Rapports professionnels et types de clientèles : médecins

Direction de la recherche, des études,
de l’évaluation et des statistiques
DREES
SÉRIE
ÉTUDES
DOCUMENT
DE
TRAVAIL
Rapports professionnels et types de clientèles :
médecins libéraux et salariés
(médecine générale, gériatrie, urgence, gastro-entérologie, psychiatrie)
Post-enquête « Conditions et organisation du travail
dans les établissements de santé »
VEGA Anne
n° 51 – juin 2005
MINISTÈRE DE L’EMPLOI, DE LA COHÉSION SOCIALE ET DU LOGEMENT
MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SOLIDARITÉS
3
Sommaire
Synthèse du travail................................................................................................................................................ 5
Introduction générale ........................................................................................................................................... 9
Problématique .................................................................................................................................................... 9
Sélection des enquêtés...................................................................................................................................... 10
Grille d’entretien.............................................................................................................................................. 12
Canevas des entretiens ..................................................................................................................................... 13
Déroulement de l’enquête ................................................................................................................................ 14
Présentation du travail...................................................................................................................................... 15
Note préliminaire.............................................................................................................................................. 16
1. La constance des identités médicales : spécialisations et hiérarchisations du travail ............................... 17
1.1 Atouts et problèmes rapportés aux différents modes d’exercice................................................................ 21
A. Établissements publcs/exercices privés................................................................................................. 21
B. La médecine hospitalière (publique et privée)/ le cabinet..................................................................... 29
1.2 Regards croisés des spécialistes : to cure ou to care................................................................................... 32
A. Qu’est-ce qui amène les enquêtés à se spécialiser ? ............................................................................. 33
B. Les urgences, des services où se concentrent et se démultiplient tous les paradoxes (révélateurs de
dysfonctionnement du système de santé en général) ................................................................................. 37
C. La gériatrie, une spécialité aux limites de la médecine hospitalière...................................................... 43
D. Où sont désormais les limites des soins ? ............................................................................................. 45
1.3 La question complexe des collaborations professionnelles........................................................................ 49
2. Conséquences et etiologies de la crise médicale : la fin d’une époque........................................................63
2.1 Des constatations communes : l’augmentation des temps de travail.......................................................... 63
A. Les pénuries médicales au centre de tous les discours.......................................................................... 64
B. Des angoisses pour l’avenir .................................................................................................................. 66
C. Les nouveaux risques de déconstruction des identités professionnelles : un travail administratif
chronophage et des contrôles inadaptés voire suspicieux.......................................................................... 69
2.2 Les procès................................................................................................................................................... 73
3. Discours et pratiques paradoxales................................................................................................................. 83
3.1 L’ambiguïté des surcharges de travail........................................................................................................ 84
3.2 Les limites des critiques............................................................................................................................. 90
3.3 Les paradoxes des politiques de santé........................................................................................................ 95
Conclusion générale............................................................................................................................................ 99
Bibliographie..................................................................................................................................................... 105
Annexe 1............................................................................................................................................................. 109
Annexe 2............................................................................................................................................................. 112
Annexe 3............................................................................................................................................................. 116
5
Synthèse des résultats de la post-enquête
Ce travail vise à approfondir la connaissance des grands axes de différenciations entre
médecins, dans le but d’arbitrer sur le maintien ou l'exclusion à venir des médecins libéraux
de l’enquête nationale de la Drees. Il est fondé sur l’analyse comparée d’entretiens semi-
dirigés conduits auprès d’une quinzaine de post enquêtés.
Atouts et problèmes rapportés aux différents types d’exercices
Si l’hôpital public reste le berceau du Savoir (apprentissage continu entre experts dotés de
techniques de pointes), les communications professionnelles seraient facilitées en dehors des
CHU, et dans le privé (relations ouvertes directes, y compris avec les médecins de ville,
recentrées sur les patients). Ces constats sont à l’origine de nombreux changements
d’exercices et/ou d’exercices simultanés1.
Cependant, travailler dans des établissements en général est synonyme :
- de prestige lié à l’exercice de la médecine – une médecine de spécialités d’organes
(mais plus ou moins vitaux nobles et propres), et hiérarchisées aussi en fonction du
maniement de techniques curatives plus ou moins prestigieuses2 ;
- de pouvoir lié au fait de soigner théoriquement de « vrais » patients technicisés et/ou
hospitalisés3, par opposition aux patients en « consultation externe », ayant des
pathologies moins graves (« fausse urgence », « médecine générale ») voire
« fonctionnelles » rapportées à l’exercice en médecine de ville ;
- de garanties d’enrichissement de sa spécialisation par la confrontation aux
connaissances des autres spécialités, mais aussi de garanties de réassurance
professionnelle (rester performant, et surtout se partager des décisions et des risques
d’erreurs).
Degrés de pénibilités du travail
Dès lors, ce qui semble avant tout distinguer les médecins entre eux serait :
- Leurs capacités individuelles à établir des échanges privilégiés avec des médecins
spécialistes hospitaliers.
Ainsi, plus que le fait d’être ou non salarié et d’exercer dans tel ou tel type de
structures (publiques ou privés), être ou ne pas être CHU, y avoir ou non des « amis »,
« collaborateurs privilégiés », des « référents » ou des « alliés »4, être ou ne pas être
1 Le choix des types et des lieux d’exercice étant également fortement dépendant des types de contrat ou des
degrés d’investissements financiers, et des possibilités d’organisation du temps privé (en particulier pour les
jeunes générations et les femmes).
2 La gériatrie étant alors une spécialité aux limites – voire aux marges de la médecine hospitalière, par opposition
à la triade cardiologie-pneumologie-gastro-entérologie.
3 En pratique, car outre l’obligation aux urgences d’accepter « le tout venant », les enquêtés travaillant en
institution ont tous des sous spécialisations à l’instar des médecins de ville.
4 Ce qui évite aux praticiens de risquer de « perdre la face », de « déranger » ou d’être éconduits par leurs pairs.
6
éloigné de grands centres hospitaliers (voire encore avoir ou non des gardes à
répétition5)… sont autant de facteurs favorisant ou limitant le stress au travail.
- Leurs capacités à filtrer, imposer les patients et à se reposer sur d’autres
professionnels pour leurs accompagnements et celui de leurs proches (tris,
décharges et/ou relégation de clients).
Autrement dit, au-delà des types d’exercice, bien vivre son travail, c’est non seulement
pouvoir accéder à des conseils, des savoirs et/ou des relais techniques et pouvoir « se
couvrir », mais aussi maîtriser l’afflux de clients afin 1. de limiter les risques d’erreurs
diagnostics ; 2. d’approfondir une expertise reconnue et ainsi 3. de favoriser la captation
de clientèle.
- Les ressentis des charges de travail étant in fine étroitement liés aux possibilités de
pouvoir refuser des patients éloignés de centres d’intérêts de chaque praticien et/ou
leur faisant prendre trop de responsabilités.
D’où des pénibilités du travail jugées plus importantes chez l’ensemble des praticiens de
première (MG, urgences6) ou de dernière ligne (gériatries) – la médecine générale étant
ressentie comme l’exercice le plus périlleux. En effet, il démultiplie les risques de solitude
professionnelle, c’est-à-dire les risques de fautes professionnelles (hantise présente chez tous
les médecins ou presque, et qui tendraient à augmenter avec l’arrivée de patients de plus en
plus âgés dans les services) liés à une médecine non spécialisée et non hospitalière, synonyme
en outre de sacrifice obligé à des clients-patients non triés (médecins prestataires de
services)7.
Constantes et paradoxes médicaux
- Les échanges interprofessionnels restent limités. En effet, outre des problèmes
récurrents de concurrence, de querelles individuelles (logiques de captation de
clientèle), et de conceptions des soins (césure entre la psychiatrie et la médecine), le
véritable collaborateur tend à n’être envisagé qu’entre même niveau hiérarchique.
De plus, il existe une relative méconnaissance des ressources extra-hospitalières
et/ou non médicales (ex. kinésithérapies). Enfin, le rapport toujours problématique à
la mort reste source de nombreux stress médicaux, voire à l’origine de pratiques de
relégations. Ainsi, les prises en charge complexes, particulièrement les fins de soins
curatifs, tendraient à se reporter in fine non seulement vers les libéraux, mais aussi
5 Comme aux Urgences ou dans certaines régions sous médicalisées (absence de médecins de ville), où se
poserait douloureusement la multiplication des gardes et des laminations des temps de récupération.
6 Saturation des services causée également par le détournement des urgences par les autres médecins : pour
écourter les itinéraires de leurs clients, leur faire bénéficier de techniques performantes, pour ne pas prendre le
risque de passer à côté d’une vraie urgence, faute d’être parvenu à joindre d’autres médecins (indisponibles ou
ayant refusé de prendre leur patient dans les services).
7 La médecine générale cumule l’ensemble des représentations négatives, ce qui limite sûrement les tentatives de
re déploiement extra hospitaliers, et en particulier les volontés de faire des médecins généralistes des acteurs
« pivots » (les hiérarchisations médicales les rendant en outre invisibles dans la chaîne des soins et des
collaborateurs). Autrement dit, les médecins généralistes resteraient « les plus à plaindre », par opposition aux
praticiens exerçant dans des spécialités « qui rapportent ».
7
vers les familles, – par ailleurs peu citées comme collaborateurs potentiels (comme
les associations de patients), car toujours associées à des non-savoirs légitimes8.
- Le libre choix des lieux d’exercice, des types d’organisation du travail et des
pathologies semblent toujours primer (persistance d’une idéologie libérale), même si
cela participe à l’amplification de déséquilibres régionaux. De plus, les enquêtés
semblent avoir non seulement des connaissances très partielles des réelles
conditions de travail de leurs confrères (en dehors des réseaux amicaux-familiaux),
mais peu de perceptions globales du système de santé. Ils tendraient à ne signaler
ses déficiences (voire à dénoncer des abus de confrères) que lorsqu’elles entravent
directement leurs propres spécialisations (les enquêtés étant plus sensibles à ce qui
entrave leur développement local qu’aux problèmes de santé et de surcoûts
financiers).
Les doléances médicales : d’énormes besoins de réassurances
In fine, les nécessités de contrôles et de réductions budgétaires restent peu comprises
(rejet traditionnel des contrôles du travail par des non-médecins et des procédures écrites
éloignant les praticiens de leurs centres d’intérêts). Cependant, quelles que soient leurs
conditions de travail, les médecins rencontrés souffriraient surtout de sentiments d’abandon,
c’est-à-dire d’un manque de communication avec les pouvoirs publics (politiques de san
paradoxales9, lenteur voire absence de réponses aux doléances, manque d’auto critique et
d’explications des politiques, absence d’anticipation des besoins du 4ème âge). Les enquêtés
soulignent la méconnaissance des problèmes quotidiens des praticiens du terrain : lourdeur
des responsabilités diagnostiques, diversité des situations de travail, problèmes éthiques10.
8 Dans toutes les spécialités à l’exception de la psychiatrie, la gestion des familles est considérée comme la plus
stressante car vécue comme une intrusion, particulièrement mal vécu en institution où les logiques de soins
médicaux prévalent.
9 Touchant des structures ou des services qui tendent justement à un moindre recours à l’hospitalisation et
drainent l’ensemble des problèmes de la société (psychiatrie, urgences).
10 Ce qui participerait aussi à augmenter les effets de rumeurs (concernant les procès), d’anticipations (angoisses
sur crise médicale encore à venir) voire « les dérives d’une médecine défensive » (tendance observée aussi en
libéral) multipliant des investigations désagréables ou des interventions non dénuées de risques mais permettant
au médecin de se rassurer (Froment, 2001).
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