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Ces dernières années, le théâtre s’est souvent penché sur la question des relations humaines à l’ère
des réseaux sociaux, en ayant recours aux technologies dans la mise en scène et en abordant des
thèmes hyper-actuels, voire éphémères ; Fendre les lacs va quelque peu à contrecourant en proposant
un véritable retour aux sources – retour à la terre et communion avec l’environnement, retour à une
société où les gens osent se parler en face, retour à un langage plus large, dont l’écho perdure et
traverse les peuples et le temps. Par les sujets qu’il aborde et, surtout, par sa manière de les traiter,
la pièce met en valeur la lenteur, la nature et la poésie, trois éléments pratiquement enrayés du mode
de vie contemporain. On y parle du temps qui passe plus vite qu’on pense, de l’absence – l’absence
de l’autre et l’absence de sens, de croyances, de foi –, ainsi que de la peur stupide que nous avons de
nous tromper, de nous blesser. Il faut apprendre à être plus imprudent, à se laisser bouleverser. Fendre
les lacs est un appel mature au désordre, à l’audace et à la férocité.
Les personnages, vulnérables et paumés, ont quelque chose de très tchékhovien. Ils ont beaucoup de
potentiel mais, malgré leur jeunesse, leur énergie et le fait que l’avenir leur appartient, ils passent leur
temps à dire qu’ils sont malheureux sans jamais rien tenter pour sortir de leur marasme. Métaphore de
l’enfermement dans lequel nous vivons tous à des degrés divers – repliement sur soi, peur de l’autre,
solitude au cœur de la foule, maladie mentale –, la pièce est aussi et surtout une invitation à l’action.
Par la poésie, elle cherche à montrer que rien n’est impossible puisque la réalisation de nos rêves n’est
bien souvent qu’une simple question de volonté.
La forêt qu’on nous présente, nous ignorons où elle se trouve exactement. Ce pourrait être au Québec,
ailleurs au Canada, n’importe où sur la planète ; communauté en dehors du monde, il s’agit d’un lieu
reclus, isolé, duquel tous voudraient s’extirper sans pouvoir en sortir aussi facilement. Les personnages
de Fendre les lacs sont des métissés ; par le langage qu’ils utilisent, on sent leur racine québécoise
même s’ils ne sont pas simplement et purement des Québécois. Ils viennent aussi d’ailleurs, d’un
pays qui n’existe pas tout à fait. Ils sont un mélange de vrai et de ction, de réalité et d’imaginaire pur.
Ils s’expriment à la fois dans une langue lyrique, lors de grandes envolées dramatiques, et dans une
langue très crue et concrète, au cours des dialogues. Les deux niveaux de langage cohabitent dans
une intimité inédite qui donne toute sa richesse et son originalité à la pièce. Ces deux pôles langagiers
servent très bien les personnages, qui sont dotés de grands idéaux romantiques, bien qu’ils semblent
venir d’un univers dur et pauvre qui n’a probablement pas su les stimuler. S’ils sont en apparence
simples et dépourvus de culture ou de grandes connaissances, ces gens sont pourtant porteurs de
rêves immenses.
Le terme « métissé » s’avère plutôt juste pour décrire les personnages, d’autant plus que Gagnon les
a construits en ayant en tête les grands archétypes autochtones. Adèle, par exemple, est la femme
de racines, la femme de la terre, qui est en communion avec la nature et prodigue de sages paroles.
De façon générale, dans la pièce, la femme est toujours celle qui lie et rassemble les autres. Elle est
DÉMARCHE
ARTISTIQUE