IN SE — 130 — ils ont donné lieu, et les observations nombreuses publiées par les imitateurs et les continuateurs du grand savant anglais, que la question de l'Insectivorisme a passionné le monde scientifique. La première plante qu'on ait signalée comme insectivore est probablement le Dionœa muscipula L. (voy. ce mot), dont Diderot écrivait déjà : « Voilà une plante presque Carnivore. » On l'a encore nommée Trappe de Vénus et Attrapemouche. Ellis l'envoyant à Linné, en 1765, des marais de la Caroline, l'appelait un miraculum naturœ, et la considérait comme « douée d'un mode de nutrition spécial » . Sa feuille présente, au-dessus d'une porlion aplatie et allongée, un rétrécissement que surmonte la trappe ou le piège, formé de deux moitiés symétriques, séparées l'une de l'autre par la nervure médiane du limbe, suivant laquelle elles peuvent se replier comme sur une charnière, et toutes bordées de longues dents de peigne, qui s'entre-croisent quand les deux moitiés sont rapprochées l'une de l'autre. Sur leur face supérieure, ces deux moitiés portent trois processus aigus, encore nommés filaments, plus rarement au nombre de deux ou de quatre, longs d'environ 2 millimètres, et remarquables par leur extrême sensibilité. Quand on touche l'un d'eux, même très légèrement, les deux moitiés de la feuille se rapprochent. La plus grande partie de cette face est d'ailleurs recouverte de petites glandes rouges et polycystiques, formées de 20 à 30 éléments polyédriques. Quand une mouche ou tout autre insecte, se posant sur la feuille, touche légèrement un des trois filaments dont il vient d'être parlé, la feuille, se repliant, emprisonne l'animal ; les glandes sécrètent autour de lui un liquide parfois très abondant, et les deux moitiés de la feuille ne se séparent lentement l'une de l'autre qu'après un nombre variable de jours suivant la taille de la proie, et, seulement alors, d'après l'opinion de Darwin et de plusieurs autres naturalistes, que celle-ci a été digérée par la feuille, et que les substances assimilables que la proie renfermait ont été absorbées par le végétal. Darwin a de plus conclu de ses expériences que divers aliments azotés, comme l'albumine, la fibrine, la viande, etc., sont de même dissous et rendus assimilables par la face interne de la feuille avec laquelle on les a mis en contact et qui se referme pareillement sur eux. Le liquide sécrété est acide et renferme, a-t-on dit, de l'acide formique (Dewar). Quelques personnes ont pensé que les Dionées auxquelles on donne ces aliments croissent plus vigoureusement que celles qui en sont privées ; mais ce fait, de même que celui de l'absorption des matériaux nutritifs rendus solubles, a été contesté par plusieurs autres auteurs. Darwin a surtout étendu des observations analogues à celles notamqui précèdent aux feuilles des Bossolis ou Drosera, ment des D. rotundifolia, intermedia, anglica, etc., espèces de nos marais, et à quelques plantes exotiques du même genre. La feuille du D. rotundifolia, la plus commune de nos espèces, a un limbe orbiculaire, brusquement rétréci en pétiole. Le limbe porte à sa face supérieure un grand nombre de prolongements qu'on décrivait jadis comme des poils. Les plus extérieurs, nommés par Darwin tentacules, représentent probablement des lobes de feuille linéaires, à structure vasculaire, terminés par une glande en forme de tète. Les plus extérieurs, plus courts, non vasculaires, sont plutôt considérés aujourd'hui comme des glandes. Ils sécrètent un liquide abondant dans certaines circonstances, et il en est de même des tentacules, dont la tête est entourée, à certains moments, d'une couche de ce liquide sécrété, ressemblant à une goutte de rosée ; d'où est venu le nom de Rossolis. Darwin, dans ses observations sur les Drosera, s'est proposé de démontrer : « 1° la sensibilité extraordinaire des glandes quand on les soumet à une légère pression ou quand on les traite par des doses infinitésimales de certaines liqueurs azotées, sensibilité qui se traduit par les mouvements des tentacules; 2° la faculté que possèdent les feuilles de rendre solubles ou de digérer les substances azotées, puis de les absorber ; 3° les changements qui se produisent à l'intérieur des cellules des tentacules quand on excite les glandes de différentes façons. » On savait depuis longtemps, quoique le fait eût été INSE quelquefois contesté, que, lorsqu'un insecte se pose sur ces feuilles, les tentacules se replient sur lui, l'embrassent pendant un certain temps, en même temps que le suc sécrété par' les glandes devient plus abondant, s'acidifie de plus en plus, et Darwin a admis que ce suc digère l'insecte, rend une porlion de sa substance assimilable'; après quoi elle est absorbée par la feuille. Beaucoup d'autres substances, placées sur cette feuille, produisent des phénomènes analogues, et l'on a remarqué que « les tentacules restent bien plus longtemps fixés sur les corps qui fournissent des substances azotées solubles que sur ceux, organiques ou inorganiques, qui ne fournissent pas de semblables substances » . Des fragments de viande, de fibrine, d'albumine coagulée, etc., sont lentement ramollis et dissous par le suc qu'excrètent les glandes. Au bout d'un certain nombre de jours, la sécrétion diminue ou cesse tout à fait, et les tentacules se redressent peu à peu. Si un insecte se pose sur la portion centrale de la feuille, la sécrétion visqueuse des glandes l'englue; les tentacules s'infléchissent sur lui, l'enserrent de toutes parts; il est bientôt tué par asphyxie, le suc visqueux sécrété bouchant les orifices de ses stigmates. Si l'insecte ne se pose que sur les tentacules marginaux, ceux-ci, en s'infléchissant, tendent à le pousser vers les tentacules plus intérieurs, et ces derniers peuvent graduellement, en s'infléchissant à leur tour, faire passer l'animal jusqu'au centre de la feuille. Darwin croit que la plante se nourrit de la substance assimilable de l'insecte ou des aliments azotés dont nous avons parlé, après les avoir, par suite d'une véritable digestion, transformés en une sorte de peptone ; qu'en même temps le protoplasma intérieur des éléments du tentacule s'agrège d'une façon particulière; que les alcalins arrêtent cette sorte de digestion; que le suc acide du Drosera agit à peu près comme le suc gastrique, non seulement sur les aliments déjà cités, mais encore sur les cartilages, les fibro-cartilages, la chondrine, la gélatine, le gluten acidifié, etc., mais qu'il n'agit pas sur l'urée, la cellulose, la fécule, les graisses, etc. Les sels d'ammoniaque déterminent une inflexion très énergique des tentacules. Beaucoup d'autres plantes, comme YAldrovandia, le Drosophyllum, les Pinguicula, les Utricularia, ont été également indiquées comme insectivores. Les uns ont admis que les glandes qui couvrent le centre de la feuille des Drosera sont les agents de l'absorption des aliments digérés ; les autres leur ont contesté cette faculté. Le carnivorisme a été attribué à un grand nombre d'autres végétaux, aux Nepenthes, aux Sarracena. Outre les régions qui sécrètent des liquides digestifs, M. J. Hooker a décrit dans ces plantes une zone d'attraction pour les animaux, zone ordinairement caractérisée par une coloration particulière. On a même admis, dans les sucs de toutes ces plantes, un ferment analogue à la pepsine; et l'on sait que, de nos jours, on préconise comme digestif le latex du Papayer (Papaya Carica) et la papaïne qui en est extraite. Sans doute il n'y a point de comparaison absolue à établir entre un latex qui demeure enfermé dans des réservoirs internes d'une plante telle que le Papayer, et un liquide excrété au dehors, comme celui des Drosera, Dionœa, etc., et qui est mis en contact avec le corps d'un insecte. Mais le genre d'action est au fond le même. Directement ou indirectement, les plantes peuvent se nourrir des animaux, sont carnivores ; et l'insectivorisme des feuilles ne serait qu'un mode particulier d'un phénomène qui est beaucoup plus général. On a affirmé que les Drosera, les Utriculaires, qui ont à leur portée des insectes et les saisissent, végètent plus vigoureusement que celles qui en sont dépourvues ; on a c o n staté que, dans bien des cas au moins, les insectes qui sont mis en contact avec les plantes carnivores et sur lesquelles celles-ci réagissent, ne présentent pas ou présentent à un moindre degré le phénomène de la putréfaction, de riïême qu'on a constaté que le latex du Papayer conserve longtemps les viandes dans les climats tropicaux; mais il restera toujours un argument à opposer aux partisans du carnivorisme végétal, tant qu'on n'aura pas montré les peptones produites passant dans l'intérieur du végétal qui les aura préparées, et l'on conçoit que