THÉÂTRE
JÉSUS, SHAKESPEARE
ET CAROLINE
FENDRE LES LACS
Fendre les lacs est une pièce de théâtre d’une durée d’1 h 30, produite par le Théâtre Jésus,
Shakespeare et Caroline et présentée au Théâtre Aux Écuries (Montréal, mars 2016) et au Théâtre
Périscope (Québec, avril 2016). Mise en scène par Steve Gagnon, qui en est également l’auteur,
elle est interprétée par Marie-Josée Bastien, Pierre-Luc Brillant, Véronique Côté, Karine Gonthier-
Hyndman, Renaud Lacelle-Bourdon, Frédéric Lemay, Guillaume Perreault et Claudiane Ruelland.
C’est l’histoire de huit personnages qui forment une petite communauté vivant dans des cabanes
autour d’un lac, au milieu d’une forêt. Des hommes et des femmes qui ont des chenilles, des papillons,
des peuples en migration dans les jambes et dans le ventre. Louise nourrit les oies et Thomas nourrit
les loups. Adèle ramasse les corps des animaux morts et les enterre derrière sa cabane, puis un jour
elle découvre le corps d’un homme, le mari d’Emma, et le dépose devant la porte de cette dernière.
Martin revient acheter l’ancienne cabane de sa mère. Christian, l’homme éparpillé, aime Élie, mais il vit
dans la maison d’un vieux qu’on ne voit jamais; il attend que celui-ci meure pour toucher son argent. Et
il y a Léon, qui tente obstinément de faire pousser quelque chose sur la tombe de son père, là où ne
eurissent que les champignons.
Un jour, Élie, la femme marin, décide de partir sur un bateau ; Emma se prépare à mettre un oreiller
sur le visage de ses ls ; Thomas se met à manger les oies de Louise ; Louise passe ses nuits, nue,
au milieu du lac, à hurler comme un loup ; ils font tout ça par ennui, pour provoquer quelqu’un, pour
provoquer le temps, pour lancer un appel, par besoin urgent que quelque chose se passe, enn.
La forêt semble pour eux un obstacle énorme, un mur infranchissable, mais c’est la peur de devenir des
hommes et des femmes qui les empêche de partir et qui les étouffe véritablement. Finalement, le lac
leur apparaîtra comme la voie traversable, l’espace qu’il leur faudra fendre pour s’en sortir.
PROJET
TEXTE
Ces dernières années, le théâtre s’est souvent penché sur la question des relations humaines à l’ère
des réseaux sociaux, en ayant recours aux technologies dans la mise en scène et en abordant des
thèmes hyper-actuels, voire éphémères ; Fendre les lacs va quelque peu à contrecourant en proposant
un véritable retour aux sources – retour à la terre et communion avec l’environnement, retour à une
société où les gens osent se parler en face, retour à un langage plus large, dont l’écho perdure et
traverse les peuples et le temps. Par les sujets qu’il aborde et, surtout, par sa manière de les traiter,
la pièce met en valeur la lenteur, la nature et la poésie, trois éléments pratiquement enrayés du mode
de vie contemporain. On y parle du temps qui passe plus vite qu’on pense, de l’absence – l’absence
de l’autre et l’absence de sens, de croyances, de foi –, ainsi que de la peur stupide que nous avons de
nous tromper, de nous blesser. Il faut apprendre à être plus imprudent, à se laisser bouleverser. Fendre
les lacs est un appel mature au désordre, à l’audace et à la férocité.
Les personnages, vulnérables et paumés, ont quelque chose de très tchékhovien. Ils ont beaucoup de
potentiel mais, malgré leur jeunesse, leur énergie et le fait que l’avenir leur appartient, ils passent leur
temps à dire qu’ils sont malheureux sans jamais rien tenter pour sortir de leur marasme. Métaphore de
l’enfermement dans lequel nous vivons tous à des degrés divers – repliement sur soi, peur de l’autre,
solitude au cœur de la foule, maladie mentale –, la pièce est aussi et surtout une invitation à l’action.
Par la poésie, elle cherche à montrer que rien n’est impossible puisque la réalisation de nos rêves n’est
bien souvent qu’une simple question de volonté.
La forêt qu’on nous présente, nous ignorons où elle se trouve exactement. Ce pourrait être au Québec,
ailleurs au Canada, n’importe où sur la planète ; communauté en dehors du monde, il s’agit d’un lieu
reclus, isolé, duquel tous voudraient s’extirper sans pouvoir en sortir aussi facilement. Les personnages
de Fendre les lacs sont des métissés ; par le langage qu’ils utilisent, on sent leur racine québécoise
même s’ils ne sont pas simplement et purement des Québécois. Ils viennent aussi d’ailleurs, d’un
pays qui n’existe pas tout à fait. Ils sont un mélange de vrai et de ction, de réalité et d’imaginaire pur.
Ils s’expriment à la fois dans une langue lyrique, lors de grandes envolées dramatiques, et dans une
langue très crue et concrète, au cours des dialogues. Les deux niveaux de langage cohabitent dans
une intimité inédite qui donne toute sa richesse et son originalité à la pièce. Ces deux pôles langagiers
servent très bien les personnages, qui sont dotés de grands idéaux romantiques, bien qu’ils semblent
venir d’un univers dur et pauvre qui n’a probablement pas su les stimuler. S’ils sont en apparence
simples et dépourvus de culture ou de grandes connaissances, ces gens sont pourtant porteurs de
rêves immenses.
Le terme « métissé » s’avère plutôt juste pour décrire les personnages, d’autant plus que Gagnon les
a construits en ayant en tête les grands archétypes autochtones. Adèle, par exemple, est la femme
de racines, la femme de la terre, qui est en communion avec la nature et prodigue de sages paroles.
De façon générale, dans la pièce, la femme est toujours celle qui lie et rassemble les autres. Elle est
DÉMARCHE
ARTISTIQUE
porteuse d’une énergie grandiose, capable de foncer malgré les épreuves, d’unir même dans la division.
La femme possède une force morale incroyable ; elle fait vivre sa communauté, mais la provoque aussi,
la questionne. Cette fougue s’exprime particulièrement dans le personnage d’Élie, jeune et enceinte,
qui a le caractère du soldat et la témérité de l’explorateur. Elle rêve de partir sur les mers pour fuir
ce monde agonisant qui est le sien. C’est l’archétype du matelot, revisité dans un corps de femme.
En plus de celle de Tchekhov, d’autres œuvres ont inuencé l’écriture de cette pièce, dont celle
(probablement surprenante) de Woody Allen. Comme dans ses lms, on retrouve dans Fendre les
lacs des gens névrosés qui parlent beaucoup, qui disent des choses intenses, voire insensées, mais
jamais avec lourdeur, plutôt avec une hystérie légère qui permet de combattre la gravité des thèmes
abordés. C’est dans l’impulsivité, l’irrationalité et l’émotivité extrêmes que la pièce nit par être drôle,
par moments. L’excès et la démesure y sont source de rire, un peu comme cela survient à l’occasion
dans le théâtre de Wajdi Mouawad. Or, si un lien unit le théâtre de Gagnon et celui de Mouawad, c’est
surtout parce que tous deux se veulent des théâtres de l’intensité, qui assument leur côté tragique et
qui investissent le corps, le cœur et la parole d’une manière entière. Arrive un moment où tout dérape,
et c’est exactement là que la magie du théâtre opère, où l’émotion devient réelle.
DÉCOR ET ESTHÉTISME
La conception du décor et des costumes a été conée à Marie-Renée Bourget Harvey et Jennifer Tremblay,
qui avaient toutes deux travaillé sur le dernier spectacle de Steve Gagnon. Ensemble, ils désiraient
poursuivre le travail amorcé avec En dessous de vos corps je trouverai ce qui est immense et qui ne
s’arrête pas. Une importance énorme est accordée au fait de ne jamais déguiser totalement l’acte brut
de la prise de parole et de montrer que l’acteur, au-delà de toute ction, est celui qui vient porter un
message à bout de bras et ouvrir un dialogue.
DISTRIBUTION
La distribution est à la base du projet. C’est pour réunir à nouveau les acteurs de la production En
dessous de vos corps je trouverai ce qui est immense et qui ne s’arrête pas que Steve Gagnon a écrit
Fendre les lacs. Inspiré par leur rigueur, leur générosité et leur sensibilité, il a eu envie de retravailler
avec eux et de tenter de former une équipe régulière, un noyau, un peu comme une troupe. Cela lui a
permis d’approfondir le langage qu’ils développent ensemble, de créer une zone où toute l’équipe est
sur la même longueur d’onde, chaque fois un peu plus habile dans la démarche.
« Ensemble, nous imaginons des élans énormes. De rage. D’amour fou. Des cigarettes allumées qu’on
ne fume pas. Du bruit maladroit. Des silences radieux. Nous imaginons des voix sincères qui nous
chavirent. Des cris qui nous agressent, nous affaiblissent, nous désarment, nous laissent vulnérables
mais ensemble. Nous imaginons des corps nus, des chairs à vif, des cœurs disponibles, des dos
courbés et des fronts ers. Nous imaginons un spectacle important, large, inspirant. Honnête. Épuré et
chargé. Tendre et violent. Comme nos vies. Comme le temps. Comme nos amours doux et déchirés. »
Fendre les lacs réunit huit acteurs sur scène, ce qui est déjà un dé en soi pour une jeune compagnie,
un phénomène de plus en plus rare dans les pièces contemporaines puisque souvent, faute de budget,
on préfère réduire le nombre de comédiens présents sur scène. Ici, pas question d’avoir recours à
seulement deux ou trois acteurs, puisque cette œuvre parle de la démesure, du rêve, du vivre-ensemble.
Un dé s’impose dans la scénographie. Il s’agit d’inventer un espace entre le décor et l’installation,
qui évoque le lieu, mais qui laisse complètement voir la structure du théâtre, la mécanique de la
représentation. L’espace s’articulera donc entre les murs du théâtre, ses portes, ses échelles, ses
morceaux de peinture arrachés et une étendue d’eau boueuse. Sur scène, on retrouvera, entre autres,
des corps d’oiseaux qui ottent, des chainsaws et des chaises de patio en plastique blanc. Autant
d’objets qui évoqueront la nature et la trace que laisse l’homme en elle. L’équipe de concepteurs devra
travailler en étroite collaboration pour arriver à créer une cohérence et une homogénéité dans cet
espace peu conventionnel.
Les acteurs ne seront pas en reste. Un de leurs dés les plus importants sera celui de la langue. Entre
la poésie et le naturalisme, l’onirisme et le réalisme, ils devront s’approprier cette langue complètement,
pour qu’on puisse entendre leur voix, la totalité de leurs vibrations intérieures, toute leur sensibilité.
L’épuration du jeu sera visée de manière à donner juste ce qu’il faut de ction et de composition tout
en conservant la plus troublante sincérité. Les comédiens seront invités à ouvrir leur jeu, à le faire se
déployer an de donner de l’ampleur au spectacle, mais aussi à demeurer rigoureux et précis pour
conserver une précieuse intimité.
PRINCIPAUX DÉFIS
1 / 14 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !