la vision corporatiste traditionnelle et la vision nationaliste, développaient un discours éclectique construit en opposition au discours antérieur : la Junte était anti-communiste, antiinterventionniste et anti- démocratique22 (Vergara 1984). Le Plan de choc de 1975 marque le début de la stratégie économique monétariste orthodoxe et de l´établissement du référentiel néolibéral impulsé par les technocrates issus de l’Ecole de Chicago. L’implantation de l´ordre néolibéral s’est accompagnée de l’application de la doctrine de la sécurité nationale (Moulian.2002, Pour mettre en place les nouvelles politiques économiques, un cadre institutionnel autoritaire était nécessaire. Ce qui supposait de faire usage de la terreur comme un moyen de répression et de contrôle de l’ensemble des organisations politiques et sociales.23 21 Le commandant Fidel Castro parcourut le Chili pendant X jours et le gouvernement des États-Unis apporta un soutien financier aux mouvements d’oppositions et organisa un boycott économique pour asphyxier l´économie nationale interne sous le régime d’Allende. Le bombardement de la Moneda par les forces armées témoigne de la victoire au sein de l’armée, de la tendance capitaliste et anti marxiste, et de la fin de la conspiration militaire soutenue par les Etats-Unis. 22 La Déclaration de principe de 1974 établissait que l’Etat n’agissait pas en représentation du peuple mais comme dépositaire d’une mission transcendante qui ne pouvait et ne devait être soumise à verdict populaire. 23 La Junte instaure un couvre-feu du 11 septembre 1973 au 2 janvier 1987. 23 En 1977, la présentation du Plan de Chacarillas marque un tournant décisif en procédant à l’institutionnalisation du référentiel néolibéral dans la société. Si la période précédente se caractérisait par une guerre totale contre le communisme et une réduction des droits de l’homme, ce plan révèle l’émergence d’un courant légaliste qui cherche à créer une architecture institutionnelle pour pérenniser le modèle néolibéral (Meller1996). Une commission constitutionnelle est créée en 1978 puis, à la suite d’un processus électoral frauduleux24, la constitution de 1981 entre en vigueur (Moulian 2002). Le nouvel ordre constitutionnel met en place un exécutif fort, réduit la sphère publique et la participation politique et modifie les principes de représentations politiques en instaurant le processus de désignation25 des cadres de l’administration publique. La proposition d’un projet de société englobant, qui procède à la récupération des arguments de la vision corporatiste-traditionnelle et nationaliste, constitue la force de la nouvelle pensée néolibérale. Le nouveau discours dominant attribue au programme politique de la Junte des motivations éthiques comme la garantie de la liberté et de l’égalité, en redéfinissant ces deux concepts.26 Le discours économiciste néolibéral des experts et des technocrates au pouvoir est sacralisé. On accorde une forte légitimité à l’ensemble des décisions économiques fondées sur les sciences économiques perçues comme un savoir scientifique absolu, reposant sur des principes neutres de la science et de la technique. Les moyens de communications comme « Que pasa ? » ou le Mercurio, véhiculent ce nouveau discours et cherche à convaincre l’ensemble de la société des vertus et des succès du nouveau modèle économique (FfrecnhDavis 1983). A.3.c La pérennisation du modèle idéologique pendant la transition et la Concertation. La victoire électorale de la Concertation des partis pour la démocratie marque le point de 24 La surveillance des élections pendant le référendum constitutionnel n'a pas été garantie par les « Tribunales Calificadores de Elecciones » et les « Tribunales Electorales Régionales ». Les historiens et politologues ont constaté que le processus électoral a été frauduleux. En réalité, il avait été organisé dans le but de donner une image démocratique du Chili vis-à-vis du reste du monde pour attirer les investisseurs étrangers qui étaient réticents au vu des troubles politiques des premières années de dictature militaire. 25 Dorénavant le chef d’Etat désigne les personnes aux charges importantes comme le président de la Banque Central, les sénateurs et les membres du Conseil de sécurité nationale. 26La liberté économique, celle qui se réalise sur le marché devient la liberté fondamentale et sa constitution est une condition pour atteindre la liberté politique. L’égalité signifie l’égalité des conditions d’accès au marché, d’entrer en compétition sociale au sein d’un nouveau système méritocratique. 24 départ de la transition démocratique chilienne et de la pérennisation du modèle de société néolibérale. La Concertation gagne les élections avec un grand soutien populaire sur la base d´un programme politique généraliste et conciliateur (Salazar 2012). L’objectif des quatre gouvernements de la Concertation était de rétablir une démocratie réelle dans les limites27du fonctionnement politique instauré par la Constitution de 1981. La modification de l’ordre économique dominant et de la constitution n’était pas envisagé ni envisageable par peur d’aviver les tensions sociales passées (Fazio 2010). L ´absence de jugements contre les crimes commis sous la dictature et la force du lobbying porté par les entrepreneurs nationaux et internationaux ont permis aux forces politiques de droite, composés d’anciens militaires et hommes politiques pinochetiste, de peser sur les décisions politiques nationales (Moulian 2002). La pérennisation du modèle de pensée économique reposant sur une vision économiciste et néolibérale a été permise par le maintien de cette même classe politique et des technocrates néolibéraux aux pouvoirs Patricio Alwin ni aucun autre gouvernement de la Concertation n’ont jamais appliqué le programme politique pour lequel ils avaient fait campagne lors du referendum de 1988. Selon lui le Chili devait se transformer en un pays porte-avion pour les investissements étrangers. C’est pourquoi les gouvernements de la Concertation ont renforcé les lois favorables aux Investissements étrangers, qui garantissaient la protection de la propriété privée, et facilitaient l´accès aux ressources naturelles (Sunkel 2011). La signature du Traite de Libre Echange avec les Etats-Unis a renforcé l´allégeance du Chili envers les Etats-Unis et son adhésion au système du libre marché (Fazio 2010). Le modèle économique néolibérale était présenté comme un lègue positif de la dictature. L’ordre néolibéral été vu comme une fatalité, une réalité économique et politique naturelle et immuable qui s’accommodait a l’idiosyncrasie chilienne, société formée d’individu par essence égoïste et individualiste (Moulian 2002). Ainsi les gouvernements de la Concertation ont réinstauré les libertés politiques fondamentales sans remettre en question le modèle économique néolibérale. 27 Les lois ´´organiques´´ de l´Etat proclamées sous la dictature qui touchent les points fondamentaux de l´architecture néolibérale ne pouvait être modifié que par une majorité forte, ce qui supposait d’établir une alliance entre l´ensemble des partis politiques, situation politique presque impossible de réaliser. 25 A. 4 Le nouveau désencastrement chilien : des théories économiques spécifiques qui traduisent la prégnance du néolibéralisme au Chili aujourd'hui. A.4.a La traduction empirique dans des théories politiques économiques spécifiques au Chili. L´application du référentiel néolibéral au Chili prend une forme particulière, et se réalise par à-coup en fonction du contexte macro-économique interne et externe. Après le coup d´Etat, on applique la vision économiste monétariste orthodoxe, inspirée des idées de M. Fridman qui se traduit par l´établissement de mesures anti inflationniste, une libéralisation du système financier et une ouverture indiscriminée des frontières extérieures. Le Plan de récupération économique de J. Cauas, met en place un réajustement fiscal, et privatise les terres, les banques et les entreprises nationalisées sous la présidence de S. Allende. En 1979, Le Plan Laboral de Jose Pinera qui cherche à moderniser le secteur du travail, de l’éducation et de la santé, conduit à une flexibilisation du travail, la création du système de retraite par capitalisation, et la privatisation du système de protection sociale et du système éducatif (Meller 1996, Vergara 1984) Ainsi dès 1980, le travail, la monnaie et la terre étaient à nouveau convertis en marchandises provoquant un nouveau désencastrement et l’instauration d’une économie de marché. La crise de paiement de 1982 qui entraine l’effondrement économique et financier du pays, donne lieu à une nouvelle étape d'application du référentiel néolibéral. En 1985, le gouvernement chilien souscrit à deux programmes conditionnés du FMI et de la BM pour avoir accès à de la « new money ». Bien que les politiques de rigueur conseillées étaient déjà appliquées28, le gouvernement réduit les dépenses fiscales et l´octroi de crédit, abolit l´indexation des salaires sur l´inflation et le revenu minimum. Il lance une seconde vague de privatisation qui touche les monopoles de services publics et inaugure une seconde phase d’exportation de produits à base de matières premières plus élaborées. Comme mesure préventive, la politique économique est décentralisée : la Banque centrale devient l’institution autonome chargée de veiller à la stabilité monétaire rompant le monopole que détenait le Ministère des finances en matière de politique monétaire29. L´objectif du programme 28 L’influence des organisations internationales comme la Banque Mondiale et le Fond Monétaire Internationale ont été moins importante au Chili que dans d’autres pays du sud, puisque le pays a servi de laboratoire des principales politiques néolibérales(T. Moulian,2002). 29 Il devient impossible de réduire le déficit fiscal par émission monétaire. Dorénavant la Banque Centrale fixe les lignes de crédits, contrôle 26 conditionné était de permettre à la puissance publique de dégager un excédent suffisant pour prendre en charge les dettes privées afin d´améliorer l’image du pays et ainsi rétablir la confiance pour attirer les investissements étrangers (Meller 1996, Vergara 1984). Les gouvernements de la Concertation en croyant à la théorie du ruissellement30, maintiennent l'ordre économique existant et rendent légitime les politiques d'orientation néolibérale. Si le rôle régulateur de l´Etat est en partie retrouvé avec la création de nouvelles institutions et des législations sociales et environnementales, celui-ci apparait comme un contre-mouvement visant à limiter les désastres provoqués par l’économie de marché et demeure principalement un Etat subsidiaire. Les différents gouvernements se focalisent sur la redistribution mais les modifications du système fiscal sont négociés avec les partis de l’opposition qui le maintiennent essentiellement direct et régressif ce qui renforce la concentration des capitaux (Sunkel 2011). Les politiques sociales prennent la forme de Small-Project visant à la réduction de l’extrême pauvreté et non pas à des changements structurels (Corragio 2012). De plus, le gouvernement d’E. Frei procède à la privatisation des services publics, notamment des services sanitaires urbains. Enfin, le sauvetage bancaire mis en place a posteriori de la crise asiatique de 1997, a favorisé la concentration bancaire et consacre un désencastrement de la finance. La spécificité des politiques économiques néolibérales chiliennes, repose sur une volonté de rendre le pays attractif pour les capitaux privés et étrangers notamment en matière d'exploitation et d’exportation des ressources naturelles (Fazio 2010). A.4. b L’autonomisation de l’économie dans la société néolibérale : une transformation économiciste. Le nouveau cadre institutionnel repose sur l’utopie néolibérale et fait du Chili une vitrine de la modernité capitaliste (Moulian 2002), dont la pierre angulaire est la consécration de la propriété privée dans la constitution. Le rôle de l’Etat est limité : ses institutions défragmentées et le principe de subsidiarité permet de légitimer son désengagement en déconcentrant l’ensemble des décisions aux niveaux les plus proche des populations (Sunkel le taux de change, régule le mouvement de capitaux, détermine les politiques en matières de réserves internationales et régule les opérations d' endettement externe. 30 Les politiciens de la Concertation parlent de ´´croissance équitable´´ et d’une ´´croissance juste´´. Selon eux les revenus des individus les plus riche finissent par être réinjectés dans l’économie au travers d’une relance de la consommation et de l’investissement qui sont créateurs d’emplois pour les plus pauvres. 27 2011). L’application de ce principe rend compte d’un amalgame entre les rôles de gouvernants et gouvernés, et d’une simplification de la réalité en constituant le monde politique d’usagés, de planificateurs et de décideurs (Gardin 2004). Le marché régit l’ensemble des éléments de la vie sociale, et les services publics sont offerts en concession aux entreprises privées procédant à la consécration de la marchandisation de l’éducation, de la santé et de la protection sociale (FFrench-Davis 2011). L’acceptation de cette nouvelle architecture sociale repose sur la création d’une nouvelle éthique qui rend homogènes les comportements individuels en réduisant leurs motivations à une rationalité instrumentale en finalité. Les individus sont convertis en entrepreneurs ou usagés, et l’économique devient plus important que le politique. La réduction des espaces publiques et la stigmatisation du jeu démocratique contribue à une dépolitisation des individus et du monde social. Des campagnes de propagandes vendent le nouveau modèle basé sur la consommation et le divertissement (Durston 2010). Les populations, comme les Mapuches, qui refusent la société de marché sont réprimés, donnant naissance à une militarisation de l’économie. Cette répression est assimilable à un déploiement d’une guerre contre un ennemi intérieur, puisque la loi antiterroriste s’applique au peuple Mapuche 31 (Observatorio ciudadano 2009). Certaines analyses polanyiennes rapportées à l'idéologie dominante de notre temps doivent être revisitées et critiquées pour pouvoir être en adéquation avec le fonctionnement du système d'échange actuel (Sobel 2007). Par exemple, pour l'analyse du double processus de marchandisation de l'eau, nous pouvons nous permettre de rapporter l'analyse de l'eau à celui de la terre que Karl Polanyi (1944) a défini comme étant « le milieu naturel dans lequel chaque société existe »32. Jérôme Maucourant (1998) souligne à cet égard qu'il est désormais inconcevable de séparer l'économie de l'écologie contrairement à ce que certains économistes néolibéraux soutiennent. Le référentiel néolibéral modifie les représentations dans le domaine scientifique qui ont entre autre un impact sur les politiques environnementales (Passet 1996). Face à la montée croissante des problèmes écologiques, la métaphore de la biodiversité représentée comme un flux de services marchands pour le bien-être de l’humanité s’est imposé. Un nouveau courant économique de l’environnement, reposant sur les postulats d’économie néoclassique, cherche à mesurer économiquement les bénéfices et les dommages 31 Voire le documentaire d’Elena Varela “Newen Mapuche”, 2012. 32 Polanyi K., La grande transformation, p.253 28 portés à l’environnement. Cela suppose de procéder à une évaluation marchande des biens et services de la biodiversité et du capital naturel en appliquant des indicateurs d’une nouvelle comptabilité verte. L’objectif étant de créer des politiques publiques pour rémunérer la production de services, créer des marchés de droits, utiliser des outils économiques, ainsi que pour la conservation des écosystèmes. Cette nouvelle vision marchande de l’eau ouvre la porte à la marchandisation des ressources et à la privatisation du service de distribution. Elle consacre la conversion de l’eau en un bien et un service environnemental (Meral 2012, Aubertin 2012, Vivien 2009). B. L'impact sur la représentation dominante des « biens et services environnementaux » tels que l'eau : un processus de marchandisation et de privatisation de la ressource différé. Le processus de marchandisation et de privatisation de l’eau sont des construits sociaux émanant d’une volonté politique qui survient lors de l’apparition d’une société de marché néolibérale. Ces processus supposent une modification du système de croyance subjective des individus pour qu’ils conçoivent l’eau comme un service rendu par l’écosystème et accepte son paiement (Passet 1996).. B.1 Une marchandisation des ressources amorcée dès la période coloniale Les modèles de gouvernance de l’eau et la qualification de la ressource sont intimement liés puisque la définition d’un type de coordination économique pour sa gestion exige un consensus préalable quant à la représentation dominante de cette dernière (Baron 2005). B.1.a L'évolution de la représentation collective des ressources naturelles : vers une conception en termes de biens et services environnementaux. Usages et représentations des ressources pendant la période précolombienne. Les différentes cultures pré-incaïques mettent en place un système de contrôle vertical des différents étages écologiques, qui s’étend depuis les côtés aux terres hautes ce qui leur permet de vivre de la chasse, de la cueillette et de la pêche, en se concentrant près des fleuves et des côtes où les terres sont plus fertiles. La sédentarisation des communautés entraine la création de différentes formes d’organisations sociales pour la répartition des ressources hydriques 29 (Voir annexe 4). L’une des plus répandus consistait en la désignation d´un Camayoc, une personne responsable de la distribution et de la récupération d’une contribution auprès des bénéficiaires pour le maintien des canaux d’irrigation servant à transporter l’eau aux différents pueblos, caserios o villorios33 (Yanez 2011) Ces systèmes de distribution sont fortement ancrés dans les relations sociales et participent à la consolidation de l’unité sociale, territoriale et à l’identité culturelle des communautés. Pour l’ensemble des communautés la protection des ressources hydriques est fondamentale puisque les eaux sont considérées comme un héritage de leurs ancêtres et un bien sacré. (Itier 2008, Zavala 2000) La conscience pour le respect et la préservation des ressources hydriques sont essentielles car le monde forme un tout, gouverné par un ordre moral et sacré. Les différents usages et méthodes de gestion ancestrales de l’eau sont intimement liés à la cosmovision et à la religion andine. Chaque force des éléments naturels est associée à des esprits ou à des divinités en action autour desquelles s’organisent des rituels et des activités sacrées. (Voir annexe 3) Usages et représentations des ressources pendant la période coloniale Pendant la période coloniale, le développement économique et l´enrichissement du royaume du Chili dépendaient de deux secteurs forts demandeurs en eau : l´industrie minière et la production agricole dans les haciendas. Ainsi, pour les colons l´appropriation des ressources en eau et leur légitimation devenaient un enjeu majeur. La réglementation juridique de l’eau se basait sur la coutume et les normes hispaniques liées au droit seigneurial. La couronne possédait le domaine éminent de l’eau, et concédait son usus et abusus aux villas et aux cabildos de colons (Yanez 2011).Les indigènes, possédaient un domaine utile, c'est-à-dire l’usus des eaux. La vision physiocrate était dominante, l'eau indissociable de la terre fertile, formait la seule source de richesse. Le droit naturel fondamental était la propriété privée ce qui a légitimé la colonisation des terres et l´appropriation des ressources en eau. La réduction des territoires occupés par les peuples indigènes dans les terres moins fertiles, et la réorganisation politico-administrative du territoire permettant la légitimation légale du nouveau marquage territoriale effectué, ont rendu possible l’appropriation des terres. Ce processus s’est réalisé non sans engendrer des conflits interethniques pour la maîtrise d'un territoire dont l'un des enjeux fondamentaux était l´accès à l´eau (Gentes 2001). A la fin de la période coloniale 33 Noms donnés aux petits villages ruraux, en fontion de leurs tailles ou de leurs localisations. 30 l’augmentation de la demande en eau génère de nombreux conflits autour de sa répartition et sa distribution. Dans la vallée de Huso, le système traditionnel héritier du Camayoc ne suffit plus pour garantir une gestion pacifique des ressources ce qui oblige le gouvernement colonial à intervenir pour la première fois en 1768, en nommant un Juez de Aguas 34chargé de résoudre les conflits. Il est accompagné de gardes armés et est chargé de veiller à la répartition juste des ressources (MOP 2003). Usages et représentations des ressources pendant la république. Il faut attendre l'instauration d’une république indépendante pour que, en raison des nécessités économiques et sanitaires, l´Etat légifère le secteur de la gestion des ressources hydriques. Jusqu’à la seconde moitié du XIXème siècle l'Etat intervient de façon ponctuelle pour la régulation de la distribution des ressources35. En 1855, le Code Civil consacre pour la première fois, l’application du droit romain pour les modalités de gestion et de propriétés des eaux en distinguant le domaine public du domaine privé des eaux. Les ressources publiques et collectives appartenaient aux municipalités ou à des communautés qui disposaient de l’usus et de l’abusus des eaux (Vergara 2011). Les ressources du domaine privé étaient celles contenues dans la propriété du propriétaire de la terre. Dans le but d´inciter l‘investissement privé pour la construction d´infrastructures d’irrigations, l’Etat concédait une licence d´usage privé donnant droit à un usage exclusif des eaux du domaine public. Les licences sont administrées et réglementées par des institutions publiques. Elles sont modifiables et aliénables par l´Etat sans compensation. Et la plupart des eaux sont déclarées ‘’biens nationaux d´usage public’’ (Bauer 1997, 2002). En 1908 et 1928, deux lois36 réglementent le fonctionnement des organisations sociales traditionnelles chargées de la distribution et distribution des ressources, héritières du 34 Traduction non-officielle : Juge des eaux 35 En 1817 l’Etat fixe une unité de mesure et en 1838 il désigne un Directeur General des travaux publiques chargé de la construction et de la conservation des infrastructures d' irrigations. En 1819 il nomme les premiers ``Juges de l' eau´´ ou `` Celdores de la Republica´´pour éviter les querelles liées à la répartition des ressources entre les usagers. 36 En 1908, la Loi n° 2.139 (MOP 2003) sur les associations de "canalista" instaure pour la première fois une réglementation minutieuse pour l’organisation de la distribution des eaux dans les cours artificiels. Les organisations des associations de "canalista" obtiennent la personnalité juridique et sont chargées de la répartition de l'eau entre les actionnaires, de la conservation et de l´amélioration des canaux. En 1928 avec la proclamation de la Loi générale de l’irrigation, la puissance publique prend en charge la création d'infrastructures d'irrigations et des barrages. Elle établit une réglementation remplaçant les formes d'organisation sociale consuetudinaires ou traditionnelles pour la répartition de l'eau. 31 passe indigène et coloniale (MOP 2003, Larrain 2002). En régulant de façon uniforme ces organisations, ces lois rendent légitime le rôle de la société civile en matière de distribution des ressources, tout en niant les aspects culturels et territoriaux qui leurs sont propres. Les caractères des deux lois, du Code de l’irrigation et du Code civil, sont marqués par le paradigme de l’Etat hydraulique de Wittfugel (Ruf 2010). En effet, ils donnent à l’Etat de grandes responsabilités dans la construction d’infrastructures d’irrigation en obligeant les populations à se soumettre aux ordres de l’autorité étatique. En 1951, la prolifération de lois liées à la gestion des ressources conduit à la création du premier code de l’eau qui s’éloigne du paradigme Witfugelien et s’approche des idées du laissez faire des pensées d’économie classique. Le code conserve la séparation juridique du domaine public et privé des eaux et l’existence de droits d’appropriations privées, conçues comme des concessions administratives de l´Etat géré par le droit civil. Ces titres concèdent aux personnes de disposer de l’usus et de l’abusus des eaux. Ils étaient commercialisables, et l’Etat ne pouvait pas fermer la concession sans indemnisation. Toutefois, l´Etat régule l’offre des concessions en établissant un ordre de préférence en fonction de l´usage. Il priorisait l´usage personnel et domestique puis l’irrigation, la production d´électricité et en dernier lieu les usages industriels. De plus, il était impossible de changer l’usage de la concession, même en cas de transaction. Tant que l´utilisation du droit n´était pas effective, l'octroie n´était pas définitif et si l´utilisation effective du droit n´était pas réalisée pendant une période de cinq ans l´Etat pouvait l´annuler (Bauer 2002). Dans la sphère des représentations, la rareté des ressources naturelles n’était pas liée à une rareté physique mais à une rareté des facteurs nécessaires à leur mise à disposition (Passet 1996). Dans le contexte de la réforme agraire, en 1969, E. Frei Montalva proclame un nouveau Code de l´Eau puisque la redistribution des terres supposait une redistribution des droits d’usage de l´eau, l´objectif étant d´augmenter l’efficience de l´eau pour usage agricole. Ce code s’accompagne d´un amendement à la constitution de 1925 qui déclare les ressources hydriques comme des ´´biens nationaux d´usage public’ ce qui permet une expropriation des titres de propriétés sans indemnisation. Le fait de mentionner le terme d’expropriation, reconnait que les droits d’appropriation en application du code de 1951 étaient assimilables à une propriété privée (Bauer 2002). Les droits d´usage de l´eau continue de s´appeler « droit 32 d’appropriation », mais ils se transforment en concessions administratives régies par le droit administratif. Les fonctions en matière de gestion des ressources hydriques sont planifiées et centralisées autour de la DGA. Cette institution était chargée de distribuer les ressources en vertu d´un « taux d’usage rationnel et bénéfique» déterminé par des scientifiques et des techniciens du gouvernement. Elle planifiait la distribution à l´échelle du bassin en fonction des taux d´usages et d´autres critères lorsque ce dernier était considéré comme une « area de racionalizacion de luso de las aguas ». La DGA possédait également des facultés juridictionnelles en cas de conflits entre les populations (Larrain 2010, BM 2011). Le code de 1967 marque un ancrage au paradigme Wettfugelieen, il renforce le statut de l´eau comme bien national d’usage public et cherche à assurer la tutelle étatique, pour un usage rationnel efficient et technologiquement pertinent de l´eau. Il témoigne de la vision marxiste de la nature connue comme un objet au service de l’homme et de la « conviction irraisonnée de l'abolition des limites naturelles par le progrès technique et scientifique » (J. Delages in R Passet 1996). B.1.b Le cadre institutionnel actuel : le Code de l’eau de 1981. Nouvel usage des ressources : exportation des biens environnementaux. Dans le contexte de désencadrement économique, le Code de l’eau de 1967 entre en contradiction avec les principes fondamentaux de la société néolibérale. Sous influence de la théorie économique de l’environnement, le développement économique du pays repose désormais sur l’exportation de ressources naturelles perçues comme des biens environnementaux. A cet effet le gouvernement chilien prend des mesures pour renforcer le secteur agricole, arboricole, et minier. La contre-réforme agraire conduit à la concentration des terres agricoles aux mains d’entreprises privées qui développent la monoculture. Ce qui permet le boom exportateur de produits fruitiers. Concernant l’arboriculture, le Décret avec Force de Loi 701 de 1974 subventionne 95% des coûts de la forestation des terres et rend impossible l’expropriation de ces dernières, ce qui incite l’expansion de ce secteur dans le sud du Chili. L’industrie minière est favorisée par l’application d’une série de normes37 qui offrent un cadre légal attractif pour les IDE et établissent des concessions à durée indéterminée aux investisseurs privés pour l’exploitation des mines tout en réduisant les possibilités 37 Décret-Loi 600, du chapitre XIX du précis de normes de changes internationaux de la Banque Centrale du Chili et de la réforme du code minier. 33 d’expropriation. D’autre part, les législations environnementales sont inexistantes. Entre 1970 et 1989, les exportations du secteur forestier se sont multipliées par 19, celle du secteur agricole par 28 et celle du secteur minier par 5. En 1989, 90% des exportations totales chiliennes contenaient des ressources naturelles. Ce boom exportateur a provoqué une augmentation de la pression sur les ressources hydriques puisque ces trois secteurs économiques nécessitent une grande quantité d’eau pour leur production (Quiroja Martinez 1994). Dans ce contexte, le Code de l’eau de 1967 était obsolète et incompatible avec le nouvel ordre politique et économique néolibéral. À la suite du coup d’Etat, les autorités gouvernementales et leurs conseillers font consensus sur la nécessité de renforcer la protection des droits d’appropriation privé de l’eau. Toutefois tout au long des débats pour la formation d’une nouvelle législation de l'eau, deux positions s’affrontent : celle des économistes néolibéraux, et celle des conservateurs, formés par les grands agriculteurs et les haut fonctionnaires des principales agences de l'eau. Les conservateurs demandent une intervention de l’Etat en matière de construction et maintenance des infrastructures d'irrigation. Les économistes néolibéraux, proches de la pensée aujourd’hui appelée la nouvelle école néolibérale de l’eau, estimaient que l’utilisation inefficiente des ressources reposait sur la croyance selon laquelle les ressources hydriques sont illimitées en vertu de l’inexistence d’un coût pour son utilisation. La solution spécifique pour le Chili était selon eux de faire de l'eau une marchandise distincte de la terre, en la taxant et la convertissant en un bien économique rare et échangeable sur un marché. En vertu de l’application de l’économie de l’eau, cela devrait garantir l’usage le plus efficient de la ressource par les secteurs porteurs, stimuler l’investissement privé pour une meilleure utilisation de la ressource et responsabiliser les organisations d’usagers pour le perfectionnement de la gestion, l’utilisation et la distribution de l’eau (Bauer 1998, 2002). Les pas vers un Code de l’eau néolibéral (1976 - 1981) En 1976, la Commission de l'eau ajoute une déclaration à la Constitution de 1980, qui convertit les droits d’appropriation de l’eau en propriété privée. L’article 19 n°24 institue que : «Los derechos de los particulares sobre las aguas, reconocidos o constituidos en conformidad à la ley otorgará a sus titulares la propiedad sobre ellas38». Six mois plus tard, en septembre 38 Traduction non-officielle : «Les droits des particuliers sur les eaux, reconnues ou constituées en conformité 34 1976, la Junte Militaire proclame, par un acte constitutionnel, qu'elle prévoit la création d’un cadre normatif spécial pour réguler le code des mines et le domaine des eaux. Cela témoigne des liens stratégiques, économiques et politiques existants entre ces deux secteurs. En avril 1979, la Junte promulgue le décret avec force de Loi n°2603, qui renforce la propriété privée du bien, sépare les titres de l’eau du domaine de la terre et permet leur commercialisation sur un marché. Pour convertir l’eau en une véritable marchandise, les droits d’appropriation devenaient imposables. Si l’influence des économistes néolibéraux a été prépondérante lors de l’élaboration du Code de l’eau de 1985, l’opposition conservatrice a empêché l’affirmation directe de la logique néolibérale en posant son veto sur la création d’une taxe sur l'eau et l’instauration d’un coût pour son non-utilisation. Les exigences concernant la demande d’intervention de l 'Etat en matière de politique nationale d'irrigation n'ont pas été entendu. Le jour même de l’approbation du Code de l’eau, la loi sur les normes pour le financement publique d’infrastructures d’irrigations a été publiée dans le journal officiel en établissant des exigences normatives tellement élevées qu'elles rendaient impossible toute intervention de l’Etat en la matière ( Bauer 2002 1998). Les principes du Code de l’eau Les désaccords entre les conservateurs et les économistes néolibéraux étaient liés au degré de propriété privée attaché aux droits d’usage et au degré d’approximation du cadre normatif à la théorie économique de libre marché. Formellement, le nouveau Code conserve la représentation de l’eau proclamé dans le Code de 1951. Celui d'un bien d’usage public dont l’Etat peut accorder des droits d’usage privé à des particuliers. Mais de fait, le code renforce l’appropriation privée de l’eau et consacre sa marchandisation. Il ne créé pas un marché de l’eau mais les conditions nécessaires à son émergence spontanée. Pour la première fois, les droits d’usage de l'eau sont séparés de la propriété de la terre et ils peuvent être vendus, louer ou acheter librement sur un marché comme n’importe quelle marchandise. La DGA octroie gratuitement les droits d'usage, les seules conditions sont l’accessibilité technique et le respect de la procédure de constitution légale. Les droits d’usage constitués sont régis par le droit privé, ils doivent être enregistrés dans le Conservador de bienes raices 39et leur possession est 39 avec la Loi octroie à ses titulaires la propriété sur ces dernières. » Traduction non-officielle : con 35 garantie par la protection constitutionnelle de la propriété privée. Le Code n’établit pas une obligation d’usage bénéfique ni de priorité d’usage entre les différents secteurs demandeurs. Les propriétaires peuvent modifier librement l'emplacement et le type d’usage réalisé ce qui suppose qu’ils ne doivent ni spécifier ni justifier leur usage auprès de la DGA. En cas de deux demandes simultanées d’un droit d’usage situé sur un même point d’eau, la DGA procède à une mise aux enchères publique. Le plus grand offreur obtient le droit d'usage, peu importe l’utilisation qu'il en fera et la nécessité des autres demandeurs. Le Code n’établit pas non plus une obligation d’usage effectif des droits dans le temps, ce qui ouvre la porte à la spéculation. L’architecture institutionnelle instaurée par le Code est fragmentée et applique le principe de subsidiarité. Il existe plus d'une centaine d’institutions, centralisées et décentralisées, impliquées dans la gestion des ressources hydriques (Banco Mundial, 2010). Les fonctions de l’agence traditionnelle, DGA, deviennent uniquement administratives et techniques, elle perd ses facultés régulatrices. Celles-ci sont déléguées aux organisations d’usagers : les Juntas de vigilancia sont chargées de veiller sur l’état du cours d’eau et les associations d’usagers sont chargées de la construction d’infrastructures de distribution, et de la répartition de l’eau entre les usagers. La DGA n’est pas habilitée à annuler ou restreindre les droits d’appropriation et les expropriations sont possibles que moyennant une rémunération élevée (Bauer 2002 1993 1996). Ainsi, le cadre normatif consacré par le Code de l’eau de 1985 résulte de l’application du référentiel néolibéral dans les politiques de gestion des ressources hydriques. L’eau devient un bien économique et le marché est le seul instrument permettant l’affectation de la ressource. La réduction du rôle de l’Etat, le principe de subsidiarité et la décentralisation de la gestion font du Code un exemple précurseur de la nouvelle école néolibérale de l’eau qui sera diffusée au niveau mondial à partir de la conférence de Dublin de 1992 (Petit 2009). B.2 La privatisation partielle du service de distribution engagée pendant la transition démocratique. L’acceptation de la conception d’un paiement pour services environnementaux est plus forte en milieu urbain qu’en milieu rural. Il justifie la privatisation d’un service traditionnellement public en ce qu’il répond à un besoin vital pour la vie humaine. 36 B.2.à la privatisation des services de gestion de l'eau en milieu urbain. Le processus de privatisation du service de distribution de l'eau douce rend compte de l’assimilation des relations marchandes à la forme capitaliste de production (Laville). Ce processus s’est réalisé en quatre étapes. Il a consisté en une séparation progressive des fonctions politiques et opérationnelles au sein d’organismes spécialisés, donnant lieu à une autonomisation financière du secteur opérationnel par l’application d’une tarification qui recouvre les coûts du service, accompagnée de subventions à la consommation (Jouravlev.2007). Entre 1950 et 1974, l’eau est considérée comme un bien public40 et le service de production et de distribution d'eau potable est pris en charge par l’Etat. La tarification du service ne correspondait pas au coût marginal de production, et un système généralisé de subvention à la consommation garantissait l’accès à l’eau potable à l’ensemble de la population urbaine. Une première phase de modernisation du secteur a lieu entre 1974 et 1990 sous la dictature militaire. En 1977, le SENDOS institution chargée de la planification, de la régulation et du contrôle de l’ensemble des services d'eau potable est créé, et concentre l’ensemble des tâches opérationnelles. Cette institution autonome et déconcentré, se compose d’une Direction Centrale et de onze Directions Régionales, à l’exception de la Région Métropolitaine et celle de Valparaiso où l’on créé des entreprises publiques autonomes, ESVAL et EMMOS. Chacune des directions générales œuvrent comme des entreprises publiques et ont pour objectif l’amélioration de l’efficience de lua gestion et l'opération du service afin de tendre à une situation d’autofinancement. Pour cela, l’Etat conditionne les aides publiques aux entreprises en fonction de leur niveau de rentabilité économique et sociale. L’amélioration de la situation financière est possible en exigeant le paiement des factures aux bénéficiaires-clients, et en augmentant les prix de façon progressive, en parallèle à une augmentation des taux de couvertures et des subventions ciblées à la consommation. À la suite de la crise de 1982, et sous influence du FMI et de la BM, un débat s’ouvre quant à la possibilité de mettre en place une tarification au coût marginal pour permettre un autofinancement total des entreprises. 40 Un bien public est un bien non-rival et non-exclusif. Selon la théorie des biens publics, mise au point par P. Samuelson (« The pure theory of public Expenditure »,1954) montre que le libre fonctionnement du marché ne permet pas de produire ce type de bien alors qu’ils visent un intérêt collectif puisqu’il est impossible de faire payer l’usage pour pouvoir rentabiliser les couts d’investissements consenties. C’est pourquoi c’est bien public sont pris en charge par l’Etat sous forme de Service public. 37 Cette idée est laissée de côté car l’augmentation des tarifications risquait d’être fortement contestée par la population. Elle ouvre toutefois une réflexion sur l’élaboration d’une nouvelle architecture institutionnelle qui marque une seconde étape vers la privatisation du service. Entre 1988 et 1990, un ensemble de lois adoptées à la marge de tous débats publics (voir annexe), convertit les Directions régionales de Sendos et les entreprises autonomes Emos et Esval en sociétés anonymes. Ces lois conduisent à une privatisation partielle, puisqu'elles permettent l’entrée de capitaux privés dans la gestion du service de l’eau, mais la majorité des actions reste détenue par la CORFO. La Superintendencia de los Servicios Sanitarios41devient l’organisme chargé de la fiscalisation des entreprises sanitaires ce qui renforce la séparation entre les fonctions opérationnelles et de régulations. Cette réforme devait faciliter le transfert des entreprises au secteur privé, mais le secteur sanitaire n’était pas assez attractif comparé à celui de l’électricité ou de la téléphonie. Sous la présidence de P. Aylwin (1990-1994), l’idée de privatiser le secteur sanitaire est abandonnée, mais les entreprises adoptent un modèle de gouvernance interne propre à l’entreprise capitaliste privée. La troisième étape du processus de privatisation se caractérise par la recherche d’une efficience dans le processus de production afin de dégager un maximum de bénéfices. Les entreprises ont la possibilité de fixer leur propre tarification en fonction de l’augmentation des coûts liés au développement de l’entreprise. La hausse progressive des prix s’accompagne d’un perfectionnement des subventions à la consommation. À la fin de cette étape, les entreprises publiques sont efficientes, rentables et autonomes. Elles financent l’expansion du réseau en s’endettant sur le marché de capitaux. Cette autonomisation croissante rend légitime le désengagement progressif de l’Etat dans le secteur sanitaire. Lors de son discours annuel de 1995, le président E Frei rend officiel la privatisation du secteur sanitaire urbain inaugurant la dernière étape du processus. La privatisation devait permettre de développer le service de traitement des eaux sans augmenter l’endettement public de l’Etat. La loi du 19 janvier 1998 n°19.549 consacre la gestion du bien public selon la conception néolibérale en mettant en place les partenariats public-privé. Entre 1998 et 2004, l’ensemble des entreprises est transféré à des capitaux privés. Entre 1998 et 2000, le transfert se fait par la vente des actions des sociétés anonymes, et en 2001 le président Ricardo Lagos 41 Traduction non-officielle : La Surintendance des Services Sanitaires 38 transfert au secteur privé des concessions d’exploitation pour une durée de 30 ans (voir annexe). Aujourd'hui il existe une cinquantaine d’entreprises privés qui opèrent en milieu urbain dans tout le pays. 85% des clients sont fournies par 8 entreprises, dont deux grandes Aguas Andinas de la Région Métropolitaine et ESSBIO et 6 moyennes. B.2.b Un service de gestion de l'eau en milieu rural communautaire et participatif mais menacé. Pour la première fois dans l’histoire du pays, en 1964, le président E. Frei Montalva, inaugure un programme pour permettre un accès à l’eau potable aux populations rurales après le bouleversement de leurs conditions de vie provoquées par la réforme agraire. À la suite de la Conférence de Punta del Este, le président créé le Programme d’Eau Potable Rural, et s’engage à financer les infrastructures nécessaires pour améliorer le taux de couverture et réduire la mortalité infantile. Il profite de l’effervescence populaire et de la puissance des mouvements sociaux de l’époque pour déléguer aux populations rurales, constituées sous la forme de Coopératives d’eau potable, dans un premier temps la construction et la gestion, puis, uniquement la gestion et la maintenance, des infrastructures et du service de distribution d’eau potable. (MOP 2004, Roges 2007) Le gouvernement procède à une absorption et à une récupération d’une force sociale spontanée qu'il canalise dans des organisations fonctionnelles exogènes aux populations rurales. La constitution de ces organisations désengage l’Etat d’une partie de ces fonctions de service public de l'époque en reconnaissant la possibilité d’une gestion communautaire de l’eau (Salazar 2012). Toutefois, si les règles de fonctionnement politique de ces organisations sont parfois exogènes aux populations rurales, celles-ci s’éloignent du modèle légal par une série de stratégies et d’adaptations sociales. Cette situation est plus courante dans les régions excentrées du pays où l’influence des cultures indigènes est plus forte, que dans les régions centrales, proches de Santiago. De fait, les populations rurales dans le besoin s’organisent et donnent forme à des organisations communautaires d’eau potable, démocratiques et à but non lucratif. Ces organisations ont su accomplir leurs fonctions principales pendant plus de quarante ans malgré les bouleversements politiques et économiques du pays (Nicolas 2013). En janvier 2013, il existe 1603 Comités et coopératives d’eau potable dans le pays régis par le Décret- Loi n° 05 dite Loi Générale des Coopératives et son Règlement et la Loi n° 19.418qui établit les Normes 39 sur les Juntas de Vecinos42 et autres Organisations Communautaires. Les organisations associent un groupement d’individus pour gérer de façon participative et démocratique un bien commun. Les prises de décisions émanent de l’assemblée générale qui élit un comité directeur composé au minimum d’un président, d’un secrétaire et d’un trésorier. Les plus grandes organisations peuvent avoir un gérant chargé de superviser et planifier le travail des salariés de l'organisation (MOP n.d BID 1997). L’évolution du contexte politique et économique du pays et les modifications normatives du secteur sanitaire urbain ont eu des répercussions sur le déploiement du programme d’eaux potables rurales et le rôle des organisations communautaires. Le discours économiciste déployé depuis les années 70 a remis en question les fondements des organisations, en cherchant à les convertir en des organisations économiques privées efficientes et autosuffisantes (Nicolas 2013). A ses débuts, le Programme a été financé par la Banque Interaméricaine de Développement. Pour des raisons politiques depuis la victoire de S. Allende le BID suspend le financement du programme. Celui-ci reprend en 1977 sous la responsabilité du SENDOS chargé de la planification et de la gestion du programme. Le SENDOS délègue la construction des infrastructures à des entreprises privées spécialisées, puis donne l’usufruit aux organisations communautaires. Depuis cette date, la création de Comités d’Eau potable remplace celle de Coopérative, rompant le lien directe avec l'économie sociale43. L’objectif du SENDOS est de former les dirigeants des comités pour améliorer leur efficacité dans la gestion du service. (BID 1997). L’équipe de formation du SENDOS organise également des campagnes éducatives pour faire prendre conscience aux populations rurales de la nécessité de consommer de l'eau potable chlorée et de faire intégrer le concept de paiement pour service environnementaux. Entre 1990 et 1998, le MOP devient l’institution chargée du programme et fait appel aux entreprises sanitaires, notamment celles constituées en société anonyme, pour la construction de certains ouvrages. A partir de cette période, l’objectif principal du programme qui dès 1992 42 Traduction non-officielle : Juntas de vecinos, Associations de quartier. 43 L’économie sociale se compose des activités exercées par des coopératives, des mutuelles et des associations, qui reposent sur le principe de l’aide mutuelle et de la gestion participative et démocratique. Elles ont pour finalités de servir ses membres plutôt que d’engendrer des profits. 40 ne reçoit plus de financement du BID, est de tendre à rendre les organisations communautaires autosuffisantes par l’application d’une tarification recouvrant les coûts de maintenance du réseau. D’autre part, depuis les années 90, les exigences en termes de qualité du service s’accroissent ce qui conduit à une professionnalisation des charges et une disparition progressive de la figure traditionnelle des « dirigeants sociaux » (Nicolas 2013). Depuis la modification de la Loi Générale des Services Sanitaires en de 1998, le programme d’APR n’a plus de cadre réglementaire et normatif propre. Face à ce vide juridique, il est juste admis dans l’article 14 que le MOP est dans l’obligation d’établir des conventions avec les entreprises sanitaires privées pour déterminer leurs fonctions envers les organisations communautaires. Ces conventions exigent aux entreprises sanitaires de former des Unités Techniques qui seront les maitres d’œuvre des travaux et offriront une formation technique et communautaire aux Comités et aux Coopératives (BID 1997). Actuellement le MOP cherche à rendre les organisations d’APR autosuffisante financièrement. Il les aide notamment à pénétrer le marché des capitaux pour financer la construction des infrastructures. Le retrait dans la Loi Générale de Coopérative de l'obligation d’être une organisation à but non lucratif semble faciliter l’accès au crédit des coopératives plus performante (Nicolas 2013). Par ailleurs, l'offre de formation de la part des entreprises privées entraine un isomorphisme institutionnel sous la forme marchande qui conduit les organisations communautaires à utiliser les méthodes de management privé pour augmenter leur efficience (voir annexe 9). Depuis 2001, un projet de loi sur les services sanitaires ruraux (voir annexe 7) élaboré avec la participation active des représentants des organisations d’APR est en débat au parlement. En 2011, sous le gouvernement de S. Piñera le projet est retiré pour y apporter des modifications. Celles-ci se font en huit-clos sans concertation avec les populations concernées. Les modifications ont pour objectif la conversion des organisations communautaires en entreprises sanitaires rurales autonomes, qui pourraient prendre le statut juridique de société anonyme (Nicolas 2013). La suppression des organisations communautaires est justifiée par la nécessité de mettre en place un service de traitements des eaux usées qui pourrait uniquement être garanti par une entreprise capitaliste de production. En autorisant la réalisation d’un appel d’offre public en cas de dysfonctionnement d’une organisation communautaire, la loi ouvre la porte à la privatisation du service si la concessionnaire sanitaire emporte la concession. 41 Face à la montée en puissance de l’application du référentiel néolibéral dans l’ensemble de la vie sociale, il est intéressant d’analyser les apports d’une nouvelle pensée critique formée par les travaux scientifiques de l’anthropologie économique substantiviste ainsi que les revendications portées par les nouveaux mouvements de la société civile, pour savoir si les conditions subjectives et objectives politico-scientifiques sont réunies pour dépasser le « fondamentalisme marchand ».44 II-La remise en cause du « marché autorégulateur » dans le cas de l'eau au Chili. Les fondements scientifiques du courant de pensée économique néolibérale sont remis en question par l’anthropologie économique, particulièrement par l’école substantive créée par K.Polanyi dont émerge le courant de l’économie sociale et solidaire. La fiction marchande qui fait de l’eau un bien économique et dégrade l’environnement naturel et social des hommes (Quiroja Martinez 1997) est questionnée par l’apparition d’un contre-mouvement spontané formé par la population civile. A. Les apports de l’anthropologie économique substantive. Pour l’anthropologue, l’économie est un phénomène éminemment social, elle est avant tout une affaire de rapports sociaux ou de lien social. L’école substantive se démarque de l’approche formaliste et marxiste en ce qu’elle étudie les formes et les structures sociales de la production de la répartition et de la circulation des biens matériels (Dupuy 2008).L’analyse du poids des institutions dans le processus économique permet de remettre en question les postulats de l’approche de l’économie formelle aux fondements de la marchandisation et privatisation de l’eau. A .1 L’eau est une marchandise fictive. A.1.a. La « marchandise » comme rapport social historiquement déterminé. Le modèle économique basé sur l'exportation de ressources naturelles, nécessite de grandes 44 J. Stiglitz cité in LAVILLE, J-L., « Grand résumé de Politique de l’association, Paris, Éditions du Seuil, 2010 », Paris, Sociologies, 2012 42 quantités de ressources hydriques. Les processus capitalistes de production des produits agricoles, arboricoles et miniers consomment des sommes exubérantes de litre d’eau par jours, ainsi les ressources hydriques constituent un input pour les entreprises des secteurs exportateurs (Larrain 2001, Sabatini cité in Folchi 2001). L’apport de K. Polanyi en anthropologie économique est de souligner que le marché autorégulé est une construction sociale. Le marché autorégulateur et la constitution de la société toute entière en son auxiliaire sont volontairement constitués au travers de la mise en œuvre de dispositifs politico-juridiques particuliers (Caillé 2007). Selon M. Foucault (2004), le marché autorégulé est un construit politique instrumenté. Son existence repose sur des institutions spécialisées qui créent la condition de possibilité du marché. À la lumière de la pensée polanyienne, il est possible d’affirmer que pour que le marché autorégulateur puisse se mettre en place dans une société néolibérale basée sur l’exportation de ressources naturelles, l’eau doit être convertie en une marchandise fictive, afin d’alimenter continuellement la production des industries exportatrices. La construction politique du marché de l’eau tout comme les marchés du travail, des matières premières et de la monnaie (Voir partie A.1.c) forme la condition sine qua non de l’apparition du marché autorégulé mais repose sur une fiction marchande. Considérer l’eau comme une marchandise conduirait à la destruction de sa substance même. Pourquoi l'eau n'est pas une marchandise. La thèse principale de K. Polanyi consiste à démontrer que la terre, le travail et la monnaie sont des marchandises fictives. Par conséquent, pour constituer un marché autorégulateur, on crée une fiction marchande autour de l’environnement (nature et eau), la substance (travail) et la mesure (monnaie) de l’activité humaine de production. Pour saisir avec une approche Polanyienne en quoi le marché de l'eau repose sur une fiction, il est nécessaire de préciser ce qu’est une marchandise. Selon l’anthropologue, les marchandises sont des objets produits pour être vendus. On peut distinguer deux composants dans cette définition, un critère de production et un critère de validation (Postel 2010). A l’aune de ces deux critères, l'eau ne peut être considérée comme une marchandise puisqu’en substance elle ne résulte pas d'un processus de production, et la finalité de son existence n’est pas d’être vendue sur un marché. L’eau est un bien naturel, c’est-à-dire existant à l’état de nature. Elle est une ressource naturelle renouvelable qui n’est pas le produit d’un processus de production capitaliste. De 43 plus, l’eau ne possède pas les propriétés intrinsèques que possèdent les marchandises classiques. Elle est un bien fluide, de substance indissociable en pièces distinctes, homogènes et mobiles. L'eau est un corps liquide constamment en mouvement formant un cycle indivisible appelé le cycle hydrologique. Son cours est erratique, incertain et irrégulier dans le temps et dans l'espace et ne respecte pas les limites et frontières politiques ou juridiques humaines. Cette mobilité et incertitude rend difficile l’établissement de titres d’appropriation de l'eau, et son transport. L’eau se caractérise par la multiplicité de ses usages. Son utilisation est vitale pour la consommation domestique et humaine et essentielle pour l'agriculture, la production hydroélectrique et d’autres secteurs industriels. Elle constitue donc un bien rival mais dont l'exclusivité est rendue difficile45. Il existe une interdépendance de fait entre les différents usagers de l'eau dû au cycle de l'eau. Toutes modifications des conditions de l'eau en un point déterminé de son cours entraine des répercussions en aval46. L’environnement naturel et les conditions climatiques déterminent le tracé, et le débit de la ressource. Ce qui signifie que les caractéristiques propres de l'eau à l'état de nature sont liées à des faits naturels et ne dépendent pas d'une intervention humaine. Des tentatives pour provoquer des précipitations d'eau de pluie dans la cordillère des Andes47 ont été réalisées dans le but de réduire les poussières produites par le processus de production minier. Mais ils provoquent des pluies acides, qui contaminent les eaux superficielles et souterraines de l'ensemble des cours d'eau de la région. Les infrastructures visant à stocker ou à dévier l'eau de son cours naturel conduisent à une modification de l'écosystème et de l'accès habituel des riverains à l'eau. Ainsi, toute emprise exogène et inhabituelle sur le cycle de l'eau peut provoquer des externalités sociales et environnementales importantes (Jouravlev 2002). Plus qu’une marchandise, l'eau est une ressource vitale et fondamentale pour la reproduction de la vie humaine, animale et végétale. C’est pourquoi pour certains l’eau ne peut avoir de prix. L’accès à l’eau est un droit fondamentale et l'exclusion à son accès est intolérable (Petrella). A partir de la seconde moitié du XXème siècle, l'explosion de la consommation d’eau notamment en milieu urbain, et l’accélération de l’usage industriel de l’eau, a 45 Un bien rival est un bien dont la consommation par un individu a des effets sur la quantité disponible de ce bien pour les autres individus. Un bien exclusif est un bien qui n’est pas accessible à tout le monde. 46 Les interrelations et interdépendances entre les usages et les usagers de l'eau sont de natures unidirectionnelles, asymétriques et anisotropiques (Jouravlev A., Dourojeanni A. 1999). 47 Valle de Huasco Barrick gold minière. Ce processus appelé Bombardement de nuage, consiste en une injection d’iodure d’argent ou de glace carbonique dans les nuages. 44 démultiplié les potentialités de pollutions des ressources. L'eau potable s’est convertie en une ressource rare qui a été à ses débuts prise en charge par l’Etat sous forme de service public. Dans ce cas uniquement, l'eau potable résulte d'un processus de production, mais elle est considérée comme un bien public et son prix ne correspond pas au coût marginal de production (Allain 2011). D'autre part, dans les représentations cognitives humaines l'eau n'est jamais exclusivement assimilée à un bien économique, privé ou publique, mais à un patrimoine commun. Les sociétés humaines ont en tout lieu et de tout temps attachées aux ressources hydriques des significations et des représentations distinctes déterminées par l'usage qu'elles en font (voire partie B.1.a). L'eau possède des significations culturelles, politiques, symboliques et religieuses qui font d’elle un patrimoine commun. Pour les populations de cultures indigènes, par exemple, l'eau appartient à la Terre mère, elle est la pierre angulaire de la pérennisation de leurs cultures, leurs traditions et leurs coutumes et est de ce fait inaliénable (Yanez 2011). L'influence au niveau mondial à partir des années 80, du courant de l’économie de l’écologie dans l’élaboration des politiques publiques a conduit à transformer la représentation dominante de l'eau en un bien économique. Pour permettre la conversion de l'eau en une marchandise interchangeable sur un marché il est nécessaire de déterminer et d’appliquer des droits d'appropriations privées sur l'eau, exclusifs et transférables. Au Chili, la transaction des droits d’appropriation porte souvent préjudice aux populations environnantes et dégrade l’environnement naturel (INE 2010). Pour prévenir ou réduire ces externalités négatives et répondre à la multiplicité des usages de l'eau, il serait nécessaire de créer des institutions qui redéfinissent les droits d’appropriation adaptés à chaque situation de façon permanente et qui régulent le marché de l’eau (Jouavlev A. Dourojeanni A. 1999). Pour permettre une fluidité dans les échanges, l’ensemble des titres de propriétés devraient être inscrits et actualisés dans un registre public facilement accessible (Bauer 2002). Ces deux solutions supposent la création d’institutions spécialisées encadrant et régulant le marché de l'eau, ce qui entre en contradiction avec les théories néolibérales qui cherche à limiter l’intervention de l’Etat dans la sphère économique. La création d’une fiction marchande et les conséquences néfastes sur les ressources hydriques. 45 Les caractéristiques physiques de l'eau rendent difficile sa marchandisation. Pourtant, l’ordre capitaliste néolibéral institué depuis la dictature militaire fait du marché de l'eau une réalité. Le Code de l’eau institue le cadre normatif destiné à faire émerger de façon spontanée le marché de l'eau par le mécanisme désenchanté de l'économie de l'écologie. Ainsi, même si l'eau ne constitue pas empiriquement une marchandise, les économistes néolibéraux pensent qu'elle doit être traitée comme telle pour que le système de production capitaliste fonctionne. Il est à noter que pour K.Polanyi fictif ne signifie pas « imparfait ». Il se peut qu’un marché de l'eau fonctionne exactement comme le conçoit le modèle Walrasien du marché de concurrence pure et parfaite (Postel 2010). C’est le cas de l'application du marché de l'eau dans la région de Limari par exemple. K. Polanyi ne porte pas de critiques interne au fonctionnement économique de marché mais se centre sur les relations entre le système économique et la sphère sociale. Pour former une économie de marché et convertir la société en son auxiliaire, l’ordre néolibéral requière la conversion des trois éléments substantiels de la société humaine – le travail, l'environnement naturel, et la monnaie - en marchandise fictive. C’est pourquoi les piliers de la vie humaine et sociale sont placés artificiellement sous-évaluation marchande (Caille 2007). En reprenant une approche polanyienne, nous pouvons dire que la marchandisation de l’eau ne serait qu’une fiction à visée utilitariste et si cette fiction venait à se réaliser, elle conduirait à la destruction même du substrat hydrique.48 L’analyse factuelle découlant de l'application du Code de l’eau rend compte de la dégradation substantielle de l'eau et de la détérioration de sa distribution équitable. La fiction marchande créée par le Code de l’eau entraine une dégradation de l’environnement naturel et social de l'homme. Les processus rendus obligatoires, de régularisation des titres d'appropriation de l'eau sont des facteurs d'exclusions et d’inégalités pour l'accès aux ressources hydriques. Le déplacement d’un cours d’eau d’une région à une autre, sous prétexte d’une solidarité interrégionale ne fait que creuser le faussé d’inégalités de développement entre les régions. Les déviations des cours d'eau sont le produit d’une appropriation de l'eau par certains secteurs productifs performant avec un pouvoir d’achat élevé, au détriment de petits agriculteurs ou de populations rurales. 48 K. Polanyi explique dans La Grande Transformation que ‘‘Aucune société ne pourrait supporter, ne fut-ce que pendant le temps le plus bref, es effets d’un pareil système fondé sur des fictions grossières, si sa substance humaine et naturelle comme son organisation commerciale n’étaient pas protégées contre les ravages de cette fabrique du diable. ‘‘(Polanyi 1983, p. 107-109) 46 Puisque le Code de l’eau n’établit pas de priorité dans l’usage, l’appropriation des ressources par une minorité enrichie et informée conduit à l’appauvrissement des secteurs plus démunis. (Dourojeanni 1999). Le Code de l’eau n’établissant pas une obligation d’usage bénéfique et effective des titres a permis l’émergence de comportements spéculateurs et monopolistiques. C'est le cas de l'entreprise de production hydroélectrique Endesa privatisée en 1987. L’État chilien, lors de la privatisation du secteur hydroélectrique a transféré à l’entreprise d’ENDESA l'ensemble des titres d'appropriation de l’eau gratuitement, sans condition. Endesa forme ainsi aujourd’hui un monopole en matière de production hydroélectrique, qui représente 34 % de la production nationale d’électricité et 80,4 % des titres d'appropriation non destructeur (Bravo 2004). Ce monopole lui permet de déterminer l’offre seul, de façon à vendre l’électricité à son avantage. Cette situation constitue un frein pour le progrès technique et industriel du pays et pour le développement humain des populations (Doureojanni 1999). Par ailleurs, le Code de l’eau ne consacre pas une priorité pour l’appropriation d’eau à destination de la consommation humaine lors de l'octroi gratuit des titres par la DGA. Ainsi, les Comités et coopératives d’eau potable rurales sont obligés d’inscrire leurs droits d’appropriation en assumant le coût de la procédure administrative et de la surenchère lorsque le cas se présente. Toutefois la concurrence directe entre une demande pour usage domestique et une demande pour usage industriel lors d'une inscription de titre n’est pas récurrente. De fait, lorsqu’une rivalité est susceptible d'avoir lieu, les acteurs préfèrent extraire l'eau de façon illégale (Nicolas 2013). Ainsi la sécheresse, peut résulter d’un processus à la fois naturelle et politique dû à la surexploitation des ressources illégales par les hommes49.La pollution des ressources hydriques provoquée par l’accaparement des ressources et leur contamination par les secteurs industriels et agricoles sont un fait. Il donne lieu à de multiples conflits pour l'eau dont l'un des plus symboliques est celui ayant lieu dans le village de Los Caimanes50. L’application du Code de l’eau conduit également à une détérioration substantielle de la ressource et à une perturbation de son cycle naturel. La mise en place de système d’irrigation performant, notamment au compte-gouttes, pour améliorer l'efficience de l'utilisation de l'eau 49 La détermination des causes de la sécheresse font l’objet de débats entre les experts, les politiciens, les Associations et la population touchée par ce phénomène. 50 Voir le futur documentaire réalisé par Elif Karakartal à ce sujet. 47 provoque à long terme un assèchement des nappes souterraines. Les plantations d'eucalyptus dans le sud du pays conduisent également à leur assèchement. Cet assèchement réduit l'accès à l'eau pour les populations sur le long terme et modifie l'état géologique des zones concernées. La construction de barrages hydroélectriques, perturbent le cycle naturel de l'eau car l'obstruction de l'eau en amont modifie l'écosystème en aval et les conditions d'habitation des populations. L’absence de normes régulant la propriété des glaciers, a permis de lancer les débats sur la possibilité de vente des glaciers51à l’étranger, alors qu’ils contiennent l’ensemble des stocks d'eau douce du pays et forment les uniques sources d’eau potable. De plus, l’ensemble des industries citées ci-dessus utilisent dans leur processus de production des produits chimiques polluants. Ces produits, dissous dans l'eau sont souvent déversés dans la nature sans être traités puisque la législation en matière de protection environnementale est peu contraignante. La contamination émanant des industries minières sont considérables et touchent particulièrement les cours d'eau superficiels, les nappes souterraines et les zones côtières (INE 2010). Les institutions chargées d’appliquer la Ley Base del Medio Ambiente 52et de réaliser les études d’impacts environnementaux, possèdent peu de ressources pour surveiller et sanctionner les éventuelles effractions. C’est notamment dans les zones rurales excentrées, sorte de ``No mans land``, où très peu d’habitants ont la possibilité d’être informés et de contester les abus des industries minières hautement polluantes (Durston 2010). On constate un paradoxe résultant de l’application du modèle de l’économie de l’écologie : la création d’une rareté fictive par le prix pour protéger les ressources hydriques du gaspillage et de leur surexploitation a conduit à une raréfaction réelle de la ressource. Pourtant, il est difficile de remettre en question le Code de l’eau puisqu’il est directement lié à l’ordre économique érigé sous la dictature militaire et institué par la constitution. D’autant plus que ce modèle néolibéral représente une vitrine économique pour attirer les investissements étrangers, et pour pérenniser le modèle libre échangiste. La pression des firmes multinationales et des intérêts économiques nationaux pour préserver ce système économique est telle que la fiction marchande s’auto-génère à grande vitesse (Moulian 2002). Bien que les 51 Se reporter à l'article : Polemica en Chile sobre la posible venta de agua patagónica de glaciar a Qatar. Jorge barreno, 13/05/2013. El Mundo. eshttp://www.elmundo.es/america/2013/05/13/noticias/1368467966.html 52 Première loi de protection environnementale chilienne, entrée en vigueur en 1994, mais dont l’application reste très limitée (Larrain 2004). 48 conséquences sociales et environnementales néfastes provoquées par le désencastrement soient visibles, aucune institutions n’à la faculté de les en empêcher. Les conflits pour l’eau se multiplient et aucune institution publique n’est chargée de les anticiper ou d’en mettre fin. Les juridictions ordinaires sont surmenées et ne possèdent pas les compétences pour trancher les conflits de l’eau (Larrain 2010). Toutefois, depuis les années 90, une prise de conscience environnementale prend forme par la création de groupes écologiques qui font pression sur l’Etat pour la rédaction d’une loi de protection environnementale : la Ley Bases del Medio Ambiente (Salazar 2012). Après de longs débats, une modification du Code de l’eau a été établie en 2001, pour éviter les comportements spéculateurs. Elle rend obligatoire l'usage effectif du titre après 5 ans de détention (Szigeti 2013). Homogénéisation des modes de pensées et des comportements La pertinence de l’analyse des marchandises fictives de K. Polanyi, est de dénoncer et avertir sur l’effet insoutenable de la fiction marchande sur la réalité sociale. Cette fiction marchande a un pouvoir performateur sur les représentations individuelles. En appliquant à l’ensemble de la vie sociale les logiques du marché, elle oblige les individus à se comporter en fonction des attentes des logiques du marché. Elle procède à une évacuation de l'altérité et réduit à rien la dimension éthico-politique de la vie humaine. L'intérêt individuel devient le fondement de l'économie, puisque la marchandisation fictive de l’environnement social-humain-naturel conduit à l’affirmation du primat d’un mode de rationalité technique, utilitaire et instrumentale dans les affaires humaines. Progressivement, l’objectif d’efficacité productive devient un fondement du comportement humain (Bugra 2005, Caillé 2001). En ce qui concerne le service de distribution de l'eau en milieu rural, l’évolution des comportements des dirigeants des comités et des coopératives d'eau potable témoigne de cette modification progressive des comportements humains. La pénétration de la pensée économiciste au sein des comités et des coopératives d’eau potable modifie les attitudes et les prises de décisions des dirigeants sociaux. Par exemple, les membres du comité directeur osent couper l’eau des autres membres de la communauté alors qu’auparavant ils le refusaient puisque cela entrait en contradiction avec leurs principes éthiques et leurs valeurs (Nicolas 2013). La généralisation de ce comportement conduit selon K. Polanyi a une disparition progressive des institutions sociales puisque l’action fondée sur la raison pratique qui les génère disparait. 49 Toutefois cela ne repose que sur une fiction marchande, et l’approche substantive souligne que l’économie est toujours encastrée dans les relations sociales, politiques et environnementales. A.2 L’économie demeure encastrée dans les relations sociales, politiques et environnementales. Le principal apport de K. Polanyi en anthropologie économique est de redéfinir le terme « économie » qui selon lui a été cantonné à son sens formel par les économistes néoclassiques. La seconde signification, dite substantive, provient du constat que les hommes ne peuvent vivre durablement sans entretenir des relations entre eux et avec leur environnement naturel, pour acquérir les moyens et conditions nécessaires à leur subsistance (Polanyi 1944). Carl Menger, père fondateur des théories néoclassiques, avait fait dans son ouvrage Principes d’économie politique(1871), cette distinction entre la définition de l’économie qui fait référence à l’insuffisance des moyens et celle qui répond aux nécessités physiques de l’homme en relation avec son environnement. Pourtant, cette discussion a été délaissée par les penseurs néoclassiques contemporains, et dans l'ensemble des sciences humaines et sociales l'économie a été assimilé à son sens formel. Cette simplification de la réalité a occasionné selon K. Polanyi une rupture totale entre l'économique et le vivant. La réduction du champ de la pensée économique a entrainé un réductionnisme économique pour comprendre l’action des individus et l'ensemble de la vie politique et sociale (Polanyi. Les principes du Code de l’eau de 1985 révèlent la prégnance de la pensée économique néoclassique centrée sur une définition formelle de l’économie. Les critiques de l’anthropologie substantive aux visions reposant sur l’économie classique et néoclassique permettent de comprendre et déceler les limites constitutives du Code de l’eau. A.2.a Les motivations humaines non réductibles à des actions rationnelles en finalité. Les principes du Code de l’eau de 1985, assimilables au modèle de pensée de l’économie de l’écologie ont été élaborés à partir du postulat selon lequel les actions économiques des individus sont motivées par ce que M. Weber a appelé une rationalité instrumentale en finalité. D’après le courant de la nouvelle économie de l’eau, le fait d’assigner un coût à l’eau, doit inciter les individus à rationaliser leur usage, et leur permettre de vendre les titres d’appropriation excédentaires afin de percevoir une rente pour non utilisation de l'eau. Si le marché de l'eau doit permettre de réduire les gaspillages et d’améliorer l’efficience de son 50 usage par une réallocation des ressources vers les secteurs qui en feront un usage plus bénéfique c’est en supposant que l'ensemble des individus se comportent comme des homoeconomicus. Les motivations des individus seraient exclusivement économique, ce qui conduit à nier les autres formes de motivations humaines qu’elles soient politiques, religieuses, culturelles ou éthiques. Cette représentation nie la dimension éthique et politique de la vie humaine en réduisant l’action humaine à une logique mathématique.(Petit 2009 a,b) Or, l’analyse factuelle du monde social gravitant autour du marché de l'eau montre que les motivations individuelles sont multiples et variées. Les croyances et les valeurs des individus constituent un frein pour le fonctionnement logique du marché de l'eau, et conduisent parfois au rejet de son existence même. Les agriculteurs ne fondent pas leur choix sur la seule rentabilité escomptée à court terme par la vente de titres d’eau excédentaires. Face à la crainte de manquer d'eau en période de sécheresse, phénomène climatique cyclique récurrent, les agriculteurs, bien qu'ils aient compris le système du marché de l’eau préfèrent garder les titres en réserves notamment lorsque la répartition des ressources se fait proportionnellement. Certains facteurs externes comme les conditions climatiques, déterminent les prises de décisions individuelles qui ne sont pas uniquement le résultat d’un calcul économique (Doureojanni 1999). Certaines personnes refusent de considérer l'eau comme une marchandise et de participer au marché de l’eau. Plus qu’un animal économique l’homme est un animal politique. Les valeurs pèsent sur les prises de décisions individuelles. L'eau représente pour beaucoup un bien vital précieux et inaliénable. Il est inconcevable d’attacher à la ressource un titre de propriété, moins encore, de le séparer de la propriété de la terre. Pour des raisons éthiques ou politiques de nombreuses personnes refusent de participer au marché de l'eau et d’inscrire les droits d’appropriation de la ressource. Les cas d’appropriation illégale des ressources en connaissance de cause sont fréquents, surtout dans les zones rurales excentrées (Yanez 2011). Les poids de la tradition et de l’histoire sont importants surtout en milieu rural, et en ce qui concerne les systèmes sociaux de distribution des ressources organisés par les associations d'usagers. Malgré les modifications du cadre normatif et l'édification d'un système politicojuridique qui incite le déploiement d’une rationalité instrumentale en finalité, les individus continuent d'utiliser les méthodes de gestion de l'eau héritées de leurs ancêtres, qui forment des systèmes hybrides provenant à la fois du système colonial et des modes de gestion 51 indigènes (Brown et al 1982 Brown et Ingram 87, Maass et Andeson 78 cité par Doureojanni 1999). Dans un processus de syncrétisme historique, les modes de vies des populations de cultures indigènes53 se sont modernisés tout en préservant certaines coutumes et traditions. Leurs systèmes de représentations et de croyances ne correspondent pas à celles propres des sociétés modernes occidentales rationnalisées. Puisque le rapport à l'eau était structurant pour les populations originaires, le lien des populations de cultures indigènes actuelles aux ressources hydriques et à leur environnement naturel reste primordial. D’autant plus que l’eau est une ressource essentielle pour la reproduction de leurs modes de vie qui reposent principalement sur une agriculture familiale. Pour ces populations, l'eau constitue un patrimoine commun inaliénable (Yanez 2011). L’inexistence d'une participation active de ces populations sur le marché de l'eau ne s'explique pas par un refus fondé sur des principes et des valeurs spécifiques. Il repose sur une incompréhension et inadaptation aux logiques de fonctionnement qui établissent et sont établis par le marché de l'eau (Doureojanni 1999). Depuis la période coloniale, l’ampleur de ce « choc culturel » a obligé les pouvoirs publics à reconnaître les droits d’accès coutumiers sur l'eau des populations indigènes54 (Gentes 2001). Ainsi, force est de constater que la rationalité instrumentale en finalité n'est pas la seule motivation à agir de l'homme. Pour ces populations, la formalisation même de droit d'accès coutumier repose sur un mécanisme dénué de sens. C’est pour quoi dans le nord, des populations ont vendu leurs droits à des entreprises minières entrainant de grave problème pour l'agriculture locale et le développement des communautés indigènes (Bauer 19959). Ce choc de logique entrave de fait la formalisation des droits de propriétés à échelle nationale, point structurant de la consolidation du marché de l'eau. A.2.b Les limites d’une valorisation économique par les prix des biens environnementaux. L'économie de l'écologie procède à la valorisation monétaire des ressources naturelles, puisque les problèmes de l’environnement seraient liés aux dysfonctionnements du marché. Pour contrôler les externalités négatives du marché sur les ressources hydriques, la solution 53 Les populations de cultures indigènes représentent 4,58 % habitants au Chili. Elles se concentrent dans les zones rurales des Régions II, VIII, XI. 54 De fait, ces protections ont rarement été totalement reconnues et respectées. 52 serait de procéder à la réinternalisation des externalités négatives. Par ce mécanisme, la pollution et la surexploitation de l'eau représenteraient un coût que devront supporter les individus ce qui devrait les inciter à utiliser les ressources de manière efficiente. Selon cette approche, la valorisation marchande de l’eau doit permettre de rationaliser son usage (Aubertin 2001 Passet 1996). Pourtant en vertu de l'application du marché de l'eau, l'analyse factuelle montre que le prix escompté de la vente de l'eau n'incite pas les agriculteurs à faire un usage plus efficient des ressources pour éviter la surexploitation. Après la mise en application du marché de l’eau, les principaux investissements réalisés par les agriculteurs visaient à améliorer leur productivité totale ou à réduire les coûts de maintenance de leurs infrastructures. Aucune opération visant une amélioration du système d’irrigation n’a été répertoriée (Bauer 2002). Il n’existe donc pas de lien de causalité entre l’affectation d'un prix à l'eau et l’investissement pour la rationalisation de son usage. L’idée répandue par Perce et Moran selon laquelle « We don’t protect what we dont value » ne se vérifie pas empiriquement en milieu rural (Meral 2002). Dans le Programme d’Eau Potable Rural, l’une des justifications de l'implantation progressive d'un système de tarification de l’eau est la limitation du gaspillage de l’eau pour la consommation domestique. Or, dans les Comités et les Coopératives d’Eau Potable Rural les effets constatés sur le comportement des individus sont contraires à ceux attendus. Il est récurrent de voir une surconsommation d’eau légitimée selon eux par le fait de payer pour la possession de l'eau. Etre propriétaire de la ressource leur donnerait un droit d’usus sans limites. Pour modifier ce comportement, les dirigeants des Comités et des Coopératives d'Eau potable Rural, mettent en place des programmes d'éducation environnementale pour les jeunes et les adultes. L'éducation et la formation cherchent à construire une prise de conscience environnementale en faisant appel à l'éthique des individus plutôt qu'à leurs instincts égoïste (Nicolas 2013). Il s’agit d’attacher aux ressources hydriques, une valeur autre que la valeur économique déterminée par les prix du marché. La pression sociale du voisinage contribue également à limiter le gaspillage des ressources. Ces situations révèlent que l’économie de ces organisations est assimilable à une économie patrimoniale en ce qu’elle repose sur « des attributs particuliers – les valeurs, les prix, et les institutions de régulations - et une rationalité spécifique, qui vient de l’ancrage dans 53 le temps et l’espace des communautés humaines ».55 A.2.c Le marché de l'eau est une construction sociale et politique. Une création politique sous influence de l'idéologie néolibérale. Selon les économistes classiques et néoclassiques, le marché est un processus qui apparait spontanément lorsque l’offre et la demande pour un bien donné se rencontre. Ce que conteste K. Polanyi de cette vision est la croyance en l’autorégulation du marché, par une supposée main invisible qui conduit à un équilibre général et donne lieu au bien-être social. L’État et les institutions n'ont pas de place dans la création et la régulation du marché. Les penseurs néolibéraux se positionnent dans la continuité de cette pensée économique en admettant toutefois, la nécessité de règles et d’institutions légales vouées uniquement à favoriser le fonctionnement des mécanismes de marché, c’est-à-dire les négociations interpersonnelles et les transactions privées sans une intervention directe dans l’économie (Dardot 2009). Or, selon K. Polanyi, le marché est un construit social provenant d’un processus de choix politiques et idéologiques avertis. Ces choix élaborent une architecture institutionnelle et une série d’instruments politico juridiques qui permettent l’émergence du marché. Le marché de l'eau de 1985, advient à partir d’une série de changements institutionnels et de négociations politiques qui ont conduit à sa promulgation (voir B.1.a). Cette construction politique repose sur la croyance en la « tragédie des communs », théorie développée par Hardin en 1968 qui eut un impact idéologique à travers le monde. Selon Hardin, les biens communs en libre accès sont voués à être surexploités en absence de propriété privée ou de leur nationalisation. Il donne l'exemple des prés communaux, où chaque éleveur dispose d’un accès libre et gratuit au pré. Comme aucun éleveur n'intègre dans son calcul économique le coût de la ressource, le surpâturage conduit à la destruction de la ressource et du bien-être de l'ensemble des éleveurs (Gardin 2004). La pensée néolibérale alors en formation, reprend la théorie en prônant la nécessite de constituer la propriété privée sur les ressources naturelles, ce qui devient le pilier structurant du courant de l'économie de l'écologie. L’idée selon laquelle il est nécessaire de déterminer des titres de propriété privée sur les ressources naturelles devient une pensée hégémonique en 55 VIVIEN, F-D., « Pour une économie patrimoniale des ressources naturelles et de l'environnement ». Paris : Mondes en développement, 2009/1 n° 145, p. 11 54 matière économique relayée par les institutions internationales (Meral 2012). Elle influe sur l'élaboration de l'ensemble des politiques publiques au niveau mondial, dont l'une des émanations et le Code de l’eau chilien de 1985. Cependant, en 2009, E. Ostrom remporte le prix Nobel d’économie en renversant la théorie de la tragédie des communs. Aux côtés des biens publics et des biens privés, elle détermine l’existence de biens hybrides mixtes, qu’elle appelle les « Commons-pool-ressource » (Ostrom 2010). Il ne s’agit pas de biens, mais d’une mise en commun de ressources qui donne lieu à une gestion collective par leur usage et leur partage. A cet effet, elle remet également en question la pensée de P. Samuelson et R. Musgrave, selon laquelle les caractéristiques des biens sont liées à la nature intrinsèque des ressources. Selon E. Ostrom, aucune ressource n'est par nature un bien commun, public ou collectif. Cette catégorisation découle d'un choix politique et d’une construction institutionnelle qui établit les modes de gestions de ce bien. Le Code de l’eau de 1985 repose sur le postulat - et donc la croyance- selon laquelle l’eau serait un bien économique privé. À partir de cette conception il créé un cadre institutionnel qui gère les ressources hydriques comme s’il s'agissait d'une marchandise. C'est donc sous l’hégémonie de la pensée néolibérale au Chili à partir de 1975 que la construction politique et institutionnelle du marché de l'eau a pris forme. Le marché de l'eau est encastré dans les relations sociales et les institutions. Le Code de l’eau de 1985, créé les conditions juridico-politique nécessaires pour permettre l'émergence spontanée du marché de l'eau. Or, l’analyse factuelle montre que ce marché reste inactif. Lorsqu'il est actif, il ne réalise pas les effets escomptés. L’intervention de l’État a été nécessaire pour rendre le marché actif et pour garantir l'atteinte des objectifs du marché. Cette analyse empirique des faits permet de poursuivre la pensée de K. Polanyi et discuter l'existence d'un marché autorégulé. Les rapports sociaux et l'apport des institutions sont essentiels pour la réalisation des échanges marchands. Au-delà des résistances individuelles (voir A.2.a), le marché de l'eau ne surgit pas de façon spontanée comme les économistes néolibéraux le prétendent. La forte volatilité des prix de l'eau liée à l’instabilité de la disponibilité de la ressource due aux changements climatiques, conduit à des situations où la négociation du prix de l'eau se fait localement au cas par cas et on sur un marché national. De fait les échanges interrégionaux sont peu fréquents. Le prix de 55 l'eau ne se fixe pas sur un marché de l'eau national et ne structure pas la production comme la fiction marchande le voudrait. Les transactions se déroulent localement et de manière informelle, sans suivre les procédures dictées par le Code de l’eau (Doureojanni 1999). Un cas typique est la vente des excédents d’irrigation d’un producteur agricole à l'entreprise sanitaire locale qui traite l'eau pour la revendre aux consommateurs urbains. De manière générale, le marché de l’eau est inactif voire, inexistant (Bauer 1996). L’offre de titre sur le marché est peu fréquente. Les excédents d'eau constituent une assurance pour les producteurs en cas de sécheresse. De plus, vendre les titres d’appropriation de l'eau entraine une baisse de la valeur économique de la terre. La demande de titre est également faible puisqu’il existe une série d’alternative viable avant l’achat de nouveaux titres, notamment par l’utilisation de pesticides, l'extraction d'eau illégale, l'achat de droits contingents56 ou encore l'accroissement de la demande du débit des titres d'eau souterraine. De plus, la rigidité des canaux d'irrigations artificiels, construits et surveillés par les communautés d’eau empêche la modification rapide des conductions d'eau et rend difficile l’achat et la vente des titres d’appropriation (Bauer 1996). De fait, l'application du Code de l’eau induit la formation de situation monopolistique et de comportements spéculateurs, deux situations perverses qui sont aux antipodes du modèle de marché de concurrence pure et parfaite de L. Walras. La réforme du Code de l’eau de 2001, rend compte de la nécessaire intervention étatique pour permettre l’existence des échanges sur le marché (Szigeti 2013). Lorsque les transactions ont eu lieu, l'analyse factuelle montre que celles-ci n'ont pas conduit à une meilleure efficience dans l'usage de la ressource et une amélioration de la productivité. C’est ce que démontre une étude de terrain réalisé par C. Bauer (1996)sur les effets du marché de l'eau dans le secteur agricole qui constitue le secteur le plus actif en matière de transactions. C. Bauer explique que les échanges sont plus nombreux dans le Nord. Dans ces régions, les ressources sont plus rares et on applique une agriculture intensive caractérisée par son intensité capitalistique. Il s'agit essentiellement d’industries agroalimentaires de production de fruits et de légumes méditerranéens destinés à l'exportation. Sur 30 000 hectares de terres C. 56 Les droits contingents sont opposés aux droits permanents. Ces droits autorisent les bénéficiaires d’utiliser les ressources excédentaires après s’être répartis les ressources des droits permanents. 56 Bauer compte 275 titres vendus. Dans les régions situées plus au sud, les cultures annuelles sont destinées aux consommations courantes et nationales. Les produits nécessitent beaucoup d'eau et les technologies de productions et d’irrigations sont faibles puisque les ressources hydriques abondent. Sur 75 000 hectares de terres C. Bauer compte 150 titres vendus. C. Bauer montre que le secteur agricole est plus productif dans les régions du Sud que dans celles du Nord. La productivité et le dynamisme du secteur ne sont pas liés à l’échange de titres d’appropriation de l'eau puisque malgré l’importance des échanges dans le nord, et les différences dans les caractéristiques de l'organisation de la production et la productivité, les régions du sud restent plus productives. Selon lui la différence s'explique par les conditions climatiques : au sud le climat humide et frais favorise la production. Par ailleurs, dans les régions dans lesquelles les transactions des titres semblent avoir amélioré l’efficience de l'usage de l'eau et la productivité du secteur, il semble que l’intervention de l’Etat a été fondamentale. Hearne étudie quatre secteurs agricoles différents : Maipo, Elqui, Azapa et Limari et seul le bassin de Limari constitue un exemple de dynamisme productif associé à une rationalisation poussée de l'usage de l'eau. Selon Hearne cela s'explique par les conditions particulières des ressources hydriques dans le bassin de Limari liées à l’intervention directe de l'État. En effet le MOP a construit trois grands réservoirs d'eau qui permettent de stocker et de transférer l'eau de manière continue et constante, ce qui constitue une situation extrêmement rare au Chili et a permis de mettre en place des méthodes d’utilisation des ressources perfectionnées (Bauer 2002). Enfin, le renforcement de la propriété privée sur les titres d'appropriation de l'eau n’a pas incité les acteurs privés à investir en matière d'infrastructures d'irrigations. Le gouvernement chilien a du subventionner la construction des infrastructures à maintes reprises depuis 1985 (MOP 2003). Sans l’existence d’institutions et sans les interventions directes de l'État en matière de politiques hydriques, le marché autorégulé de l'eau demeure inexistant ou ne réalise pas les objectifs pour lesquels il a été créé. Cela prouve que tout instrument économique, comme le marché, est un fait institutionnalisé, et les rapports marchands restent toujours intimement encastrés dans les rapports politiques et sociaux environnants. 57 A.2.d La privatisation du service et le sophisme économiciste La décision de privatiser les secteurs dans lequel l’État détenait un monopole de service public révèle l’existence d’une croyance en la supériorité de l’économie marchande et l’identification de l’entreprise moderne à l’entreprise capitaliste (Laville 2004). En reprenant l’approche Polanyienne, la privatisation du service de distribution de l'eau témoigne de l’existence d'un sophisme économiciste. Ce sophisme signifie la tendance qui surgit dans une société de marché à poser une équivalence entre l'économie humaine et sa forme marchande. Il s'agit d'une croyance communément partagée qui surgit avec la négation du sens substantif de l'économie et qui définit principalement l'économie sous sa forme formelle (Polanyi 2007). Le marché devient le principe économique fondamental niant l’existence des principes de redistribution et de réciprocité, et l’ensemble des rapports économiques sont réduits à la logique de l'allocation des moyens en situation de rareté. Cette croyance devient une prophétie auto-réalisatrice puisqu’elle performe la réalité en établissant le processus de construction politique qui conduit à la privatisation d'un service qui était jusqu'alors public (Polanyi 1944). Au Chili, l'idéologie néolibérale reprend cette croyance en la supériorité du marché sur les autres formes d'organisations économiques. La modernité capitaliste devient synonyme de marché autorégulé et rend caduque l'interventionnisme étatique dans son rôle de redistribution et de gestion des services publics (Moulian 2002). Le rôle d’Etat entrepreneur est supprimé par la séparation progressive de ses fonctions politiques et économiques. Le processus de privatisation du secteur de distribution de l'eau en milieu urbain a consisté tout d’abord en une séparation des fonctions de régulations et opérationnelles de l’entreprise publique. Ensuite il a consisté en la recherche de l’autosuffisance financière de la fonction opérationnelle, pour enfin permettre sa conversation en société anonyme ou établir des concessions privées sur le service. (voir B.2). L’influence de l’école néolibérale de l’eau a été décisive pour la légitimation de la privatisation. A l’instar d’E.Ostrom, les néolibéraux remettent en question la théorie de P. Samuelson, selon laquelle un bien public, défini par la nature intrinsèque du bien, doit être assumé sous forme de service public par l’Etat. Ils établissent une séparation entre la nature intrinsèque des biens et leur statut pour justifier la création de « service d’intérêt général ». La prestation de ces services, traditionnellement publics, est prise en charge par une entreprise privée au travers d’une concession et de l’élaboration d’un cahier des charges. Ce mécanisme 58 rend légitime l’ensemble des processus de privatisations des services publics (Dardot 2010). Pourtant, sans l'intervention première de l'État, dans les années cinquante, aucune entités privées n'auraient réalisé les investissements de départ pour attribuer le service d'eau potable. Aujourd’hui cette privatisation pose des problèmes car elle ne répond pas au besoin vital de l'ensemble de la population. Elle a pris la forme d'un partenariat public-privé particulièrement dérégulé. L’Etat n'a que de faibles pouvoirs en matière de surveillance et de contrôle du secteur. La faiblesse de la législation en matière de surveillance des entreprises sanitaires et du cahier des charges empêche un contrôle rigoureux des infrastructures et de la potabilité de l'eau (Larrain 2010). A plusieurs reprise la qualité du service fourni, a été remise en cause pas la société civile, le plus souvent après des accidents qui ont provoqué des coupures d'eau. Par exemple, le dernier en date fut la coupure d’eau à Santiago laissant 4 millions de personnes sans eau potable plus de 48 heures. Par ailleurs, aucune norme n'oblige les entreprises sanitaires à répondre de manière indiscriminée à la demande effective en eau potable des populations en milieu urbain. Ce qui laisse le libre choix aux entreprises sanitaires privés de garantir ou non l'accès à l'eau potable57. La privatisation du service repose sur la logique qu’Aristote a appelée chrématistique, qui se caractérise par une logique d'accumulation pour elle-même. Selon le philosophe grec, cette logique est contraire à la nature humaine et nie les besoins matérielles des populations, nécessaires à leurs subsistances. Les entreprises sanitaires privées sont mus par le lucre (Azam 2008). Depuis la privatisation du secteur sanitaire, le prix de l'eau a augmenté de façon constante et continue. Ce processus serait insoutenable sans l’existence de subventions à la consommation d'eau potable. Ce phénomène confirme la non viabilité de l’économie formelle pour la subsistance humaine. Le déploiement du principe économique de redistribution est nécessaire pour répondre aux besoins fondamentaux de l'homme. Ceci révèle la prééminence et l'omniprésence de l’économie dans sa forme substantive. La propagation du discours fondé sur la croyance en la suprématie de l’économie sous sa forme marchande comme unique vecteur de progrès est à l'œuvre en milieu rural chilien. Le débat législatif actuel concernant la nouvelle loi sur le secteur sanitaire rural révèle l’existence 57 Une réforme de la loi est actuellement en débat dans la Commission parlementaire des Ressources Hydriques. 59 d’une volonté de privatiser les organisations communautaires d’eau potable. La privatisation, est perçue comme la seule forme économique qui puisse permettre une efficience dans la distribution du service de l'eau potable en milieu rural. La recherche de l’efficience et du lucre devient plus importante que l’équité et le respect des valeurs et codes de fonctionnent communautaire. La gestion communautaire de l'eau est stigmatisée, elle est vue comme conflictuelle et inefficace. Pourtant ces mêmes organisations sont à la tête d’un contre-mouvement plus large formé par la population civile qui questionne le processus de marchandisation de l’eau et de privatisation du service. B Les résistances au processus de marchandisation et de privatisation de l'eau, analyse du « contre-mouvement » civil chilien. K. Polanyi (1944) décrit dans son œuvre l'existence d'un double mouvement simultané : le processus politique d’instauration d'une économie de marché et celui d'un contre-mouvement qui cherche à limiter la dégradation des conditions de vies provoquées par la société de marché. La force de ce contre-mouvement c’est qu’il remet en question politiquement l’existence même de l’économie de marché. Aujourd’hui ce contre-mouvement est assimilable à ce qui est communément appelé la société civile. Celle-ci constitue l’ensemble des rapports sociaux qui ont lieu en dehors de la sphère familiale et domestique, qui offrent la possibilité de coopérer à des taches d’intérêt commun en dehors du cadre de l’Etat ou du marché. Ces rapports supposent une association libre avec d’autres personnes qui « donne la priorité à la passion pour l’objet et le but poursuivi par l’association sur les intérêts d’argent ou de domination ». 58 La société civile n’est pas homogène, elle est constituée d’une pluralité d’acteurs qui entretiennent des rapports de forces parfois conflictuels. Les travaux de recherches réalisés sur la société civile, sont souvent frappés par une vision économiciste. Elle est souvent conçue comme un secteur subsidiaire, qui par sa souplesse remplace les rigidités des interventions étatiques. Ici nous adopterons une approche historique, en reprenant la définition large de J-L Laville (2012) qui préfère parler de mouvement 58 LAVILLE, J-L., «Les raisons d'être découverte/M.A.U.S.S/C.R.I.D.A. 2001, p. 61-141 60 des associations»', in Association, démocratie et société civile. Paris, La associationiste59, caractérisé par la création de lien social libre et volontaire entre les citoyens pour le bien commun. B.1 La capacité de la « société civile» à démocratiser l'économie. Le dépassement de la société de marché et la régulation du marché dépend de la capacité des acteurs à avoir une influence sur les décisions politiques économiques. Ce qui signifie que le réencastrement de l'économie ne prend forme qu'avec l'existence d’une solidarité démocratique. Celle-ci est constituée d’une part par les liens de réciprocité entre les citoyens consciencieux pour le bien commun, et d’autre part par les liens de redistributions mis en œuvre par la puissance publique et la reconnaissance de l’importance du mouvement associationniste. Selon J-L Laville (2012) les organisations qui mêlent les fonctions sociales et économiques, dites organisations d’économie sociale et solidaire, sont les seules capables aujourd’hui de démocratiser l'économie afin d'institutionnaliser une économie réencastrée dans les rapports sociaux et environnementaux. B.1.a Le mouvement associationniste et ses chances d’influer sur les politiques publiques. Selon l'approche néolibérale, il n’y a pas d'alternative possible, la société de marché signifie la fin de l’histoire. Pourtant, pendant les processus de désencatrement lancé par la Junte militaire, une résistance civile et populaire a émergé, malgré les restrictions des libertés politiques et individuelles. Nous adoptons ici l’approche de l'économie sociale et solidaire qui permet d’étudier les mouvements sociaux dans l'histoire en ce centrant sur les revendications des acteurs, cherchant à savoir s’il y a une remise en question politique du fonctionnement économique dominant (Laville 2011). Cette approche refuse l'atomisme et l’individualisme méthodologique, et porte attention aux pratiques sociales, éducatives et les engagements collectifs qui développent de nouvelles façons d'agir et de nouveaux régimes discursifs. Elle 59Description par J-Lavis de ce qu’il considère être un nouvel engagement public. `` Les citoyens constituent des organisations horizontales et réticulaires, qui favorisent une prise directe sur la vie associative. Le pouvoir y est décentralisé en un ordre acéphale ou polycéphale ; nombre de décisions sont prises ou réinterprétées et réajustées par des instances relativement autonomes ; aucun leader n’a de véritable pouvoir de commandement, sinon sur le fondement de son charisme. La structure organisationnelle est segmentée en une multiplicité de groupements localisés et autonomes, liés par des processus de fission et de fusion ; des réseaux ont une grande souplesse d’intégration ou d’engendrement de nouveaux groupements. ‘’ in Cefai D, “Politique de l’association : engagement public et économie solidaire Discussion de l’ouvrage Politique de l’association, par Jean-Louis Laville, Paris, Éditions du Seuil, 2010” Sociologies, Paris 2012 p. 6. 61 engage une analyse descriptive et compréhensive des pratiques sociales qui recomposent les relations entre l’économique et le social. Les mouvements associationnistes sous la dictature militaire (1973-1990). La répression engagée par la Junte militaire après le coup d'Etat avait pour but de détruire l'ensemble des agences publiques et organisations sociales représentatives du pouvoir populaire, mais il ne parvint pas à détruire ses racines historiques et ses fondements socioculturel. Le désengagement de la puissance publique des affaires sociales et économiques a fait surgir la propension autonomiste et la débrouillardise des populations vulnérables. Les luttes sociales prenaient deux formes : l’une formait une rébellion engagée contre le système dictatorial ; l'autre, des pratiques collectives de survie à partir de la création d'organisations sociales basées sur l’autogestion et sur une synergie collective pour résoudre les problèmes de vies matérielles (Salazar 2012). Cette dernière, se manifestait par la création d’ollas comunes, de talleres productivos60, de groupes de santé, d’écoles libres et de coopératives d’autoconstruction. Ces expériences signifiaient l'existence d'une économie populaire qui n’émergeait que par l’existence préalable d'une cohésion sociale et d’une identité collective suffisamment forte pour conduire à la solidarité des individus ensevelis dans une situation de précarité (Razzeto 1983). Ce pouvoir populaire qui émerge spontanément rend compte de la rupture des liens clientélistes entre l’ancienne masse populaire et l’Etat socialiste, et de leur conséquente transformation en de nouveaux acteurs sociaux. Les négociations pour organiser la transition démocratique ont été en partie dues à la montée des violences perpètre par les mouvements politiques armés61contre la dictature. Pendant la campagne pour le referendum en 1988, les partis politiques de la Concertation parviennent à unir l’ensemble des acteurs contre la dictature autour d’un vaste mouvement sociale qui donne la victoire du non avec un 54% et marque le retour à la démocratie. Dans un premier temps, le premier gouvernement conversationniste entend la pluralité des revendications des mouvements associationnistes. Mais rapidement les principes de la société néolibérale défigurent les fondements même de la spontanéité des mouvements sociaux contestataires. 60 Traduction non-officielle : marmite ou repas collectif, ateliers productifs. 61 Formées par le Frente Patriotico Manuel Rodriguez, le Movimiento de Izquierda Revolucionario et le Frente Lautaro. 62 Le retour démocratique : société civile fragmentée et dépolitisation. Depuis le retour à la démocratie, les associations citoyennes renaissent au travers d’une multitude de groupements sociaux qui donne lieu à une société civile hétérogène et fragmentée. Les mouvements sociaux se décomposent en plusieurs secteurs portant des revendications variées : féministes, écologiques, indigènes notamment Mapuches, 62 pobladores , d'éducation libre et populaire, des travailleurs, des paysans, des salariés, du secteur hospitalier etc (Salazar 2012). La prise de conscience concernant la « trahison » des partis de la Concertation est lente.63 Un basculement notable a lieu en 2006 avec la mobilisation des collégiens, appelé le mouvement des pingouins. Les mêmes étudiants mènent les mobilisations universitaires de 2001. A partir de ces mobilisations étudiantes, une convergence entre les différents secteurs de la société civile mobilisée prend forme, conduisant à la politisation des revendications. Des grèves nationales et des assemblées citoyennes municipales, régionales et de quartiers se créent autour d'une revendication centrale : la réforme constitutionnelle. Les mouvements sociaux critiquent les méfaits de la société néolibérale et prennent conscience que la pierre angulaire du système néolibéral est la Constitution de 1980 (Gaudichaud 2011). Malgré la puissance des revendications sociales et politiques les caractéristiques de la société civile et des individus révèlent la prégnance de l’idéologie néolibérale sur la sphère sociale. La majorité des groupements de la société civile ne portent pas de revendications politiques. Leurs membres se disent apolitiques et refusent les débats, perçus comme des conflits, liés au jeu démocratique (Moulian 2002). Le désencastrement politique implanté par le système néolibéral a conduit à une dépolitisation importante de la société chilienne. La faiblesse des liens entre les partis communiste et socialiste avec les bases sociales renforce cette politisation et inexistence d'alternative politique englobant (Salazar 2012). Un processus d'isomorphisme institutionnel sous la forme d’entreprise marchande caractérise le fonctionnement interne des organisations représentantes de la société civile, qui se traduit par une prévalence de ce qu’Alain Caillé (2001) appelle les associations civiles secondaires 62 Les habitants des colonies de peuplement caractérisées par des habitats informels à la périphérie des grandes villes. 63La population chilienne profitait du retour à la démocratie, il a fallu attendre l'oublie complet du passe démocrate-populiste des partis Concertationniste. Le niveau de vie permis par le boom consumériste entrainé par le développement libre échangiste et l’affaiblissement des idées marxistes-léninistes empêchent la croyance en la possibilité d’autre alternatives. De plus, à partir de 1990, l'ensemble des centres d'actions alternatifs surgis pendant les années 80 disparaissent : ONGs, groupes de luttes armées, les réseaux d'éducation populaire, le rock et l'églises des pauvres et des persécutés. 63 sur les primaires64. La puissance publique renforce ce processus par la mise en concurrence des organisations pour bénéficier d`aides et de subventions publiques. Le renforcement des exigences des programmes publiques conduisent à une professionnalisation des travailleurs sociaux. Les culpabilités et compétences priment sur les liens de solidarités qui deviennent secondaires. Cette tendance renforce la chute de la participation sociale de la population chilienne au sein des organisations et l’inexistence de l’élaboration de processus de démocratie directe. La précarisation économique des conditions de vie, les rythmes de travail et la situation d'endettement généralisée explique en partie cette baisse de l’engagement social et politique citoyens. L'émergence d'une culture de l’impossibilisme liée à la peur, la faiblesse de l'estime de soi des individus et la désespérassions face à la perte des droits anciennement conquis, accentue ce phénomène (Salazar 2012). L’inexistence d'une participation sociale massive favorise la naissance de spécialistes des nouvelles questions sociales, qui se transforment en porte-parole des groupements sociaux, de plus en plus coupés de la base. La déficience des conditions subjectives pour la création d’une alternative politique par les populations pauvres et la croyance en que seule la classe dirigeante peut se confronter aux problèmes des sociétés forme un terreau favorable à l’émergence de cette situation que l’on retrouve au niveau mondial65. Ce fossé entre des intellectuels spécialistes qui s'octroient le monopole de la représentation d'un problème et la base social souffrant de ce problème, conduit à des tensions entre acteurs de la société civile (Laville 2001). Une convergence autour du même mot d’ordre ne serait cacher des tensions politiques et idéologiques entre plusieurs groupes, c’est notamment le cas entre les ONGs écologistes du monde urbain et les communautés indigènes. L’existence d'un secteur d’économie sociale et solidaire ambivalent. Parmi cette société civile fragmentée, plusieurs mouvements sont porteurs d’initiatives assimilables à des expériences d’'économie sociale et solidaire. Ces expériences remettent en 64 Alain Caillé a élaboré une typologie historique des associations. Il définit les associations primaires, comme les associations étant proches du monde traditionnel dans lesquelles les interconnaissances et les liens de socialités primaires sont fondamentaux. Les associations secondaires, sont celles dans lesquelles l’appartenance dépends davantage des compétences professionnelles des individus. 65 « Il existe, conclut J.-F. Bayart, une rente de la critique sociale qui érige les porte-parole de celle-ci en interlocuteurs valables. Mais leur représentativité est sujette à caution, et leur reconnaissance risque d’éclipser des institutions dont la légitimité est autrement assise : celle des parlements » in Caillé Alain et Laville Jean-Louis, « Introduction », in Jean-Louis Laville et al., Association, démocratie et société civile La Découverte « Recherches », 2001 p. 7-13. p.7 64 question les modes de production existants ancrés dans une économie de marché. Leurs actions ne se cantonnent pas à une remise en question de la propriété privée, elles cherchent à démocratiser les rapports économiques, en définitif à réencastrer l'économie dans les relations sociales et environnementales en la rapportant à son sens substantif. Ces organisations économiques hybrides reposent sur une économie plurielle qui intègre des ressources marchandes, non marchandes et non-monétaires (Laville 2011). Toutefois, leur capacité à remettre en question politiquement le système économique national reste limitée. Le développement d’activité économique marchande informelle, communément appelée économie populaire constitue une hybridation entre le principe de marché et de l'activité domestique (Razetto 1983, Corragio 2011). La contestation politique de l'économie attachée à ses activités a souvent été négligée et niée. Cela était dû à un stigmate attaché à ces activités considérées comme étant situées à la limite de la légalité et développées par les populations marginales dans les interstices spatiaux urbains. Dans un contexte de précarité et de prégnance de l’individualisme, le développement d'activités individuelles peut l'emporter sur l'engagement collectif. Mais l'économie informelle est composée d’une pluralité d’activités, et Luis Razeto (1983) distingue en son sein les OEP Organisations d'Économie Populaire caractérisées par l’existence d'une forte cohésion sociale et du partage d’une identité collective qui témoigne d’une volonté pour un engagement politique collectif commun. C'est le cas des pobladores chiliens qui ont toujours mêlés activités économiques et revendications politiques (Kornbluth 2011, Salazar 2012). Les communautés indigènes en milieu rurale développent des modes de production, de consommation et d’échange reposant sur une économie hybride. Les populations indigènes représentent leur monde social comme un tout, gouverné par un ordre moral sacré intimement lié à l'environnement naturel. Les principes de réciprocité et de distribution au sein de leurs communautés ont plus d'importance que le principe marchand. Toutefois cette communauté reste isolée, peu connue de l'ensemble de la population chilienne et les revendications politiques des réseaux indigènes sont cooptés par l’agence nationale CONADI, par laquelle les communautés ne se sentent pas représentées. Le gouvernement chilien ne reconnait pas les particularités des communautés indigènes (Observatorio ciudadano 2009) Depuis quelques années des communautés écologiques, développant la permaculture, se sont 65 formées dans les espaces périurbains, proches des cordillères. Elles ont été créées par des personnes lassées de leurs quotidiens cherchant un retour au mode de vie plus traditionnel et respectueux de l'environnent. Cette néoruralisation témoigne d’une volonté de changer de mode de subsistance en réaffirmant les solidarités sociales réciprocitaires et le respect de l'environnement. Toutefois, ces expériences ponctuelles, bien que porteuses d'un discours politique, restent des secteurs autonomes, en voie d'être récupérées par l'économie capitaliste sous la forme d’un tourisme écologique naissant (Gautrat 2004). Aujourd’hui des organisations spécialisées66 dans le domaine de l’économie sociale et solidaire émergent au Chili et se convertissent en des organisations d'appuis aux organisations d’économie sociale et solidaire. Cependant leurs liens avec les expériences locales et empiriques restent limités. Leurs actions se limitent à se présenter comme des techniciens spécialistes, avec des comportements avant-gardistes incapables d’influer les politiques publiques ou de développer une logique discursive contrebalançant le discours dominant basé sur un imaginaire alternatif (Latouche 2001). B.1.b Les chances d'institutionnaliser une nouvelle forme d’économie dans un Etat néolibéral. Le principe de solidarité démocratique émerge seulement avec l’existence de liens de redistributions mis en œuvre par la puissance publique, et d’une reconnaissance par cette dernière de l’importance du mouvement associationniste pour la démocratie (Laville 2001). Le contre-mouvement politique existe uniquement si l'Etat met en place des normes et des prestations qui renforcent la cohésion sociale et atténuent les inégalités. Selon l'approche d'ESS, l’institutionnalisation d'une autre forme d’économie qui dépasse l'économie de marché doit se faire par la combinaison dans une nouvelle gouvernance des trois formes d'organisation économique associées aux trois formes d’intégration économique67. La reconnaissance politique de la nécessité de réaliser une synergie entre une économie publique, le marché et des organisations d'économie sociale et solidaire doit permettre d'institutionnaliser une économie plus sociale et solidaire, soumise aux nécessités humaines. Toutefois, de fait, la coexistence des trois principes économique dans le cadre d'une nouvelle 66 Des cabinets de consulting, des centres de recherche, des ONGs, le CIESCOOP, l’ICECOOP, et l’AGRESAP. 67 L'économie plurielle repose alors sur la reconnaissance des trois principes d’intégration économique polanyien : le principe du marché, de la redistribution et de la réciprocité. Ils permettent de proposer une définition extensive de l’économie. 66 gouvernance politique et solidaire a rarement existé. Les organisations d'économie sociale et solidaire sont souvent prises dans une dynamique ambivalente. Leurs institutionnalisations peuvent conduire à une perte d'autonomie. Elles peuvent être assujetties à un isomorphisme institutionnel sous la forme marchande par l'acquisition de techniques de gestion managérial leurs faisant perdre l’esprit associatif premier. Enfin, ces initiatives peuvent être cooptées par le capitalisme dans son nouveau discours d'éthique et de business (Laville 2001). Le secteur d’ESS perçu comme un secteur subsidiaire. Historiquement, les mouvements sociaux ont eu peu d'influence sur les décisions politiques chiliennes. L'‘Etat de tradition centraliste ne prend pas en considération les mouvements situés en dehors du cadre légal et du jeu démocratique. Le modèle présidentialiste ne reconnaît que la participation politique électorale et ne laisse pas de place à une démocratie délibérative. Le gouvernement chilien est peu ouvert aux négociations avec les représentants de la société civile autres que les entités légitimes comme les partis politiques, syndicats et agences de représentations nationales. Dans ce système politico-corporatiste, les groupes reconnus font pressions sur les politiques entrainant un cycle de « protestations-pressions-réponses partielles de l’Etat » qui empêche toute remise en question de la structure économique et sociale. Il ne donne à cet effet aucune place aux initiatives d'économie sociale et solidaire, qui reste cantonnées à la sphère privée et étouffe violement les mouvements de grandes ampleurs comme les mouvements étudiants et mobilisations mapuches (Salazar 2012). La conception dominante de l’État subsidiaire conduit à un déploiement minimal de la puissance publique en matière redistributive. Une grande place est laissée aux initiatives privées et marchandes, créant un système de compétition entre les individus pour la survie et l'amélioration de leurs conditions sociales d'existence. La question sociale est abordée comme un problème de gestion décentralisé des ressources qui sont rares, ce qui justifie la mise en place de programmes sociaux compensatoires ciblés68 visant à réduire uniquement les situations d'extrême pauvreté. Ces nouvelles politiques tendent à responsabiliser les individus et à impulser la création d'organisations socio-productives gérées directement par les 68 Ces programmes reposent sur l'idée selon laquelle les pauvres sont des personnes assistés, responsables de leur situations, ainsi les mécanismes cherchent à développer les capacités entrepreneuriales des plus pauvres afin de les rendre autonomes le plus rapidement possible. 67 travailleurs, leurs familles et leurs communautés ce qui permet de légitimer là des interventions de l’Etat (Corragio 2011). Suivant cette logique, le secteur informel est valorisé, il donne à voir la naturalité de l'instinct marchand des personnes. Mais les aspects culturels, relationnels et politiques de l'économie populaire sont niés et les politiques publiques cherchent à internaliser le secteur informel ou à l'interdire. Par exemple, par l’interdiction des coleros69 dans les marchés de rue légaux ou par la construction de bâtiments pour placer les vendeurs de rue dans des locaux fermés. Concernant l'existence des communautés indigènes, le gouvernement nie les revendications politiques et identitaires attachées à leurs formes d'organisation économique70. Dans le discours officiel, le Chili se présente comme une exception en Amérique Latine en ce qui concerne la prégnance culturelle des populations dites originaires. Les communautés sont perçues comme des minorités ethniques « en retard », pour lesquelles les organismes publiques créent des programmes spécifiques de façon non concertés visant à l'amélioration de leurs conditions de vie (Nicolas 2013). Le gouvernement chilien procède à une récupération du concept de participation citoyenne, constituée comme une façade démocratique (Deneuil 2008). Les concepts de décentralisation et de participation sont des coquilles vides permettant la légitimation d'un système politique voué à perdurer en absence de débat démocratique. La multiplication des expériences participatives sont synonyme de campagne d'information et d’intégration d’idées exogènes plutôt que d'ouverture d'un espace publique ouvert au dialogue. La société néolibérale se caractérise par une absence d'un espace publique d’échange au sens Habermasien du terme, qui permettrait des échanges rétroactifs de construction et définition collective du bien commun. Dans ce contexte, toute initiative impliquant la participation spontanée des citoyens est susceptible de récupération institutionnelle avortant le processus à sa naissance. Le système économique néolibérale chilien repose sur la croyance en la théorie du déversement et considère qu’il n’existe aucune alternative au modèle néolibéral et au mode de production capitaliste (Sunkel 2011, Fazio 2010). Seule la croissance économique constitue le vecteur de développement social et économique du pays. Cette pensée dominante constitue un obstacle à l'émergence d’alternatives politiques et économiques. Alors que dans plusieurs pays 69 Vendeurs de rue non autorisés qui se placent à la suite des stands des marchands autorisés. 70 Le gouvernement chilien a été accusé en 2013, du non-respect de la Convention 169 de l’O.I.T par l’Observatoire du Citoyen et l’ O.I.T. 68 d’Amérique Latine les alternatives d’ESS sont valorisées71, le Chili reste à la marge, et l'influence de l'approche en termes d'ESS dans les universités ou « think-tank » est minimale (Denle 2008 Corragio2012) B.2 L'impact du nouvel engagement associationiste dans le secteur de l'eau. Pour déterminer si la population civile peut constituer un contre-mouvement capable de remettre en question la marchandisation des ressources et la privatisation du service, il est important d’analyser la nature et la portée des revendications pour savoir s’il existe une « architecture du bien commun » pour l’eau, en construction (Thevenot, 1991). B.2.La question de l'eau dans les revendications sociales. Portrait des organisations de la société civile mobilisées pour l'eau. Les travaux de recherche sur la société civile et l'eau au Chili sont peu nombreux voire inexistant. L'observation de terrain donne à voir l'existence d'une multitude d'organisations sociales portant des revendications associées à la protection de l'eau. Elles concernent plus souvent la protection des ressources que la gestion du service de l'eau. Depuis le retour à la démocratie les conflits de l’eau ont acquis une visibilité médiatique croissante. Les analystes tendent à adopter une lecture marxiste, et à dater l’apparition des tensions depuis la période militaire en cantonnant les conflits de l’eau à une lutte pour l’appropriation des ressources entre une classe industrielle dominante et les populations rurales dominées (Padilla San Martin cité par Folchi 2001). Certes, depuis la dictature les conflits environnementaux et de l’eau se sont multipliés (Sabatini cité par Folchi 2001), mais M. Folchi datent les premiers conflits de l’eau au XIXème siècle. Ce qu’il appelle les conflits de type environnementaux, éclatent lorsqu'un processus de transformation politique affecte la stabilité historique des relations sociales d’un espace socio-environnemental72donné. En terme polanyien lorsque la forme d’habitation des personnes dans leur monde social est remis en question de façon non concertée et consensuelle. Cette acceptation large des conflits environnementaux, nous permet 71 L'approche d'E.S.S gagne de l'importance dans certains pays d’Amérique du Sud comme au Brésil et en Equateur. Elle commence a être relayée par des organisations interrégionales de coopération comme l’ALBA ou l'UNASUR. 72 M. Folchi développe sa recherche à partir de l'analyse des relations établies entre un groupes humains et leurs environnements social qui conduisent à la consolidation d'un espace socio-environnemtal donnée. Chaque espace se défini par des relations spécifiques entre société/nature auxquelles sont associées un système de croyances, des organisation politiques, des valeurs et des coutumes spécifiques. 69 de comprendre comment les mobilisations pour l’eau peuvent avoir une pluralité de cause et se manifester sous des formes diverses. Il existe plus d'une cinquantaine d'organisations sociales dont leur mot d’ordre est lié à l’eau. Certaines de ces organisations concentrent leurs revendications uniquement sur la question de l'eau, comme la Brigada SOS Huasco ou le Comité de défense du fleuve Loa. D’autres sont des organisations écologistes, qui développent leurs actions à échelles internationales, nationales ou régionales. C’est le cas de Greenpeace Chile, l'ONG écologiste « Movimiento de accion por los cisnes » de Valdivia ou du Comité de défense de la Terre-Mère. Une partie des associations engagées dans ces revendications sont constituées par des populations directement affectées par la dégradation des ressources ou du service. Ces associations de type primaire ou hybrides, d’économie solidaire (Caillé 2001) se forment souvent sur la base d'associations sociales traditionnelles préexistantes, comme par exemple, les communautés indigènes, les associations des usagers de l’eau ou les Juntas de vigilancia, les Comités d'eau potable et les Juntas de vecinos. Elles revendiquent une meilleure habitation des hommes dans le monde et portent une critique politique sévère à l’égard de l’économie de marché. Ces associations d’individus surgissent localement et ponctuellement lorsqu’un facteur extérieur modifie leur accès traditionnel à l’eau et menace leurs modes de vies. Les revendications sont fragmentées en fonction du secteur géographique pour lequel l’engagement des citoyens s'est constitué : la protection d’un fleuve, d’un glacier, ou d’un bord côtier (Larrain 2010). Seules, ces revendications ont peu de chance d’être entendue à échelle nationale. Mais souvent, ces petites entités s'organisent en réseaux plus élargi, se modelant aux bassins naturels et à l'écosystème qu'ils souhaitent protéger. Le réseau de protection environnementale du Valle del Huasco, regroupe par exemple l'ensemble des associations formées pour la défense du bassin naturel du fleuve Huasco. Cet associationnisme croissant permet la montée en généralité des revendications. Les mouvements tendent à se politiser et les modes d'actions se déploient au niveau national. Une capacité d'influencer l’ordre politique et économique limitée. Pour déterminer la capacité des mouvements sociaux à influer sur l’ordre politique il est nécessaire de dépasser la définition de la politique proposée par M. Weber, vue comme l’ensemble des pouvoirs publics qui détiennent le monopole de la violence physique légitime. 70 Nous adoptons une acceptation plus large, en termes de démocratie vivante, à l’instar des définitions proposées par H. Arendt ou J. Habermas. Celles-ci supposent l’existence d’espaces publics de délibération et d’argumentation où les personnes se retrouvent pour définir les modalités d’un monde commun qu’il faut construire (Laville 2001). Les grandes manifestations pour l’eau73qui se sont déroulées au mois de mars et d’avril 2013 ont regroupé plus d'une centaine d'associations engagées pour la défense de l'eau. La revendication principale du carnaval : « El agua es vida », « Por la recuperacion del agua y de la vida » témoignent de l'engagement citoyen contre la marchandisation de l'eau et l'appropriation privé des ressources, considérées comme une ressource vitale. Par extension, certaines organisations demandent la suppression de la Constitution de 1981, ce qui témoigne d'une prise de conscience politique élevée. Dans l'ensemble des organisations présentes, seulement une organisation évoquait le service de l'eau : AGRESAP, représentante des Comités et coopératives d'eau potable rurale. Pourtant un des mots d'ordre était le refus de la privatisation de l'eau, ce qui révèle l’existence d’une confusion sémantique importante au sein du mouvement associationniste contestataire. En réalité, la population chilienne, contrairement aux pays voisins (Breuil in Baron 2005), n’a jamais remis en question la tarification de l'eau puisque son application s’est réalisée progressivement. Les mouvements de contestation remettent davantage en question la qualité du service. Cette passivité donne à voir l’intégration dans les mentalités chilienne du sophisme économiciste. Certaines organisations, marquée par la vision marxiste-léniniste traditionnelle, demande la nationalisation des ressources et de faire de l’eau un bien public. Pourtant la théorie des biens publics est une partie de la doctrine générale des biens économiques pour laquelle la plupart des biens doivent être produits sur une marche concurrentielle, ce qui ne met pas en question fondamentalement la marchandisation des ressources (Dardot 2001). Lors de ces journées de mobilisation, de nombreuses organisations de la société civile74se sont jointes aux revendications. La convergence des luttes se cristallise autour d’un refus du modèle économique extractiviste, de la marchandisation de l’eau et demandait la suppression du Code de l’eau de 1985 et de la constitution de 1981. Mais aucune alternative économique et sociale autour d’un projet politique englobant n'était proposée, ce qui a limité la portée 73 Le 22 mars et le 22 avril 2013 ont été célébré la journée mondiale de l'eau et la grande marche-carnaval pour l'eau dans tout le pays. 74 Les fédérations d'étudiants, les syndicats de travailleurs, la CUT, les mouvements féministes (entre autres) se sont unis aux célébrations. 71 politique des revendications. Les associations hybrides d’économie solidaire, les seules pouvant porter une alternative économique et sociale à l’économie de marché étaient peu présentes et à peine prises en considération par les médias, et les représentants du mouvement auprès des autorités (Nicolas 2013). En 2013, dans un contexte de campagne électorale présidentielle, la protection des ressources hydriques a été mise sur agenda. Les partis politiques indépendants ont pris position en se joignant à la contestation. Cependant le système politique binominal75 les empêche d’influencer sur les décisions politiques. Les membres de l'organisation Chilesustentable, Sara Larrain et Cristian Villaroel sont considérés par le gouvernement comme les deux portes paroles et représentants de l’ensemble des contestations survenues lors des conflits de types environnementaux dans le pays. Or, ces associations, de type primaire, composées d’experts, sont fortement critiquées par les associations locales et les communautés indigènes considérant qu’elles sont coupées de la base sociale. L’un des points de divergence tient à la définition des modalités de protection des ressources. Les uns cherchent à établir un consensus national pour déterminer un cadre normatif destiné à protéger l’environnement. Pour les autres, celui-ci sera forcément injuste, et considèrent que la protection des ressources doit partir d’une reconnaissance des méthodes de gestion traditionnelles de l’eau, voire même d’attacher des droits à la nature. Les mouvements de la société civile pour la défense et la protection de l'eau constitue un mouvement fragmenté, conflictuel dont la portée politique reste fortement limitée. L'absence de relations entre les Ongs spécialistes et les populations locales et l'inexistence d'un espace public national de débat pour définir l'eau comme un bien commun, collectif ou public empêche la création d'une alternative politique possible proposant une nouvelle gouvernance de l'eau. L'absence de prise en considération des organisations d'usagers et des Comités et coopératives d'eau potable rurale, organisations d'économie sociale encore encastrées dans les rapports sociaux ruraux, n'aide pas à la constitution d'une gouvernance sociale et solidaire de l'eau qui permettrait de déseconomiser les consciences (Latouche 2007). 75 Le système politique binominal fut inventé par le polonais W. Jaruzelski et appliqué par la Junte Militaire pour favoriser la stabilité du pays en promouvant les consensus et les négociations entre les partis opposés du gouvernement lors d’une élaboration ou modification de loi sur des politiques publiques touchant certains sujets sensibles (Moulian T., 2002). 72 B.2.b Les Comités d'Eau Potables une forme d'approvisionnement en eau rural sous forme d'organisation d'économies sociale et solidaire. L'approvisionnement d'eau douce en milieu rural n'entre pas dans le domaine de concession des entreprises sanitaires urbaines et n'est pas non plus pris en charge par un service public. Le mode de gouvernance instauré par le Programme d’Eau Potable Rural est un exemple de politique publique qui donne à voir le retrait de l'Etat et l'implication d'acteurs étatiques et extra étatiques dans les dispositifs d'actions publiques qui sont de plus en plus décentralisés. Cette transformation des conditions de production, distribution et gestion du service d’accès à l'eau potable nous renvoie au concept de gouvernance, qui peut être définit comme étant « un processus de coordination d'acteurs, de groupes sociaux, d'institutions pour atteindre des buts discutés et définis collectivement ».76 Les Comités et coopératives d'eau potable peuvent être assimilés à des organisations d'économie sociale et solidaire (voir annexe 13). Elles donnent à voir l’existence d’une gestion communautaire de l’eau basée sur une économie plurielle, et sur des principes démocratiques. Toutefois, elles forment un ensemble hétérogène extrêmement divers, qui empêche de conclure en l’existence d’un contre mouvement remettant en question l’économie de marché. Le contexte idéologique dominant caractérisé par la vision économiciste au sein de la fonction publique et des entreprises sanitaires privées castrent l’émergence d’une alternative d’économie sociale solidaire. En principe, sur plusieurs aspects, ces organisations répondent aux critères des organisations sociales et solidaires. Elles reposent sur une administration démocratique et transparente, qui implique une participation sociale et économique égalitaire de ses membres, dans le but de garantir un accès équitable à l’eau et permettre un développement communautaire locale. Elles fonctionnent sur la base d’une économie plurielle, ce qui signifie que les rapports économiques qui ont lieu ne sont pas exclusivement marchands. En effet, les associés perçoivent des subventions pour la consommation d’eau potable –ressource non marchande-, l’aide mutuelle et le travail non rémunéré sont important surtout au moment de la création de l’organisation –ressource non marchande et non monétaire- enfin, la finalité de l’organisation est de proposer un service marchand aux populations où la tarification finance la maintenance des infrastructures. L'existence depuis plus de quarante ans de ces organisations contrebalance 76 Baron C. « Figures d'eau » in Société civile et marchandisation de l'eau : expériences internationales p. 7 73 la théorie de la tragédie des communs, selon laquelle la gestion communautaire des ressources naturelles est synonyme de libre accès conduisant à sa surexploitation. Ce mode de gestion communautaire de l'eau potable réaffirme la théorie d’E. Ostrom (2010), et son étude sur les Commons, comme alternative de la représentation dominante des ressources comme biens économiques, sous une forme publique ou privée. L’approvisionnement rural en eau douce est assimilable à ce qu’elle appelle les Commons, en ce qu’elle préfigure l'établissement d'un système de règles régissant les actions collectives des modes d'existence des communautés, non réductibles à un agrégat d'individus intéressés. Autrement dit, les Commons sont des modes de gouvernance locale, territorialement limités, dont les règles sont fixées à la suite d’un processus de délibération et décision collective. E. Ostrom souligne l'importance du processus de construction endogène du modèle de gestion communautaire pour la réussite de son fonctionnement. En créant le Programme d'eau potable en 1964 le gouvernement chilien impose un modèle de gestion démocratique qui prend la forme de coopératives, puis de comités, dont les modes de fonctionnement sont régis par la Loi de coopérative puis, des 1977, par la Loi sur les Juntas de Vecinos. Ce processus semble en apparence exogène, mais de fait, les populations rurales s’organisent spontanément sous la forme de Juntas de Vecinos. De plus, elles élaborent des stratégies de détournement et de réappropriation des normes exigées en fonction de leur mode de fonctionnement interne et de leur système de croyances et représentations (Nicolas 2013). La liberté pour élaborer leurs propres statuts et la tolérance des fonctionnaires chargés de l’application des règles du Programme permet l’existence de cette marge de liberté fonctionnelle, qui est fondamental pour les communautés indigènes77. L'approche des Commons démontre que les rapports et représentations économiques sont des processus institutionnalisé, encastré dans les relations sociales, en cela elle s'inscrit dans la continuité des travaux de Karl Polanyi. Elle permet de déconstruire par ailleurs l’un des postulats de l’économie de l'environnement en soulignant que ce n’est pas la qualité intrinsèque du bien qui détermine sa nature – l'eau douce n'est pas un bien économique parce qu’elle est rare- mais c’est le système politique et sociale qui en instituant une activité économique converti l’eau en un commun. 77 Les Comités d’eau potable des communautés Aymara ne possède pas de comité directeur. Un chef est choisi selon leurs propres coutumes. Il sert d’intermédiaire entre les pouvoirs publics et la communauté plus que de s’occuper de la gestion du service. 74 Si ces organisations répondent en principe, aux critères des organisations d’économie sociale et solidaire, il faut toutefois prendre garde à ne pas procéder à une réification de la gestion communautaire en lui attachant des qualités supposées, mais inexistantes. Par exemple, l’existence d’une solidarité naturelle, et d’un altruisme exacerbé pour le bien-être collectif (Bakker, 2008). Or, pour l’honnêteté de la recherche il est important d’interroger le degré et les caractéristiques de participations et d’implications réelles des populations dans la gestion communautaire de l’eau. Dans l’ensemble des organisations force est de constater, une faible participation des populations rurales (Durston 2010). Même si le degré de participation change en fonction de la taille de l’organisation, celle-ci se limite à une participation électorale, lors du choix du comité directeur. Malgré l’application d’une amende en cas d’absence à l’assemblée générale annuelle, le taux de participation atteint rarement les 60%. Les espaces publics permettant des débats politiques se font rares et les assemblées générale notamment dans les organisations composées de plus de 1000 membres deviennent des rituels politiques ne durent pas plus d’une heure. L’analyse factuelle montre que dans chacune des organisations les relations sociales et les modes de fonctionnements sont différents, les éloignant ou les rapprochant aux principes constitutifs d’une association d’E.S.S. Malgré cette diversité deux grands groupes se distinguent quant à leur modèle d’évaluation dominant et leur position sur les modifications apportées au projet de loi sur les services sanitaires ruraux. Certaines organisations se positionnent à faveur d’une privatisation, et d’autres défendent les particularités économiques et sociales des comités et des coopératives d’eau potable, formant un contre-mouvement associationniste. Notons que de nombreuses organisations ne se positionnent pas par manque d’information sur les tenants et aboutissants de la loi. Le rôle des organisations d’appuis sont à cet égard fondamentaux dans le travail de prise de conscience politique des populations et de lobbying auprès des institutions gouvernementales. En reprenant la grille d’analyse en termes de « modèle d’évaluation » de C. Baron et A. Isla78, on peut distinguer un modèle communautaire d’un modèle marchand. Ces deux modèles 78 Ce modèle théorique s’inspire des travaux de Luc Boltanski et de Laurent Thevenot sur l’économie de la grandeur et la sociologie de la justice. In Boltanski L., Thevenot L. De la justification. Les économies de la grandeur.Gallimard, 1991.in BARON, C. (cood), Société civile et marchandisation de l’eau, Expériences internationales. Toulouse : Sciences de la société n°64, 2005. 75 d’évaluation, servent de référence à l’interprétation des règles des modèles d’accès à l’eau élaborées par les acteurs, coordonnent les représentations des comportements, et hiérarchisent les stratégies mises en place. Les organisations appartenant au modèle communautaire, sont le plus souvent des organisations récemment créés, située en milieu rural dispersé, éloignées de l’influence urbaine, avec une identité collective rurale forte dites de « Huaso » et dont les membres du comité directeur ont le profil du dirigeant social traditionnel. Les caractéristiques de ces dernières s'approchent plus des principes d'économie sociale et solidaire (Nicolas, 2013). La distribution repose sur un droit naturel d’utiliser la ressource en reconnaissance de la tradition, le jeu démocratique est au cœur de l’édiction des règles qui souligne l’importance d’une distribution équitable des ressources et de la protection de celles-ci pour les générations futures. Les organisations appartenant au modèle d’évaluation marchande se situent plus proches des milieux urbains, l’influence culturelle de la modernité et du discours économiciste institutionnel est plus important. Souvent ce sont des organisations de plus grandes tailles, dans laquelle les dirigeants se sont professionnalisés, et l’organisation connait un processus d’isomorphisme institutionnel sous sa forme marchande. Le mécanisme du marché est perçu comme la forme optimale de coordination des besoins par le prix, ce qui suppose que l’on considère l’eau comme un bien économique rare. La recherche de l’efficacité économique devient fondamentale pour atteindre le bien-être collectif, et repose sur la nécessaire reconnaissance de la propriété privée. D’après les dirigeants de ces organisations le progrès économique des organisations communautaires doit les conduire à se convertir en société anonyme reposant sur la propriété privée. Pour cela ils demandent un renforcement de la propriété privée des infrastructures, c'est-à-dire l’abusus, pour gagner une autonomie financière, sans remettre pour autant en question le Code de l’eau (Annexe). Un des paradoxes des travaux d’E. Ostrom , et ce qui la distingue des travaux de K. Polanyi et de K. Marx, est de lier les Commons à une délibération permanente tout en négligeant les relations sociales et les rapports de forces existant dans les sociétés pour augmenter la propriété privée ou protéger un espace commun (Harribey 2011). En effet si les communs sont une construction sociale, les évolutions des modèles de gestion sont dus à des rapports de forces qui abolissent les anciennes règles et en produisent des nouvelles. Le projet de loi implique une modification des règles concernant la gestion des ressources en milieu rural. Les 76 positions autour du projet de loi opposent les organisations plus informées ayant la vision communautaire à celle ayant la vision marchande (voir annexe 7). L’utilisation de l’approche de la sociologie des réseaux permet de déceler que ces deux modèles d’évaluation sont relayés par des organisations d’appuis. AGRESAP et FENAPRU consolide la vision communautaire prônant un discours qui défend l’approche théorique de l’économie sociale et solidaire. La FESAN, ICECOOP, et les Unité Techniques des entreprises sanitaires relayent la vision marchande basée sur un discours marchands et technico scientifique. Des tensions et des conflits éclatent lorsque des acteurs représentant de chacun des mondes se rencontrent : lors des visites de l’Unité Technique à une organisation communautaire du monde rurale ; lors des débats sur le projet de loi ; entre les organisations d’appuis pour la reconnaissance du monopole de représentation officielle auprès du gouvernement. Depuis 2004, les modifications du projet de loi se font en huit-clos. Pourtant l’adoption de la loi sur les services sanitaires ruraux est importante pour la résolution de plusieurs défaits persistants : la couverture d’eau potable en zone semi-dispersée et dispersée (voir annexe 10) et l’installation d’un réseau d’assainissement des eaux. Les fonctionnaires publics du Ministère de développement social, en charge des investissements publics pour le Programme d’APR, ne peuvent plus justifier les coûts de construction des installations en appliquant la méthodologie coût-avantage (voir annexe 14). Cela est source de tension avec les fonctionnaires de la Subdireccion de APR du MOP, accusés d’accepter les coûts exorbitants des Unités Techniques sans contreparties. En reprenant G. Godars (Petit 2009), les tensions proviennent de l’impossibilité d’effectuer une évaluation marchande de l’environnement. Le problème provient du tropisme marchand et est lié à une difficulté plus générale attachée à la notion polysémique de l’environnement. Ce trouble de légitimité est lié aux différents monde et principes qui s’affrontent et s’oublient, ici la vision marchande et la vision communautaire. La reconnaissance d’un domaine patrimoniale de l’eau permettrait de dépasser les conflits de légitimité irréductible entre la privatisation et la défense des services publics par la création d’un monde commun en gestation donnant naissance à un modèle de gestion de l’eau consensuel. A l’échelle nationale cela induirait la reconnaissance de l’économie du patrimoine aux côtés d’une économie publique et une économie privée. Toutefois, la reconnaissance de la patrimonialisation de l’eau ne peut s’effectuer qu’à une échelle locale, et ne résolue pas les 77 conflits idéologiques nationaux (S. Paquerot cité Petit 2009). L’approche de l’économie sociale et solidaire est plus pertinente dans le sens où elle argue la mise en place d’un nouveau modèle de gouvernance solidaire à partir de la définition de l’économie sous sa forme substantive, par laquelle l'on reconnaîtrait les trois principes d’intégration économique. Il suppose de reconnaitre l’économie patrimoniale ou l’économie plurielle propre aux organisations communautaires. Toutefois l’instauration d’une gouvernance d’économie sociale et solidaire est une question éminemment politique. Elle implique de refuser le sens formel de l’économie en dégageant une conception de l’entreprise qui ne soit pas que capitaliste, de l’échange qui ne soit pas que marchand et de la société qui ne soit pas que de marché. Or il semble que les modifications apportes sur le projet de loi des services sanitaires ruraux, en faveur d’une privatisation des services rends compte de la prédominance dans la sphère politique de la croyance en l’économie formelle. Conclusion : La marchandisation des ressources d’eau douce et de leur approvisionnement est le fruit d’un projet politique éminemment idéologique, qui donne naissance à la société néolibérale, fondée contre la pensée socialiste. L’usage de la violence et d’un discours centré sur le progrès et la modernité légitimée par la science économique a contribué à modifier les rapports entre les hommes et leur environnement. Les ressources naturelles, dont l’eau, deviennent des biens économiques. Face aux destructions et détériorations provoquées par le fonctionnement de l’économie de marché sur les modes d’habitation des hommes sur terre, la population civile s’organise, se révolte et critique à différents degrés le modèle de société néolibérale. Toutefois la prégnance économiciste sur les schémas de pensée individuelle reste forte, notamment en milieu urbain où le modèle marchand est synonyme de modernité et de progrès. Les mouvements sociaux se limitent à l’édiction de discours, sans proposer d’alternatives d’économie sociale solidaire. Ils ne parviennent pas à remettre en cause les fondements scientifiques de la marchandisation et de la privatisation de l’eau, et sont rapidement réabsorbés par la pensée dominante. En milieu rural, les modes de contestation portés par les organisations d’eau potable rural ont un plus fort potentiel contestataire, puisque 78 leurs modes d’organisation repose sur une économie substantive, leurs revendications ne se résument pas à un discours mais à une façon d’agir autrement. Toutefois, les modes organisations communautaires d’eau potable, se déploient dans une société de marché avec un Etat centralisé. L’isolement social, le manque de reconnaissance, les procédures d’absorption étatique ou capitaliste, tout comme l’individualisme et la dépolitisation croissante des individus limitent la portée de leur proposition. Il semblerait que pour faire émerger un contre mouvement réel au Chili il serait nécessaire de réaliser une rupture avec le ''fondamentalisme marchand’’ (J. Stiglitz cité in Laville 2001). Celle-ci ne peut exister sans une modification de l’éthique des individus, ce qui signifie selon S. Latouche de déseconomiser les consciences. Au Chili, malgré l’existence des Comités et coopératives d’eau potable rurale, l’influence néolibérale est omnisciente, et la volonté de privatiser les services ruraux, témoigne de la prégnance et persistance de la croyance en l’économie formelle 79 Liste des abréviations : AGRESAP Asscociación Gremial de los Servicios de Agua Potable APR Agua Potable Rural BID Banco Interamericano de Desarrollo BM Banco Mundial CEPAL Comission Economique pour l’Amérique Latine CIESCOP Centro Internacional de Economia Social y Cooperativa CONADI Corporación Nacional de Desarrollo Indígena CORFO Corporación de Fomento de la Producción DGA Dirección General de Aguas DOH Dirección de Obras Hidráulicas EMOS Empresa de Obras Sanitarias ENDESA Empresa Nacional de Electricidad S.A ESS Economie Sociale et Solidaire ESSBIO Empresa de Servicios Sanitarios del Bio-Bio ESVAL Empresa Sanitaria de Valparaíso FENAPRU Federación Nacional de Agua Potable Rural FESAN Federación Nacional de Cooperativas de Servicios Sanitarios FMI Fond Monétaire International ICECOOP Instituto Chileno de Educación Cooperativa MOP Ministerio de Obras Públicas OEP Organización de Economía Popular ONG Organisation Non Gouvernementale SENDOS Servicio Nacional De Obras Sanitarias SISS Superintendencia de Servicios Sanitarios 80 Bibliographie Ouvrages : ALONSO, H., Les oasis du désert d'Atacama, Nord Chili : gestion de l'eau et défi du temps. 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I - Organisation politique et peuplement du territoire. Carte de l’organisation politique et administrative du Chili. Sources : http://mapasdechile.blogspot.com/2011/12/mapapolitico-de-chile.html 92 Densité de la population et mode de peuplement. Sources : http://www.educarchile.cl/Portal.Base/Web/VerContenido.aspx?ID=133092 93 Répartition sur le territoire des différents peuples de cultures indigènes avant la colonisation. Sources : http://www.educarchile.cl/Portal.Base/Web/VerContenido.aspx?ID=133092 94 II-Un territoire contrasté riche en ressources naturelles. Exemple du relief du territoire Chilien à partir de la région d’Antofagasta. Sources : http://www.icarito.cl/herramientas/despliegue/laminas/2009/12/376-608865-3relieve-de-la-region-de-antofagasta.shtml 95 Carte des reliefs. Sources : http://www.educarchile.cl/Portal.Base/Web/VerContenido.aspx?ID=133092 96 Une distribution disparate des ressources hydriques sur le territoire. Sources : 97 http://www.educarchile.cl/Portal.Base/Web/VerContenido.aspx?ID=133092 II – La diversité de ressources naturelles et végétales, source de biodiversité. La répartition des différents types écologiques sur le territoire. Source: INSTITUTO NACIONAL DE ESTADISTICAS, Rapport année 2010 sur l'environnement au Chili, Santiago, 2010 98 Les surfaces naturelles dites protégées. Source : INSTITUTO NACIONAL DE ESTADISTICAS, Rapport année 2010 sur l'environnement au Chili, Santiago, 2010 99 III- La dégradation de l’environnement provoquée par les activités humaines. Distribution sectorielle des sources de contamination du territoire. Sources : INSTITUTO NACIONAL DE ESTADISTICAS, Rapport année 2010 sur l'environnement au Chili, Santiago, 2010 100 Représentation géographique des territoires en voie de désertification. Sources : INSTITUTO NACIONAL DE ESTADISTICAS, Rapport année 2010 sur l'environnement au Chili, Santiago, 2010 101 Annexe 2 : Rappel historique sur l’histoire du Chili. Les peuples de cultures indigènes pendant la période précoloniale. La période précoloniale s'étend depuis l'arrivée des premiers hommes sur le territoire chilien vers 9 000 avant J-C jusqu'au début de la colonisation espagnole en 1540 (Blancpain, 1996). Durant ces siècles, une multitude de peuples indigènes ont habité le territoire correspondant approximativement au territoire du Chili actuel. Les historiens comptent entre 14 à 17 peuples originaires, répartis le long du territoire en fonction de la richesse des terres et de leur mode « d'autosuffisance » (Sarguet, 1996 ;) La zone Nord était habitée par des peuples sédentaires comme les Aymaras situés dans l’Altiplano et par les Atacameños et les Diaguitas installés plus au sud, à l’intérieur des terres. Ils formaient des civilisations avancées et étaient particulièrement performants dans le domaine agricole avec une bonne maîtrise des techniques d'irrigation agricole dans une zone extrêmement aride. Ils cultivaient la pomme de terre, la coca, le haricot, le maïs et élevaient des lamas, des alpagas et des guanacos. Les Changos composés essentiellement de pécheurs, formaient la seule tribu nomade du nord qui se déplaçait le long de la côte depuis Arica jusqu'à Copiapo. La zone centrale, qui correspond approximativement au territoire qui s'étend aujourd'hui de la Vième à la Xième région, était habitée par des tribus nomades et des peuples sédentaires. Les peuples nomades comme les Pehuenches, les Puelches et les Poyas étaient des chasseurscueilleurs. D'autres tribus comme les Chiquiyanes, et les Mapuches étaient horticulteurs et éleveurs. Notons que la tribu des Mapuches, littéralement « homme de la terre » regroupe en réalité tous les peuples parlant la même langue depuis le rio Choapa jusqu'à l'île de Chiloe. Bien que partageant une langue commune, le mapudungun, les Mapuches ne formaient pas une société unie, et étaient composés de plusieurs groupes rivaux qui s'unissaient ponctuellement lorsqu'ils faisaient face à un ennemi commun. Les Auracans situés entre le fleuve Biobio et Tolten constituent la branche principale des Mapuches. Les Picunches quant à eux étaient les « gens du nord » et les Huiliches, ceux du sud (Blancpain, 1996 : 26). Le sud du Chili était peuplé par les Chonos, les Tehuelches, les Yaganes, les Alacalufes, les Cuncos et les Selk'nam. Les caractéristiques climatiques et géologiques de la zone sud rendaient la sédentarisation des peuples difficile. Les Cuncos, Chonos, Alacalufes et Yaganes vivaient de la pêche. Les Tehuelches et les Onas, étaient des nomades collecteurs habitant au pied de la cordillère. L’invasion Inca dans le nord du Chili. L'invasion du nord du Chili par les Incas a bousculé l'organisation sociale et politique des sociétés indigènes. Au XVième siècle Tupac Yupanqui puis Huayna Capa, empereurs Incas, envahissent le nord du Chili. Il est difficile de dater avec précision le début de l'invasion Inca du Chili. Les différentes sources historiques datent l'expansion de l'empire Inca vers la fin du XVième siècle. Le monarque Pachacutec connu pour ses talents de chef militaire, d'organisateurs et homme d'Etat, ordonna la conquête de nouveaux territoires pour l'expansion 102 de l'empire Inca. Sous son règne et à la suite de nombreuses expéditions réussies, l'empire englobe l'ensemble du Perou, la Bolivie et le nord-ouest Argentin ce qui correspond à la région Diaguita (Karsten 1993 : 51). Son fils, Tupac Yupanci, porta l'empire Inca au plus « haut degré de sa puissance extérieure et son organisation intérieure » (Karsten R., p. 51), avec une conquête méthodique caractérisée par une organisation territoriale systématique et l’allégeance des nouvelles tribus annexées. Les Incas vont pénétrer le Chili actuel jusqu'au fleuve Maule. Ils obtiennent le contrôle des terres par le transfert systématique de garnisons et de colonies dans les territoires habités par les Aymaras, les Atacameños et les Diaguitas. Les gouverneurs incas vont réussir à exercer leur autorité sur les caciques (nom donné aux chefs indigènes) locaux et à imposer leur domination en instaurant notamment le tribut (impôt devant être versé aux chefs incas). La colonisation des terres septentrionales a été facilitée par les ressemblances culturelles et similitudes organisationnelles qui existaient entre les peuples résidants et les Incas (Blancpain, 1996 : 28). Ainsi, selon les historiens au moment de la colonisation espagnole, les peuples indigènes du nord du Chili et les Incas étaient porteurs d'une même civilisation (Itier, 2008). Cette influence inca s'étend jusqu'au sud du territoire, où habitaient les Picunches, qui développèrent de ce fait des systèmes d'irrigation plus avancés, des habitations moins rudimentaires et ornèrent les cramiques de motifs à l'instar des Incas. (Blancpain, 1996 : 26). Mais les Incas ne dépasseront pas le fleuve Maule où les Araucans empêcheront leur avancée. Deux explications permettent de comprendre l’arrêt de l'invasion inca. L'une souligne la force guerrière du peuple Mapuches. L'autre explication tient à l'isolement du territoire, trop excentré du centre impérial qui paraissait aux yeux des incas dépourvu de richesses et donc d’intérêt (Itier 2008 : 36). Presque un siècle s'est écoulé entre l'invasion inca et la colonisation espagnole (Blancpain, 1996 : 28). Pendant ces années, les peuples indigènes du nord du Chili ont été modelés par la civilisation inca. Aujourd'hui les archéologues et historiens intègrent clairement les territoires chiliens à cette civilisation En effet les contours géographiques de l'empire Incas ont été défini en faisant référence au domaine des Andes centrales qui « englobe la côte, les montagnes et le piémont amazonien de l'actuel Pérou, les hautes terres de la Bolivie et l'extrême nord du Chili. » (Itier, 2008 : 47). Brève présentation des formes d’habitations de la civilisation Inca : Dans l'ancien empire inca, les peuples vivaient de l'agriculture et de l'élevage. Ils étaient organisés en petites tribus sédentaires. Les descendants des Atacameños, Diaguitas et Aymaras sous influence incas avaient développés une agriculture en terrasse avec un système d'irrigation extrêmement performant. Ils vivaient également de l'élevage de lamas, alpagas et des chèvres. L'unité de production était la famille élargie. Les familles se regroupaient pour former des communautés plus larges appelées Ayllu. L'influence Inca a eu des conséquences considérables sur l'organisation économique et sociale des Atacameños, Aymaras et Diaguitas. L'ayllu devint notamment leur unité sociale et territoriale de base. Chacun des ayllus était dirigé par un cacique, représentant sur terre de l’ancêtre propriétaire de la terre qui leur en donnait l'usufruit. Le cacique était chargé de répartir les tâches et l'organisation du travail au sein de l'ayllu. La proximité des différentes communautés caractérisées par des écosystèmes hautement différenciés permettait l'échange de produits variés directement, ce qui empêchait le développement de petits commerçants. L'économie étatique prenait forme par le phénomène de la « mil'ta » et du contrôle du commerce de biens précieux. La mil’ta consistait en la mobilisation de sujets forcés à réaliser 103 une corvée, ce qui permettait la construction de canaux d'irrigation et de construction d'édifices. Chaque chef de famille formant un foyer devait réaliser la mil’ta, à l'exception des personnes habitant les régions côtières où les ayllu devaient payer un tribut. On imagine mal dans quelle mesure les deux systèmes ont coexistés, mais l'essentiel de la production de biens et de services sous l'empire Inca s'est faite à travers du régime de la mit'a. La légitimité de ce système tenait au fait qu'il se réalisait dans un cadre festif et d'échanges réciproques puisque l'Etat redistribuait des biens et des richesses aux populations. Les biens les plus précieux étaient stockés dans des entrepôts à Cuzco. Souvent, il s'agissait de biens produits dans les régions plus septentrionales qui étaient destinés à être échangés contre des biens introuvables et rares dans les régions plus méridionales, et vice versa. L'inca s'arrogeait ainsi le quasi-monopole de la circulation des biens à longue distance laissant peu de place au commerce et au marché. Cependant, la plupart des biens produits par les communautés pour l'Etat étaient redistribués localement aux garnisons, aux divinités, aux caciques et aux travailleurs ayant accomplis leur mi'ta. Cette mobilisation de la force de travail explique le rayonnement économique et culturel de l'empire Inca. (Itier, 2008) Brève présentation des modes d’habitation du peuple Mapuche : Les Mapuches constituaient au moment de la colonisation espagnole les seuls indigènes n'ayant pas été envahi par les Incas. Habitant le sud du Chili depuis le rio Maule jusqu'à Chiloe, ils sont formés de plusieurs tribus indigènes partageant la même langue le mapudungun. Ainsi les Huiliches de Valdivia, les Pehuenches des Andes et les Moluche de la Pampa avec les Mapuches de l'Auracanie constituent un même groupe partageant un même système symbolique et porteur d'une même dynamique sociale. (Zavala, 2000 p. 30) Contrairement aux Incas, il n'existe pas d'unité politique dans la société Mapuche. Il s'agit d'une société sans Etat et sans pouvoir centralisateur, dont les membres évitent la concentration spatiale par une occupation du sol diffuse. Pourtant, les mapuches ont réussi à faire face à l'envahisseur Inca puis Espagnol par la complexité de leur organisation sociale et politique stratifiée et éparse. Chacun des différents niveaux de regroupement s'articulait entre eux par des rapports d'inclusion ce qui leurs permettaient d'établir des alliances ponctuelles d'ordres différents. (Zavala, 2000, p. 70) Ainsi, contrairement à la civilisation Inca, il n'existait pas de pouvoir politique autonome dans la société Mapuches organisant un système de redistribution généralisée. Les Mapuches formaient une « société proto-agricole ». Le degré limité des pratiques agricoles n'était pas lié à une question de retard ou de ''méconnaissance'' des techniques agricoles mais se comprend en termes de choix technique et d'adaptation aux contextes écologiques variés favorable à la cueillette et pratique d'élevage. (Zavala, 2000, p. 29.). M. Sahlins parlerait de société d'abondance. L'unité de production structurante était la ruka, maison individuelle regroupant la famille élargie. Chaque famille héritait d'une parcelle gérée de façon communautaire. Notons qu'il ne s'agissait pas d'une propriété de la terre mais l'usufruit communautaire des ressources. L’exercice de ce droit d'usufruit dépendait de l'appartenance à un lov. Le lov était composé de plusieurs ruka qui entretenaient des rapports de coopération et de solidarité entre eux, sans constituer pour autant un village puisqu'ils ne prenaient pas la forme d'un conglomérat d'habitation. (Zavala, 2000 :53). A la tête du lov, se trouvait un cacique appelé lonko qui détenait le droit de juridiction et établissait les principes de traitement des ressources dans une logique de préservation pour les générations futures (Muñoz, 1999). Il existait au-dessus de 104 lov, une forme d'organisation clanique79 appelé le kuga. Les membres d'une même kuga, reconnaissable par leurs noms n'habitaient pas à proximité les uns des autres mais entretenaient des rapports ponctuels malgré la distance, notamment en cas de conflit ou de litige avec un ennemi commun. En temps de paix, le rassemblement rituel appelé lakutun permettait la réactualisation des liens grâce à l'échange dans un acte d'obligation de don et de contre-don. (Zavala, 2000, p.53-60). Les spécificités de la colonisation espagnole sur le territoire chilien : La colonisation espagnole fut un processus historique qui s'étend depuis la première conquête entreprise par Diego de Almargo en 1536 jusqu'à la fin de la conquête en 1561 avec l'édification des principales villes comme Santiago del nuevo extremo en 1541, la Serena en 1544 et Concepcion en 1553. L'on date la chute de l'empire Inca en 1533 avec le début de la conquête espagnol. Toutefois, Diego Almagro n'entreprend la colonisation du Chili qu'en 1536 à la tête d'une armée de 500 hommes. Le premier contact avec les Araucans se solda par un conflit : le combat de Reinohuelen qui leur fit rebrousser chemin. L'occupation des terres chiliennes n'a été une réalité qu'à partir de la seconde moitié du XVIème siècle lorsque Pedro de Valdivia décide, au nom de Pizarro, de poursuivre les conquêtes des territoires découverts par Almagro. A la tête de l'organisation politique et administrative du système colonial se trouve le roi d'Espagne représenté sur le territoire Chilien par le capitaine général, appelé aussi gouverneur. Le gouverneur avait pour supérieur hiérarchique le vice-roi du Pérou et était assisté dans ses fonctions par le Conseil des Indes. Le gouverneur possédait une pluralité de fonctions : il était le chef des armées, dirigeait l'administration, procédait à des nominations religieuses et répartissait les terres et les indiens. Dans les provinces l'administration était dirigée par un corregidor qui possédait des prérogatives dans le domaine civil et militaire. Des cabildos était chargés de l'administration urbaine. Ils étaient composés par un alcalde, le maire ; l'alfarez real, le gonfalonier ; le fiel ejecutor qui fixe les prix ; et l'alguacil mayor, le chef de gendarmerie. Les membres du cabildos étaient en principe nommés par les gouverneurs puis ils choisissaient leurs successeurs. Cependant les postes ont pu être achetés par des notables qui les occupaient durablement. Cela renforçait la stratification sociale de la société coloniale. La hiérarchie sociale était déterminée par les origines et la descendance des personnes et ce, durant toute l'époque de la colonisation. Seule l'aristocratie blanche formée par la noblesse, ou d'origine militaire formait l'oligarchie politique ayant un pouvoir décisionnel notamment dans les cabildos. L'aristocratie créole pouvait parvenir aux postes administratifs et ou avoir des charges ecclésiastiques. Ils dirigeaient les estancias, haciendas ou encomiendas. Les descendants d'espagnols plus modestes occupaient les emplois administratifs subalternes, le commerce en détail et avaient des petites exploitations minière ou agricole, devenait majordome ou personnel d'encadrement de la main d'oeuvre. Les métis s'occupaient des activités artisanales ou des services domestiques et à partir de 1791, avec l'abolition de l'esclavage ils remplacent massivement les indiens dans les estancias, haciendas ou encomiendas. Les descendants d'esclaves, les zambos ou mulâtre sont durement traités et dépourvus de toute protection légale. (Sarguet, 1996 : 30) 79 forme d'organisation clanique : definition du clan cmme un groupe d'unifiliation dont les membres ne peuvent établir les liens généalogiques réles qui les relient à un ancêtre commun. (Zalaya, 2000 p.57) 105 L'administration centrale définissait et contrôlait l'ensemble des propriétés du foncier et de ce fait, la production sur le territoire. Lors de la fondation d'une ville, le capitaine rémunérait les meilleurs soldats en leur octroyant une encomienda. Dans cette propriété un groupe d'indigène devait travailler pour l'encomendero ou lui payer un tribut en échange celui-ci devait les protéger et les évangéliser. Durant le XVIème siècle, ce travail consistait à chercher de l'or dans les fleuves, puis à l'agriculture et à l'élevage de bétail (Sater 1996). Une partie de la production était destiné au secteur exportateur au bénéfice de l'encomendero, qui réinvestissait dans l'achat de petites marchandises destinées au développement de petites activités de commerce en détail (Assadourian). Les grands latifundios apparaissent au Chili au XVIIème siècle avec les « mercedes de tierras » qui étaient des attributions de terres donnant lieu à des haciendas céréalière ou des estancias, destinées à l'élevage. L'unité des terres était préservée par l'institution de majorats, un droit d'ainesse qui garantissait l'héritage intégral des terres au mâle le plus âgé. (Sarguet, 1996 : 26). Ces trois formes de propriétés formaient les unités productives de base de la vice royauté du Chili. Le contrôle de ces unités de productions permettait à l'administration coloniale de capter facilement les excédents. Cette captation était une des conditions de la distribution des terres aux colons. Elles devaient atteindre un niveau de rentabilité suffisant pour permettre le financement de l'administration et de la défense militaire, et satisfaire les prétentions sociales et économiques du groupe dominant tout en générant un courant d'excédent pour la métropole. L'Hacienda Publica était l'institution créée pour l'appropriation d'une partie de l’excédent dégagé par le système fiscal imposé. Les impôts directs les plus importants était le cobo et le quinto sur les métaux précieux, le diezmo dans le secteur agricole et le bétail, l'almojarifazgo était une taxe sur la circulation de marchandises et l'alcabala sur les ventes (Assadourian). L'argent récupéré par voie fiscal était dépensé à hauteur de 30 à 50% dans les colonies, principalement à deux fins : maintien de la bureaucratie et des personnes biens situés et fret de guerre. (Assadourian 1982). L'administration centrale avait également mainmise sur l'ensemble des échanges commerciaux de la colonie. La métropole s'arrogeait le monopole du commerce au loin avec le Chili en interdisant le commerce avec d'autres pays et entre les colonies latino-américaines. Toutefois tout le long du XVIème siècle et XVIIème siècle les seules relations commerciales avec la métropole s’établissaient par Lima, capital politique et économique de la vice royauté du Pérou. Après la mort de Charles II de la maison d'Autriche en 1700, le prince français Philippe d'Anjou, de la dynastie des Bourbons monte sur le trône. A cette époque, l'Espagne souffre d'un grand retard productif qui l'oblige à importer l'essentiel des produits manufacturés. Il amène avec la conception française sur l'origine divine du pouvoir justifiant la centralisation des pouvoirs. Pour renflouer le déficit de la balance commerciale, Philippe V puis Charles III vont entreprendre une série de réformes politiques et économiques de grande ampleur. (Buñuego, 2003 : 142) A partir de cette nouvelle conception de l'Etat une série de réformes vont être mises en place dans les colonies essentiellement destinées à renforcer l'administration locale par l'inclusion d'homme d'Etats éclairés. Dans le domaine économique, les théories mercantilistes, inspirées du Colbertisme vont être désormais appliquées aux colonies. Les gouverneurs de la vice royauté du Chili vont encourager la production agricole, industrielle et artisanale en créant une multitude d'institutions nouvelles. Des institutions visant à réglementer le commerce et les activités économiques sont créés. A Santiago la Real Casa de la Moneda va permettre de frapper la monnaie sur place en fonction des besoins de l'économie. Sont créés le Real 106 Tribunal de Consulado, qui est une assemblée des grands commerçants faisant office de tribunal de commerce, tout comme le Real tribunal de Mineria chargé des affaires minières et du développement de ce secteur. Ces institutions sont chargées de la gestion des affaires économiques et l'on supprime la Casa de Contratacion qui était compétente à la fois dans les domaines politiques et les affaires économiques. A la veille de l'indépendance, la vice royauté du Chili est de fait une région des plus pauvres des Amériques avec un niveau de développement médiocre. Le contraste est très grand entre le mode de vie de l'aristocratie et celui des masses miséreuses. Les inégalités sociales et économiques sont extrêmement fortes. Les personnes en bas de la hiérarchie vivent dans des conditions misérables dépourvues de tout confort et le manque d'hygiène multiplie les maladies et les épidémies. (Sarguet 1996 : 32-34) Annexe 3 : L’importance de la cosmovision Andine. La cosmovision andine divise le monde en trois espaces, supraterrestre, terrestre et souterrain, chacun d’eux représenté par une multitude de divinité associé par exemple aux eaux souterraines, aux rivières et aux eaux de pluies. La divinité principale est la Pachamama, la terre, considérée comme la mère nourricière, qui donne la vie à l’ensemble de la faune et la flore terrestre. L’ensemble des rituels et activités sacrés pour bénéficier de ressources en eau fait honneur aux volcans et aux montagnes puisque dans leurs cimes se concentrent les principales sources d´eau douce. Ils sont considérés comme des esprits qui régulent le climat et les précipitations. Dans les communautés indigènes, la transmission des connaissances, des représentations et croyances liées à l’usage ancestral des ressources en eaux, se réalise par voie orale. Ainsi, l’ancrage des communautés dans un territoire donné est fondamental pour leur subsistance puisque l’ensemble de leurs savoirs se fonde sur la compréhension et l’adaptation à ce territoire ancestral. La sécheresse ou manque d’eau entrainant des processus de migration forcée lors de la colonisation ont été fatal pour la vie de la communauté. Annexe 4 : Système de distribution et de répartition de l’eau des peuples de cultures indigènes. Les indigènes de culture Aymaras, s´étendent de l´altiplano jusqu´a la côte. Ils se sont adaptés aux diverses conditions géographiques et climatiques grâce au développement de l’agriculture en terrasse, en andenes, en canchones, ou en vega. La répartition des ressources pour l´usage agricole est régulée par des autorités élues au sein de chaque ayllu. Ce système de gouvernance s'appelle la mitación. Les autorités élues sont chargées de distribuer l’eau et les bénéficiaires mènent l’eau par des canaux d’irrigation jusqu’aux parcelles. La répartition se fait par tranche horaire en fonction de la superficie de la parcelle. Ainsi la gestion des ressources hydriques est fortement imbrique dans les relations sociales. Les indigènes de culture atacameña construisaient un système de canaux d'irrigation élaborés pour conduire l'eau des versants jusqu´aux terres arides. Des tours de distribution de l’eau pour l’irrigation étaient organisés en fonction des disponibilités des ressources : une fois tous les 25 ou 27 jours en moyenne. Ce système d’irrigation a permis une forte diversification de la 107 production agricole ainsi que l’utilisation des excédents pour réaliser des échanges avec les peuples voisins. Apres l’invasion Incas dans le Norte grande les peuples utilisent des méthodes de gestion des ressources plus élaborées. Les aymaras intègrent le système de l’accumulation de l’eau dans la cocha. Il s'agit d´un bassin commun à partir duquel l'eau stockée est distribuée pour l´irrigation et pour la consommation personnelle de certaines familles ayant droit chaque 15 jours. La répartition se fait par temps d’utilisation de l´eau. La culture diaguita, peuples vivant essentiellement de l’agriculture des terres fertiles de la valle de huasco, intègre une forme de gestion de l´eau de la culture inca. Elle consiste en la désignation d´un camayoc, personne responsable de la distribution et le paiement de l´eau auprès des bénéficiaires. Les ressources sont ensuite transportées par des canaux d’irrigation pour arroser les terres agricoles des différents pueblos, caserios ou villorios. Les peuples indigènes installés au sud du fleuve bio bio, utilisaient essentiellement l’eau de pluie pour leurs cultures qui étaient peu diversifiées et dispersées dans le territoire. Annexe 5 : Les institutions compétentes pour la gestion des ressources hydriques et pour le contrôle du service de distribution de l’eau. I -Les institutions compétentes pour la gestion des ressources hydriques. Direction Générale des Eaux (DGA) Elle est chargée d’appliquer la législation et de s’occuper du développement de la politique nationale des ressources hydriques ainsi que du contrôle et de la planification de son usage. Ses fonctions principales sont : Mesurer et étudier l’état des ressources hydriques par le biais du Service Hydrométrique National. Formuler des recommandations pour l’utilisation des ressources des bassins. Surveiller les cours naturels du domaine public, pour empêcher des constructions, modifications ou destructions des œuvres non-autorisées. La DGA doit de plus : Superviser le fonctionnement des Juntas de Vigilancia et des organisations d’usagers. Constituer les droits d’appropriation des eaux dans les cours naturels Administrer un cadastre public des eaux. Réaliser des études pour déterminer les ressources d’eau existantes dans le pays. La Commission Nationale d’Irrigation et le Conseil de la Commission. Elle est chargée de l’étude et l’évaluation des projets d’irrigation pour les différents bassins d’hydrographiques du pays. La Loi N°18.450, de 1985 la rend responsable d’un programme de bonification des coûts de construction et de réparation des ouvrages d’irrigation ou de drainage pour améliorer leur efficience ; et des investissements privés en matière d’irrigation mécanisée. Le Conseil de la Commission Nationale d’Irrigation est composé des ministres d’économie, 108 des travaux publics, de l’agriculture et du développement social. Il fixe des politiques concernant l’utilisation de l’eau dans le domaine agricole et évalue et approuve les œuvres d’irrigations. Il établit les subventions à ses bénéficiaires. Direction des Ouvrages Hydrauliques. Elle remplace l’ancienne Direction d’irrigation. Elle est chargée d’étudier, concevoir, construire, maintenir, réparer et exploiter les installations d’irrigation construites avec des fonds publiques n’ayant pas été transférés aux privés. Développer des infrastructures d’ouvrages hydrauliques. Donner accès à la population aux ressources hydriques en quantité et qualité suffisante. Améliorer le cadre institutionnel, les procédures et les technologies nécessaires à la prestation du service. Les organisations d’usagers. Elles sont constituées dès lors que plus de deux personnes ont un droit d’accès sur un même cours d’eau. Les Asociaciones de canalistas et les Comunidades de Agua ont pour but de : Administrer les sources d’eau ou cours naturels, artificiels sur lesquels ils ont compétence et les ouvrages au travers desquels les eaux sont captées stockées et conduites. Distribuer ou redistribuer les eaux entre ses membres. Résoudre les conflits entre les membres de l’organisation des usagers, ou entre l’organisation et l’un de ses membres qui sont liés à la répartition des eaux ou à l’exercice de leurs droits en tant que membre de l’organisation. Les Juntas de Vigilancia, sont chargées de veiller sur la qualité et quantité du cours d’eau sur lequel elles puisent leur source. Chaque titulaire d’un droit d’appropriation est de fait inscrit dans la Junta de Vigilancia qui lui correspond. II - Institutions compétentes dans le domaine du service de distribution de l’eau. En milieu urbain : Les entreprises sanitaires : Depuis 1990, le service est fourni par des entreprises sanitaires à capitaux privés. Le contrat de concession est passé entre la Superintendenia de Servicios Sanitarios80 (SISS) et les sociétés anonymes pour une durée de 30 ans. Ces sociétés sont régulées par la loi et soumises au contrôle de la SISS. Elles ne fixent pas leurs propres tarifications, ces dernières sont fixées par la SISS à partir du fonctionnement d'une « entreprise modèle ». La Superintendencia de los Servicios Sanitarios : 80 Traduction non-officielle : Surintendance des Services Sanitaires 109 Elle est chargée de contrôler les entreprises concessionnaires pour le respect des normes liées à la gestion et l'offre du service. Le Ministerio de Obras Publicas (MOP): Il est responsable de l'élaboration et de la planification des politiques publiques en matière de gestion des ressources en eau et du service de production et de distribution de l'eau. Il est chargé de la législation en matière de gestion des ressources hydriques, il attribue les droits d'usage de l'eau et approuve les droits de concessions pour la construction et la gestion des services sanitaires. En milieu rural : Depuis 1964, le programme d'APR a connu plusieurs changements institutionnels et juridiques. Depuis 1994 c'est le MOP qui est chargé de son application, d'abord par le biais de la Direccion de Planeamiento, puis de la Direccion d’Obras Publicas (DOH), puis depuis 2013 par la Subdireccion de Agua Potable Rurall. Aujourd'hui l'objectif du programme est de permettre l'accès à l'eau en zone rural concentrée et semi-concentrée et les entités responsables sont : La Subdireccion de Agua Potable Rural del Ministerio de Obras Publicas : La Loi de finance détermine chaque année le budget alloué au programme d'APR, géré par le MOP. Il est constitué en deux parties : - Un fond pour l'amélioration, l'agrandissement, la maintenance des services déjà existant, et la construction des nouvelles infrastructures. - Un fond pour permettre le financement des contrats de concession ou des conventions passées entre le MOP et les entreprises sanitaires pour superviser ou fournir l'assistance technique aux communautés qui administrent le service. (Représente moins de 10% du budget du programme en 2007) Le MOP finance l'installation et la maintenance des infrastructures et des installations d'eau potable, et délègue la gestion aux Comités et coopératives d'eau potable. La DOH du MOP a un bureau dans chacune des treize régions chiliennes. Les bureaux de la DOH à échelle régionale sont chargés de choisir les projets d’adduction d'eau potable susceptibles d'être financés par le programme d'APR sur leur propre territoire. Pour être éligible la localité doit répondre aux critères démographiques, et de densité de logement par kilomètre de réseaux ; le projet doit également être économiquement et socialement rentable. La rentabilité est calculée par le Ministerio de desarrollo social. La DOH assure également la coordination des projets avec les entreprises sanitaires et les communautés villageoises. La loi oblige uniquement le MOP à garantir l'accès à l'eau potable en milieu rural, et ne 110 l'oblige pas à prendre en charge l'assainissement. Il n'existe à ce jour aucune institution chargée du traitement des eaux usées et de l'assainissement au Chili, milieu urbain et rural confondus. Les comités et les coopératives d'eau potable : Les populations en milieu rural peuvent se réunir en comités ou coopératives et décider d'administrer le service de gestion d'eau potable. Ces organisations à but non lucratif sont chargées de l'administration et de la gestion du service. Les décisions sont prises en Assemblée Générale. L'AG doit choisir un président, un trésorier, un secrétaire et un opérateur chargé des aspects techniques. Les organisations choisissent leurs propres tarifications. Les infrastructures sont simples et sont les mêmes sur tout le territoire ce qui facilite l'administration par les populations rurales et la mise en place des programmes d'assistance technique. Les entreprises sanitaires et la SISS : Le MOP passe des contrats avec les entreprises sanitaires pour qu'elles offrent une assistance technique aux Comités et coopératives d'eau potable. Chaque entreprise compte avec une unité technique chargée de répondre à cette fonction en milieu rural. Deux cas particuliers d'extension du rôle des entreprises sanitaires en milieu rural : 1- Lorsque les habitants font le choix de passer un contrat avec les entreprises sanitaires directement (situation rare). Dans ce cas, il ne s'agit pas d'une concession contrôlée par la SISS donnant un droit d'exploitation exclusif à l'entreprise sanitaire. 2- Lorsqu'une zone rurale, par forte extension et croissance urbaine, et à la suite d'une modification apportée au Plan Regulador81 de la ville, devient partie intégrante de la zone urbaine. Dans ce cas deux situations sont possibles : -si le service d'eau potable rural existait avant 1989 : le comité et la coopérative sont prioritaires pour modifier leur situation et signer un contrat de concession avec la SISS. -Si le comité ou coopérative ont été créé après 1989 : la SISS passe un appel d'offre, l'organisme proposant la tarification la plus faible et étant doté d'un fonctionnement acceptable deviendra le nouveau concessionnaire du service. Le Ministère du développement social. Réalise l'évaluation des projets d'eau potable rural proposés par les Comités et coopératives et offre les aides sociales relatives à la consommation d'eau potable. 81 Traduction non-officielle : Plan local d'urbanisme 111 D’autres ministères sont impliqués dans la politique d’accès à l'eau potable et à l'assainissement en milieu rural au Chili : Le Ministère de la Santé : les autorités sanitaires surveillent les Comités et coopératives d'eau potable pour garantir la qualité, quantité et continuité du service. Le Ministerio de Viviendas y Urbanismo (MINVU) : Le programme Chilebarrio a pour objectif de construire des logements sociaux en étant obligé de garantir un accès à l'eau et à l’assainissement. Le Ministère du Travail est chargé du respect des normes du Code du travail au sein des coopératives et des comités d'eau potable rural. Le Ministère de l’Intérieur et la Subsecretaria de Desarrollo Regional y Administrativo (SUBDERE) Depuis 2007, la BID a créé le Fond National de Développement Régional (FNDR) qui peut être destiné à des projets visant à améliorer l'accès à l'eau potable en milieu rural et à construire des infrastructures d'assainissements. La SUBDERE est chargée de la gestion de ce fond mais elle délègue la réalisation des projets aux municipalités. Annexe 6 : Le cadre normatif applicable au secteur sanitaire urbain et rural. Avant 1989: DFL 1122 1981: Code de l’eau. Décret Nº996 Nch 777 1971: Statut sur l’eau potable, les sources d’approvisionnements et les ouvrages de captations, définissant les conditions d’accès aux ressources D.S. 735 1.969: Les conditions relatives à la Consommation Humaine de l’eau. Circulaire Nº 27 1979: Actualisation de normes sur le contrôle du chlore résiduel dans les réseaux d’eau potable. Période 1989 – 1990. Ley General de Servicios Sanitarios (DFL N 382 del MOP. Diario Oficial 21 de Junio de 1989) a) Sollicite, octroie et exploite les concessions sanitaires (DFL Nº 382 MOP, 1989), b) Détermine les tarifs (DFL Nº 70, 1988), c) Crée un organisme régulateur (Superintendencia de Servicios Sanitarios) y définir ses attributions (Ley Nº18.902, 1990), d) Octroie la subvention directe à la demande pour les usagers à bas revenus (Ley Nº 18.778, 1989), y e) Transforme en sociétés anonymes les onze directions régionales du SENDOS et a EMOS et ESVAL, initialement avec sa propriété détenue aux mains de l’Etat et autorise l’Etat a développer des activités entrepreneuriales en matière d’eau potable et d’assainissement (Ley N 18.777, 1989, y Nº 18.885, 1990) DS Nº 121 1991: Approuve le règlement de la Ley General de Servicios Sanitarios. 112 Période à partir de 1990. Loi N° 19.338 de 1994: modifie la Loi N°18.778 et son règlement qui fut approuvé par le D.S. N° 195 du 19/02/99 et qui intègre la subvention pour l’investissement (jamais appliquée). Loi 19.300 1994: Bases Generales del Medio Ambiente. Loi Nº 19.418, de 1995: Loi sur les Juntas de Vecinos et autres Organisations Communautaires. D.F.L. 725 1968: Code Sanitaire. DFL Nº5 de 2004: Ministerio de Economía Nch 1.333 1978: Conditions requises sur la qualité de l’eau pour différents usages. D.S. 90/00: Normes d’émissions pour la régulation des sources de contaminations DS Nº 50 2002: Approuve le règlement des installations domiciliaire d’eau potable et d’assainissement. DS Nº 609/98: Etablit des normes d’émission pour la régulation des pollutions. DS Nº 46/02: Normes sur les émissions de résidus liquides dans les eaux souterraines. Annexe 7 : Le projet de loi de 1998 et les modifications apportées depuis 2010. 113 Système de renforcement institutionnel Système de financement TEXTE APROUVÉ PAR LE SENAT MODIFICATIONS APPORTEES AU PROJET DE LOI dit MOP 2010 La conception de la politique est responsabilité d’un nouveau Conseil Consultif ou participe les organisations d’APR. On crée la Subdirección de Desarrollo y Fomento de Servicio Sanitario Rural qui impulse, planifie, coordonne et gère les ressources relatives aux politiques publiques d’eau potable et assainissement. Le MOP est chargé de l’exécution des politiques. On rompt la relation unilatérale entre la Subdireccion et les U.T, en permettant à d’autres entités d’offrir le service d’assistance et de formation. La Subdireccion organise l’appel d’offre, choisit l’entité compétente et surveille la réalisation effective du contrat. On reconnait le cadre d’action des communautés, on décrète l’immunité de son territoire, et dans le cas de dysfonctionnement d’une organisation, uniquement les organisations d’APR peuvent prendre la concession. Les particularités indigènes ne sont pas prises en considération. Les spécificités culturelles, sociales et politiques des populations indigènes ne sont pas reconnues. L’on n’établit aucune procédure de discrimination positive puisque les normes appliquées ont un caractère universel. El estado invierte mediante fondos concursales, y asume la prestación de un servicio de S.S.R en las zonas dispersas. Du seul fait de créer une Subdireccion une hausse des affectations budgétaires par la Loi budgétaire. L’Etat intervient par le biais de subventions attribuées au titre d’un appel à proposition. La subvention pour la consommation de l’eau est maintenue, et on crée une subvention pour connecter et adapter les nouvelles technologies jusqu’au foyer. Opérateur de Service d’eau potable rural (APR) / Service sanitaire ruraux. Assainissement : Participation : En cas de liquidation d’une organisation, les organisations autorise à prendre la concession sont celles appartenant à la liste de la SISS, autrement dit les entreprises sanitaires urbaines et les organisations d’APR. La loi ne prévoit aucune facilité pour l’accès au crédit, et le laisse au libre jeu de la marche et des exigences du système financé. Pour permettre la viabilité financière de l’accès à l’eau en milieu rural très dispersé, les subventions à la consommation sont rehaussées Les systèmes d’APR deviennent des Systèmes de Services Sanitaires Ruraux (SSR), en charge de l’assainissement rural. Les coopératives et les comités se transforment en des entreprises titulaires d’une licence, ou d’un permis de SSR, sous la forme juridique d’une coopérative. La Subdireccion se charge de la formation des dirigeants dans le domaine de la comptabilité et de l’administration. De plus, les opérateurs ont la liberté de faire appel a une entité privée pour répondre aux besoins de formation. Le cadre normatif désignant les solutions sanitaires permises introduit de nouvelles solutions et des technologies vertes. Pour cela, il autorise d’ouvrir les appels d’offre au-delà des seules concessions sanitaires urbaines. L’intégration du concept de participation communautaire, et le respect du Convenio 169 sont vus comme un moyen d’information et de communication au sujet des bénéfices estimés et attendus par les autorités publique pour les communautés. L’objectif étant que les communautés internalisent le projet sans créer un espace d’échanges et de retro-alimentation pour définir le projet communément. Le sujet est encore en discussion. Avant de pouvoir évaluer quelles sont les meilleures alternatives possibles, on prévoit de modifier le cadre normatif actuel qui définit les technologies sanitaires autorisées. Le contrôle de l’assemblée sur les activités des dirigeants est augmenté pour augmenter le degré de confiance au sein de la communauté. Les dirigeants perçoivent une rémunération et on rénove le comité directeur de forme partielle. La SISS fixe les tarifs qui doivent couvrir l’ensemble des couts et contrôle les organisations d’APR. Système de régulation et de contrôle. Les organisations sont soumises au contrôle fiscal de la SISS et fixe les tarifs qui recouvrent les coûts. 114 La SIIS est chargée de fixer les tarifs et de fiscaliser les opérateurs des services. Annexe 8 : La disponibilité totale des ressources face à la pression croissante de la demande par secteur. Le Chili dispose de considérables quantités de ressources hydriques. Le taux de ruissellement moyen total, autrement dit, le volume d’eau provenant des précipitations qui ruissellent dans les cours superficiels et souterrains représente en moyenne 53.000m3/personne/année (World Bank, 2010). Cette valeur est au-dessus de la moyenne mondiale 6.600m3/personne/année) et supérieure à la valeur considérée internationalement comme étant nécessaire pour un développement soutenable (de 2.000m3/personne/année). Cependant, il existe au Chili de fortes disparités régionales: Niveau de ruissellement des eaux moyen annuel par région, 2009. Source : VERGARA, ALEJANDRO, B., «Administración y distribución de las aguas en Chile». Santiago: Academica agronomía y forestal 2011, n°42 Région 115 Superficie km I 58 698 II III IV V 126 444 75 573 40 656 16 396 RM VI 15 349 16 341 VII VIII 30 325 36 929 Principaux cours hydrauliques Quebradas de Azapa, Vitor y Camarones Rio Loa Quebrada Salado Rios Elqui, hoapa y Limari Rios Petrorca, Ligua y Aconcagua Rio Maipo Rios Cachapoal Claro y Tingurrica Mataquilo y Maule Rios Itala y Bio-Bio Précipitation moyenne annuelle mm/an 93,6 Ruissellement moyen annuel mm/an Disponibilité en eau par habitant 7,1 1226 44,5 82,4 222,0 434,0 0,2 0,7 18,0 84,0 71 249 1411 995 650,0 898,0 200,0 362,0 584 8495 1377,0 1766,0 784,0 1173,0 28434 24977 IX X 31 842 67 013 XI 109 025 XII 132 033 Rios Imperial y Tohen Rios Valdivia, Bueno, Maulin , puelo, yelcho y Palena Rios Palena, Cisnes, Aisen, Baker, Bravo y Pascua Rios Serrano, Natales, Hollenberg, Gallegos, Chico y Azopardo 2058,0 2970,0 1476,0 2423,0 60159 171133 3263,0 2818,0 3816505 2713,0 2338,0 2155709 Bilan des ressources hydriques au Chili, par régions. Sources : LARRAIN, S. et al., « Marco jurídico para la gestión del agua en Chile. » Santiago : Chile sustentable, 2010 Région Numero total de bassins dans la région VII VIII IX XIV X 10 18 9 10 20 Numero de bassins dans lequel la demande excède les capacité naturelle de régénération 4 4 0 0 1 Numero de bassin dans lequels la demande excède 50% du renouvellement 5 5 1 1 2 Disponibilite juridique des eaux souterraines dans les régions VII à X et XV. Region Bassins VII Mataquito medio Matauito bajo Maule medio Maule bajo Itata inferior Bio bio inferior Coronel Iota Lago Llanquihue VIII X Renouvellement estime (million de m3/an) 26,3 Demande estime (million de m3/an) 183,6 % de sur octroie 23,4 446,9 35 17,3 15,4 1,6 2,3 15,1 19,2 616,5 69,4 37,7 22,1 75,1 7,9 46,3 43% 38% 98% 118% 44% 4,594% 243% 207% 97,7% La disponibilité juridique des eaux souterraines dans la VIIème, Xème et XVème régions et la sur attribution des droits. Source : Elaboration propre à partir des données de la DGA, 2011 in VERGARA, ALEJANDRO, B., «Administración y distribución de las aguas en Chile». Santiago: Academica agronomía y forestal 2011, n°42 La distribution des ressources est très disparate en fonction des secteurs et de l’usage des ressources. 116 Le Code de l’eau distingue les usages « consuntivos » des usages « no-consuntivos ». Le premier –usage destructeur - consiste en l’utilisation des ressources hydriques pour la consommation, qui empêche sa réutilisation ou son retour à son cours d’eau naturel dans des conditions similaires à celles préalables à son usage. Cependant, une grande partie de la ressource destinée à cet usage est à nouveau déversée dans les cours d’origines sous forme localisée ou diffuse. Le second – usage non destructeur – fait référence à l’usage qui ne modifie pas la ressource puisqu’elle est rendue à son cours naturel dans la même quantité et qualité, sans modifier les conditions d’accès des usagers du même cours en aval. C’est le cas des centrales hydroélectriques. D’après la DGA, 67,8% de la consommation continue correspond à des usages non destructeurs 32,2% a des usages destructeurs. Utilisation des droits pour usage destructeur, en fonction des secteurs, 2002. Source: BRAVO, P. «Agua: ¿Dónde está y de quién es? ». Santiago : Chile sustentable, 2004. Les détenteurs des droits d’usages non destructeurs des eaux au Chili, 1998. Source : BRAVO, P. «Agua: ¿Dónde está y de quién es? ». Santiago : Chile sustentable, 2004. 117 La croissance de la consommation d’eau reste importante pour l’ensemble des secteurs, notamment pour les usages productifs. La croissance de la demande de consommation d’eau par secteur (m3/s/ans). Source : VERGARA, ALEJANDRO, B., «Administración y distribución de las aguas en Chile». Santiago: Academica agronomía y forestal 2011, n°42 Annexe 9 : La privatisation du service de distribution de l’eau et l’augmentation consubstantielle des tarifs. Entre 1998 et 2005, l’ensemble des entreprises sanitaires a été privatisé. En 2005, le secteur privé était propriétaire de 83 % des entreprises sanitaires. Les principales entreprises transnationales qui contrôlent le marché sont Suez Lyonnaise des Eaux, Thames Water et Anglian Water. Cette privatisation a eu pour conséquence une augmentation des tarifs permise par une augmentation consubstantielle des subventions pour la consommation de l’eau offerte par l’Etat. Seconde étape : 118 Région Premiere étape : privatisation par vente d’action Transfert au secteur privé des droits d’exploitation sur 30 ans. I - ESSAT II - ESSAN(*) III - EMSSAT IV - ESSCO V ESVAL - VI ESSEL - VII - ESSAM VIII ESSBIO - IX - ESSAR X ESSAL - XI - EMSSA XII - ESMAG Metropolitana EMOS La privatisation des services par étapes historiques, 1998. Source : Elaboration propre. L’augmentation du tarif moyen des entreprises sanitaires entre 1997 et 2000. Source : VERGARA, ALEJANDRO, B., «Administración y distribución de las aguas en Chile». Santiago: Academica agronomía y forestal 2011, n°42 119 L’augmentation des subventions pour la consommation d’eau potable depuis 1992 jusqu’en 2000. Source : DOUROJEANNI, A., JOURAVLEV, A., «El Código de Aguas de Chile: entre la ideología y la realidad», Santiago, Serie DNRI – CEPAL, 1999 Annexe 10 : Définition du milieu rural et taux de couverture d’eau potable et assainissement en milieu rural et urbain. Il existe plusieurs définitions du milieu rural, proposés par différentes institutions. Instituto Nacional de Estadisticas (INE) : Propose une combinaison de critères démographiques et économiques. On déduit la définition du milieu rural à partir de celle du milieu urbain. Le milieu urbain se caractérise par un ensemble de logements concentrés avec plus de 2000 habitants, ou entre 1001 et 2000 habitants, dont au moins 50% de la population est active, occupée dans le secteur secondaire ou tertiaire. Selon cette définition, 13,4% de la population chilienne habiterait en milieu rural, soit 2.026.322 habitants 120 Milieu Urbain Rural Classification Ciudad Pueblo Aldea Caserío Rang de population >5.000 habitants 5.000 – 10.000 Habitants 1.000 – 300 Habitants <300 Hab Y> 3 logements concentrés Autres Composition de la population selon l’Institut National des Statistiques, utilisé comme référence sur les recensements. Source : SUBDERE, División de desarrollo regional, manual de soluciones de saneamiento sanitario para zonas rurales, Santiago, 2009. Direccion de Obras Hidraulicas Vivent en milieu rural toutes les personnes résidant dans une zone non desservie en eau potable par une entreprise sanitaire, puisque les entreprises sanitaires ne sont compétentes qu'en zone urbaine. La DOH distingue trois zones : zone rurale concentrée, zone rurale semi-concentrée, zone rurale dispersée. Les critères les distinguant ne sont pas définitifs, ils évoluent en fonction des objectifs atteints par le programme d'APR. Lors de sa création, le MOP ne finançait que des projets situés en zone rurale concentrée, c'est à dire, comptant 150 à 3000 habitants avec au moins 40 logements par kilomètre de réseaux. Aujourd'hui, le MOP finance des zones où il y a au moins 8 logements par kilomètre de réseaux. On peut dire qu'il vise à atteindre les habitants vivant en zone rurale semi-dispersée. Programa Agua Potable Rural Secteur Rural concentré Rural semi-concentré Rural dispersé Habitant par localité 150 - 3.000 >80 - 150 Densité ( par km de reseau) >15 >8 <8 Source: Elaboration propre. Ci-dessous, deux tableaux présentent la couverture en eau potable et assainissement permise par les entreprises sanitaires en milieu urbain, et les organisations d’eau potable en milieu rural. 121 Population desservie Au sein du programme d’APR Milieu rural total Eau par canalisation Acceso Sin acceso 1.325.173 407.628 1.551.124 407.889 Connecté à des egouts Acceso Sin acceso 180.000 1.145.173 1.015.195 943.818 POBLACION TOTAL 1.580.000 1.959.013 (*) La couverture des organisations d’APR en eau potable et assainissement en milieu rural en 2012. Source : Elaboration propre à partir de SUBDERE, INE, Censo 2002 (*) 2.171.745 habitantes con el Censo 2012. L’évolution de la couverture des services urbains en eau potable et assainissement de 1965 à 2009. Source : BANCO MUNDIAL, Chile, Diagnostico de la gestión de los recursos hídricos, Departamento de Medio Ambiente y Desarrollo Sostenible Región para América Latina y el Caribe, Washington DC, BM, 2011. 122 Annexe 11 : Liste des entretiens réalisés et des visites de terrain. Instituciones públicas: Ministerio de Obras Hidraulicas, Dirección de Obras Hidraulicas, Subdirección de Agua Potable Rural : Denise Charpentier Reinaldo Fuentealba Sanhueza Marcel Hurtado Canales, Jefe de Depto. De Gestión Comunitaria Nayaret Sierra Villalba Miguel Pantoja Guzman Ministerio de Desarrollo Social : Marcia Vallejo Ramos, Analista de inversiones Maria Margarita Allende Valdés, Analista de inversiones Ministerio de Economía Fomento y Turismo, Departamento de cooperativas, Departamento de Cooperativas: Pedro Pablo Lagos Baquedano, Coordinador Unidad de Control de Gestión Dirección regional de planeamiento, Región Metropolitana de Santiago : Vianel Gonzalez Parra Superintendencia de Servicios Sanitarios : Ricardo Sepúlveda M., abogado Marta Sepúlveda, ingeniera civil. Organizaciones de APR : Cooperativa de Abastecimiento y Distribución de Agua Potable, Alcantarillado y Saneamiento Ambiental Hospital-Champa Ltda – Región Metropolitana Jorge Quintanilla Cabeza Gerente Cooperativa de Abastecimiento y Distribución de Agua Potable, Alcantarillado y Saneamiento Ambiental El Granizo Ltda –V Región Cooperativa de Abastecimiento y Distribución de Agua Potable, Alcantarillado y Saneamiento Ambiental Los Maitenes Ltda – V Región Hugo Ahonzo Ponce Cooperativa de Abastecimiento y Distribución de Agua Potable, Alcantarillado y Saneamiento Ambiental Yungay Gultro Los Lirios Aguacoop Ltda – VI Región Comité de Agua Potable Rural Riñihue – X Región Comité de Agua Potable Rural Las Calderas –Región Metropolitana Comité de Agua Potable Rural La alianza Los choapinos – VI Región Comité de Agua Potable Rural San Joaquín de los mayos – VI Región Comité de Agua Potable Rural Domingo Padilla – VII Región Comité de Agua Potable Rural Los Guaicos – VII Región Entreprises sanitaires Aguas Andinas S. A.: Carlos Berroeta Bustos ESSBIO S. A.: Aldo Valencia Eyzaguirre M. Eliana Sepúlveda Bobadilla 123 Nuevo sur : Paula E. Cornejo González Asistente Social Nuevosur VII Región Organismes liés au Programme d’APR. Asociación Gremial Servicios de Agua Potable Rural : Jose Miguel Rivera Navarro, Presidente VI Región Gloria Alvarado Jorquera, Secretaria VI Región Instituto Chileno de Educación Cooperativa : Jorge A. Rossi Catalá, Gerente Fundación Chile: Axel Doureojeanni Jorge Lobos, Jefe proyectos gestión hídrica Federación Nacional de Cooperativas de Servicios Sanitarios Ltda. Guillermo Saavedra, presidente. Asociación Nacional de Empresas de Servicios Sanitarios A.G. : Francisco Donoso D. Fundación AVINA : María Pía Hevía, Coordinadora Programática Alexander Repenning Michael Hantke Domas, abogado. Cristian Villaroel, Chilesustentable Osvaldo Martinez, Sindicato Campesinos RANQUIL Rencontres : Le 23 fevrier 2013, Rencontre Campesinos de Canela, convoqué par la Ranquil, Canela, Région V. Le 16 mars 2013, Présentation debat par la Brigada SoS Huasco, Centre social et culturel le Le syndicat, Santiago, Region RM. Le 22 et 23 Mars 2013, Rencontre Latinoamericaine d’expériences d’intégration coopérative dans l’Economie sociale et solidaire, Academia de humanismo cristiano, Santiago, Région RM. Les 17,18 et 19 avril 2013, la « Division des Evaluations Sociales et des Investissements » du Ministère de Développement Social a organisé un Atelier appelé Secteur Eau Potable et Assainissement, Santiago, Région RM Le 14 mars 2013, Mesa del Agua, Gobernación de Chacabuco, Región V. 124 Annexe 12 : Grilles d’entretiens et d’observation. Grille pour définir le profil des organisations d’eau potable visitées. FICHA PRESENTACION DE LA ORGANIZACION DE APR CRITERIOS EVALUACIÓN Nombre de la organización Fecha y motivo de creación Numero de arranques Proximidad a la zona urbana Proximidad a la comunidad Cohesión entre los dirigentes Conocimiento del programa de APR Interés, conocimiento y participación en el proyecto de Ley Perfil sociológico de los dirigentes Relación con investigadora Grille pour analyser le niveau d’approximation de l’organisation d’eau potable avec le modèle d’économie sociale et solidaire créé. 125 EVALUACIÓN DE : ORGANIZACION APR) Gestión democrática Asistencia y participación de los socios Participación a candidaturas Acceso equitativo al servicio de agua potable Facilidad de adhesión Acceso incondicionado al servicio Participación económica de los asociados Repartición de los remanentes Propiedad colectiva Existencia de una economía plural Relaciones mercantiles Relaciones no mercantiles Relaciones de reciprocidad Igualdad entre los socios. Relaciones socios/directiva Jerarquía interna en la directiva Objetivo de desarrollo local-comunitario. Educación, información, transparencia. Asociatividad entre las organizaciones de APR. Autonomía, independencia. Relación con el Estado Relación con las empresas sanitarias 126 (NOMBRE y NUMERO DE Ce que je veux savoir Antécédents historiques et raisons de création : (nécessité, revendications politiques, imposés) Questions Como nació esta cooperativa, porque razón ? Habían varias cooperativas en esta zona? Como vivía la gente acá? Spécificités de la coopérative vs privé Niveau de Conscience / Différences Ressemblances Cuál es su objetivo principal como cooperativa? Su - principal misión? Cuál es la ventaja que tienen ustedes? Las mayores dificultades? Organisation interne : Participation / solidarité / démocratie/ lien social Cómo se organizan de manera interna? Como se toman las decisiones? Como participan las personas? Gestion du service : Compétence / Paiement / Moyen financier Qué tipo de servicio presta? Los dirigentes tiene experiencias? Han recibido algún tipo de capacitación? Autonomie et solidarité entre organisations d’APR Qué relación tiene con el Estado? Y con las Empresas sanitarias? Positionnement vis-à-vis de la Loi Ha oído hablar de la Ley MOP 2010? Exemple d’une grille d’entretien simplifiée. FICHE D’EVALUATION DE L’ASSOCIATION / RESEAU d’ASSOCIATION Nom de l’association ou du réseau Noms des associés Type Nombre d’associations Type d’organisation de la d’association dans le réseau société civile associée Lieu Revendications Moyens d’actions Représentations de l’eau Agents responsables et propositions Tableau pour analyser les associations présentent lors des manifestations pour l’eau du 22 mars et le 22 avril 2013. 127 Annexe 13 : Synthèse des résultats du terrain Après avoir visité des organisations d’eau potable et m’être entretenue avec les membres présents du Comité directeur et, lorsque l’occasion se présentait, des membres de l’organisation, j’ai pu classifier les organisations en fonction de plusieurs critères. Au niveau des comportements et de la situation subjectifs des individus j’ai pu distinguer deux « mondes », liés aux modèles d’évaluation communautaire et marchande, vu plus haut. Les critères objectifs me permettant de définir chacun des mondes étaient : emplacement géographique et le degré d’influence de la culture de la modernité chez les habitants, les modes de consommations dominant et le profil sociologique dominant des dirigeants de l’organisation. Le second critère d’évaluation discriminant était le degré de connaissance du fonctionnement du Programme d’Eau Potable Rural et le niveau d’implication dans les débats concernant le projet de loi sur les services sanitaires urbains. Concernant l’évaluation de l’organisation en tant que telle, j’ai classé la performance des organisations en fonction d’un niveau de capital total définie par un capital économique, social, culturelle et technologique et informatique. Le capital économique : niveau de patrimoine communautaire que possède chaque organisation. Le capital social : peut se mesurer par le nombre de contacts formels et informels que possèdent les membres de l’organisation pouvant être active pour obtenir une aide ou faciliter le développement de l’activité productive. Le capital culturel : est le niveau de connaissance et les habilitées que possèdent les dirigeants de l’organisation pour participer aux Programmes d’APR et administrer le service. Le capital technologique et informatique : se mesure par le niveau d’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans chacune des organisations pour faciliter la production ou la transparence. Chacun des capitaux est intimement lié. A partir de ces critères, j’ai pu classer les organisations et déterminer quels types d’organisations étaient plus proches d’un modèle d’économie sociale et solidaire. Monde marchand Monde Communautaire Bonne connaissance du programme et du projet de loi Aucune connaissance du programme et du projet de loi Refus du modèle d’ESS Eloignement construit, par influence Rapprochement volontaire au modèle Rapprochement inconscient et spontané au modèle Typologie : position des organisations face au modèle d’économie social et solidaire. Source: Elaboration propre. 128 Schéma résumant la position des organisations et l’évaluation des services en fonction du modèle d’Economie Sociale et Solidaire. Source : Elaboration propre. 129 Principes et valeurs des organisations d’économie sociale et solidaire. Administration démocratique et participative. Satisfaction des nécessitées et des aspirations économiques, sociales et culturelles des membres. Organisation économique de propriété économique collective. Organisation économique et solidaire. Critères d’évaluation applicables á une organisation d’eau potable rural. Explication des critères Modalités extrêmes existantes pour chaque critères (*) Gestion démocratique -Présence de la majorité des membres dans les Juntes Générales, où les décisions se prennent à la majorité ou de façons consensuelles après un débat public. Participation spontanée et acceptation du jeu démocratique. -Assistance et participation active des membres. –Participation pour présentation a candidatures. Accès équitable au service d’eau potable. -Facilite d’adhésion. -Accès inconditionné au service. Participation économique des membres associés juste et équitable. -Répartition des excédents -Propriété communautaire. Existence d’une économie plurielle. Compromis communauté. avec la -Echanges marchands -Redistribution -Réciprocité Volonté de former politiquement les membres. Coopération organisations d’E.S.S. entre Autonomie et indépendance. 130 -Répartition égalitaire des excédents entre les membres. Esprit de solidarité, de coopération et d’aide mutuelle entre tous les membres sans distinctions par le statut de la personne au sein de l’organisation. -Relation membres/dirigeants -Hiérarchie interne Objectif de développement communautaire. -Service d’APR continue, de qualité, en quantité suffisante à un prix abordable, sans condition d’accès -Propriété communautaire des moyens de productions et du capital de l’organisation. Existence et reconnaissance des modalités d’échanges économiques plurielles : - relations économiques marchandes -relations économiques non marchandes -relations économiques de réciprocité. Egalité entre les membres. Organisation égalitaire, équitable et démocratique. -Les membres se présentent leur candidature pour assumer les responsabilités du mandat et que la JG lui dicte -Inexistence de discrimination lors de l’adhésion à l’organisation. local- Education, information transparence. -Transparence -Education sur l’organisation d’APR et Associativité entre les organisations d’APR. Modèle de Gouvernance du Programme d’APR intégrateur et solidaire. -relation avec l’Etat -relation avec les entreprises sanitaires. Objectif principal est l’amélioration des conditions de vie et de bien-être des personnes résidentes dans la communauté rurale. Formation et information pour les membres au sujet du fonctionnement de l’organisation d’APR et de son rôle de façon permanente, opportune et progressive. Intégration et association ou fédération avec d’autres organisations d’APR. Autonomie, autodétermination et gouvernance propre des organisations, en recevant une aide du MOP et en travaillant avec les entreprises sanitaires privées. Professionnalisation de l’organisation et rejet du jeu démocratique. Accès facile à l’organisation et au service d’eau potable. Accès discriminé à l’organisation et au service d’eau potable. Une gestion et appropriation économique des organisations par ses membres élevées. Organisation proche du mode de gestion capitaliste. Organisation qui valorise les liens sociaux primaires et les relations solidaires entre ses membres Organisation qui valorise les relations marchandes. Relations égalitaires entre les membres. Distanciation entre les membres et le comité directeur et hiérarchie interne au comité directeur, marquées. Focalisation pour le développement endogène de la communauté. Focalisation sur la croissance économique de l’organisation. Volonté de faire prendre conscience sur l’importance de l’organisation et de développe un sentiment d’appartenance. Organisation opaque qui ne valorise par l’éducation des membres. Oui : FENAPRU/AGRESAP/ FESAN Non Volonté d’établir un modèle de gouvernance solidaire démocratique, transparent et intégrateur. Volonté de gagner une autonomie économique pour devenir une entreprise capitaliste. Annexe 14: Les limites de l’analyse coût-avantage pour l’évaluation des investissements des projets d’eau potable rurale. Les 17,18 et 19 avril 2013, la « Division des Evaluations Sociales et des Investissements » du Ministère de Développement Social a organisé un Atelier appelé Secteur Eau Potable et Assainissement. Il réunissait l’ensemble des fonctionnaires publics chargés de l’évaluation des investissements pour la création de nouvelles organisations d’eau potable, et des représentants de la DGA et de la Subdireccion de Agua Potable Rural. Des frustrations étaient palpables chez les fonctionnaires du Ministère de Développement Social, ne pouvant pas justifier des investissements urgents et nécessaires pour les populations en vertu de la méthodologie coût-avantages. Le tableau ci-dessous montre le nombre de projets< nécessaires mais ne pouvant être validé car le coût dépasse le plafond fixe dans chacune des régions . COSTO MÁX. REGIÓN ZONA VIGENTE (UF) I 1 230 III 2 221 IV 2 221 V 2 221 VI 3 130 VII 3 130 VIII 3 130 IX 4 175 X 4 175 X (islas) 6 163 XI 5 209 XII 5 209 RM 3 130 XIV 4 175 XV 1 230 PROY. PROMEDIO MÁX MÍN % NO PROYECTOS QUE NO (UF) (UF) (UF) CUMPLE TOTALES CUMPLEN 201 301 231 82 183 151 140 158 130 219 306 181 133 196 149 357 342 289 82 298 389 208 316 198 390 364 474 324 276 257 141 271 132 82 94 76 78 38 49 75 249 77 41 103 102 Source : Subdirección de Agua Potable Rural, D.O.H, M.O.P, 2013. 131 27% 100% 75% 0% 86% 50% 67% 46% 7% 20% 100% 76% 14% 17% 20% TOTAL 3 5 3 0 12 13 4 11 1 2 2 13 5 1 2 77 11 5 4 1 14 26 6 24 14 4 2 17 35 6 10 179 Annexe 15 : Photographies de terrain. Ilustración 1Réservroi d’eau type du Programme d’APR, Riñihue, Region XV Ilustración 2Assemblée Générale Cooperative Hospital-Champa Ilustración 3Champl près de Rancagua Region VI 132 Ilustración 4Comite d'eau potable Las calderas Ilustración 5 Comite d'eau potable La Alianza Ilustración 6Cooperative d'eau potable Los Lirios Ilustración 7 Station d’épuration de la Coopérative d’eau potable Los Lirios 133 Ilustración 8 Mapuche lors du Carnaval de l'eau Ilustración 9Representant Brigada SOS Huasco Ilustración 10AGRESAP pendant le carnaval de l'eau 134