Au cours des trois dernières décennies, l'une des plus grandes sécheresses du XXe siècle s'est abattue
sur l'Afrique sahélienne. Si la mousson est un sujet qui a fait l'objet de nombreuses études, la
prévision climatique en Afrique, à l'échelle saisonnière, demeure difficile. Le problème est d'autant
plus préoccupant que dans cette région du globe, le changement climatique pourrait avoir des
répercussions particulièrement importantes sur les vie des populations. D'où la nécessité
d'améliorer les prévisions. Dans ce contexte, le programme AMMA (Analyse Multidisciplinaire de la
Mousson Africaine), initié par des chercheurs français, auquel participent une soixantaine de
laboratoires européens, africains et américains, va permettre de mieux connaître la variabilité de la
mousson africaine à différentes échelles de temps et ses impacts sur la santé, les ressources agricoles
et les ressources en eau.
Evoquez le mot "mousson", et votre interlocuteur sera persuadé que vous lui parlez de l'Asie. En fait, la
mousson n'est pas seulement asiatique mais existe également en Afrique, et plus particulièrement en
Afrique de l'ouest, dans les pays du Sahel et ceux qui bordent le golfe de Guinée. C'est de juin à
septembre - et de juillet à août au nord de cette région - que survient la saison des pluies. En effet, quand
le continent se réchauffe, à l'arrivée de l'été, il attire l'air qui s'est chargé en humidité au-dessus du
continent et se transforme en systèmes orageux nommés lignes de grain en raison de leur structure
frontale linéaire. Se déplaçant d'est en ouest, ces systèmes arrosent toute la région avant d'arriver sur
l'Atlantique. Là, ils se transforment parfois en cyclones. Chaque saison, dix à vingt de ces systèmes
orageux forment des rivières qui coulent durant quelques heures, voire quelques jours. Pour autant,
elles n'atteignent jamais les fleuves et se terminent en mares. Dans le Sahel, c'est le seul épisode de pluie
durant toute l'année! Aussi toutes les ressources en eau de cette région, mais aussi ses ressources
végétales naturelles et cultivées, dépendent-elles de ces pluies, car le reste de l'année, le soleil ne
réchauffe pas assez le continent pour déclencher le flux d'air humide à l'origine de la mousson africaine.
Ce phénomène, hélas, ne se répète pas toujours de la même façon tous les ans, bien au contraire. Ainsi
les conditions climatiques humides observées entre les années 1950 et 1960 ont cédé la place à des
conditions beaucoup plus sèches dès le début des années 1970. Pour les scientifiques, le réchauffement
des eaux du proche Atlantique et le changement d'état des surfaces continentales provoqué par la
déforestation et l'utilisation des sols, pourraient être à l'origine de ces sécheresses. Ajoutons qu'à cette
tendance sur plusieurs décennies se sont superposées des variations interannuelles, avec des années
extrêmement sèches. D'où des conséquences dramatiques sur l'agriculture, l'eau et la santé. Aussi est-il
capital de mieux connaître le fonctionnement de la mousson africaine, de comprendre les différentes
processus complexes qui la régissent afin de pouvoir en mesurer les impacts sur le climat local, régional
et global. C'est la raison pour laquelle vient d'être lancé le programme international et
multidisciplinaire AMMA auquel participent différents organismes de recherche français (CNES,
CNRS-INSU, IRD, IFREMER, METEO-FRANCE).
2006, année du renforcement du dispositif d'observation
Le principal objectif de ce programme est la prévision de la mousson et de ses impacts sur la vie des
populations. En étudiant ce phénomène, les scientifiques pourront ainsi améliorer les modèles de
prévision météorologiques et de climat global. Ils pourront également mieux cerner l'évolution future
du climat. Depuis 2001, des observations à long terme ont été lancées. Certains processus ne peuvent
être bien compris que dans la durée. Aussi cette période d'observation à long terme va-t-elle se
poursuivre jusqu'en 2010. Dès cette année et jusqu'en 2007, les chercheurs vont renforcer leurs
observations pour une durée de trois ans. A cette occasion, ils vont étudier le cycle annuel de la
mousson, au travers des paramètres de surface et atmosphériques. Au-delà d'une mise en place
d'observations à l'échelle régionale, ils se concentreront sur les trois sites que sont Gourma, Niamey et
Ouémé. 2006 sera l'année du renforcement du dispositif d'observation sur certaines zones, l'objectif
étant de mieux cerner la dynamique de la mousson et la formation des précipitations. Objet d'étude
privilégié, la pluie est importante pour les populations et représente l'aboutissement d'une
combinaison de processus à différentes échelles de temps et d'espace.
Dans l'atmosphère, les chercheurs procéderont donc au renforcement de la cadence des radio-sondages
qui se traduira chaque jour par 2 lâchés sur les 16 stations, puis 4 durant les campagnes avions parfois 8
pour des cas particuliers. Quatre avions de recherche, à savoir un Falcon 20 et un ATR42 français, un
Falcon allemand et un Bae 146 britannique, seront ainsi déployés en vue de réaliser des mesures de
dynamique atmosphérique (vent, humidité...) pendant et après le passage des lignes de grains. Ces
appareils surveilleront aussi la chimie atmosphérique, en déterminant les teneurs en aérosols minéraux
et en cendres issues des nombreux feux de brousse et de forêt. Précisons que l'utilisation d'avions
permet de couvrir de grandes surfaces en peu de temps, ce qui est essentiel dans l'expérience, et de
réaliser des échantillonnages tridimensionnels fins. Sur l'océan, les campagnes EGEE qui doivent se
dérouler entre 2005 et 2007, seront intensifiées grâce à l'utilisation du navire océanographique français
ATALANTE.
Rappelons que celui-ci est équipé d'une station de radio-sondage embarquée et d'un mât instrumenté en
capteurs micro-météorologiques qui permettent de réaliser des mesures de flux atmosphérique.
Egalement au nombre des participants de ces campagnes, le RON BROWN américain. Enfin, il est prévue
une collaboration avec le programme allemand IFM-GEOMAR dans le cadre de la campagne du navire
RV/METEOR courant juin 2006 dans le Golfe de Guinée.
D'importants systèmes d'observation de longue durée
Les observations renforcées qui seront menées entre 2005 et 2007 et concerne en particulier la
surveillance de l'état de l'atmosphère et des différents cycles biogéochimiques associés, s'appuieront
sur des systèmes d'observation de plus longue durée, notamment ceux mis en place dans le cadre du
programme ORE (Observatoires de Recherche en Environnement) qui, rappelons-le, a été lancé en 2001
par le ministère de la Recherche. L'Afrique de l'ouest abrite d'ores et déjà trois observatoires de
recherche en environnement : l'observatoire AMMA-CATCH centré sur le cycle hydrologique,
l'observatoire IDAF spécialisé sur les émissions et les dépôts d'espèces chimiques, enfin l'observatoire
PHOTON-Aeronet qui s'intéresse aux aérosols issus de la surface continentale. Baptisé PIRATA, un
quatrième observatoire concerne la surveillance des océans grâce à un réseau de bouées.
Pour ces campagnes, plusieurs catégories d'instruments et de mesures vont être utilisés : les
radiosondages, les lidar et les stations de flux de surface. Les radiosondages sont menés à partir de
ballons que l'on fait monter dans l'atmosphère toutes les douze ou vingt-quatre heures afin de mesurer
la température, l'humidité de l'air et le vent. Ils envoient ensuite les résultats au sol par radio. Ces
radiosondages seront au nombre de seize, répartis sur toute l'Afrique de l'Ouest. Au Bénin, plus
précisément à Cotonou, une série de radiosondages permettra de mesurer l'ozone atmosphérique.
Soulignons que ce sera la première mesure de ce type jamais réalisée en Afrique. Grâce à un réseau de
trois stations GPS, installées sur une ligne méridienne, les chercheurs disposeront de mesures de la
vapeur de d'eau dans l'atmosphère, un paramètre très important pour la formation des précipitations.
Systèmes à laser permettant de mesurer la quantité d'aérosols dans l'atmosphère ainsi que d'autres
paramètres de nature chimique, les lidar, au nombre de cinq, seront répartis sur deux lignes le long
desquelles le climat et la végétation changent progressivement. L'une d'entre elles s'étend de Dakar au
Sénégal à Niamey au Niger. Une autre, s'étend de Tamanrasseet en Algérie à Djougou au Bénin.
Les stations de flux de surface quant à elles permettront de mesurer les quantités d'eau échangées entre
la surface et l'atmosphère pour comprendre comment le continent réchauffe l'atmosphère. Ainsi ces
stations mesurent l'humidité de l'air et le vent toute les millisecondes. Elles seront au nombre de douze,
implantées sur trois sites couvrant plusieurs centaines de kilomètres carrés chacun. Ces trois sites -
Gourma (Niger), Kori de Dantiandou (Niger) et bassin de la Donga (Bénin) - constituent le coeur,
densément instrumenté, de trois zones plus vastes, dont la superficie est comprise entre 12 000 et 25
000 km2. Dans ces zones, des bilans d'eau précis seront réalisés grâce à l'installation de nombreuses
stations de mesures de la pluie, du débit des rivières, de la hauteur des nappes d'eau souterraines et de
l'humidité. Précisons qu'un radar sera installé sur le site de la haute vallée de l'Ouémé au Bénin. Il
s'agira d'étudier l'influence de la variabilité spatiale de la pluie sur les bilans d'eau et les rétroactions de
cette variabilité sur la dynamique de la mousson. Par ailleurs, un camion laboratoire étudiera les
relations entre les émissions d'espèces chimiques et le développement de la végétation sur ce bassin.
Sur l'océan et le continent
Des observations spécifiques seront menées sur l'océan, avec la réalisation de la première campagne
EGEE qui se déroulera en deux phases, l'une en début de mousson, l'autre à la fin, dans le golf de Guinée.
S'appuyant sur différents systèmes de mesures par bouées ou depuis le navire, ces deux phases
renseigneront les scientifiques sur les courants, les profils de température et de salinité, l'oxygène
dissous, certains isotopes comme l'oxygène 18 et le carbone 13, et des paramètres atmosphériques tels
que la pression, le vent et les aérosols. Sur le continent, le renforcement des observations concernera
surtout les sites du Niger et du Bénin. Trois radars seront installés sur le bassin de l'Ouémé et à Niamey
afin de procéder à des mesures complémentaires de celles réalisées par les avions, en particulier pour
caractériser la structure tridimensionnelle des systèmes orageux et la répartition associées des
précipitations. Sur le bassin de l'Ouémé, un profileur VHF sondera la structure de l'atmosphère à cadence
élevée. Enfin, à Niamey, la station mobile ARM (Atmospheric Radiation Measurement) mesurera le
rayonnement, de l'infrarouge à l'ultraviolet, les propriétés des nuages, les paramètres météorologiques
de surface ainsi que les aérosols et les espèces carbonés.