«Des sciences juridiques sans économie et des sciences

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 «Des sciences juridiques sans économie et des sciences économiques sans droit » Les sciences économiques peuvent-­‐elles faire l’économie du droit ? Isabelle BEYNEIX NOVANCIA (CCI Paris-­‐île de France)/CRDP EA 967 Caen 1ère assises de l’enseignement et de la recherche en droit dans les grandes écoles : 28 et 29 janvier 2013 Droit et Economie -­‐  Lien entre droit et civilisa0on : idée de règles et d’obligaYons juridiques, sanc0onnée par l’autorité étaYque. -­‐  Economie : science de l’administraYon du patrimoine de l’entreprise, appelée aussi ges0on. Droit et Economie GesYon : 1. -­‐ Science des décisions stratégiques et tac0ques dans les organisa0ons. 2.-­‐ Science qui détermine la combinaison la plus saYsfaisante en termes de rendement et de producYvité des moyens matériels et de la ressource humaine dans les organisaYons. Elle s’est autonomisée récemment de l’économie poli0que, longtemps confondue avec l’économie de l’entreprise. Lien entre économie et sciences de gesYon Lien entre « économie » et « sciences de ges4on » ou « management » : l’économie est l’op0misa0on de l’u0lisa0on des biens d’un foyer (mot grec « oikos » et « nomos » emprunté au la0n « oeconomia »). Originellement, le management est l’art de gérer les affaires domes0ques. Lien entre économie et sciences de gesYon Economistes et ges0onnaires cohabitent dans les Universités et les écoles tant dans l’enseignement que dans la recherche. La discipline des ges0onnaires est plus récente (mai 1969) et l’intégra0on des sciences de ges0on dans les sciences économiques ne va pas de soi… Lien entre économie et sciences de gesYon Mais l’idée d’introduire une démarche ra0onnelle et scien0fique dans la conduite des entreprises se relie de facto à l’économie. L’étymologie du terme « management » recoupe celle d’économie. Ignorance mutuelle du droit et de sciences économiques Ignorance mutuelle très francophone. Le droit anglo-­‐saxon est jugé supérieur à celui du système romano-­‐germanique… Le classement Doing Business de 2013, plaçant la France en 34e posiYon pour la qualité de son environnement règlementaire…(Rankings of the ease of doing business). Ignorance mutuelle du droit et de sciences économiques Pour l’applicaYon des contrats, la France est classée 8e (where is enforcing contracts easiest and where most difficult ?). L’ Arabie Saoudite u0lise cependant le droit français comme modèle selon ce même rapport. Hiatus entre la mondialisaYon de l’économie et des réglementaYons juridiques ra^achés aux Etats…. CriYques portées aux deux disciplines Droit : ma0ère rébarba0ve, austère, qui permet de prouver le pour et le contre avec la même aisance. Economie : accusée de charlatanisme et de jeunesse (sciences de ges0on). Les deux ne sont pas unanimement et facilement qualifiées de « sciences ». Point commun : l’entreprise Les sciences économiques tout comme les sciences juridiques ont trait à l’entreprise. Les ma0ères de droit privé gravitent autour de l’entreprise (droit civil, droit commercial, droit du travail…). Rôle primordial du droit dans la ges0on des entreprises. Affleurement et achoppement Penser l’économie à l’aune du droit ou le droit à l’aune de l’économie…De l’indifférence à la conversion… Il existe des points d’affleurement : -­‐  l’analyse juridique de l’économie -­‐  l’analyse économique du droit Mais aussi des points d’achoppement : -­‐  l’ac0vité dogma0co-­‐doctrinale -­‐  l’économie auxiliaire du droit Point d’affleurement : l’analyse juridique de l’économie Le droit économique est apparu au moment où le système économique a remplacé le poli0que et religieux. Origine allemande. Doyen Hamel Droit de l’économie : règles qui s’appliquent à l’ac0vité économique. ≠ Droit économique : approche interdisciplinaire qui transformerait la règle de droit. Point d’affleurement : l’analyse juridique de l’économie Le droit économique est entendu comme un ensemble de règles permeaant à l’Etat d’agir directement sur l’économie, ce qui l’associe au droit public. Reproche : considérer que l’évoluYon économique pousse à une transformaYon de l’ordre juridique… Les textes du Code civil de 1804 ont une facture intemporelle car adapté par la jurisprudence au gré des évolu0ons. Les juristes ont des catégories immuables depuis le droit romain. Point d’affleurement : l’analyse juridique de l’économie Noyau dur du droit économique : droit de la concurrence. L’économie est soumise au droit : Ex. Adam Smith : l’économie poli0que est une branche à part de la législa0on. Ex. Jean-­‐Bap0ste Say, « Loi des débouchés ». Droit de la régulaYon : nouveau rapport entre le droit et l’économie. Point d’affleurement : l’analyse juridique de l’économie Des domaines qui basculent du droit vers l’économie : la gesYon des risques. La Cour de cassa0on a ainsi créé une « Chambre du risque », à l’ini0a0ve du Président Canivet. Le droit est vic0me de l’économie : Ex. law shopping en ma0ère interna0onale Point d’affleurement : l’analyse juridique de l’économie Incidence de l’économie sur le droit : Ex. Droit des procédures collec0ves, loi n
°2005-­‐845 du 26 juillet 2005 : suppression des cas de « faillite sanc@on ». Ex. La faute de ges0on (abus de biens sociaux) en droit des sociétés. Point d’affleurement : l’analyse juridique de l’économie Le droit ordonne et a une foncYon parYculière. Il n’est pas réducYble à une évaluaYon, ni à une analyse économique qui le rendrait meilleur. Peu propice de parler de « management juridique ». Il ne s’agit pas de receaes réu0lisables à foison par des ges0onnaires sans connaissance juridique. Point d’affleurement : l’analyse économique du droit M. Ronald Coase et M. Guido Calabresi (1960). L’école de Chicago (Gary Becker, Richard A. Posner, Georges SYgler…). Nombres d’ins0tu0ons juridiques (usufruit, accession, clause de réserve de propriété…) n e s e r a i e n t r i e n d ’ a u t r e q u ’ u n e règlementa0on de rela0ons économiques et dont le législateur n’aurait pas conscience. Point d’affleurement : l’analyse économique du droit Risque : l’aaribu0on de droits doit être déduite de considéraYons d’efficacité…. alors il vaudrait mieux figer les droits fondamentaux (les droits subjec0fs). M. Ronald Dworkin (Law & Finance, Law & E c o n o m i c s ) p r o p o s e u n e a n a l y s e économétrique compara0ve de systèmes juridiques (Doing Business). Point d’affleurement : l’analyse économique du droit L’évaluaYon du droit pose problème : depuis toujours les normes juridiques ont pour finalité de répondre à des demandes économiques et sociales. L’idée est dangereuse pour des normes qui ne s’y prêtent pas en raison de la spécificité du droit (état des personnes : naYonalité, filiaYon…). Point d’affleurement : l’analyse économique du droit CriYque : le droit ordonne sans se soucier d’être efficace dans certains domaines. Efficacité : travaux préparatoires de la réforme du droit des successions et des libéralités opérée par loi n°2006-­‐728 du 23 juin 2006, de la loi n°2007-­‐211 du 19 février 2007 rela0ve à la fiducie, de la loi du 15 juin 2010 rela0ve à l’EIRL. Point d’affleurement : l’analyse économique du droit Loi organique n°2009-­‐403 du 15 avril 2009 rela0ve à l’applica0on des ar0cles 34-­‐1, 39 et 44 de la Cons0tu0on, qui impose d’effectuer une étude d’impact avant tout projet de loi. Idée de préserver la sécurité juridique en limitant les surcoûts engendrés par un changement législaYf ou jurisprudenYel. Point d’affleurement : l’analyse économique du droit L’inapplica0on originelle d’une loi n’est pas une situa0on anormale. L’exigence d’effecYvité est excessive. Il peut être important de maintenir une règle, même violée, si elle répond à un intérêt social. Point d’affleurement : l’analyse économique du droit Expliquer le droit par autre chose que le droit paraît incongru…. Seuls le droit de la concurrence et le droit fiscal paraissent pouvoir s’y prêter. En droit des obligaYons, la prise en compte de l’impéra0f d’efficacité économique lamine les reliquats du solidarisme contractuel. Point d’affleurement : l’analyse économique du droit Les droits naYonaux érigés en modèles devraient être repris par les législa0ons concernées… Mais il est difficile d’intégrer des mécanismes de droit anglo-­‐saxon au système romano-­‐
germanique (et inversement). Point d’affleurement : l’analyse économique du droit Ex. Proposi0on d’adme^re la théorie de l’imprévision en droit des contrats. Ex. Proposi0on de créaYon de dommages et intérêts puniYfs sur le modèle anglo-­‐saxon. Ex. la suppression des sociétés à risque limité (P. Le Goff). Point d’affleurement : l’analyse économique du droit L’approche « Law & Management » : mise en évidence des ressorts juridiques de la performance des entreprises : comprendre comment le droit disponible à un moment donné est u0lisé concrètement par les acteurs économiques. Point d’affleurement : l’analyse économique du droit La corporate governance, l’abus de biens sociaux, la responsabilité sociétale… Le système économique est un système conquérant qui tente de reprendre à son profit la théorie de la fonc0on des droits… Les juges n’auraient pas de connaissance réelle du marché ou de l’entreprise... Pourtant les choix norma0fs ont des conséquences économiques et le juriste l’a toujours su… Point d’affleurement : l’analyse économique du droit U0lisa0on des normes standards : « bon père de famille », « bonnes mœurs »…Le juge recherche déjà la solu0on op0male… Les sciences économiques n’ont pas d’approche directe sur le réel, hors l’intermédiaire du droit. Les sciences juridiques sont plus ancrées dans le réel. Point d’affleurement : l’analyse économique du droit Les staYsYques, les analyses quanYtaYves, qualitaYves, sont difficiles à meare en œuvre en droit. Il est délicat de concevoir un meurtrier à 65 % ou un contrat à moi0é contraire à l’ordre public… Le droit, c’est aussi et avant tout : l’aboli0on de l’esclavage, l’avènement des droits de l’homme, la charte sur l’environnement, la parité entre les sexes…Des mesures parfois an0-­‐
économiques. Point d’affleurement : l’analyse économique du droit De nombreux travaux économiques ne 0ennent pas compte des normes… M. Le Professeur Jamin : « ceJe science n’a rien à opposer aux théories économiques, pas plus qu’elle ne peut en approuver les conclusions ; elle se borne à prendre acte ». Point d’achoppement : l’acYvité dogmaYco-­‐doctrinale Les recherches juridiques sont la résultante d’une acYvité doctrinale hors connaissance scienYfique chiffrée. Ce qui importe, c’est la qualité formelle des règles et la cohérence de la jurisprudence. Le droit naturel hante les juristes. Point d’achoppement : l’acYvité dogmaYco-­‐doctrinale Savoir si des sanc0ons plus sévères découragent les actes délictueux et si les règles d’indemnisa0on des vic0mes incitent à la préven0on, les staYsYques de la Chancellerie y pourvoient déjà... L’exégèse est la règle en droit. La liaérature des sciences économique surprend le juriste (saynètes, fabliaux de berges pillant des « biens communs », Robinson Crusoé sur une île, le dilemme du prisonnier…). Point d’achoppement : l’acYvité dogmaYco-­‐doctrinale Le formalisme juridique permet de dépoli0ser le droit, de se distancer des faits. La forme, qui est aussi importante que le fond du droit, en fait sa singularité. « La forme est la sœur jumelle de la liberté » (Ihering). Le droit a ses rites (leçon de 24 H des agréga0fs, le plan binaire…). Point d’achoppement : l’acYvité dogmaYco-­‐doctrinale L’analyse économique du droit part du postulat que l’homme a un comportement ra0onnel et qu’il choisira forcément la norme la plus efficace… En droit, il n’y pas de méthode à rendre publique pour gouverner une étude. L’absence de méthode est assumée. Point d’achoppement : l’économie : auxiliaire du droit Le juriste ne relève pas seulement d’une science ou d’une discipline… Ex. lorsque le juge se prononce sur la responsabilité civile délictuelle d’une personne, c’est à l’aide des concepts de « faute » et de « risque » et il ne juge pas pour être efficace mais pour être juste. Le droit est profondément étaYque : la jus0ce est rendue au nom du peuple, les procureurs agissent au nom de la République, les époux sont mariés au nom de la loi, les contrats sont annulés au nom de l’ordre public. Point d’achoppement : l’économie : auxiliaire du droit Le juriste n’a que faire des résultats économiques pour élaborer la norme car elle obéit à des impéraYfs supérieurs…. L’efficacité économique est sans doute contraire aux droits de l’Homme. Pour le droit, il existe d’autres valeurs que celles des sociétés marchandes : le juste n’est pas forcément rentable ou efficace. Point d’achoppement : l’économie : auxiliaire du droit La domina0on du système économique est totale mais que manque-­‐t-­‐il aux économistes ? Le pouvoir de légiférer. Existe-­‐t-­‐il un pouvoir économique sans le droit ? Point d’achoppement : l’économie : auxiliaire du droit Certaines valeurs du modèle gesYonnaire appliquées à la société se sont d’ailleurs avérées contreproducYves : mises en concurrence systéma0que, demande illimitée d’améliora0on de la performance, prise en compte uniquement des mesures chiffrées, hypermarke0ng trompeur… Point d’achoppement : l’économie : auxiliaire du droit « Un économiste qui n’est qu’économiste devient nuisible et peut cons@tuer un véritable danger » (aaribuée à Hayek). « L’économie posi@ve » courant porté par M. Jacques Aaali entend être le « chaînon manquant » entre le droit et l’économie en prenant d’autres critères que la rentabilité. Point d’achoppement : l’économie auxiliaire du droit Le droit n’est pas réduc0ble à la jus0ce, le droit n’est pas la jus0ce, mais il y tend car « la jus@ce est la première deJe de la souveraineté » (Portalis). Point d’achoppement : l’économie auxiliaire du droit « Saving Economics from the Economists » Harvard Business Review 2012 Ronald Coase, 101 ans, Nobel d’économie 1991 vient de publier une charge violente contre les sciences économique. « Les instruments employés par les économistes pour analyser les entreprises sont trop abstraits et trop spécula@fs pour offrir le moindre conseil aux entrepreneurs et aux managers ». Et veut créer une nouvelle revue « L’homme et l’Economie »… Point d’achoppement : l’économie auxiliaire du droit Constat pessimiste ? Collabora0on impossible ? Schumpeter (Histoire de l’analyse économique, 1954) : Redécouverte de l’école de Salamanque (droit naturel, XVIe siècle)….. MERCI 
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