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"Citation : Claude Baissac, Anne Sinet, Alphonse Soh et Florence Verdet, 2012, “Contribution des
villes à la croissance économique et à la réduction de la pauvreté, dans Johannes Herderschee, Daniel
Mukoko Samba et Moїse Tshimenga Tshibangu (éditeurs), Résilience dun Géant Aicain : Accélérer la
Croissance et Promouvoir l'Emploi en République Démocratique du Congo, Volume II : Etudes sectorielles,
MÉDIASPAUL, Kinshasa, pages 185-257.
Cet article a été préparé dans le cadre des travaux danalyse de la Banque Mondiale autorisés en vertu
du code P106432-ESW pour « la préparation dune étude Diagnostique dIntégration du Commerce et
un Mémorandum Economique du Pays ». Les remerciements aux pages xxii-xxv de ce olume assurent la
reconnaissance aux nombreux collègues, experts et participants des séminaires qui ont généreusement contribué
à cet article de leur temps et de leurs idées; toutes les erreurs restantes sont celles des auteurs.
Copyright © 2012 La Banque Internationale pour la Reconstruction du Développement/ La Banque
Mondiale conformément à linformation de la page iii de ce olume."
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I. Introduction
Les villes sont le «moteur» du développement. Elles sont le lieu privilégié dimplantation
et de développement des activités à caractère économique.
La République Démocratique du Congo néchappe pas à la règle: avec une économie
encore dépendante de la rente minière, sa capitale, Kinshasa, et les principales villes du
pays, en forte expansion ces dernières décennies, apparaissent comme des éléments clé de
la reprise économique, capables de stimuler la production agricole, la ré-industrialisation
du pays et le développement dun secteur tertiaire moderne. Au Congo, les villes quelque
soit leur taille, jouent un rôle essentiel dans la première transformation, la distribution
locale et lexportation des produits, principalement agricoles.
Aider le pays à sortir de la crise sociopolitique dans laquelle il sest installé, en mettant
en place une politique active de développement des infrastructures et des services urbains,
devrait être un élément essentiel de lagenda économique et social du pays dans son
ensemble et de la politique de soutien à la croissance des partenaires au développement.
Stimuler linvestissement public est le seul moyen dinciter le secteur privé à investir, à la
fois dans les activités économiques et dans lhabitat.
Ne pas inscrire le secteur urbain dans les axes prioritaires de la politique de
développement économique du pays ferait ainsi courir le risque de voir non seulement
auer massivement la population dans les villes (processus déjà en cours), mais également
de voir saggraver la pauvreté en zone urbaine, faute danticipation et de politique
daccueil, et de compromettre ainsi toute perspective de développement du pays dans
son ensemble. Il est donc urgent dagir, à la fois au niveau des grands investissements
de fonction urbaine, et par des actions en faveur de la réduction de la pauvreté en zone
urbaine.
La Contribution des Villes
à la Croissance Économique
et à la Réduction de la Pauvreté
Claude Baissac, Anne Sinet, Alphonse Soh, et Florence Verdet
Chapitre 3
186
Les eorts à engager sont colossaux, notamment le retard à rattraper en matière de
planication urbaine (document durbanisme). Lurbanisme est un secteur sinistré de
ladministration congolaise et le faible niveau de décentralisation/déconcentration du
pays a emché les villes de prendre le relais.
La RDC constitue un enjeu particulier dans lensemble de la sous-région ou même
du continent: ses villes voient leur population augmenter plus rapidement que dans les
autres pays (cf. plus bas). La situation de Kinshasa (8 millions dhabitants), première
concentration urbaine au Sud du Sahara avec Lagos, constitue un dé en termes de
gestion et de développement urbain à elle seule. Enn, la géographie du Congo et
son parcours historique et politique au cours des dernières décennies nécessitent de
repenser en profondeur les modes dintervention, de manière à agir positivement sur
loptimisation des politiques nationales, la responsabilisation des acteurs au niveau local
ou encore le climat des investissements.
Le présent document passe en revue les conditions dune redynamisation de léconomie
urbaine, à la fois formelle et informelle. La question de la réduction de la pauvreté y est
abordée principalement sous langle de la création des richesses, et accessoirement en
termes damélioration de laccès aux services de base pour les populations.
Les villes de Kinshasa et de Bukavu ont été retenues pour illustrer le propos: Kinshasa,
parce quil sagit de la capitale et quelle accueille une immigration massive venue de
lensemble du pays, attirée par les perspectives demploi ; Bukavu, pour sa situation
particulière de ville de réfugiés venus des zones avoisinantes et fuyant les combats et les
exactions.
Le chapitre traite successivement les points suivants: (i) le contexte démo-économique
urbain du Congo; (ii) la contribution des villes à léconomie nationale et la pauvreté urbaine;
(iii) leort consenti par les pouvoirs publics; (iv) les eins à la contribution du secteur
urbain à la croissance; (v) opportunités, priorités et recommandations; (vi) améliorer la
compétitivité économique de Kinshasa et Bukavu.
II. Contexte d’évolution du secteur urbain en RDC
A. Le poids de l’histoire
A son indépendance, la RDC a hérité dune économie urbaine à la fois importante et mal
équipée au regard des besoins dun Etat moderne, et dune population en forte croissance.
Les villes concentraient ladministration, larmée et le pouvoir économique, et servaient
dentrepôts, de centre logistique et de commerce pour lexploitation et lexploration des
ressources primaires. Elles étaient connectées les unes aux autres par un important réseau
de routes, de chemins de fer, de rivières structues autour du euve Congo, et culminant
autour de laxe Kinshasa-Matadi. Les villes et centres urbains étaient au service du projet
colonial. Ainsi, elles recevaient une partie des rentes de lexploitation des matières
premières, qui nétaient quen partie réinvesties dans le pays, et de façon inégale du point
de vue géographique et démographique.
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La nature inégalitaire de léconomie coloniale se retrouvait dans lorganisation
spatiale des villes. Par exemple, à Kinshasa (alors Léopoldville), la population européenne
résidait dans le quartier de la Gombe et dans les parties situées à louest de la ville, autour
du centre industriel le long du euve Congo – dans les quartiers de Limete et Kingabwa.
La population vivait alors dans les quartiers périphériques, dont certains étaient des
villages précoloniaux agglomérés à la ville en pleine croissance.
La période de post indépendance nest pas parvenue à transformer en profondeur
cette structure inégale et discriminatrice, avec un impact profond sur léconomie des
villes et léconomie rurale. Le mouvement de modernisation de la n des années 1960 et
1970 a bénécié aux principales villes du pays, avec dimportants investissements dans
les infrastructures, mais a également contribué à renforcer les inégalités préexistantes.
A partir du milieu des années 1970, les politiques de « Zaïrianisation »1, puis
de « radicalisation » et de « rétrocession » eurent des conséquences désastreuses,
participant à laggravation de deux formes dinégalités : (i) dabord au sein des
métropoles où la crise économique conduisit à une désindustrialisation accélérée et/
ou à la destruction des entreprises agricoles, faisant disparaître lemploi formel tout en
renforçant une consommation des élites permise par un monopole de la rente minière;
(ii) également, entre léconomie urbaine et léconomie rurale, par le déclin dramatique
de lactivité agricole, celle-ci nayant pas reçu les investissements nécessaires au soutien
de la production.
Ainsi, la relation fonctionnelle entre les villes et le monde rural se sont trouvées
aaiblies, puis ont disparu presque entièrement. Cette relation sétait développée sur un
modèle dexploitation, mais avait eut également un rôle structurant: le développement
dune lagriculture commerciale à fort rendement résultait dans la création de valeur
ajoutée rurale, créait des infrastructures sociales et économiques de base, et injectait dans
une économie largement fondée sur la subsistance, des salaires et un début de capacité
dépargne.
Avec leondrement du système, ces territoires sont devenus de plus en plus isolés –
notamment du fait de labandon du réseau de transport sur lequel reposait léconomie.
A titre dillustration, en 1995 le transport de marchandises (cargo) représentait
seulement 10% de son niveau de 19882. Les investissements vers les zones rurales
stoppèrent totalement, aectant lensemble dun système économique devenu vital pour
les populations locales. Les villes devinrent graduellement isolées du reste du pays et
des unes des autres, devenant des enclaves connectées uniquement à létranger et à leur
hinterland le plus proche. Les événements de la n des années 1980 et du début des
années 1990 eurent des conséquences dramatiques, accélérant ce phénomène.
Tout dabord, leondrement du secteur minier entraîna un assèchement des réserves
de devises étrangères, avec des conséquences catastrophiques sur les nances publiques et
sur lensemble de léconomie urbaine, le Gouvernement se trouvant rapidement à court
188
de ressources. En eet, dans les années 1980 et 1990, Gécamines à elle seule représentait
60 % des exportations nationales, et le secteur minier dans son ensemble environ 80 %.
Le secteur minier générait 50 % des recettes dEtat. Entre 1988 et 1995, la production
de cuivre seondra de 90 % passant de 470 000 tonnes à 34 000 tonnes. La production
de zinc et de cobalt cessa presque entièrement. La production de manganèse pris n en
1975.
Le Gouvernement répondit à la crise en émettant des devises, alimentant ainsi la
bulle inationniste. En 1991, le pays (les agences gouvernementales, ladministration
et le secteur parapublic) se retrouva pratiquement en cessation de paiement: le
Gouvernement arrêta dhonorer ses dettes3, mis n aux investissements et à la
maintenance des infrastructures. La fourniture de services de base, y compris dans le
transport, cessa. Les salaires ne furent plus versés, les importations et la consommation
intérieure seondrèrent.
Dans un deuxième temps, en Septembre 1991, les soldats non payés se mutinèrent et
menèrent ce qui fut appelé les «grands pillages», une campagne de pillages spontanés
dans lensemble du pays. En décembre 1992, une nouvelle vague de pillage eut lieu,
visant les principales villes du pays, puis de nouveau en janvier 1993. Ces pillages eurent
des eets dévastateurs sur léconomie urbaine: lindustrie, le secteur manufacturier et les
services sécroulèrent. De 10 % du PIB en 1990, la part du secteur manufacturier tomba
à environ 4 % en 1992.
Alors que léconomie rurale avait été largement détruite par les politiques menées
dans les anes 1970, léconomie urbaine seondra principalement du fait des crises
des années 1990. A Kinshasa, on estime que les pillages conduisirent à la destruction de
près de 800 millions de dollars dinfrastructures et déquipements et à la disparition de
90 000 emplois.
Enn, les guerres menées entre 1997 et 2003 ont accentué les destructions et
dislocations. Dans lEst, les villes furent directement aectées – Kisangani fut
partiellement détruites par une des batailles menées successivement en 1997, 1999 et
2000 – et demeurent à ce jour aectées par des conits. Dans le reste du pays, les villes
furent plus indirectement aectées: dabord le déjà ténu lien avec le monde rural fut
encore fragilisé; ensuite les migrations massives de population, exacerbant la pauvreté en
ville, exerça une pression forte sur les infrastructures et contribuant au développement
dune économie informelle et de survie.
Limpact des guerres sur lindustrialisation est visible. A partir de 1993 le secteur se
releva progressivement des crises nancières et des pillages, puis seondra de nouveau à
partir de 1996 pour passer en dessous de 4 % du PIB entre 1999 et 2001.
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