COMPOSÉS DU CARBONE ET LIAISONS CHIMIQUES Chapitre

COMPOSÉS DU CARBONE ET
LIAISONS CHIMIQUES
La vie repose sur la chimie organique
Les scientifiques s'interrogent depuis longtemps sur l'origine de la vie sur la Terre
et l'existence possible de vie ailleurs dans l'Univers. Selon certains indices, au dé-
but de l'histoire de la Terre, des éclairs traversant l'atmosphère terrestre auraient
engendré la plupart des composés organiques nécessaires à l'émergence de la
vie. D'autres pistes suggèrent que la vie émanerait des profondeurs de l'océan,
où les cheminées des sources hydrothermales auraient fourni l'énergie requise
aux réactions chimiques des matériaux de base donnant naissance aux molécules
à chaînes carbonées. Enfin, d'autres signes portent à croire que les sédiments
argileux auraient procuré les éléments nécessaires aux réactions fabriquant les
molécules organiques de la vie.
Récemment, l'émoi mondial suscité par la découverte de molécules organi-
ques dans l'espace interstellaire et dans les météorites provenant de Mars a sti-
mulé un intérêt pour la vie potentiellement présente au-delà de l'incubateur bleu
et vert qu'est la Terre. Des molécules organiques auraient-elles émergé ailleurs
dans l'Univers par le même processus laborieux que sur la Terre ? Les simples
briques organiques de l'édifice de la vie ont-elles pu parvenir sur la Terre, enchâs-
sées dans des météorites provenant des confins de l'espace ?
Parmi les types de molécules organiques découvertes dans les météorites, il y
a des acides aminés, constituants des protéines, et des lipides, molécules pou-
vant former des compartiments moléculaires, ou vésicules. Dans certains de ces
Chapitre
1
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SOMMAIRE météorites, la matière organique représentait, en moyenne, 7 % de la masse.
Selon les estimations, il y a 300 millions d'années, la Terre aurait reçu 1020 g de
matière organique provenant des météorites carbonés, soit plus que la quantité
actuellement contenue dans la biomasse (1018 g). Ces météorites auraient donc
fourni davantage de matériel organique brut qu'il n'en fallait pour déclencher
la vie.
Enfin, au cœur de toutes ces théories réside l'idée que les molécules orga-
niques sont l'essence même de la vie, à la fois source de vie sur la Terre et origine
d'une vie extraterrestre possible.
1.1 INTRODUCTION
La chimie organique étudie les composés du carbone, origine de toute vie sur la Terre.
Parmi les composés carbonés, on trouve l'acide désoxyribonucléique (ADN), molé-
cule en forme d'hélice qui contient toute notre information génétique; on trouve éga-
lement les protéines, catalyseurs de toutes les réactions chimiques du corps humain
et constituants du sang, des muscles ainsi que de la peau. Conjointement avec l'oxy-
gène de l'air que nous respirons, les composés du carbone fournissent toute l'énergie
nécessaire au maintien de la vie.
Selon une théorie de l'origine de la vie, les atomes de carbone auraient été pré-
sents sous forme de méthane (CH4) tôt dans l'histoire de la Terre. On suppose que
l'atmosphère primitive de notre planète était constituée de ce composé organique simple,
de gaz carbonique, d'eau, d'ammoniac et d'hydrogène. Des expériences ont démontré
que les décharges électriques les éclairs, par exemple et les autres formes de
radiations hautement énergétiques fragmentent ces composés simples en traversant
ce type d'atmosphère. Les nouveaux composés ainsi formés, très réactifs, se combi-
nent alors pour donner naissance à des composés plus complexes tels que les acides
aminés, la formaldéhyde, le cyanure d'hydrogène, les purines et les pyrimidines. Une
fois formés dans l'atmosphère primitive, ces composés et bien d'autres auraient été
transportés par la pluie, puis auraient ruisselé vers la mer pour faire de celle-ci un
vaste incubateur renfermant tous les réactifs nécessaires à l'émergence de la vie. Ainsi,
les acides aminés auraient réagi les uns avec les autres pour constituer des protéines.
En entrant en réaction ensemble, des molécules de formaldéhyde auraient produit
des glucides qui, à leur tour, se seraient combinés avec des phosphates inorganiques,
des purines et des pyrimidines pour donner naissance à des molécules simples d'acide
ribonucléique (ARN) et d'ADN. Par leur capacité à conserver l'information génétique
et leur habileté à catalyser des réactions, les molécules d'ARN auraient contribué à la
formation des premiers systèmes capables d'autoréplication. Par un mécanisme en-
core très loin d'être élucidé, la transformation de ces premiers systèmes par un long
processus de sélection naturelle aurait généré toutes les formes vivantes que nous
connaissons aujourd'hui.
Certes, nous sommes largement composés de molécules organiques, nous en dé-
rivons et nous nous en nourrissons, mais il est bon de rappeler que nous vivons égale-
ment à l'ère de la chimie organique. Les vêtements que nous portons, qu'ils soient
fabriqués à partir de fibres naturelles comme la laine ou le coton, ou synthétiques
comme le nylon ou le polyester, sont constitués de composés carbonés. Des maté-
riaux utilisés pour construire les maisons qui nous abritent, beaucoup sont organiques.
L'essence qui sert à propulser nos voitures, le caoutchouc de leurs pneus et le plas-
tique composant leur habitacle, de même que la plupart des médicaments, sont aussi
d'origine organique.
Bien qu'ils soient en général bénéfiques, les composés organiques sont parfois
source de maux. Certains composés organiques introduits dans l'environnement ont
eu des conséquences fâcheuses insoupçonnées. Heureusement, dans bon nombre de
ces cas, des procédés plus respectueux de l'environnement ont été développés. Par
1.1 Introduction
1.2 La chimie organique
au rang de science
1.3 Théorie structurale de
la chimie organique
1.4 Liaisons chimiques :
la règle de l'octet
1.5 Structures de Lewis
1.6 Exceptions à la règle
de l'octet
1.7 Charges formelles
1.8 Résonance
1.9 Mécanique quantique
1.10 Orbitales atomiques
1.11 Orbitales moléculaires
1.12 Structure du méthane
et de l'éthane : exem-
ples d'hybridation sp3
1.13 Structure de l'éthène
(éthylène) : exemple
d'hybridation sp2
1.14 Structure de l'éthyne
(acétylène) : exemple
d'hybridation sp
1.15 Résumé des principaux
concepts dérivés de la
mécanique quantique
1.16 Géométrie moléculaire :
le modèle de la répul-
sion des paires d'élec-
trons de la couche de
valence (RPECV)
1.17 Notation des formules
structurales
Méthane
Molécule d'ARN
Méthane
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exemple, plutôt que de vaporiser des pesticides, on piège les insectes à l'aide de phé-
romones, sortes d'hormones naturelles qui les attirent. Les pourparlers internationaux
en matière de protection de la couche d'ozone utilisation de réfrigérants organiques
moins réactifs et d'aérosols moins nocifs démontrent également le souci, partagé
par tous, de préserver l'intégrité de l'atmosphère. Par ailleurs, les voitures équipées de
moteurs à combustion plus efficaces requièrent moins d'essence et contribuent à ré-
duire la quantité de polluants atmosphériques qui causent l'effet de serre.
Non seulement sommes-nous à l'ère de la chimie organique, mais aussi vivons-
nous à une époque où on prône la réduction, la réutilisation et le recyclage. Les com-
posés organiques n'échappent pas à cette tendance. En effet, les plastiques des bou-
teilles de boissons gazeuses et de lait sont aujourd'hui recyclés en tissu et en tapis. Le
recyclage du papier fait diminuer la demande de pulpe de papier et, par conséquent,
réduit la coupe d'arbres. Les huiles à moteur, les peintures et les solvants sont récupé-
rés par des organismes environnementaux qui les recyclent. Les laboratoires de chi-
mie effectuent des expériences à des échelles de plus en plus réduites, ce qui diminue
leurs besoins en matières premières et génère moins de déchets. Pour le bien de l'hu-
manité, les chimistes développent maintenant des procédés tenant compte de l'envi-
ronnement. Conscients de ces efforts, plusieurs gouvernements encouragent ces ini-
tiatives et récompensent les procédés les plus innovateurs.
De toute évidence, la chimie organique est étroitement associée à presque toutes
les facettes de notre vie, et c'est pourquoi on gagne à mieux la connaître.
1.2 LA CHIMIE ORGANIQUE AU RANG DE SCIENCE
Depuis des milliers d'années, les êtres humains se servent des composés organiques
et de leurs réactions. La découverte du feu représente probablement la première réac-
tion organique délibérée. Les Égyptiens de l'Antiquité teignaient leurs tissus à l'aide
de composés tels que l'indigo et l'alizarine. Les Phéniciens extrayaient la célèbre
pourpre royale, une autre substance organique, d'un mollusque. La fermentation du
raisin en alcool éthylique et les propriétés acides du vin qui a tourné ont été décrites
dans la Bible, et on soupçonne que ces processus étaient connus bien avant.
Par contre, on considère la chimie organique comme une science depuis moins
de deux cents ans. La plupart des historiens de la science s'accordent à dire qu'elle
date du début du XIXe siècle, au moment même où l'on cessa de croire en la théorie
vitaliste.
1.2A VITALISME
Au cours des années 1780, les scientifiques commencèrent à faire une distinction
entre les composés organiques et les composés inorganiques. Les premiers furent
définis comme étant ceux provenant d'organismes vivants, et les seconds, comme
ceux découlant de matière inanimée. Parallèlement à cette distinction naquit la théo-
rie du vitalisme, selon laquelle la synthèse d'un composé organique nécessiterait l'in-
tervention d'une « force vitale ». Les chimistes de l'époque croyaient donc que de
telles réactions ne pouvaient s'opérer que dans un organisme vivant; il était impen-
sable pour eux qu'elles puissent s'effectuer en laboratoire, dans des éprouvettes.
Entre 1828 et 1850, bon nombre de composés pourtant organiques furent synthé-
tisés de sources inorganiques. En 1828, Friedrich Wöhler réalisa la première de ces
synthèses : il produisit de l'urée (un composant de l'urine) en faisant évaporer une
solution aqueuse contenant du cyanate d'ammonium inorganique.
NH
4+
NCO
H
2
N9C9NH
2
O
Cyanate d'ammonium Urée
Après l'expérience de Wöhler, la théorie vitaliste eut de moins en moins d'adeptes, ce
qui contribua à l'essor de la chimie organique dès 1850.
4Chapitre 1
Malgré la disparition de la théorie du vitalisme en science, on utilise encore
aujourd'hui le mot « organique » pour désigner ce qui provient d'organismes vivants,
comme les « vitamines organiques » ou les « engrais organiques ». Les « vitamines
organiques » ont été isolées de sources naturelles plutôt que synthétisées en labora-
toire par des chimistes. Bien qu'il existe des avantages pour l'environnement à prati-
quer la culture biologique et que les vitamines « naturelles » puissent contenir
des substances bénéfiques non présentes dans les vitamines synthétiques, il est faux
de prétendre que la vitamine C pure « naturelle » est meilleure pour la santé que la
vitamine C pure synthétique. Ces deux substances sont identiques en tout point.
Aujourd'hui, on appelle chimie des produits naturels l'étude de composés déris
d'organismes vivants.
1.2B FORMULES EMPIRIQUES ET FORMULES MOLÉCULAIRES
Aux XVIIIe et XIXe siècles, le développement de méthodes qualitatives et quantitatives
d'analyse des substances organiques permit d'importantes percées. En 1784, Antoine
de Lavoisier fut le premier scientifique à montrer que les composés organiques sont
constitués principalement de carbone, d'hydrogène et d'oxygène. Entre 1811 et 1831,
Justus Liebig, J.J. Berzelius et J.B.A. Dumas mirent au point des méthodes quantita-
tives pour déterminer la composition des composés organiques.
En 1860, Stanislao Cannizzaro apporta un élément capital en démontrant qu'il
était possible de différencier les formules empiriques des formules moléculaires
grâce à l'hypothèse d'Amedeo Avogadro (1811). Par la suite, on se rendit compte que
plusieurs molécules partageant la même formule étaient, en fait, composées d'un nom-
bre différent d'atomes. Par exemple, l'éthylène (éthène), le cyclopentane et le cyclo-
hexane partagent la même formule empirique, CH2, mais ont des formules molécu-
laires différentes : C2H4, C5H10 et C6H12, respectivement.
1.3 THÉORIE STRUCTURALE DE LA CHIMIE
ORGANIQUE
De 1858 à 1861, chacun de leur côté, August Kekulé, Archibald Scott Couper et Alexan-
der M. Butlerov jetèrent les bases de l'une des théories les plus fondamentales en
chimie : la théorie structurale. Cette théorie repose sur deux prémisses :
1. Dans les composés organiques, les atomes des éléments peuvent former un nombre
déterminé de liens. L'unité de mesure de cette capacité de réaliser des liaisons est
appelée valence. Ainsi, le carbone est tétravalent, ce qui signifie qu'il peut former
quatre liaisons. L'oxygène est divalent, et l'hydrogène ainsi que les halogènes (habi-
tuellement) sont monovalents.
C9O9H9Cl9
L'atome de carbone
est tétravalent. L'atome d'oxygène
est divalent. Les atomes d'hydrogène
sont monovalents.
2. L'atome de carbone peut employer une ou plusieurs de ses valences pour former
des liaisons avec un ou plusieurs autres atomes de carbone.
CCCC
Simple liaison
C C
Triple liaisonDouble liaison
Liaisons carbone carbone
Dans son article original, Couper représenta ces liaisons par des traits sem-
blables à ceux utilisés dans les formules présentées dans cet ouvrage. Dans son ma-
nuel publié en 1861, Kekulé donna à la chimie organique sa définition courante :
l'étude des composés du carbone.
OHHO
CH9CH2OH
OH
OOCHC
C C
Connaître le nombre de liaisons
que peut réaliser un atome est
fondamental dans l'apprentissage
de la chimie organique.
Vitamine C
COMPOSÉS DU CARBONE ET LIAISONS CHIMIQUES 5
Figure 1.1 Modèles boules et
tiges représentant les structures
de l'alcool éthylique et de l'oxyde
de diméthyle.
1.3A ISOMÉRIE : L'IMPORTANCE DES FORMULES STRUCTURALES
Les premiers chimistes organiciens firent appel à la théorie structurale pour résoudre
le problème de l'isomérie. En effet, ces chimistes rencontraient souvent des compo-
sés bien distincts partageant pourtant la même formule moléculaire. De tels com-
posés sont appelés isomères.
Prenons l'exemple suivant. Deux composés dont la formule moléculaire corres-
pond à C2H6O ont des propriétés différentes (voir tableau 1.1) qui en font deux com-
posés bien distincts. Par conséquent, on dit de ces composés qu'ils sont isomères.
Notez que ces deux isomères ont des points d'ébullition et de fusion différents, et que
l'un, l'oxyde de diméthyle, est un gaz à la température ambiante alors que l'autre,
l'alcool éthylique, y est à l'état liquide.
Il est impossible de différencier ces deux composés par leur formule moléculaire
(C2H6O), puisque c'est la même. C'est alors qu'intervient la théorie structurale en don-
nant différentes structures (figure 1.1) et différentes formules structurales pour ces
deux composés.
H H
HH
H9C9C9O9H
Alcool éthylique H H
HH
H9C9O9C9H
Oxyde de diméthyle
Un bref coup d'œil sur les formules structurales de ces deux composés suffit à les
distinguer, car ils diffèrent par leur connectivité: les atomes de chacun sont ratta-
chés différemment entre eux. Dans l'alcool éthylique, il s'agit d'un enchaînement
C!C!O, alors que dans l'oxyde de diméthyle c'est plutôt un enchaînement
C!O!C. L'alcool éthylique possède un atome d'hydrogène attaché à l'oxygène,
tandis que dans l'oxyde de diméthyle tous les atomes d'hydrogène sont liés aux carbo-
nes. L'atome d'hydrogène lié de façon covalente à l'oxygène est responsable de l'état
liquide de l'alcool éthylique à la température ambiante. Comme nous le verrons à la
section 2.14C, cet atome d'hydrogène permet aux molécules d'alcool éthylique de for-
mer des liaisons hydrogène entre elles, d'où un point d'ébullition plus élevé que celui
de l'oxyde de diméthyle.
L'alcool éthylique et l'oxyde de diméthyle sont des exemples d'isomères de cons-
titution*. Les isomères de constitution sont des composés différents partageant la
même formule moléculaire et se distinguant par leur connectivité, c'est-à-dire par
Tableau 1.1 Propriétés de l'alcool éthylique et de l'oxyde de diméthyle.
Alcool éthylique Oxyde de diméthyle
C2H6OC
2H6O
Point d'ébullition (°C) 78,5 –24,9
Point de fusion (°C) –117,3 –138
* Jadis, ces isomères étaient appelés isomères de structure. L'Union internationale de chimie pure et appli-
quée (UICPA) recommande de ne plus employer ce terme pour décrire de tels isomères.
Cette icône attire votre attention
sur les structures moléculaires et
d'autres informations présentées
dans le cédérom fourni avec le
manuel.
Les termes et les concepts
importants à retenir sont en vert.
Essayez de les assimiler à mesure
qu'ils se présentent. Ces termes
sont également définis dans le
glossaire.
Alcool éthylique Oxyde de diméthyle
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