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"Citation : Claude Baissac, Anne Sinet, Alphonse Soh et Florence Verdet, 2012, “Contribution des
villes à la croissance économique et à la réduction de la pauvreté”, dans Johannes Herderschee, Daniel
Mukoko Samba et Moїse Tshimenga Tshibangu (éditeurs), Résilience d’un Géant Africain : Accélérer la
Croissance et Promouvoir l'Emploi en République Démocratique du Congo, Volume II : Etudes sectorielles,
MÉDIASPAUL, Kinshasa, pages 185-257.
Cet article a été préparé dans le cadre des travaux d’analyse de la Banque Mondiale autorisés en vertu
du code P106432-ESW pour « la préparation d’une étude Diagnostique d’Intégration du Commerce et
un Mémorandum Economique du Pays ». Les remerciements aux pages xxii-xxv de ce volume assurent la
reconnaissance aux nombreux collègues, experts et participants des séminaires qui ont généreusement contribué
à cet article de leur temps et de leurs idées; toutes les erreurs restantes sont celles des auteurs.
Copyright © 2012 La Banque Internationale pour la Reconstruction du Développement/ La Banque
Mondiale conformément à l’information de la page iii de ce volume."
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Chapitre 3
La Contribution des Villes
à la Croissance Économique
et à la Réduction de la Pauvreté
Claude Baissac, Anne Sinet, Alphonse Soh, et Florence Verdet
I. Introduction
Les villes sont le « moteur » du développement. Elles sont le lieu privilégié d’implantation
et de développement des activités à caractère économique.
La République Démocratique du Congo n’échappe pas à la règle : avec une économie
encore dépendante de la rente minière, sa capitale, Kinshasa, et les principales villes du
pays, en forte expansion ces dernières décennies, apparaissent comme des éléments clé de
la reprise économique, capables de stimuler la production agricole, la ré-industrialisation
du pays et le développement d’un secteur tertiaire moderne. Au Congo, les villes quelque
soit leur taille, jouent un rôle essentiel dans la première transformation, la distribution
locale et l’exportation des produits, principalement agricoles.
Aider le pays à sortir de la crise sociopolitique dans laquelle il s’est installé, en mettant
en place une politique active de développement des infrastructures et des services urbains,
devrait être un élément essentiel de l’agenda économique et social du pays dans son
ensemble et de la politique de soutien à la croissance des partenaires au développement.
Stimuler l’investissement public est le seul moyen d’inciter le secteur privé à investir, à la
fois dans les activités économiques et dans l’habitat.
Ne pas inscrire le secteur urbain dans les axes prioritaires de la politique de
développement économique du pays ferait ainsi courir le risque de voir non seulement
affluer massivement la population dans les villes (processus déjà en cours), mais également
de voir s’aggraver la pauvreté en zone urbaine, faute d’anticipation et de politique
d’accueil, et de compromettre ainsi toute perspective de développement du pays dans
son ensemble. Il est donc urgent d’agir, à la fois au niveau des grands investissements
de fonction urbaine, et par des actions en faveur de la réduction de la pauvreté en zone
urbaine.
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Les efforts à engager sont colossaux, notamment le retard à rattraper en matière de
planification urbaine (document d’urbanisme). L’urbanisme est un secteur sinistré de
l’administration congolaise et le faible niveau de décentralisation/déconcentration du
pays a empêché les villes de prendre le relais.
La RDC constitue un enjeu particulier dans l’ensemble de la sous-région ou même
du continent : ses villes voient leur population augmenter plus rapidement que dans les
autres pays (cf. plus bas). La situation de Kinshasa (8 millions d’habitants), première
concentration urbaine au Sud du Sahara avec Lagos, constitue un défi en termes de
gestion et de développement urbain à elle seule. Enfin, la géographie du Congo et
son parcours historique et politique au cours des dernières décennies nécessitent de
repenser en profondeur les modes d’intervention, de manière à agir positivement sur
l’optimisation des politiques nationales, la responsabilisation des acteurs au niveau local
ou encore le climat des investissements.
Le présent document passe en revue les conditions d’une redynamisation de l’économie
urbaine, à la fois formelle et informelle. La question de la réduction de la pauvreté y est
abordée principalement sous l’angle de la création des richesses, et accessoirement en
termes d’amélioration de l’accès aux services de base pour les populations.
Les villes de Kinshasa et de Bukavu ont été retenues pour illustrer le propos : Kinshasa,
parce qu’il s’agit de la capitale et qu’elle accueille une immigration massive venue de
l’ensemble du pays, attirée par les perspectives d’emploi ; Bukavu, pour sa situation
particulière de ville de réfugiés venus des zones avoisinantes et fuyant les combats et les
exactions.
Le chapitre traite successivement les points suivants: (i) le contexte démo-économique
urbain du Congo; (ii) la contribution des villes à l’économie nationale et la pauvreté urbaine;
(iii) l’effort consenti par les pouvoirs publics ; (iv) les freins à la contribution du secteur
urbain à la croissance ; (v) opportunités, priorités et recommandations ; (vi) améliorer la
compétitivité économique de Kinshasa et Bukavu.
II. Contexte d’évolution du secteur urbain en RDC
A. Le poids de l’histoire
A son indépendance, la RDC a hérité d’une économie urbaine à la fois importante et mal
équipée au regard des besoins d’un Etat moderne, et d’une population en forte croissance.
Les villes concentraient l’administration, l’armée et le pouvoir économique, et servaient
d’entrepôts, de centre logistique et de commerce pour l’exploitation et l’exploration des
ressources primaires. Elles étaient connectées les unes aux autres par un important réseau
de routes, de chemins de fer, de rivières structurées autour du fleuve Congo, et culminant
autour de l’axe Kinshasa-Matadi. Les villes et centres urbains étaient au service du projet
colonial. Ainsi, elles recevaient une partie des rentes de l’exploitation des matières
premières, qui n’étaient qu’en partie réinvesties dans le pays, et de façon inégale du point
de vue géographique et démographique.
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La nature inégalitaire de l’économie coloniale se retrouvait dans l’organisation
spatiale des villes. Par exemple, à Kinshasa (alors Léopoldville), la population européenne
résidait dans le quartier de la Gombe et dans les parties situées à l’ouest de la ville, autour
du centre industriel le long du fleuve Congo – dans les quartiers de Limete et Kingabwa.
La population vivait alors dans les quartiers périphériques, dont certains étaient des
villages précoloniaux agglomérés à la ville en pleine croissance.
La période de post indépendance n’est pas parvenue à transformer en profondeur
cette structure inégale et discriminatrice, avec un impact profond sur l’économie des
villes et l’économie rurale. Le mouvement de modernisation de la fin des années 1960 et
1970 a bénéficié aux principales villes du pays, avec d’importants investissements dans
les infrastructures, mais a également contribué à renforcer les inégalités préexistantes.
A partir du milieu des années 1970, les politiques de « Zaïrianisation »1, puis
de « radicalisation » et de « rétrocession » eurent des conséquences désastreuses,
participant à l’aggravation de deux formes d’inégalités : (i) d’abord au sein des
métropoles où la crise économique conduisit à une désindustrialisation accélérée et/
ou à la destruction des entreprises agricoles, faisant disparaître l’emploi formel tout en
renforçant une consommation des élites permise par un monopole de la rente minière;
(ii) également, entre l’économie urbaine et l’économie rurale, par le déclin dramatique
de l’activité agricole, celle-ci n’ayant pas reçu les investissements nécessaires au soutien
de la production.
Ainsi, la relation fonctionnelle entre les villes et le monde rural se sont trouvées
affaiblies, puis ont disparu presque entièrement. Cette relation s’était développée sur un
modèle d’exploitation, mais avait eut également un rôle structurant: le développement
d’une l’agriculture commerciale à fort rendement résultait dans la création de valeur
ajoutée rurale, créait des infrastructures sociales et économiques de base, et injectait dans
une économie largement fondée sur la subsistance, des salaires et un début de capacité
d’épargne.
Avec l’effondrement du système, ces territoires sont devenus de plus en plus isolés –
notamment du fait de l’abandon du réseau de transport sur lequel reposait l’économie.
A titre d’illustration, en 1995 le transport de marchandises (cargo) représentait
seulement 10% de son niveau de 19882. Les investissements vers les zones rurales
stoppèrent totalement, affectant l’ensemble d’un système économique devenu vital pour
les populations locales. Les villes devinrent graduellement isolées du reste du pays et
des unes des autres, devenant des enclaves connectées uniquement à l’étranger et à leur
hinterland le plus proche. Les événements de la fin des années 1980 et du début des
années 1990 eurent des conséquences dramatiques, accélérant ce phénomène.
Tout d’abord, l’effondrement du secteur minier entraîna un assèchement des réserves
de devises étrangères, avec des conséquences catastrophiques sur les finances publiques et
sur l’ensemble de l’économie urbaine, le Gouvernement se trouvant rapidement à court
188
de ressources. En effet, dans les années 1980 et 1990, Gécamines à elle seule représentait
60 % des exportations nationales, et le secteur minier dans son ensemble environ 80 %.
Le secteur minier générait 50 % des recettes d’Etat. Entre 1988 et 1995, la production
de cuivre s’effondra de 90 % passant de 470 000 tonnes à 34 000 tonnes. La production
de zinc et de cobalt cessa presque entièrement. La production de manganèse pris fin en
1975.
Le Gouvernement répondit à la crise en émettant des devises, alimentant ainsi la
bulle inflationniste. En 1991, le pays (les agences gouvernementales, l’administration
et le secteur parapublic) se retrouva pratiquement en cessation de paiement: le
Gouvernement arrêta d’honorer ses dettes3, mis fin aux investissements et à la
maintenance des infrastructures. La fourniture de services de base, y compris dans le
transport, cessa. Les salaires ne furent plus versés, les importations et la consommation
intérieure s’effondrèrent.
Dans un deuxième temps, en Septembre 1991, les soldats non payés se mutinèrent et
menèrent ce qui fut appelé les « grands pillages », une campagne de pillages spontanés
dans l’ensemble du pays. En décembre 1992, une nouvelle vague de pillage eut lieu,
visant les principales villes du pays, puis de nouveau en janvier 1993. Ces pillages eurent
des effets dévastateurs sur l’économie urbaine: l’industrie, le secteur manufacturier et les
services s’écroulèrent. De 10 % du PIB en 1990, la part du secteur manufacturier tomba
à environ 4 % en 1992.
Alors que l’économie rurale avait été largement détruite par les politiques menées
dans les années 1970, l’économie urbaine s’effondra principalement du fait des crises
des années 1990. A Kinshasa, on estime que les pillages conduisirent à la destruction de
près de 800 millions de dollars d’infrastructures et d’équipements et à la disparition de
90 000 emplois.
Enfin, les guerres menées entre 1997 et 2003 ont accentué les destructions et
dislocations. Dans l’Est, les villes furent directement affectées – Kisangani fut
partiellement détruites par une des batailles menées successivement en 1997, 1999 et
2000 – et demeurent à ce jour affectées par des conflits. Dans le reste du pays, les villes
furent plus indirectement affectées: d’abord le déjà ténu lien avec le monde rural fut
encore fragilisé; ensuite les migrations massives de population, exacerbant la pauvreté en
ville, exerça une pression forte sur les infrastructures et contribuant au développement
d’une économie informelle et de survie.
L’impact des guerres sur l’industrialisation est visible. A partir de 1993 le secteur se
releva progressivement des crises financières et des pillages, puis s’effondra de nouveau à
partir de 1996 pour passer en dessous de 4 % du PIB entre 1999 et 2001.
189
Encadré 3.1 : L’effondrement du secteur textile à Kisangani
La culture du coton fut introduite par la colonisation, permettant le développement
d’une industrie de transformation et à l’emploi de près de 50 000 fermiers
fournissant la Sotexi, société d’Etat. Du fait de l’importance des intrants importés,
les performances du secteur reposaient largement sur l’interventionnisme de l’Etat.
Une série d’erreurs commises par l’Etat et le climat d’insécurité ont fini par entrainer
l’effondrement de la production et l’échec de la politique commerciale.
La production fut suspendue du fait de l’interruption de la fourniture de coton
en provenance de la région en conflit de l’Ituri. La Compagnie se tourna alors vers
l’Ouganda et d’autre fournisseurs de RDC, mais le coût élevé des intrants et du
transport réduisirent la compétitivité de l’entreprise, à une époque ou les produits
importés à bas prix inondaient le marché local – la fibre de coton était transportée
en avion du district de Bas Uélé, quand le conflit commença à perturber le transport
routier et fluvial. Dans la deuxième partie des années 90 et 2000, le transport fluvial
fut interrompu. Ces dernières années, l’acheminement jusqu’à Kisangani des
intrants importés du port de Matadi dans le Bas-Congo pouvait prendre jusqu’à 6
mois.
En juillet 1999, les armées Ougandaises et Rwandaises combattirent sur les sites de
plantation de la Sotexi. L’usine fut pillée de nombreuses fois et les infrastructures
furent détruites, laissant la compagnie avec près de 2 millions de dollars de
dommages.
La production de la Sotexi est passée de 1,6 millions de mètres linéaires par mois
en 1991 à moins de 150.000 en 2009. La main d’œuvre a été réduite à moins de
10% (170 travailleurs en 2007) de ce qu’elle était en 1991 (2 600 travailleurs). Alors
que les responsables de la compagnie essayaient de convaincre le Gouvernement de
mettre en place un plan de restructuration, des importations à bas prix en provenance
d’Asie inondaient le marché local, et l’entreprise subissait de plein fouet le manque
de financement et les problèmes de fourniture en électricité.
De plus, la coopérative des producteurs de Coton, la Codenord, créée en 1987
par la Sotexi et le Gouvernement pour organiser les producteurs est aujourd’hui
en faillite. Créée sous la forme d’une Entreprise d’Etat chargée de préfinancer les
récoltes de coton (et de café), la Codenord fut un important acteur économique
avec près de 50 000 producteurs de coton (20 000 en Ituri et 30.000 dans le Bas
Uélé). La coopérative avait également en gestion les usines d’énergie hydraulique et
l’entretien des infrastructures de transport, points vitaux pour le transport du coton
et du café dans la province. L’effondrement de la Sotexi conduisit à l’effondrement
des coopératives de fermiers de l’Ituri et du Bas Uélé, à la destruction des
190
infrastructures telles que les usines de production d’énergie locale et les routes et a
eu des impacts économiques directs et indirects importants.
Source : Ulloa et al. 2010. La République Démocratique du Congo et cinq Provinces.
Une étude des contraintes imposées à la croissance. Non publié.
B. L’urbanisation en marche depuis 30 ans
i. 40 millions d’urbains en 2025
Le dernier recensement général de la population date de plus d’un demi-siècle (1984).
Cette situation a été plus ou moins bien comblée par des estimations successives. La
population de la République Démocratique du Congo est ainsi estimée en 2005,
à environ 57,5 millions d’habitants. Le taux d’accroissement annuel est pour sa part
évalué à +2,7 %. La population nationale devrait donc se situer autour de 66 millions en
2010, 74 millions en 2015 et 85 millions à l’horizon 2020.
En ce qui concerne les villes, on assiste à une explosion de la population urbaine depuis
les années 80, essentiellement portée par l’évolution du contexte socio-économique du
pays. La population urbaine, qui était de 9,9 % en 1956, est passée à 28,9 % en 1984. En
2000, elle était estimée à 32 % et se situerait autour de 37 % (un peu plus de 24 millions
d’habitants) aujourd’hui. Avec un taux de croissance annuel moyen de +4,13 % (3,35 %
en moyenne en Afrique sur la période 2005-2010), les projections laissent présager que
le seuil des 40 millions d’urbains sera atteint avant 2025.
Cette urbanisation semble se traduire par un phénomène de concentration, au profit
des grands centres, dont principalement Kinshasa (qui concentre 8 millions d’habitants
et constitue la plus grande amélioration d’Afrique Sub-saharienne après Lagos), mais
aussi de Lubumbashi (1,5 million) et Mbuji-Mayi (1,3 million), ainsi que des quatre
autres principales villes (Kananga, Likasi, Kisangani et Kolwezi).
Au niveau des villes secondaires, si l’on s’en tient aux mouvements observés entre 1984
et 2000, la croissance devrait être dans l’ensemble moins forte, à l’exception de quelques
centres ayant une position particulière (Fungurume par exemple, avec l’ouverture de
l’importante mine de cuivre) ou encore les agglomérations des provinces du Nord-Kivu,
du Sud-Kivu et du Maniema, où l’insécurité dans les zones rurales densément peuplées a
poussé les populations vers les centres urbains.
ii. Une armature urbaine dense et plutôt bien répartie
L’armature urbaine du Congo repose sur un réseau urbain relativement dense et
bien réparti dans l’espace national, même si quelques pôles, à l’instar de Kinshasa,
prédominent. Elle comprend :
• Trois métropoles d’influence nationale de plus d’un million d’habitants (Kinshasa,
Mbuji-Mayi et Lubumbashi) qui totalisent plus de 40 % de la population urbaine ;
191
huit métropoles intermédiaires (Matadi, Kikwit, Mbandaka, Kisangani, Bukavu,
Kolwezi, Likasi et Tshikapa) ayant une population comprise entre 200 000 et 700
000 habitants ; une quinzaine d’autres villes de plus de plus de 100 000 habitants ;
et des dizaines d’autres localités entre 20 000 et 100 000 habitants.
• La douzaine des villes les plus importantes, qui totalisent à elles seules plus de
70 % de la population urbaine nationale, constitue la colonne vertébrale d’une
armature urbaine qui serait un facteur favorable à une politique d’aménagement
du territoire4 privilégiant le développement des potentialités et des ressources
naturelles locales en vue d’une croissance économique nationale durable. En
dehors de Kinshasa et, dans une certaine mesure de Lubumbashi et Mbuji-Mayi, les
dizaines de moyennes et petites villes jouent un rôle particulièrement important
en matière de développement économique et social de l’ensemble du territoire,
et du milieu rural en particulier. Au-delà du fait qu’elles abritent très souvent les
services sociaux (santé et éducation) et administratifs, elles constituent, à l’instar
de Bukavu, d’importants lieux d’échanges économiques avec le monde rural.
Il faudrait toutefois souligner le déclin, ou tout au moins la stagnation de certains
centres urbains, qui étaient pourtant d’un dynamisme remarquable jusqu’à la fin de la
décennie 1980. C’est le cas en particulier de certaines villes minières qui ont subi les
contrecoups de la régression ou fermeture des activités. Certaines des grandes villes ont
un passé historique et possèdent entre autres une forte tradition universitaire, telles
Lubumbashi, Kinshasa ou Bukavu (ces centres universitaires attiraient les étudiants
bien au-delà du Congo dans le passé, et constituaient des références dans l’enseignement
supérieur du continent).
Toutefois, conséquence du contexte politique et des années de guerre, mais également
du délabrement des voies de communication aussi bien routières que ferroviaires,
lacustres et fluviales, ces rapports ville-campagne ont décliné sur les trois dernières
décennies. Pour les mêmes raisons, les rapports entre villes, à quelques exceptions près,
sont loin de l’optimum.
Au final, les villes en RDC sont des îlots qui fonctionnent de manière indépendante,
quelques-unes s’appuyant sur leur hinterland. En dehors du cadre urbain, le territoire
de la RDC est un quasi-désert humain dont les populations rurales sont parsemées sur
d’immenses étendues.
192
Carte 3.1 : Armature urbaine de la RDC et réseau national de transport
Source : MITPR
iii. Typologie des villes congolaises
Le secteur urbain au Congo se caractérise d’emblée par la très grande diversité des centres
urbains, qui reflète l’immensité du territoire et la multiplicité des groupes humains. Les
modes d’urbanisation, mais aussi les dynamiques sociales varient considérablement d’un
bout à l’autre d’un pays qui traverse presque le continent. Les problématiques en matière
de développement urbain reflètent donc des situations très contrastées à travers la RDC.
Les principaux centres urbains du pays (ceux dont la population dépasse les 100 000
habitants) sont en effet confrontés à un ensemble de difficultés – et leur situation peut
être analysée de manière schématique à travers la typologie suivante5 :
Un cas exceptionnel: Kinshasa. La capitale de la RDC s’est développée de manière
très rapide ces dernières années, au point de devenir l’une des principales mégapoles
d’Afrique, avec près de 8 millions d’habitants. Cette croissance n’a pas été accompagnée
par les investissements correspondants en matière d’infrastructures et de services sociaux
– et les conditions de vie se sont donc considérablement détériorées. La ville n’en est pas
moins un centre culturel important, et une aire de brassage des différentes ethnies qui
constituent la nation congolaise – en ce sens, elle est au cœur de la RDC.
Des villes en proie à une explosion démographique incontrôlée. Il s’agit
principalement des nouveaux centres urbains du Kasaï, qui ont dû absorber les
populations expulsées du Katanga au début des années 1990, puis différentes vagues de
personnes déplacées et de prospecteurs attirés par la richesse diamantifère de la région
– et dont la croissance continue aujourd’hui. Certains de ces centres préexistaient à
l’explosion actuelle (comme Mbuji-Mayi), d’autres sont quasiment apparus ces dernières
années et comptent déjà des centaines de milliers d’habitants (comme Tshikapa et
193
Mwene-Ditu). Leur croissance se fait de manière très chaotique, dans un environnement
caractérisé par l’absence de toute politique d’urbanisme et sans investissements publics
d’accompagnement (infrastructures, voirie, services sociaux). La cohésion sociale y est
faible et les conditions de vie extrêmement difficiles.
Des villes isolées et enclavées. L’exemple le plus connu est la situation de la troisième
ville du pays (avec près d’un million d’habitants), Kisangani – mais l’enclavement total
touche bien d’autres centres urbains, notamment à l’Est du pays, tels que Butembo,
Bunia, Isiro, Kindu, Uvira, etc. Ces villes ont été isolées du fait de l’interruption des axes
de transport (pour des raisons politico-militaires ou de dégradation des infrastructures),
et ont vécu de fait en état d’isolement complet pendant plusieurs années. L’économie est
à l’arrêt, la population y vit misérablement.
Des villes assoupies. Un certain nombre de centres urbains (tels que Mbandaka,
Bandundu ou Kikwit), sans être enclavés au sens strict, ont enregistré une réduction
significative de leur activité économique, déjà réduite avant-guerre. Dans ces villes, la
situation est stable – mais les conditions de vie sont d’autant plus médiocres que les
opportunités économiques sont limitées.
Des villes en expansion désordonnée. La plupart des villes les plus dynamiques ont
connu une expansion désordonnée, au cours des dernières années. La vie économique,
dominée par les activités de survie, est relativement plus développée qu’ailleurs – mais
les conditions d’urbanisation sont inadéquates et les infrastructures insuffisantes. Ces
villes sont dans des situations très variées – de Boma et Matadi, où l’activité portuaire a
protégé la population contre la pauvreté absolue qui règne dans d’autres régions, aux villes
frontalières de Goma (qui se relève péniblement de l’éruption du volcan Nyiragongo)
et Bukavu (où l’arrivée massive de populations fuyant l’insécurité dans le Sud-Kivu a
aggravé les phénomènes d’érosion des sols collinaires de la ville).
Des villes en déclin. Il s’agit typiquement des anciens centres miniers du Katanga
(Lubumbashi, la deuxième ville du pays avec un peu plus d’un million d’habitants, mais
surtout Kolwezi, Likasi, etc.) qui doivent faire face au ralentissement ou à l’interruption
des activités minières – ainsi que des villes comme Kananga (au Kasaï, environ 600 000
habitants) qui ont perdu leur rôle de principal pôle économique de leur région au profit
de nouveaux centres urbains. Ces villes ont une population relativement stable (voire en
déclin), mais une situation économique très détériorée.
Une telle typologie ne doit pas occulter la complexité de la situation à laquelle sont
confrontés les centres urbains. La plupart des villes (y compris celles qui sont citées cidessus) relèvent de plusieurs catégories à la fois, et les problèmes à résoudre sont d’autant
plus compliqués qu’ils n’ont pas de cause unique.
Il y a toutefois un trait commun à l’ensemble de ces villes : cette urbanisation,
contrairement à ce qui a prévalu jusqu’au lendemain de la période coloniale, s’est faite dans
194
des conditions chaotiques, en raison d’une gestion hasardeuse du développement urbain.
Ainsi, au-delà des noyaux hérités de la période coloniale, la croissance démographique
urbaine a été absorbée au prix d’un étalement en périphérie des villes, parfois sur des
terrains peu propices, et par densification des quartiers populaires à proximité des
centres-villes. A titre d’illustration, la ville de Kinshasa occupe aujourd’hui une superficie
(urbanisée) de l’ordre de 55 000 ha, contre 12 900 ha en 1968. A Lubumbashi, comme
dans pratiquement toutes les localités, des dizaines de milliers d’hectares ont été morcelés
et distribués dans des conditions qui ne respectent aucune règle urbanistique : parcelles
de trop grande taille par rapport à la taille des habitations6, de formes variables et ne
tenant nullement compte des caractéristiques du terrain, sans réserves pour équipements
et avec des voies sous ou surdimensionnées. A Bukavu, comme à Kinshasa, les pentes
escarpées (plus de 40 % de pente, soumises à de forts risques de glissements de terrains)
sont envahies par des dizaines de milliers d’habitants, en toute légalité vis-à-vis des
services du Cadastre, ou après accord des autorités coutumières.
A la différence de la période précédente, l’essentiel de cette croissance urbaine s’est
effectué sans raccordement aux infrastructures ni accès aux services de base. D’une
manière générale, le niveau d’infrastructures urbaines actuel n’est guère supérieur à celui
qui existait à la fin des années 1980, alors que la population urbaine a triplé entre temps.
Dans la plupart des villes, plus de 70 % de la population habite des zones urbanisées sans
équipements ni services de base. Le taux d’accès à l’eau potable (abonnements directs et
accès indirect par le voisinage), qui était de 68 % en 1990, est passé à 35 % en 2006 ; des
pans entiers de la ville (les zones d’extension) étant même désormais dépourvus de tout
réseau. En matière d’électricité, le taux de branchement y est de 35 % seulement7. Les
distances à parcourir pour atteindre une voirie revêtue (point d’accès à un transport en
commun), un centre de santé ou une école sont de plus en plus importantes, et se comptent
même en kilomètres dans les nouveaux quartiers de Kinshasa et Lubumbashi. Ici, au-delà
des blocages inhérents à la gestion même des entreprises en charge de la fourniture de
l’énergie et de l’eau, il y a les contraintes liées au développement anarchique des villes :
alors que le niveau de structuration de la ville permettait autrefois le passage des réseaux,
on assiste de plus en plus, en particulier à la périphérie de la ville ainsi que dans les zones
basses, au développement de « poches » totalement irrégulières, qui rendent difficile
l’aménagement des réseaux.
III. Contribution des villes à l’économie nationale
et pauvreté urbaine
A. Performances de l’économie urbaine depuis 10 ans
On ne dispose pas aujourd’hui de données macroéconomiques sur les villes de la RDC.
Néanmoins, un certain nombre de tendances peuvent être extrapolées à partir des
données statistiques nationales. Par ailleurs, les données de niveau provincial produites
195
récemment par la Banque mondiale à partir d’analyses par secteur peuvent également
être utilisées pour estimer les performances de l’économie urbaine. Enfin, les estimations
menées pour la province de Kinshasa valent pour la ville qui représente près de 90 % de
l’économie provinciale.
Les villes ont très largement bénéficié du retour à la croissance après 2002, conséquence
des accords de partage du pouvoir conclus la même année.
Les statistiques au niveau national fournissent des informations sur les performances
du secteur urbain. Le graphique ci-après (2a) illustre l’évolution des performances du
secteur rural, appréhendé au travers de l’agriculture (incluant forêt, élevage, chasse et
pêche) et des industries extractives (incluant le secteur minier, le gaz et le pétrole). Le
graphique 2b montre comment le secteur urbain (appréhendé au travers des industries
de transformation, des secteurs de la construction et des travaux publics, du commerce,
du transport et des télécommunications et enfin des services) a joué un rôle principal
dans la croissance. En effet, les transports et les télécommunications ont connu une
croissance rapide entre 2001 et 2003 ; le secteur de la construction et des travaux publics
affiche une croissance à deux chiffres chaque année depuis 2001, à l’exception de 2007 ;
en revanche, le secteur industriel affiche un très net retard.
Figure 3.1 : Comparaison des performances de la croissance des secteurs majoritairement
ruraux (2a) et urbains (2b) 2000 à 2008
Source: Données FMI, 2010
Les données sur la composition du PIB fournissent des indications sur le poids de
l’économie urbaine. En prenant 2008 pour référence on constate que le secteur primaire
(agriculture et industries extractives) représentait 50,7 % de l’économie, contre 57 %
en 2003. La diminution relative du secteur primaire s’explique principalement par
la croissance ralentie de l’agriculture par rapport à celle des autres secteurs. La RDC
demeure donc très largement une économie rurale et de subsistance.
Les secteurs de la construction et des travaux publics, du commerce, des transports et
des télécommunications et des services, sont passés de 35 % de l’économie en 2003 à 41,6
196
% en 2008. Le secteur urbain semble donc avoir concentré l’essentiel de la croissance.
L’économie urbaine a bénéficié d’un effet de rattrapage.
Tableau 3.1 : Composition du PIB entre 2003 et 2008
PIB au prix de 2000,
en milliards
2003
2004
2005
2006
2007
2008
Agriculture, etc.
143,3
144,2
148,4
153,2
158,2
162,9
Industries extractives
38,3
44,6
50,6
51,1
52,4
58,4
Industries manufacturières
12,2
15,2
16,0
16,2
17,0
17,5
Construction et travaux
publics
18,5
22,6
28,1
31,8
33,5
34,8
Eau et électricité
2,9
2,6
2,7
2,8
2,9
2,7
Commerce
Transports et télécom.
56,7
15,8
59,9
17,6
65,4
19,8
71,3
22,3
80,6
24,7
90,5
26,8
Services marchands
18,5
20,0
21,6
23,2
24,8
26,0
Services non marchands
6,5
7,2
7,0
7,4
7,8
8,1
Source: FMI, 2010
Ce constat est renforcé par les données sur les investissement fournies par l’ANAPI ;
données utiles même si elles présentent des lacunes: (i) l’ANAPI ne prend pas en compte
les investissement des secteurs minier et financier – compte tenu du poids du secteur
minier dans l’économie nationale, les statistiques sont donc biaisées; (ii) les données
compilées par l’ANAPI sur la valeur des investissement sont peu fiables ; elles devraient
être surtout utilisées pour fournir des indications sommaires sur le poids des différents
secteurs et leur répartition géographique.
En termes de demande, une analyse des données de 2005 à 2009 démontre la forte
attractivité du secteur des services, mais également la surprenante attractivité du secteur
industriel ou de transformation, l’agriculture étant à la traîne.
197
Tableau 3.2: Les projets d’investissement par secteur (hors mines et secteur
financier) de 2005 à 2009
Secteurs
2005
2006
2007
2008
2009
Agriculture
8
8
8
5
9
Industries manufacturières
41
41
45
47
34
Construction et travaux publics 7
19
11
22
12
Transports et télécom.
Commerce
13
10
11
1
13
2
20
4
13
1
Services
24
16
20
13
24
Source: Estimations des auteurs basées sur les données de l’ANAPI, 2010
La grande majorité des intentions d’investissement (55 %) est concentrée à Kinshasa.
Le Katanga suit avec près de 15,5 % (hors projets miniers ce qui est donc très largement
sous-estimé, l’attractivité réelle de la province étant fortement liée à ce secteur). Le BasCongo représente 5 % du total, suivi par le Kivu avec 4,8 %.
La même tendance se confirme pour les investissements réalisés. Pour Kinshasa, les
données disponibles fournissent les informations suivantes : (i) le secteur industriel est
l’activité dominante, avec près de 60 % des projets réalisés ou en cours de réalisation pour
la période 2005-2009. Les données disponibles sur les engagement d’investissement
indiquent que le secteur industriel et de transformation arrive à la deuxième place; (ii) le
commerce et les services arrivent en deuxième place avec 40 projets, mais à la première
place en terme d’investissement réalisés; (iii) le secteur de la construction arrive en
troisième place, avec 30 projets, et en terme de volume d’investissement; (iv) finalement,
le transport et les télécommunications arrivent en quatrième place avec 4 projets. Les
données sur les investissements indiquent que les volumes moyens investissements dans
ce secteur sont élevés.
Les données ci-dessus peuvent être considérées comme représentatives des tendances
générales de la croissance urbaine à l’échelle nationale, à l’exception faite du secteur
industriel et de transformation, concentré principalement à Kinshasa, à Lubumbashi et
dans le Bas-Congo.
198
Encadré 3.2:- Les activités économiques à Kinshasa
A Kinshasa, conséquence de l’hypercentralisation de la ville, les activités
économiques sont, pour l’essentiel, localisées dans le triangle Ngaliema-KingabwaGombe-Limete qui concentre 84% des unités8. La Gombe concentre les activités
de services, de commerce, d’industrie, des télécommunications et de finance,
ainsi que les sièges sociaux des entreprises extractives, des banques, des sociétés
d’assurance, et des groupes diversifiés présents dans le pays. Limete, pour sa part,
est spécialisée dans les services et l’industrie à égales proportions, suivi par l’agroalimentaire et enfin les transports. Kingabwa est concentrée sur les transports et
l’industrie. On note également quelques unités à Ngaliema (prépondérance des
services) et à Maluku (présence relativement forte d’activités agricoles).
Pour ce qui est du secteur informel, on le retrouve partout, aussi bien au niveau des
espaces organisés (marchés) que dans la rue. Si le petit commerce est manifestement
prédominant, on enregistre toutefois de nombreuses unités de transformation,
dont certaines sont des sous-traitantes des acteurs du secteur formel.
Carte 3.2 : Plan Kinshasa - Concentration géographique des activités inventoriées par
Beltrade à Kinshasa
Source: IFC, Etude de Faisabilité pour la Zone Economique Spéciale Pilote en RDC. Analyse de la
Demande,2010
199
B. Une importante pauvreté urbaine
La croissance urbaine des trois dernières décennies a eu pour conséquence d’engendrer
une grande pauvreté. L’insécurité dans les zones rurales a drainé vers les villes des cohortes
de personnes à la recherche d’un « mieux vivre ». Celles-ci se sont installées dans les
villes de manière anarchique, en dehors de tout cadre réglementaire et sans considération
d’urbanisme. Cela s’est traduit par une sévère détérioration des conditions de vie urbaine :
les infrastructures (voiries, électricité, drainage, approvisionnement en eau) manquent
(voire, dans certains cas, sont inexistantes), le logement est rudimentaire (au mieux des
bidonvilles, au pire des sans-abris), les phénomènes d’érosion se sont aggravés (avec une
multiplication des glissements de terrain), les prix des denrées de première nécessité ont
augmenté (du fait de la faiblesse des communications avec les campagnes avoisinantes).
Au plan monétaire, selon l’enquête 1-2-3 de 2004-2005 (citée par le DSCRP),
l’incidence de la pauvreté était de 61,5 % en 2005 pour l’ensemble du milieu urbain (71,3
% à l’échelle nationale), ce qui situe les villes congolaises globalement à un niveau de
pauvreté plus élevé que leurs homologues d’Afrique Centrale (moins de 50 % au Congo
voisin en 2008 et 12 % au Cameroun en 2007). Même si Kinshasa (avec 42 % d’indice
de pauvreté) se situe largement en dessous de la moyenne nationale, soit à hauteur de
Brazzaville, elle reste loin derrière d’autres grandes villes de la région comme Douala ou
Yaoundé dont l’indice de pauvreté était évalué à 6 % en 2007.
L’absence chronique d’investissement dans les villes pendant pratiquement un quart
de siècle, conjuguée au manque d’entretien des infrastructures et équipements existants,
a eu pour autre conséquence d’empêcher les villes d’exercer pleinement leur rôle dans le
développement économique. A l’exception de cas notables comme celui de Lubumbashi,
l’infrastructure à vocation économique (voirie principale) soufre d’un délabrement
avancé qui limite la productivité des villes. L’état des voies et la mauvaise gestion
des réseaux limitent les opportunités d’emploi pour les populations et augmentent
considérablement le coût des transports. C’est le cas, par exemple, de la ville de Bukavu
où les difficultés de circulation et de stationnement ainsi que l’accessibilité et la taille
limitées du marché de Kadutu, principal pôle commercial de la ville, augmentent le coût
des échanges avec l’hinterland.
Par rapport aux autres villes de la région, les villes congolaises offrent donc moins
de possibilités d’emploi et donc d’augmentation des revenus aux ménages. Même
l’économie populaire, et plus particulièrement le secteur informel qui sert d’exutoire tant
pour l’emploi que pour la production de richesse face aux insuffisances de l’économie
moderne, est handicapée par cette situation. L’absence d’électricité dans les quartiers
populaires a pour autre conséquence d’augmenter les coûts de production et donc de
freiner, voire d’empêcher, le fonctionnement des petites unités traditionnellement assez
développées à Kinshasa.
200
C. La Tertiarisation de l’économie urbaine
D’un point de vue économique, les centres urbains du Congo présentent des visages
contrastés. Toutefois, un trait commun se dégage clairement : la forte présence du secteur
tertiaire, largement dominé par le petit commerce informel, en plus de diverses petites
activités de production artisanale, faiblement intégrées et tournées vers la consommation
finale.
Les données et statistiques disponibles ne permettent pas aujourd’hui d’évaluer la
contribution du secteur informel au « revenu urbain ». Le secteur informel recouvre
plusieurs réalités y compris celle qui consiste à agir en sous-traitance d’entreprises
formelles. Toutes les villes sont concernées, y compris celles à dominante minière
(Lubumbashi, Kolwezi, Fungurume etc.) qui drainent des populations pauvres qui
ne peuvent plus trouver un emploi dans la mine, mais s’investissent dans des activités
commerciales pour couvrir les autres besoins générés par le développement de
l’agglomération. Ces activités sont en général réparties sur pratiquement toute la ville, à
travers des marchés formels, mais surtout le long des rues, qui sont pratiquement toutes
transformées en espaces marchands.
D’un point de vue spatial, à quelques exceptions près (Lubumbashi), les activités du
secteur formel (exploitation minière, secteurs secondaires et tertiaire modernes) sont
regroupées dans les anciens noyaux des villes.
La situation de Kinshasa
Les défis auxquels est confronté Kinshasa sont nombreux, multidimensionnels et d’un
certain point de vue, accablants9. Si la métropole s’est partiellement redressée depuis
2002, après des décennies de mauvaise gestion, de pillages et des conséquences des
guerres, ce redressement est essentiellement le résultat de changements massifs dans la
composition du PIB ; il est intervenu sans l’investissement public pourtant nécessaire, et
sans aucune réforme de la gestion urbaine
201
Tableau 3.3 : Structure de l’économie urbaine de Kinshasa entre 2006 et 2008
PIB 2006, prix du marché
2006
2007
2008
91 079
146 265
171 066
84 381
138 212
161 978
Forêts
5 405
5 797
6 236
Industries minières
1 294
2 256
2 853
Secteur secondaire
417 726
437 999
352 327
Transformation
120 23
131 384
137 336
85 045
204 763
7 689
79 357
216 379
10 879
75 939
126 921
12 132
950 881
1 010 829
1 046 531
Services marchands
694 866
764 989
805 883
Commerce
Autres
Services non marchands
647 441
47 425
256 015
714 426
50 562
245 841
751 877
54 005
240 648
1 459 686
1 595 093
1 569 925
Secteur Primaire
Agriculture, pêche, élevage
Energie
Eau
Construction et travaux publics
Secteur Tertiaire
Total PNB
Source: Banque mondiale, données par Province, 2010
D’un point de vue structurel, l’économie de la ville est largement dominée par le secteur
des services (cf. tableau ci-dessous) qui représente près de 67 % en 2008. L’agriculture ne
représente que 10,8 % du PIB, une proportion faible, mais non insignifiante. Le secteur
industriel atteint à peine 8,7 %, ce qui est toutefois deux fois plus important que le taux
constaté au niveau national.
Dans les années 1970, des milliers f industrielles existaient, connectées à l’économie
rurale et urbaine grâce à un réseau complexe de relations de production dans les secteurs
de l’agriculture, de l’agro-industrie, du bois, des produits de base, et des services
financiers ; cet ensemble s’appuyait sur un système de transport national multimodal
intégré et efficace (cf. carte 1 ci-dessous).
Aujourd’hui, très peu de ce système a perduré: le peu d’industries ayant survécu
est principalement orienté vers la substitution aux importations de biens et de services
de bases (ciment, matériaux de construction, farine, savon et détergents), et rencontre
d’importantes difficultés opérationnelles, car dépendant principalement de l’importation
d’équipement et de produits primaires et secondaires. Il y a peu d’activités exportatrices,
celles-ci étant entravées par le climat général des affaires, le manque d’infrastructures,
les pressions fiscales officielles et non officielles, le coût des services bancaires, entre
202
autres. Une visite rapide dans les quartiers industriels de Kanagawa et Limette, autrefois
poumons industriels de la ville et du pays, témoigne de l’ampleur catastrophique de la
désindustrialisation de Kinshasa et de ses environs et de la destruction de ces échanges
commerciaux avec son hinterland national. Ces zones sont aujourd’hui de vastes
friches industrielles squattées par l’informel; les équipements rouillent sur place, les
infrastructures de chemin de fer et de transport fluvial sont à l’abandon.
Kinshasa est maintenant une économie de services. Les services marchands dominent
largement, avec les échanges et le commerce formel et informel représentant 47,9 % du
PIB (2008). La tendance est à l’augmentation de ce secteur. Cette dépendance croissante au secteur commercial est le produit de plusieurs facteurs: (i) le rétablissement de
l’économie en 2002, (ii) la croissance démographique, (iii) l’accès facile aux activités
commerciales, particulièrement dans l’informel et la micro-entreprise.
En l’absence d’une industrie de transformation locale capable de fournir plus qu’une
portion minime des produits de base, et avec un secteur agricole fortement limité,
la presque totalité des produits consommés est importée. Cela est reflété de manière
spectaculaire dans la balance commerciale de la province, qui s’est rapidement détériorée:
en 2008, la balance commerciale des biens et services était négative à 2 225 milliards de
FC à prix courants (environ 1 554 milliards de FC aux prix de 2006). En parallèle, les
exportations s’élevaient à peine à 25 milliards FC, soit un taux de couverture de 1,1 %,
possiblement un record mondial. La balance commerciale domestique est restée positive
avec 94 milliards de FC. Kinshasa exporte principalement vers le reste du pays, surtout
vers le Bas-Congo, le Bandundu et l’Equateur.
En fait, il ne serait pas incongru de décrire la ville comme représentant une sorte
de zone de consommation de produits d’importations enclavé – l’inverse d’une zone
franche d’exportation en somme – , et qui en retour exporte les richesses du reste du pays
pour financer cette boulimie. Les chiffres de la consommation et des investissements
démontrent l’étendue du phénomène: (i) en 2008, la consommation totale était de
4 087 milliards FC dont 82 % étaient privée (2 818 milliard de FC au taux de 2006);
(ii) les investissements étaient de 470 milliards FC, à 91 % privés. Les investissements
représentaient donc moins de 11 % de la consommation et 20,4 % du PIB. Ainsi,
Kinshasa « exportait » près de 50 % de « ses » richesses vers l’étranger.
203
Tableau 3.4 : Consommation, investissement et demande extérieure nette
2006-2008
2006
2007
2008
Prix courants
2 034 680
385 656
1 649 023
2 939 855
534 655
2 405 200
Investissements
Publics
192 558
25 144
469 576
28 698
470 416
42 041
167 414
44 ,878
428 375
2 227 238
3 409 431
Absorption
Demande
extérieure nette
PIB
4 086 999 2 034 680
743 66
385 656
3 343 338 1 649 023
1 890 186
2008
2 504 028
455 393
2 048 634
2 818 105
512 776
2 305 329
192 558
25 144
399 962
24 443
324 365
28 988
167 414
375 519
295 377
4 557 415 2 227 238
2 903 990
3 142 470
-748 221 -1 294 020
- 1 554 895
-748 221 -1 519 245 -2 255 010
1 479 016
2007
Prix constant de 2006
Consommation
Publique
Privée
Privés
2006
2 302 404 1 479 016
1 609 970
1 587 575
Etude de fonds vol. I. Annexe A
Ce déficit massif est largement financé par la rente minière et, dans une moindre mesure,
par les transferts internationaux provenant des bailleurs bilatéraux et multilatéraux.
Il est intéressant de noter que le Katanga a exporté à lui seul en 2008 – et seulement
dans le secteur minier – 2 053 milliards de FC, et a eu une balance commerciale positive
de 803 millions de FC.
De manière simplifiée, Kinshasa joue le rôle d’un vaste siphon des ressources
naturelles du pays. Ce siphon consomme de manière indirecte cette richesse, au travers
les importations massives de biens de consommation, consommées brutes, non-intégrées
dans une productive de valeur ajoutée durable. Kinshasa, générant très peu de richesse
réelle, exporte la richesse réelle produites par le reste du pays.
D’une fonction de « pôle-réseau » dans les années 1960, caractérisée par « l’existence
d’un enchevêtrement d’industries dynamiques qui ont permis des effets d’entraînement
sur le reste de l’économie nationale et notamment dans les régions environnantes »10,
Kinshasa est devenue une métropole vivant sur les rentes, sur la consommation
ostentatoire d’une petite minorité, et sur une économie informelle et de survie pour une
large majorité en expansion rapide et continue.
L’économie informelle est une conséquence collatérale de l’effondrement du secteur
industriel et du secteur formel. Bien que peu de données précises soient disponibles,
une littérature croissante s’intéresse à ce secteur. Ainsi, sa taille, son organisation et la
204
sécurité qu’il confère aux communautés, sont vues comme des opportunités potentielles,
ainsi que comme une expression de sa créativité et de sa résilience.
Le secteur formel fournissait un emploi pour 3,3 habitants à l’indépendance. Ce
taux est passé à 1 emploi pour 6,3 habitants en 1967. Supposant qu’environ 4 millions
d’habitants sont employés dans la ville, et environ 800 00011 sont employés dans le secteur
formel, ce taux serait aujourd’hui de moins de 1 pour 10. Kinshasa est une métropole à
l’économie principalement informelle, probablement une des villes les moins formelles
dans le monde.
La situation de Bukavu
A première vue, Bukavu et Kinshasa sont à l’opposé. Bukavu est une petite ville, à
l’économie principalement rurale, ravagée par près de vingt années de conflits, et
subissant toujours les conséquences d’une importante insécurité, bien qu’en diminution.
Cependant, la raison d’être de Bukavu était autrefois identique à celle de Kinshasa, à une
échelle moindre: Bukavu était alors une ville administrative, de commerce et un centre
logistique pour l’économie régionale. En dehors de la taille, la différence principale
résidait dans le fait que Bukavu n’était pas une ville industrielle, et n’accueillait qu’un
nombre limité d’unités industrielles. Trouver des informations pertinentes sur Bukavu
est encore plus difficile que pour Kinshasa. Les données à l’échelle de la ville sont
inexistantes, la ville n’ayant pas bénéficié de l’intérêt qu’a pu susciter Kinshasa. Le
profil économique de la ville présenté ci-dessous est donc très largement basé sur des
hypothèses étayées par les données provinciales.
205
Tableau 3.5: Structure de l’économie du Sud Kivu, 2006 - 2008
PIB 2006 prix du marché
2006
2007
2008
Secteur primaire
342 714
270 053
247 091
Agriculture, pêche et élevage
331 837
262 579
240 222
131
187
252
Industries Extractives
10 746
7,286
6 617
Secteur secondaire
31 932
30 497
28 859
Manufacturier
30 291
29 097
27 569
843
569
544
Eau
Construction et travaux publics
Secteur tertiaire
655
143
87 959
651
179
87 723
674
72
83 602
Services marchands
85 270
84 664
80 75
2 69
3 059
2 852
462 605
388 272
359 552
Foresterie
Électricité
Services non marchands
PIB total incluant tous les secteurs
Source: Etude de fond, vol. 1, Annexe A
D’après le tableau 5, un certain nombre de faits importants apparaissent: (i) l’économie
provinciale a décliné progressivement entre 2006 et 2008, en termes réels, et a connu
une croissance modérée en termes constants; (ii) ce déclin a affecté tous les secteurs,
bien que certains sous-secteurs aient augmenté; (iii) les secteurs qui ont connu le déclin
le plus important ont été l’agriculture, (28 % entre 2006 et 2008), la pêche (40 %), le
secteur minier (38 %), et la construction (49 %). Le commerce a décliné de 11 %. Les
secteurs ayant connu une croissance ont été le secteur forestier (35 %), le secteur des
transports (25 %), le secteur de la restauration (25 %) et l’intermédiation financière (23
%). Cependant, dans une économie dépendant à 66 % du secteur primaire, ces secteurs
en croissance n’ont pas compensé la chute globale des revenus réels de 22 % entre 2006
et 2008, qui de plus sont intervenue dans une économie largement détruite par la guerre.
Ces statistiques sous estiment très certainement l’économie provinciale qui échappe
en partie à la comptabilisation statistique du fait du point des activités illicites, de
l’insécurité, et par la « capture » rwandaise d’une partie de la valeur ajoutée provinciale –
c’est notamment le cas de la production de café qui traverserait la frontière de manière
illégale. De la même manière, le secteur minier est probablement plus important qu’il
n’y paraît.
Partant du principe que la ville concentre l’essentiel des secteurs secondaire et
tertiaire, le PIB de Bukavu est estimé à environ 112 milliards FC pour 2008. Supposant
206
que la population soit d’environ 750 000 habitants, cela signifie que le revenu quotidien
moyen est de 0,82 dollars par jour. La pauvreté urbaine est estimée à 84,6 %, soit un
niveau équivalent de celui de la pauvreté rurale. Cela contraste fortement avec Kinshasa
dont le taux de pauvreté est aux alentours de 41 % (2008). Bukavu est donc bien en deçà
du taux national de pauvreté qui est aux alentours de 71,3%.
Aux revenus générés localement doivent être ajoutés les transferts du Gouvernement
central, dont une très faible partie est consommée hors de la ville. Ils ont augmenté de
manière significative dans les dernières années: de 1,76 milliards de FC a 15,24 milliards
en 2008. L’assistance humanitaire représente une autre source importante de revenus:
22,26 milliards de FC en 2008 qui auraient semble-t-il augmenté depuis lors. Au total,
les revenus du Gouvernement provincial ont atteint 89,5 milliards de FC et auraient
augmenté en termes réels. Les transferts du Gouvernement central et l’assistance
humanitaire ont représenté chacun 6,2% du PIB de la province, soit à peu près autant
que l’ensemble de la contribution du secteur secondaire.
Ensuite viennent les maigres revenus d’un secteur agricole limité à une agriculture
vivrière, dont la production et essentiellement consommé sur place, revendue localement
et sert à la consommation de produits importés, et du secteur minier. Ces revenus sont
partiellement réinvestis à Bukavu, et les observations empiriques suggèrent que ces
investissements profitent essentiellement à un secteur immobilier en forte expansion à
Bukavu (non comptabilisé dans les données ci-dessus, probablement du fait de l’origine
illégale d’une partie des revenus tirés des activités minières). Le revenu moyen quotidien
est donc certainement supérieur aux estimations fournies ci-avant, mais dans des
proportions relativement limitées.
Un autre indicateur de l’économie de la ville est la balance commerciale de la
province. En 2008, celle-ci était déficitaire de 154 millions de FC, les importations
ayant atteint 126 milliards de FC, et les exportations étant à peine de 15 milliards (soit
un taux de couverture de 11,9 %). Ces résultats sont supérieurs à ceux de Kinshasa,
mais doivent être contrastés avec ceux de la fin des années 1980, lorsque le Sud- Kivu
était un exportateur net de produits alimentaires vers le reste du pays, mais également
vers l’étranger. Bukavu était le centre de ces échanges, servant de point d’entrée vers le
cœur productif de la région, concentrant les capacités de production, de logistique et de
support, et fonctionnant comme que hub régional de transport.
Aujourd’hui, Bukavu sert d’îlot de sécurité pour les populations victimes de décennies
de guerres, déracinées de leurs terres et de leurs communautés, et luttant pour survivre
dans une ville physiquement étranglée dont les capacités d’accueil ont été largement
dépassées. La densité de population est d’environ 7 000 habitants au km2. Le chômage
est supérieur à la moyenne nationale (22 % contre 11 %), et plus élevé dans la ville que
dans les zones rurales. Les infrastructures urbaines ont été dilapidées et la fourniture en
énergie est sporadique. La gestion urbaine manque de ressources et est inefficace. Avec
l’effondrement de l’économie rurale et l’absence d’alternatives adaptées, l’économie de
Bukavu est en déclin.
207
Cependant, il y a quelque signe de renouveau encourageant d’un entreprenariat
autrefois vanté. Dans la périphérie de Bukavu, le long des trois axes routiers principaux
en direction du nord, du sud et du sud-est de la ville, d’anciennes fermes commerciales
dans les produits clés (thé, café, quinine, et sucre plus bas le long du lac Tanganyika)
retournent progressivement à leurs activités, à mesure que la sécurité s’améliore.
Le tourisme fait également un retour timide. Banro Corporation, une compagnie
canadienne, s’est engagée en dépit de difficultés à investir près de 150 millions USD. Les
banques commerciales se réimplantent dans la ville et sont un des secteurs de la ville en
pleine croissance.
La clé d’un développement durable de Bukavu repose toutefois sur un retour
concerté au modèle historique de croissance qui a fait la ville, c’est à dire celui d’un pôle
dynamique de croissance du secteur rural.
Carte 3.3: Carte des limites administratives de l’hinterland sécurisé de Bukavu et
principales routes d’accès
Source: Autorités provinciales
208
IV. L’effort des pouvoirs publics
A. Des villes sous administrées
Le schéma ci-dessous récapitule le cadre institutionnel issu de la Constitution du 18
février 2006 et de la loi de 2008.
Entité territoriale déconcentrée
Entité territoriale décentralisée
D’après la Loi Organique de 2008, on entend par Ville « tout chef-lieu de province ou
toute agglomération d’au moins 100 000 habitants disposant des équipements collectifs
et des infrastructures économiques et sociales à laquelle un décret du Premier ministre
aura conféré le statut de ville » et on entend par commune « tout chef-lieu de territoire
ou toute subdivision de la ville ou toute agglomération ayant une population d’au moins
20 000 habitants à laquelle un décret du Premier ministre aura conféré le statut de
commune ».
A part les Provinces qui ont une Assemblée provinciale et un Gouvernement avec
ses ministères, le manque de moyens financiers n’a pas permis de créer des services
administratifs spécifiques pour chaque échelon. Pour les villes, la « solution » a consisté
à appliquer l’un des principes du modèle populaire et révolutionnaire mis en place en
1967 et consistant à sauvegarder le système unitaire de l’Etat en nommant à tous les
échelons des fonctionnaires de l’Etat sous tutelle directe de l’Etat. Ainsi, la Ville n’a pas
de services techniques municipaux ; elle doit composer avec les divisions urbaines des
administrations centrales qui relèvent de Kinshasa et qui ont leur propre organisation,
indépendante de celle de l’administration municipale pour laquelle elles sont supposées
209
toutefois agir. Ainsi, une ville de plus d’un million d’habitants dispose des mêmes
services, compétences techniques et matérielles identiques, qu’une ville de 100 000.
Kinshasa, avec son statut de Ville-Province, est un cas à part, puisque l’Hôtel de Ville et
le Gouvernement Provincial ne font qu’un.
Par ailleurs, jusqu’à la loi de 2008, une commune était nécessairement une subdivision
de la ville dont elle dépend. Avec la nouvelle loi, la commune est supposée disposer de la
personnalité morale et de l’autonomie financière, même si la mise en pratique rencontre
des obstacles.
La nouvelle loi ouvre également la possibilité d’ériger une localité au rang de
commune en dehors d’une ville. Mais sur le terrain, certaines agglomérations ayant une
population de plusieurs dizaines de milliers d’habitants gardent le statut de « cité ».
Elles restent ainsi incluses dans les « territoires » qui sont des entités rurales, et sont
privées d’autonomie financière, de personnalité juridique et de toute structure technique
pouvant gérer les problèmes urbains de base comme l’occupation des sols.
B. L’effort public d’investissement en direction des villes
L’urbanisation rapide de la RDC nécessiterait des investissements massifs dans
les villes. Il est aujourd’hui difficile d’évaluer l’effort d’investissement consenti par le
Gouvernement et ses démembrements dans les principales agglomérations du pays.
Les politiques d’investissement sont programmées par secteur d’intervention et la
distinction entre rural et urbain ne constitue pas un axe d’orientation du budget. Seuls
les grands projets d’investissement financés par les bailleurs internationaux, ainsi que les
budgets d’investissement des collectivités locales (Provinces et Villes) peuvent constituer
des indicateurs, par ailleurs partiels, de l’effort public d’investissement dans les villes.
L’évaluation des besoins en investissement doit par ailleurs tenter de distinguer : (i)
la mise à niveau des infrastructures, (ii) l’ouverture à l’urbanisation de nouvelles zones
d’extension, (iii) les besoins liés à la modernisation et au développement économique
(crucial notamment à Kinshasa). Les macro-économistes considèrent que les Pays à
Faible Revenu devraient consacrer au moins 7 % de son PIB aux investissements publics.12
Compte tenu du taux d’urbanisation moyen des pays concernés, on pourrait considérer
que le tiers de cet investissement public devrait aller aux villes13.
Sur ces bases, on peut estimer que l’effort d’investissement public de la RDC en
direction des villes devrait représenter 16 % à 17 % du budget de l’Etat et de l’ordre
de 12 USD par habitant urbain soit trois fois le budget actuel des collectivités locales.
Pour évaluer les écarts à combler, il faudrait pouvoir évaluer, par exemple dans le cadre
d’un Cadre de Dépenses à Moyen Terme (CDMT), les efforts réellement consentis
aujourd’hui et les perspectives d’évolution, notamment au regard des textes sur la
décentralisation.
210
Tableau 3.6: Effort d’investissement en direction des villes
Unité &
hypothèse
2007
2010
2014
Million USD
10 013
12 304
17 352
Evol.
Moyenne
annuelle
8,2 %
Per capita
USD
164
178
223
2,8%
Population
Milliers
61 053
69 010
77 973
3,1%
Population urbaine
Milliers
21 491
24 292
29 415
4,9%
Million USD
1 475
1 821
2 412
7,3%
USD
24
26
31
Million USD
89
109
145
USD
4
4
5
Million USD
(7 % PIB)
701
861
1215
%
48%
47%
50%
USD
11
14
16
Million USD
(33 % inv. Public)
231
284
401
%
16%
16%
17%
USD
11
12
14
PIB
Budget Etat (hors dons)
Per capita
Budget Collectivités locales
Per capita
Investissement public total
optimal
% budget Etat
Per capita
Investissement public urbain
% budget Etat
Per capita urbain
8,2%
8,2%
Sources: Auteur à partir des données PIB et budget Etat (FMI), Population (Banque mondiale
& UN-Habitat).
V. Les freins à la contribution du secteur urbain à la croissance
A. La faible capacité des acteurs publics
La gestion urbaine échappe aux Villes
Le paysage institutionnel urbain de la RDC est marqué par un certain désordre dans
l’intervention des acteurs publics (Etat y compris concessionnaires et autres structures
rattachées, Province, Ville, Commune) lié à la période de transition dans lequel se trouve
le pays depuis l’adoption de la Constitution de 2006: superposition ou concurrence
entre les différents acteurs, dilutions des responsabilités. En l’absence de clarification des
compétences et des moyens d’action accordés aux acteurs locaux, la gestion efficiente des
centres urbains apparaît compromise.
211
Les relations entre les différentes entités sont définies par divers textes, et en
particulier par la nouvelle Constitution, promulguée le 18 février 2006, qui instaure un
quasi-fédéralisme (bien que l’Etat reste de forme unitaire), conformément au compromis
de Sun City signé en 2002. Les Provinces ne sont plus des collectivités décentralisées
mais des entités politiques régionales, disposant d’un Parlement et d’un Gouvernement
provincial, sur lesquels l’Etat n’a aucun pouvoir de révocation. La loi organique n°08016 du 07 octobre 2008 précise la composition, l’organisation et le fonctionnement des
entités territoriales décentralisées et leurs rapports avec l’Etat et les Provinces.
Encadré 3.3: Points clés pour comprendre le système de fonctionnement
territorial
Le système d’administration territoriale actuel est le résultat de trois inspirations: le modèle populaire et révolutionnaire mis en place avec la création du MPR14 en
1967, et prônant la fusion des structures administratives et politiques, y compris
dans les Provinces et dans les Villes ; ce système s’est notamment traduit par une
très forte centralisation et la nomination de fonctionnaires de l’Etat à tous les
échelons territoriaux (Provinces, Villes, Communes, Territoires) ; l’objectif était
notamment de sauvegarder le caractère unitaire de l’Etat;
• le modèle décentralisé, sous l’influence internationale, dans lequel déconcentration
des ministères et décentralisation des décisions politiques cohabitant;
• le modèle fédéral, inspiré initialement du modèle colonial Belge et par les
caractéristiques physiques du pays, avec la création, en 2006, de Gouvernements
provinciaux dotés de Ministères provinciaux.
Depuis la première loi sur la décentralisation en 1982 (Ordonnance–loi de
décentralisation) les Autorités tentent d’établir un équilibre entre ces différents
héritages ou inspirations ; les résistances aux modèles, à la fois décentralisé et
fédéral (risque de balkanisation du pays), demeurent importantes. La conséquence
est que, depuis le début des années 80, le système a peu évolué. Les lois successives
(1995, 1998) et le changement de Constitution (2006) n’ont pas réellement
bouleversé l’équilibre des pouvoirs et le système reste marqué par une forte
centralisation.
Cette centralisation va de pair avec l’imbrication des circuits décisionnels de l’Etat
et des entités décentralisées. Les décisions sont prises depuis Kinshasa et répercutées
jusqu’au niveau local au travers des divisions ministérielles déconcentrées et
placées au sein des ETD. La dualité des fonctions qui en résulte s’organise par une
distribution des tâches mettant l’accent sur le contrôle réciproque des institutions
au détriment de la production de services : le contrôle administratif est exercé par
les ETD, le contrôle technique par les divisions ministérielles.
212
Le financement des ETD est opéré dans le cadre d’un vaste système de
redistribution nationale des ressources fiscales recouvrées localement15. La
centralisation se retrouve tant en recettes qu’en dépenses. La fiscalité locale est
constituée de quelques impôts peu rentables (impôts fonciers, impôts sur les
véhicules et patente sur les petites activités artisanales et commerciales) cédés
dès les années 1980 en contrepartie de la prise en charge par les ETD d’un
certain nombre de «menues dépenses». L’essentiel des ressources des ETD, et
notamment des Provinces, provient donc des rétrocessions des grands impôts
nationaux sur les revenus et sur la consommation. La rétrocession aux provinces
et ETD s’opère sur la base d’une retenue à la source par les Provinces de 40 %
des recettes d’intérêt national recouvrées localement ; ce pourcentage est supposé
donner lieu à la répartition de 25 % des montants correspondants à la Province et
15% aux ETD (Villes et communes). Ce dispositif, institué par la Constitution de
2006, cristallise l’essentiel des débats sur le financement de la décentralisation. Les
dépenses d’investissements, les frais de personnel et les frais de fonctionnement
sont quasi intégralement couverts par l’Etat.
Les principaux acteurs du développement et de la gestion urbaine
213
Encadré 3.4 : Les dispositions de 2008 sur les compétences de la ville
Le partage des compétences entre les entités est fixé par la Constitution et la loi
organique n°08/016 du 2 juillet 2008.
En termes de gestion urbaine, la Ville disposerait de compétences élargies touchant
à l’essentiel des infrastructures et équipements attendus :
Infrastructures : construction des voiries, éclairage public, aménagement
du drainage et eaux usées, collecte et évacuation des ordures ménagères,
aménagement des sources et forages de puits d’eau, construction et exploitation
des microcentrales pour la distribution d’énergie électrique, éclairage public,
autorisation de stationner, de circuler pour les taxis et bus.
Équipements publics : aménagement et gestion des marchés (d’intérêt urbain) ;
initiative de création d’écoles et construction/entretien des bâtiments scolaires
d’Etat ; autres bâtiments (musées, centres socioculturels,…) et espaces publics.
Développement urbain et foncier : Plan d’aménagement de la ville ; Actes de
disposition d’un bien du domaine privé de la ville et actes de désaffectation d’un
bien du domaine public de la ville.
La mairie n’a pas d’attribution relative aux bâtiments de santé. En matière de
gestion foncière, la compétence échappe à la Ville et aux Communes et revient
à la Province et à l’Etat, seuls responsables de l’attribution des parcelles et de la
politique du logement
Le partage de ces compétences de gestion urbaine avec les communes reste à
clarifier. Le législateur s’est contenté d’ajouter « d’intérêt communal » à la suite
des compétences dévolues à la Ville ; ce qui ne manquera pas de poser des problèmes
au moment de la mise en place effective des entités décentralisées communales
(élections communales).
L’organigramme de la Ville résulte d’une fusion entre les services déconcentrés de
l’Etat placé au niveau de la Mairie, et les services propres de la Mairie, principalement
constitués de personnels contractuels. Initialement, la distinction entre ces deux types
de services renvoyait à une distinction en termes de financement : d’un côté les services
agissant pour le compte de la commune et financés par les recettes locales, de l’autre
les services agissant au nom de l’Etat et dont le budget était couvert par des transferts
de l’Etat (budget national local). Aujourd’hui, cette distinction n’est plus tout à fait
justifiée, la Ville ne percevant plus aucun transfert financier de l’Etat en dehors de la paie
du personnel qui lui est affectée.
214
En ce qui concerne les communes, elles n’ont pas de personnalité juridique et dépendent
de la Ville tant administrativement que financièrement. Les bourgmestres, autorités
politiques, sont placés sous l’autorité du Maire de la Ville et les relations entre les deux
entités semblent se limiter aux aspects administratifs. Ainsi, dans le cas de Lubumbashi
par exemple, les bourgmestres doivent un rapport quotidien tous les matins entre 9h et
9h30. De la même manière, le Maire fait un rapport au Gouverneur de la Province tous
les jours avant 13h. Cette situation pourrait évoluer avec l’application de la loi organique
de 2008. L’augmentation récente des moyens financiers et matériels dévolus à la ville par
la Province entraîne d’ailleurs une pression croissante des Bourgmestres sur le Ministère
de l’Intérieur pour assumer leur rôle d’Entité Décentralisée.
A l’inverse, la Province apparaît comme l’acteur clé de la gestion et du développement
urbain. Pour le Katanga par exemple, le budget Provincial 2008 (réalisé et en grande
partie affecté à la ville de Lubumbashi) s’élevait à 69 milliards FC, à comparer au budget
de la Ville (0,6 milliards FC). Les compétences de la Province sont définies en termes
généraux par la Constitution de 2006 (art. 204) : elle exerce des compétences en propre
et des compétences exercées pour le compte de l’Etat. En matière de gestion urbaine,
la Province est compétente pour les questions « d’habitat urbain et d’équipements
collectifs provinciaux et locaux ». La Province intervient dans l’attribution des
parcelles et la gestion des extensions urbaines, ainsi que dans la réalisation de tous les
investissements d’importance sur la ville. Compte tenu de ses moyens financiers, elle se
substitue très souvent à la Ville dans la plupart des domaines listés comme relevant de
cette dernière, y compris dans la gestion des déchets solides.
Les grands services urbains relèvent d’offices et de sociétés nationales intervenant
sous le contrôle direct de l’Etat central (Ministères de l’Energie et du Portefeuille). Il
s’agit de la REGIDESO (Régie de Distribution d’Eau) et de la SNEL (Société Nationale
d’Electricité). S’ajoutent à ces deux concessionnaires l’OVD (Office des Voiries et
du Drainage), sous la tutelle du Ministère des Infrastructures et Travaux Publics, qui
dispose d’antennes dans chacune des villes capitales provinciales, mais se trouve prise en
étau entre sa hiérarchie (nationale) et le Gouvernement provincial.
La mise en place de Ministères provinciaux en 2007 a encore complexifié le paysage
institutionnel. Les services déconcentrés, autrefois sous le contrôle du Ministère central
et sous l’autorité de l’administration territoriale, sont désormais soumis à une troisième
autorité hiérarchique : le ministère provincial dont la relation avec l’administration
centrale à Kinshasa nécessite d’être clarifiée. En clair, le mouvement de déconcentration
engagé avec le renforcement des Provinces n’a pas supprimé l’intervention du pouvoir
central ; la fusion des services déconcentrés et décentralisés au sein du Gouvernorat
entraîne, à ce jour, une relation de tutelle entre l’échelon Ville et l’échelon Provincial.
215
Au final, dans l’attente de l’application de la loi de 2008, la Ville n’est pas aujourd’hui
l’acteur principal de la gestion et du développement urbain. Elle a essentiellement une
mission générale de contrôle et de coordination de ses propres services et de ceux mis
à sa disposition par l’Etat. Elle n’est responsable de la production d’aucun service
public urbain en particulier. En conséquence, ses dépenses effectivement consacrées à la
production de services urbains sont quasi inexistantes.
La faible capacité financière des Entités Territoriales Décentralisées (ETD)
Le système de financement de la Ville et de la Province (ETD) repose pour l’essentiel
sur la péréquation nationale des ressources recouvrées localement. Les rétrocessions qui
en découlent s’opèrent en cascade de l’Etat vers les Provinces, puis des Provinces vers
les Villes, les communes et les territoires. Le dispositif prévoit que la rétrocession va
jusqu’aux Communes, sachant que celles-ci doivent disposer de budgets propres et être
ordonnateurs de leurs dépenses pour pouvoir en bénéficier, ce qui n’est pas encore le cas
pour la plupart des communes. Le pourcentage de ressources rétrocédées par l’Etat a
augmenté avec la reconnaissance du principe de libre administration des Provinces : il est
passé de 15 % jusqu’en 2007 à 40 % en 2008. Ces 40 % sont supposés être répartis entre
25 % pour la Province et 15 % pour les Villes, Communes et Territoires. Paradoxalement,
depuis la mise en place en place des Assemblées provinciales élues en 2007, les recettes
rétrocédées ne sont plus retenues à la source, comme auparavant, ce qui contribue à un
allongement des délais dans la mise à disposition des fonds et à une moindre visibilité sur
les montants attendus.
Le dispositif souffre actuellement des difficultés financières de l’Etat, ce qui rend les
versements aléatoires. Les critères de calcul des rétrocessions entre les Provinces sont
flous (critère de localisation des recouvrements, critère démographique ou autres) et une
confusion subsiste entre les 40 % à rétrocéder et le budget déconcentré de l’Etat (paie du
personnel de l’Etat et menus frais de fonctionnement des services correspondants). Dans
la plupart des cas, ces 40 % ne sont pas réellement reversés, mais sont inscrits au Budget
National comme affectées au financement de dépenses pour la Province. Lorsqu’ils sont
reversés, la Province fait de même avec les Villes et les Communes. La centralisation
de certaines recettes fiscales ou parafiscales majeures, comme la fiscalité minière ou la
fiscalité des grandes entreprises, rend par ailleurs le système difficile à décrypter.
L’intérêt de faire avancer la réforme territoriale
Les Provinces et les entités décentralisées congolaises évoluent donc dans un contexte de
transition depuis 3 ans. L’analyse préliminaire montre que le contexte actuel en matière
de décentralisation et de gestion locale n’est pas propice à une contribution des villes à la
richesse nationale. Il se caractérise par :
216
Une forte centralisation du système administratif et politique: (i) une tutelle de l’Etat
omniprésente à travers la représentation des services centraux jusqu’au niveau local ; (ii)
jusqu’à présent, pas de transfert financiers de l’Etat vers les collectivités avec et donc un
système basé sur le « chacun pour soi » ;
L’absence de fiscalité locale. Dans la pratique, le système est basé sur une fiscalité
nationale partagée, dont l’efficacité en termes de perception et de répartition aux échelons
inférieurs représente une difficulté majeure du développement local. Les nouveaux
textes préfigurent un début de fiscalité locale en confiant la responsabilité exclusive de
trois impôts directs à la Province et en affectant l’impôt personnel minimum au profit
exclusif des communes, secteurs et chefferies. L’essentiel des ressources fiscales reste dans
l’escarcelle étatique. Une réforme est à l’étude ;
La difficile répartition des produits de la fiscalité entre provinces et ETD. La constitution
de 2006 instaure un quasi-fédéralisme de Provinces sans remettre en cause la centralisation
des financements des ETD. C’est maintenant au niveau de la Province que seront définis
les mécanismes de répartition des recettes rétrocédées ou cédées entre ETD d’un même
territoire provincial, enjeu crucial de la gestion locale ;
La rigidité du système hiérarchique de l’administration congolaise : les agents affectés
dans les divisions provinciales, puis urbaines, puis services doivent respecter la grille
hiérarchique en vigueur. Ce qui fait que les agents affectés à des services provinciaux, et
surtout ceux affectés aux services urbains, même pour des villes importantes, n’ont ni la
marge de manœuvre ni les compétences nécessaires ;
L’attente d’élections locales : les élections locales n’ayant pas encore été organisées, les
Villes sont dirigées uniquement par un Maire et un Maire adjoint, nommés par Décret
Présidentiel. Le Conseil Consultatif Urbain ne sera mis en place qu’avec les élections ;
cette situation, qui perdure depuis 1997, fragilise la Ville, notamment vis-à-vis de la
Province dont l’assemblée délibérante a été élue en 2006 et le Gouverneur en 2007.
B. La faiblesse/absence des outils de gestion urbaine
L’étalement urbain et l’absence de trame urbaine respectée conduisent déjà à des surcoûts
pénalisant en termes d’infrastructure et d’équipement et réduisent les perspectives de
voir les centres urbains contribuer à la croissance.
La faute incombe à l’abandon progressif des documents d’urbanisme à l’échelle de
la ville (Schéma directeur, plan d’occupation des sols), au profit de simples plans de
lotissement établis par l’Administration en charge des affaires foncières, généralement
non respectueux des normes minimales d’aménagement.
Le développement anarchique des villes a fait que des terrains propices à l’activité
économique ont souvent été « gaspillés ». Dans certaines villes minières par exemple,
des habitations ont été érigées sur des carrières potentielles (Kolwezi). L’absence de
zones dédiée aux activités a entrainé une réappropriation du centre administratif de
217
Lubumbashi par les activités semi-industrielles et d’entreposage, la population étant
progressivement rejetée dans des quartiers périphériques de plus en plus éloignés du
centre ville.
Ailleurs et notamment à Kinshasa et à Lubumbashi, l’habitat côtoie des activités
industrielles potentiellement dangereuses au plan environnemental.
Urbanisme : obsolescence des textes, absence de règlements
Dans la ville coloniale et cela dès 1910, l’organisation spatiale de la ville instaurée par les
Belges tentait de répondre à trois finalités : (i) économique, afin de faciliter l’exportation
des matières premières, (ii) sociale, afin de garantir le bien-être des Européens résidents
au Congo (RD), et (iii) esthétique, à travers la production de villas et de beaux paysages.
Elle s’est traduite par un aménagement de l’espace qui implique de planifier
l’occupation du sol en établissant un équilibre entre des besoins en croissance et une
offre territoriale cédée par le chef coutumier. Les équipements étaient alors réalisés sur la
base d’une programmation par l’Etat, qui avait un contrôle des terres.
Après l’Indépendance, les nouvelles autorités ont continué de produire des plans
d’aménagement, selon les modalités prévues par la loi sur l’urbanisme du 20 juin 1957,
encore en application aujourd’hui, en dépit du caractère désuet de ses dispositions.
On estime globalement qu’une soixante de plans ont ainsi été finalisés pour les centres
urbains du Congo, dont 26 avant 1960, et une trentaine entre 1960 et 2000. Etablis sur
un horizon de 10 ans, ils sont aujourd’hui tous largement dépassés. A titre d’exemple, le
dernier schéma directeur de Kinshasa date de 1976.
La réduction des moyens financiers accordés au Ministère en charge de l’urbanisme
(aussi bien pour les études que pour la matérialisation de ces plans sur le terrain) a
probablement constituée un facteur important de non actualisation de ces documents.
Ce vide a laissé place à un urbanisme opérationnel réduit à la production de plans de
lotissements essentiellement destinés à vendre le plus rapidement possible le plus grand
nombre de parcelles. Ces plans de lotissement ne sont généralement pas raccordés
à un plan d’ensemble de la ville ; la largeur des voies et les emplacements réservés aux
équipements sont généralement sacrifiés au profit des parcelles d’habitat. L’absence de
plans d’aménagement et de règlement d’urbanisme a mis fin à la procédure de contrôle
des autorisations de bâtir.
L’insécurité foncière, handicap majeur
Les activités économiques dans les centres urbains sont fortement pénalisées par
l’insécurité foncière, alors que le foncier devrait être la base des investissements. La
responsabilité incombe principalement aux dérives présentées plus haut.
218
Sans plan d’urbanisme et dans un contexte de pression foncière importante, la ville
est «aménagée» par le Cadastre, dont ce n’est ni la prérogative, ni le métier. Le Cadastre
a visiblement pris le relais d’une administration de l’urbanisme trop lente et éloignée
des demandes exprimées par les populations en quête d’un terrain. La machine s’est
emballée et les conséquences aujourd’hui du non-respect des procédures de la chaîne de
production du foncier à bâtir sont colossales.
Les géomètres du Cadastre tirent leur pouvoir de leur bonne connaissance du
terrain et de leur positionnement de premier intermédiaire face aux demandeurs de
parcelle, permettant à ceux-ci de surmonter les obstacles de la filière (délais, coûts).
Ils confectionnent ainsi des plans de lotissement sur des coins de table, sans respect
de la moindre norme technique ni de la réglementation : pas d’adaptation au terrain
naturel, échelles non réglementaires, en court-circuitant les structures administratives
compétentes (services de l’urbanisme, commission provinciale) et même sans
approbation par l’autorité gouvernementale. Par exemple, à Lubumbashi, seulement
deux lotissements ont fait l’objet d’une publication au Journal Officiel ces 5 dernières
années alors que de nombreux lotissements ont été créés. Les parcelles qui en sont issues
sont par la suite attribuées dans des conditions peu claires.
La tenue des archives, pilier fondamental du foncier, est presque inexistante : les
services chargés de la Conservation disposent rarement des actes de mise en concession ;
ceux-ci étant détenus par les agents du Cadastre. Le manque de traçabilité des actes tout
au long de la chaîne de gestion du foncier contribue ainsi à alimenter les nombreux
conflits fonciers constatés notamment en périphérie des villes.
L’insécurité foncière est également alimentée par l’implication des chefs coutumiers
dans la distribution des parcelles. Le phénomène est ancien : d’abord manifestation de
désobéissance civique vis-à-vis du colonisateur, elle a perduré après l’Indépendance, au
point de devenir le principal mode d’accès au foncier dans certaines villes.
Les chefs coutumiers se sont heurtés à la nationalisation des terres intervenue sous le
Président Mobutu, dans les années 70. Ce qui aurait pu permettre une clarification des
textes a finalement contribué à complexifier davantage la situation, et à constituer une
source supplémentaire de conflits sur lesquels les tribunaux ont, encore aujourd’hui, du
mal à statuer, faute de textes clairs (l’Ordonnance Présidentielle qui devait préciser les
modalités n’existe toujours pas, plus de 35 ans après la promulgation de la loi).
Enfin, en rendant attaquable pendant 2 ans le certificat d’enregistrement les autorités
on ouvert la possibilité à toutes les contestations sur les droits des nouveaux propriétaires.
Cette réforme de 1980, qui était censée protéger les ayants-droits, a, au contraire, ouvert
une brèche supplémentaire dans laquelle s’immiscent de nouveaux conflits fonciers.
La situation actuelle est donc largement la conséquence de textes anciens, inadaptés
au contexte actuel. Cette situation a été identifiée et analysée dans de nombreuses études
219
proposant des actions pour réformer le système et, à terme, refondre les textes de loi
relatifs au foncier, afin de mettre en place des procédures plus simples et adaptées.
Des villes qui coûtent cher
L’autre conséquence de cet urbanisme reposant sur les actions du Cadastre, c’est qu’il
contribue à grever les coûts de gestion de la ville. La taille trop importante des parcelles
(dans les nouveaux lotissements de Lubumbashi la superficie des parcelles est rarement
inférieure à 1 200 m²) ainsi que leur mauvaise conception (plus grand côté le long de
la route) conduisent à un étalement des villes, qui induit des surcoûts important pour
l’amenée des réseaux et les transports. C’est le cas par exemple à Lubumbashi où la
densité est en constante diminution.
Dans d’autres cas, les parcelles, une fois attribuées, sont « morcelées » et revendues
à des tiers, créant ainsi des ghettos où l’amenée des réseaux coûtera probablement plus
cher.
Encadré 3.5: Le cas de Bukavu
Densification
L’extension de l’urbanisation de Bukavu est contrainte par le site sur lequel elle est
installée : le lac au Nord, la frontière avec le Rwanda à l’Est, et les montagnes qui
culminent à plus 2000 mètres d’altitude au Sud-ouest, pour descendre en pentes
plus ou moins escarpées jusqu’au lac à 1.400m d’altitude.
La capacité d’accueil du site avait été évaluée à 350 000 habitants dans une étude16
de 1979. Cette capacité a vite été atteinte, mais les années de guerre, qui ont
provoqué un afflux massif de population dans les villes, fuyant l’insécurité encore
plus grande dans les zones rurales, n’a pas épargné Bukavu pour autant.
Cette population s’est installée en ville, d’abord dans les zones urbanisées
existantes. Les habitants ont morcelé leur parcelle y voyant une source de revenu
non négligeable dans ces temps difficiles, et sur une seule parcelle, plusieurs
maisons ont pu être construites. Parallèlement, certains de ces nouveaux arrivants
se sont installés dans les zones boisées et collinaires qui existaient dans le milieu
urbain, sur des pentes dépassant parfois 30%.
La situation de guerre n’a pas permis de contrôler et d’empêcher ces installations
anarchiques, et a offert aux agents du cadastre la possibilité de fournir des papiers
“en règle” pour toutes ces implantations, mais sans plan de lotissement, ni bornage
en bonne et due forme sur le terrain.
Aujourd’hui la capacité d’accueil de la ville est largement dépassée, et on observe
des densités d’habitants à l’hectare assez rares dans les villes africaines (plus de
500hab/ha). Les parcelles, issues des morcellements, sont très petites, et incitent à
220
des constructions en hauteur, sur plus de deux niveaux, phénomènes encore plus
rares dans les villes de cette taille et contraire à la culture du pays affichée dans
les autres provinces. Se pose aussi le problème de ces quartiers, construits sur des
pentes fortes et érosives, sans équipement, sans voies d’accès, et dont les habitants
pourtant ont des titres de propriété délivrés par les autorités.
Carte 3.4 : Bukavu : site et urbanisation sur les pentes
Source : Autorités provinciales
Disparition de la délivrance des autorisations de bâtir
Cette situation foncière très complexe ne permet pas de délivrer des autorisations de
bâtir en règle, car cela impliquerait que la situation foncière de chaque demandeur
soit officialisée par les services de l’urbanisme. Les habitants ont perdu l’habitude de
demander des autorisations, et même quand ils le font, les travaux de construction sont
le plus souvent en cours ou déjà achevés. De plus, comme la plupart des constructions
se font en hauteur, même pour des maisons de particulier, cela voudrait dire que les
autorisations doivent être données par le Ministère central à Kinshasa, ce qui semble
infaisable et contre productif. Ceci illustre une fois de plus l’obsolescence de cette loi qui
date de 1957, époque à laquelle les constructions en étages étaient extrêmement rares.
221
Faiblesse de l’information sur les villes et rôle du Bureau d’Etudes
d’Aménagement et d’Urbanisme
Jusqu’au début des années 1980, le secteur urbain a été marqué par l’omniprésence du
Bureau d’Etudes d’Aménagement et d’Urbanisme (B.E.A.U.) qui était à la base de la
réalisation des études d’urbanisme et de développement régional. Bénéficiant d’un
important concours technique et financier de la Coopération française, et cela dans un
contexte d’hyper centralisation de la gestion du pays, il s’est imposé comme le centre
d’études par excellence sur les villes du Congo.
Malheureusement, les financements français au B.E.A.U. se sont beaucoup ralentis,
tout comme l’ensemble des financements extérieurs qui permettaient la réalisation
de projets intéressant le développement urbain. Le suivi du secteur a donc presque
totalement été abandonné, d’autant plus qu’il reposait encore, pour l’essentiel, sur
un important dispositif d’assistance technique mis en place sur financement bilatéral
français.
Le B.E.A.U. a par ailleurs payé le prix fort pendant les troubles politiques des années
1990 : ses locaux ont été vandalisés et l’essentiel de la documentation existante a été perdu.
A l’échelon national (B.E.A.U. ou ministères), en dehors des récents développements sur
Kinshasa avec l’appui de la Coopération japonaise ou de projets en cours de réalisation
par diverses agences d’exécution, on ne dispose plus d’éléments sur les villes. Trouver un
fond de plan datant de moins d’une vingtaine d’années est une véritable gageure. Au
niveau local, la situation est plus préoccupante encore : les gestionnaires, même dans les
plus grandes villes, ne disposent pas de données actualisées sur les infrastructures et les
équipements, encore moins sur l’accessibilité aux services, paramètres qui traduisent le
niveau de satisfaction des besoins de la population. Par exemple, les services de la ville de
Bukavu ne disposent que de cartes établies en 1985.
Le secteur urbain souffre donc de l’insuffisance des données, même les plus
élémentaires, comme les données démographiques. Ceci pose un problème majeur :
comment définir sur des bases objectives le programme de Reconstruction engagé ?
Comment arbitrer entre les villes ? Comment définir les priorités au sein d’une ville ?
Dans un contexte où l’essentiel de l’investissement public est financé au niveau central
et sur aide extérieure, l’existence de données fiables et actualisées sur les villes est
indispensable à la prise de décision.
Il apparaît donc indispensable de concevoir un dispositif dont l’existence et la viabilité
devront être indépendantes des aléas du contexte économique et, dans la mesure du
possible, du niveau de l’aide extérieure au secteur du développement urbain. Au regard
de l’ampleur des besoins, il s’agira d’un système relativement simple au départ, mais
destiné à monter en puissance, en fonction de l’amélioration des moyens techniques,
humains et financiers accordés aux institutions.
222
C. Les insuffisances de gestion de la mobilité et des équipements marchands
Une mobilité défavorisée par l’offre
Les transports urbains sont un des éléments clé de la productivité de l’économie urbaine.
Leur faible organisation à Kinshasa comme dans la plupart des centres urbains du Congo
génère de nombreux effets négatifs sur l’économie urbaine et les conditions de vie des
habitants : durées des déplacements, accidents, pollution atmosphérique et sonore. Pour
les habitants, cela se traduit par une importante ponction sur les budgets des ménages,
des conditions de transport pénibles, quelques fois à la limite de la décence.
La question de la mobilité pour les villes congolaises se décline en trois points17 : (i)
une demande forte ; (ii) une offre insuffisante mais surtout inadaptée et (iii) des pouvoirs
publics absents.
Une demande en forte expansion mais avec un pouvoir d’achat faible
L’accroissement rapide de la population urbaine et l’étalement mal maîtrisé des villes
conduisent à une augmentation de la demande aussi bien en volume qu’en termes de
distances à parcourir. Des enquêtes menées dans les principaux centres urbains du pays
montrent que la grande majorité des déplacements motorisés se font en transports
collectifs. Ils révèlent aussi un niveau de mobilité inférieur à la moyenne observée dans
les villes africaines18. Il apparaît donc que la majorité des déplacements se font à pied.
Malgré l’impression dégagée par les embouteillages observés notamment à Kinshasa, les
gens se déplacent peu, ou font leurs déplacements à pied.
Cette situation est caractéristique de la pauvreté urbaine et constitue donc un frein à
la productivité urbaine.
On note également, dans la plupart des villes, une forte centralité des déplacements,
conséquence d’une structuration urbaine sans pôles secondaires (quartiers périphériques),
héritée de l’époque coloniale. Il s’en suit donc un mouvement pendulaire, avec une
demande importante le matin en entrée au centre-ville et l’après-midi pour la sortie.
Une offre insuffisante, mais surtout inadaptée
Le réseau routier et ferré interurbain n’a pas évolué depuis l’Indépendance. Faute
d’entretien il s’est largement dégradé, surtout depuis les années 1980. De nombreux axes
à travers le pays ont ainsi totalement perdu leur revêtement, devenant non carrossables
même par les véhicules légers. Il en découle de vastes zones totalement enclavées, où les
distances à parcourir pour atteindre un point d’accès aux transports en commun (voirie
revêtue) sont hors de portée.
A l’exception de quelques villes comme Lubumbashi, les transports en commun sont
dominés par des petits opérateurs artisanaux disposant d’un parc de véhicules de petite
capacité et en mauvais état, ce qui renforce la congestion ainsi que la pollution. Ces
223
véhicules représenteraient plus de 50 % du trafic journalier, 75 % aux heures de pointe.
Les tarifs pratiqués, grevés par la mauvaise qualité de l’infrastructure et les mauvaises
conditions d’exploitation, apparaissent élevés pour une bonne partie de la population.
Les infrastructures ferroviaires interurbaines sont sous-exploité ou même ont disparu
(Katanga).
L’offre en transports collectifs apparaît donc inadaptée, puisqu’elle ne couvre que très
partiellement les besoins.
La marche à pied reste le principal mode de déplacement en ville
Toutefois, on note, depuis quelques années, l’émergence de vélos et motos-taxis, favorisée
à la fois par l’état de la voirie et la modicité des revenus. Ce mode de transport, malgré
quelques précautions comme l’obligation du port des casques à Bukavu, ne fait l’objet
d’aucune attention particulière pour le moment, ce qui risque de conduire à l’anarchie
observée dans certaines villes africaines (Cotonou, Douala), aggravant la situation
actuelle.
Des pouvoirs publics absents
Jusqu’ici, les pouvoirs publics sont apparus impuissants, incapables d’assurer (i) ni
la moindre régulation sur un marché caractérisé par une concurrence sauvage entre
opérateurs ; (ii) ni la facilitation de l’exercice de l’activité de transport de masse ; (iii) ni
le développement et l’entretien du réseau.
Théoriquement, la régulation est gérée par les différents niveaux (national et
provincial) du ministère en charge des transports. Le Ministère des Transports et Voies de
Communication est ainsi responsable de la définition et de l’application de la politique
générale du Gouvernement, à travers le développement du plan national des transports
et la mise en œuvre de la réglementation et de la régulation. Il supervise également les
questions de sécurité routière et de prévention des accidents. À ce titre, il supervise les
activités de la Commission Nationale de Prévention Routière (CNPR) qui est en charge
de la sécurité routière et de l’application de la régulation des transports routiers.
Les ministères provinciaux quant à eux gèrent les activités de transport public sur leur
territoire de compétence. Ils ont donc en charge la délivrance des permis de transport
public, l’approbation des tarifs (maximas fixés par le Ministère chargé de l’économie)
ainsi que la collecte des redevances d’autobus et de taxis. Par ailleurs, tout opérateur doit
avoir une police d’assurance et être enregistré auprès de la DGI (Direction générale des
impôts).
Dans la pratique et dans la plupart des villes, les dispositions réglementaires sont peu
respectées. La ville reste exclue du secteur (sauf à Kinshasa en raison de son statut) et
les pouvoirs publics n’ont aucune action sur le choix des itinéraires, qui est du ressort
exclusif des opérateurs.
224
Encadré 3.6 : Les transports publics à Kinshasa
Infrastructures : un peu plus de 5 000 km de routes dont environ 10 % revêtus.
Le réseau d’intérêt économique (voirie principale), essentiellement celui hérité de
l’époque coloniale, apparaît désarticulé et peu équilibré : orienté sur le centre ville
dans le sens est-ouest avec une absence de transversales, une faible ouverture sur
les zones d’occupation récente à l’est, sans continuité sur des itinéraires en raison
de l’état physique ou des capacités qui ne correspondent pas sur certaines sections.
Le réseau ferré est constitué de deux réseaux (Aero et Kasangulu) qui disposent
d’un potentiel permettant de desservir un tiers de la population. L’absence de voies
transversales se traduit par un allongement des distances et une concentration du
trafic sur les axes principaux, provoquant ainsi des embouteillages.
Offre en transport collectif : le transport collectif est largement dominé par les
transporteurs artisanaux, avec des véhicules (essentiellement minibus et taxis) dans
un état de délabrement avancé. Le prix officiel est sans commune mesure avec le coût
d’exploitation des véhicules d’autant plus élevés que les véhicules sont généralement
anciens, très surchargés et les routes dégradées, ce qui oblige les opérateurs à effectuer
des trajets courts, augmentant du même coup les coûts des déplacements. Le mode
de conduite des chauffeurs et la faible réglementation de la circulation aggravent la
situation. Seul City Train, opérateur public, exploite environ 80 grands bus dans la
ville. Sa contribution (environ 25.000 passagers/jour) reste toutefois marginale. La
situation de ce dernier, déjà critique, est aggravée par le phénomène des voyageurs
non payants (dont les membres des forces de l’ordre, membres de la Croix-Rouge,
journalistes et agents du Ministère des transports et voies de communication) qui
représentent près du quart des personnes transportées.
En 2006, la durée moyenne d’un déplacement en transport collectif était de 64 mn,
dont 22 mn de marche à pied (normalement environ 2 km), et le temps d’attente
était d’environ 15 mn.
Pour ce qui est des déplacements urbains en train, une enquête menée en 200819
montrait qu’ils étaient plus attrayants car moins chers par rapport aux taxis et
minibus. Toutefois, ils apparaissaient très coûteux en temps, les temps d’attente
étant relativement longs (largement supérieurs à 1h dans 50 % des cas) et environ
15 % des usagers du train déclaraient marcher 1 heure et plus pour rejoindre le
réseau. Il apparaît également qu’il n’y a qu’une faible articulation avec le transport
par route, ce qui fait que les voyageurs par train ne peuvent pas utiliser les transports
routiers pour compléter leur déplacement, et utilisent plutôt la marche. Par ailleurs,
la faiblesse de l’offre ferroviaire réduit la part de ce mode de transport à un niveau
relativement faible (à peine 10 600 passagers en moyenne par jour, alors que les
zones desservies ont une population évaluée à 2,5 millions d’habitants). En outre,
l’exploitation du train apparaît elle aussi grevée par le phénomène des non-payants
qui, en 2008, ont représenté les 2/3 des passagers20.
225
Les enquêtes menées par CIMA en 2006 indiquent également que, contrairement
à ce que l’on pourrait croire, il ne se pose pas un problème de capacité du réseau,
ce qui semble confirmé par l’évolution de la situation consécutive aux récents
aménagements : la circulation est principalement ralentie par l’état des chaussées,
l’indiscipline des usagers et l’influence néfaste des activités riveraines le long de
certains axes.
L’exemple ci-dessus et diverses analysent montrent également que, dans la plupart des
villes, la demande est en fait contrainte par l’offre, tant en termes quantitatifs que de coût
du service.
Un entretien des voiries très insuffisant
L’un des points essentiels de l’intervention des pouvoirs publics concerne l’entretien
des voiries urbaines. Ici aussi, les responsabilités sont partagées (dispersées) à la fois entre
la Province, la Ville et l’Office des Voiries et Drainage, cette dernière étant une structure
nationale dépendant directement du Ministère des Infrastructures. Certaines mairies,
à l’instar de celle de Bukavu, disposent ainsi du petit matériel d’entretien ; il en est de
même à Kinshasa où la Ville-Province dispose de son propre parc, et mène des opérations
à côté de l’OVD. D’une manière générale, si l’on excepte une fois de plus Lubumbashi,
l’entretien routier est quasi inexistant. Aucun programme n’est disponible et l’examen
des budgets permet de relever des dépenses d’entretien quasi nulles au niveau de l’une
ou l’autre de ces structures (Bukavu par exemple). Les quelques opérations enregistrées
relèvent plutôt d’actions d’urgence, pour faire face à certaines catastrophes.
La question du financement de l’entretien des voiries est cruciale. Au niveau des
Villes, l’évaluation de l’effort d’entretien est difficile à partir des comptes de la commune,
notamment en raison de la confusion entre nature et fonction des dépenses. Les dépenses
d’entretien se concentrent souvent sur (i) la voirie à travers le balayage des rues et (ii) les
bâtiments de la Mairie et les cimetières. Il se traduit en salaires pour les contractuels,
plus qu’en matériel. En tout cas, la marge de manœuvre budgétaire est bien trop étroite.
Au niveau des Provinces, quelques efforts sont faits, essentiellement pour l’acquisition
d’engins afin de réaliser quelques travaux en régie. Au niveau de l’Etat, on note un
frémissement depuis 2009, avec les premiers pas du Fonds National d’Entretien Routier.
Le démarrage des activités de cette structure et les premiers programmes lancés sont trop
récents pour que l’on puisse en tirer des conclusions.
Toutefois, il est à craindre que les attentes des uns et des autres, en particulier dans les
villes autres que Kinshasa, ne soient rapidement déçues, celles-ci étant trop importantes
par rapport à ce qui peut provenir du Fonds, dont la vocation première reste le réseau
interurbain.
226
Carte 3.5: Typologie de la voirie de Kinshasa
Source : Cellule infrastructure
Des équipements marchands insuffisants et mal gérés
Les équipements marchands (marchés et gares routières) jouent un rôle important dans
les échanges entre les centres urbains et leur hinterland. Les marchés constituent des
plates-formes d’échanges entre les producteurs des zones rurales qui y vendent leurs
produits vivriers, et qui y acquièrent des produits manufacturés. Ils permettent ainsi au
monde rural de mieux écouler ses produits et donc de tirer avantage du niveau de revenu
monétaire plus élevé dans les zones urbaines.
Le transport de ces produits et des personnes issus des zones rurales se fait avec
des véhicules de différents gabarits (camions et minibus surtout) qui ont besoin de
circuler et, surtout, d’effectuer les opérations d’embarquement/débarquement dans des
conditions telles qu’elles ne constituent une gêne ni pour elles-mêmes ni pour le reste de
la circulation urbaine.
Force est de constater que, dans ce domaine aussi, les villes du Congo ont pris un
important retard, avec des effets négatifs importants, particulièrement sensibles. En
ce qui concerne les marchés, à l’exception notable de quelques agglomérations comme
Lubumbashi21, le nombre de marchés et de places de marchés est sans rapport avec les
besoins d’une économie populaire qui est le principal exutoire des sans emploi stable,
et surtout les femmes à la recherche de moyens de subsistance. Kinshasa, par exemple,
227
malgré ses 8 millions d’habitants, ne dispose que de 4 véritables marchés, les nombreux
autres espaces marchands étant, pour l’essentiel, constitués de simples points de
regroupements, squattant des espaces publics, sans la moindre commodité.
En particulier, les activités de vente en gros s’exercent dans des conditions difficiles,
qui renchérissent le coût des produits et, au final, pénalisent les consommateurs finaux
comme les producteurs ruraux. L’absence ou l’insuffisance d’équipements de stockage,
les mauvaises conditions de conservation, le manque de place pour le stationnement des
véhicules et les opérations de chargement/déchargement, les problèmes d’hygiène et
d’insécurité sont généraux. Le débordement ou tout simplement l’exercice des activités
de gros sur la chaussée sont sources de nuisances multiples.
La déperdition des marchandises est élevée au niveau des marchés de détail et
contribue au renchérissement des produits aux consommateurs.
Au total, ce déficit en équipements à l’échelle urbaine engendre une série de coûts
économiques :
L’occupation des emprises et le désordre dans lequel fonctionnent les marchés
d’approvisionnement et de redistribution créent d’importants dysfonctionnements de
circulation qui renchérissent les coûts d’exploitation des véhicules ; le désordre dans lequel
fonctionnent les marchés complique la perception des droits et pèse sur les rendements
de l’équipement et les possibilités d’entretien ; la dégradation continue du service fourni
rend de plus en plus difficilement acceptable par les opérateurs les réajustements des
tarifs ; les conditions d’hygiène désastreuses engendrent probablement des coûts de
santé.
228
Encadré 3.7: Les marchés de Bukavu
Bukavu comporte un important marché (Kadutu) dont l’influence déborde les
limites de l’agglomération pour atteindre l’ensemble du Sud-Kivu et même les
autres provinces. Il est également un lieu d’échanges avec l’étranger (Rwanda mais
surtout Tanzanie) pour l’importation des biens manufacturés. C’est un marché
polyvalent, de redistribution, puisqu’on y trouve aussi bien des opérations de détail
que de vente en gros et demi-gros, tout comme une multitude d’activités connexes
de pré-transformation (moulins à céréales etc.). Il occupe un espace d’environ
3,5ha au cœur d’un quartier ancien, et comporte une série de hangars et des
boutiques où se vendent aussi bien des produits vivriers que manufacturés, ainsi
que des matériaux de construction. Le site, comme d’ailleurs le reste de la ville, est
accidenté, ce qui complique l’implantation des constructions et des circulations.
Mais au-delà de cet élément naturel, l’occupation du site ne permet pas d’optimiser
le rendement de ce marché : son accessibilité est limitée par un mauvais état des
voies adjacentes mais aussi leur envahissement, qui rendent la circulation pénible,
les aménagements n’ayant pris en compte, ni la nécessité de plates-formes de
chargement/déchargement pour les marchandises en provenance ou à destination
de l’extérieur de la ville, ni les besoins en espaces de stationnement pour les véhicules
de transport en commun dont certains desservent la zone rurale entourant la
ville. A l’intérieur du périmètre couvert par les activités marchandes, les espaces
résiduels sont pris d’assaut par des constructions plus ou moins anarchiques, qui
ont renvoyé les commerçants jusque sur les circulations. L’équipement a, sur une
partie du site, bénéficié d’aménagements divers dont un réseau d’assainissement
eaux pluviales, mais dont le fonctionnement est rendu difficile par l’occupation
désordonnée du site.
Au plan de la gestion, interviennent trois acteurs : la mairie pour la partie
aménagée, le reste étant partagé entre la commune de Kadutu (sur laquelle est
érigé l’équipement) et une coopérative de commerçants. Tout cela en rajoute à la
confusion, en particulier dans l’occupation du site.
A la fin, cet important équipement, malgré l’énorme sollicitation dont il est
l’objet, ne réunit pas les conditions de salubrité, d’hygiène, d’accessibilité et
d’occupation permettant d’optimiser son rendement et fournir aux usagers des
services de qualité : les échanges sont ralentis par les difficultés de circulation, son
exploitation n’est pas optimale du fait du non aménagement de l’ensemble du site,
et les conditions de salubrité sont mauvaises.
A côté de cet équipement central dans la ville, on note des marchés de moindre
importance, mais surtout une multitude de « marchés flottants » de portée
purement locale squattant les moindres espaces libres ou installés dans les emprises
des voies.
229
Au total, le niveau d’aménagement, le mode de fonctionnement et les conditions
d’accessibilité au principal marché de Bukavu ne permettent pas une intensification
des échanges avec l’hinterland, qui sont une source potentielle de croissance pour
ce centre administratif et sa région.
D. Un secteur privé et une société civile peu sollicités
L’implication du secteur minier dans la gestion urbaine
L’une des singularités du Congo est l’implication des miniers dans la gestion urbaine.
A la faveur des clauses inscrites dans les contrats de concession, les opérateurs ont, sous
des formes diverses, mis en place des dispositifs d’appui au développement local. La
forme la plus usitée est la « fondation », à travers laquelle ils financent diverses activités
dont principalement des équipements sociaux (écoles, centres de santé) au bénéfice de la
population, aussi bien en termes de construction, d’équipement que de fonctionnement.
D’autres s’impliquent dans la construction et l’entretien de routes. Certains interviennent
même en amont, en prenant des initiatives pour combler le vide laissé par les pouvoirs
publics en matière de planification et de programmation. C’est le cas, par exemple, avec
Anvil Mining qui, en 2007 a initié un exercice de programmation des infrastructures
et équipements de Lubumbashi ; ou encore de Tenke Fungurume Mining en 2009 avec
le plan de gestion du développement urbain de la localité de Fungurume au Katanga.
Les opérateurs miniers disposent de moyens relativement importants, indexés sur leur
production et sur les cours des minerais, qui peuvent contribuer à combler provisoirement
la faiblesse des moyens des villes et provinces.
Toutefois, ces initiatives, aussi nombreuses et ambitieuses soient-elles dans
certaines régions plus particulièrement concernées (Katanga, Kasaï, etc.), pâtissent des
insuffisance du cadre institutionnel et conventionnel, et du poids des habitudes du passé
qui font que beaucoup rêvent encore de la cité minière, créée et gérée intégralement par
l’opérateur minier. Il en découle soit une sous-exploitation des potentialités offertes par
les clauses contenues dans les concessions, soit, à l’inverse, une quasi-substitution des
compagnies minières à l’Etat sur des activités pourtant régaliennes, ce qui oblige souvent
ces compagnies à y aller à pas mesurés, sans pouvoir donner la pleine mesure de leurs
capacités.
La qualité de certaines des réalisations est par ailleurs souvent discutable. Certaines
d’entre elles sont menées en marge des politiques nationales, ce qui contribue à brouiller
l’action des pouvoirs publics. C’est le cas par exemple des quelques écoles construites
par TFM, qui constituent des îlots de prospérité contrastant avec la misère ambiante,
parce que ultramodernes et avec frais de fonctionnement pris en charge pour l’entreprise
minière. C’est le cas également de quelques panneaux de signalisation offerts par un
opérateur de Lubumbashi, qui ne sont manifestement pas aux normes.
230
Au total donc, l’importante dynamique du secteur privé et en particulier des
opérateurs miniers, pour porter entièrement ses fruits, devrait bénéficier d’une relation
plus structurée avec les pouvoirs publics, définissant de manière claire les engagements/
obligations de chacune des parties.
Encadré 3.8: Exemple de Tenke Fungurume Mining au Katanga22
[…] TFM suggère la mise en place d’une Fondation à statut associatif (ONG créée
sous couvert de la loi 004/2001) gérée de manière partenariale par TFM et les
autorités locales. La mission principale de cette Fondation serait :
• d e définir le programme d’action annuel (secteurs privilégiés : santé, éducation,
agriculture, développement économique) et,
• d e gérer le Fonds de développement Social alimenté par TFM à hauteur de 0,3
% de ses revenus nets (cf. engagement pris dans le contrat de concession), des
fonds de contrepartie mis à disposition par les autorités locales et nationales,
et, le cas échéant, des financements extérieurs espérés des bailleurs intéressés à
intervenir (USAID, DFID, éventuellement SFI ou BEI).
La constitution de la Fondation reposerait sur les principes suivants :
• d istinction, au sein du Conseil de Direction (Board of Directors) d’une
représentation majoritaire détenue par TFM, et de membres extérieurs
intégrant : un représentant de la Province, le maire de Kolwezi, l’Administrateur
Territorial de Lubudi, les Chefs coutumiers (Mwani Minongo et Nguba), le
représentant de l’association des « Forces Vives » et autre représentant de la
société civile,
• un secrétariat et une équipe technique constituée de salariés TFM,
• u n manuel de procédures répondant aux règles de transparence recherchées,
etc.
Concernant l’alimentation du FDS, plusieurs hypothèses sont évoquées mais
doivent être clarifiées :
• la possibilité d’alimenter le Fonds avec d’autres crédits TFM que le 0,3%
contractuel, notamment pour des grandes infrastructures plus directement
liées au fonctionnement de la mines (par exemple des routes provinciales),
• la possibilité de disposer de fonds de contrepartie (notamment les 15 % issus
de la rétrocession du Gouvernement central sur la fiscalité et la redevance
minière),
• enfin, la perspective de voir les bailleurs de fonds internationaux s’intéresser au
financement des actions du PGDU de Fungurume ; d’ores et déjà, des contacts
ont été pris avec DFID et l’USAID.
231
Concernant la clé de répartition des ressources du Fonds, TFM envisagerait que 60
% des fonds soient alloués aux communautés de la Concession (Fungurume, Tenke,
villages) et 40 % à Lubudi (20 %) et Kolwezi (20 %).
Quelques expériences de gestion communautaire de services urbains
Les initiatives communautaires les plus probantes sont celles relatives à la coproduction
de services d’approvisionnement en eau et d’enlèvement des ordures ménagères dans la
ville de Kinshasa. Le programme d’alimentation en eau potable dans certaines communes
périphériques de la ville de Kinshasa (Kimbanseke et autres) est financé par l’Union
Européenne, avec une participation significative des bénéficiaires qui ont mis en place
des comités de quartiers chargés d’assurer la gestion des bornes fontaines et des sources.
Le projet est en cours d’exécution depuis deux ans, avec des résultats appréciables,
les populations réussissant à réhabiliter les équipements et même à en construire de
nouveaux.
Une dynamique similaire est observée au niveau du PAUK23, toujours financé par
l’Union Européenne sur trois communes de Kinshasa, et qui concerne le volet enlèvement
des ordures : la pré collecte est entièrement prise en charge par les populations, soit par
un apport direct au point de transit aménagé, soit par paiement d’une redevance auprès
d’agents de pré collecte qui assurent cette tâche.
On citera également les « Forces Vives », structure représentative de la population,
mise en place à Fungurume avec l’appui de l’entreprise minière TFM, qui est fortement
associée aux décisions de gestion de cette localité de près de 81 000 habitants mais qui
n’a qu’un statut de Cité, et donc dans laquelle l’Etat est sous-représenté.
Des actions de bénévolat sont également enregistrées ici et là, tout comme on a pu
l’observer. Dans certaines villes à l’instar de Lubumbashi, des associations de riverains
prenant en charge l’amenée d’électricité, mais celles-ci restent sporadiques. A la même
échelle, il y a diverses actions conduites par des ONG, notamment religieuses, dans les
services de base que sont le scolaire et la santé.
Au total, la participation des citoyens aux décisions de gestion urbaine demeure
limitée. Les causes principales des insuffisances relevées semblent résider dans (i)
l’absence d’un cadre réglementaire permettant d’ouvrir le champ des incitations à la
participation et, (ii) les difficultés d’adaptation de la plupart des gestionnaires locaux et
provinciaux.
La question de la participation de la population butte également sur un sérieux
obstacle : le poids des habitudes du passé, avec surtout la gratuité autrefois pratiquée
des services urbains dans certaines parties des villes, en particulier les cités de cadres
des agents des sociétés minières (Lubumbashi, Kolwezi, etc.) et de certaines entreprises
d’Etat. Ces pratiques ont pour effet, aujourd’hui, de conduire à un refus de participation
de certaines catégories de populations, voire à l’incivisme.
232
VI. Opportunités, priorités et recommandations
a. Orientations du DSCRP – Opportunités
La stratégie du Gouvernement
Le Gouvernement a adopté en 2006 le Document de Stratégie de Croissance et de Réduction
de la Pauvreté (DSCRP), qu’il présente comme le cadre unique de planification du
développement. Bien que ses objectifs soient à court et moyen termes (2006-2008), il
constitue le document de référence de la politique nationale, et s’inscrit dans le cadre
fixé par les objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Dans un contexte de
reconstruction du pays, il est censé permettre une mise à niveau des institutions et des
structures de l’Etat, ainsi que la mise en place des politiques sectorielles appropriées qui
répondent aux objectifs des programmes définis.
La question du développement urbain est peu présente dans ce document. La
dimension économique de la ville n’est pas mise en avant et le secteur urbain est abordé
essentiellement sous l’angle social, en particulier au travers du logement.
Toutefois, le document a pour mérite de mettre en exergue certaines insuffisances
du secteur et de proposer des éléments de stratégie. Il cite ainsi, entre autres problèmes,
(i) le non-respect de la réglementation existante, (ii) l’insuffisance des mesures
d’accompagnement, (iii) l’insuffisance des politiques et programmes de développement
et d’aménagement du territoire, (iv) l’inexistence de politiques/programmes de
développement en milieu rural, (v) l’insuffisance des politiques et programmes
spécifiques d’occupation des espaces, et (vi) l’absence des politiques de gestion et de
traitement des déchets.
Le DSCRP préconise ainsi deux axes d’intervention pour le secteur urbain :
• L’amélioration des conditions de vie des populations urbaines, à travers un
certain nombre d’actions : (i) la réduction des carences en voirie ; (ii) l’accès
des populations à une habitation décente ; (iii) le traitement et l’évacuation des
déchets solides et liquides ; (iv) l’évacuation des eaux usées domestiques ; (v)
l’éducation et la sensibilisation de la population aux problèmes de la salubrité
publique ; (vi) l’amélioration des conditions d’approvisionnement par une large
couverture géographique des centres d’approvisionnement.
• L’amélioration de la gestion urbaine en renforçant la responsabilisation et la
transparence, grâce aux actions suivantes : (i) la souveraineté fiscale urbaine
effective ; (ii) l’organisation de la perception des taxes municipales ; (iii)
l’accroissement de la desserte en moyens de transport ; (iv) l’augmentation du
nombre d’équipements sociaux et (v) l’organisation et l’encadrement du secteur
informel ; (vi) la production des nouveaux plans d’urbanisme pour les grandes
villes et les centres moyens.
233
Il n’y a donc pas, à proprement parler, de stratégie urbaine. Mais, comme on le voit, ces
axes d’intervention et les actions qui y sont associées, ont le mérite d’exister, de répondre
à certaines préoccupations évoquées ci avant et, surtout, de n’être en contradiction avec
aucune d’entre elles.
La reprise de la planification urbaine
Depuis 2008, la prise de conscience de l’extension anarchique des villes et des conditions
de vie difficiles des nouveaux arrivants a abouti à une volonté affichée de la part du
Gouvernement de relancer les activités de planification urbaine. Le premier objectif est
d’identifier, contrôler et structurer les zones d’extension. Un Plan Urbain de Référence a
été réalisé pour la ville de Lubumbashi, et l’étude d’un Plan Général d’Aménagement de
Kinshasa devrait être lancée très prochainement par le Gouvernorat de la Ville-Province,
sur un financement de l’Agence Française de développement.
L’attente est très forte dans ce domaine, de la part des EAD qui souhaitent mieux
maîtriser le développement de leur urbanisation, mais aussi des partenaires techniques
et financiers de la RDC, qui souhaitent disposer de documents de référence pour assurer
une meilleure cohérence de leurs interventions.
Le souci de renforcer la sécurité foncière
Ce thème est devenu une priorité du Gouvernement, qui en a fait l’un des piliers de
l’amélioration du climat des affaires. Le Ministère des Affaires foncières a ainsi engagé
plusieurs chantiers et est à la recherche active de partenaires pour mener ces tâches. Ses
projets concernent principalement les points suivants :
• refonte des textes régissant le foncier et l’urbanisme, devant s’accompagner d’une
campagne d’information ;
• informatisation des données et numérisation du cadastre, pour améliorer la
traçabilité et, de ce fait, le caractère inattaquable des documents ;
• amélioration des moyens humains et matériels : remise à niveau des agents du
Cadastre et remplacement de ceux qui n’ont pas les compétences suffisantes ainsi
que l’acquisition de matériel de terrain performant ;
• instauration d’une responsabilité pénale des Conservateurs en cas de litige ; et
• mise en place d’un «corps des mandataires fonciers», pour suivre les étapes de la
procédure.
Les contraintes
Au regard du contexte ci-dessus décrit et de l’histoire récente du Congo, il est évident
que l’environnement reste porteur de nombreuses contingences qui constituent des
facteurs limitatifs.
234
La faiblesse des capacités des administrations publiques va probablement perdurer
pour quelques temps encore. Il est tout à fait illusoire de croire que les ambitions
affichées par certaines administrations sur le niveau de formation des cadres, à l’instar
de celle en charge du foncier, vont être atteintes à court terme. Comme dans un système
thermodynamique où tout se tient, l’administration est souvent le reflet de la société et
un changement en profondeur ne peut être que lent et progressif.
A cela s’ajoutent d’autres sources de résistances inhérentes au poids du passé (époque
« glorieuse » mais aussi période de guerre) avec ses habitudes qui vont probablement
être difficiles à changer. De nombreuses couches de la population restent attachées à des
pratiques comme celle de la gratuité des services, qui est loin de correspondre à la réalité
d’aujourd’hui.
Dans les régions de l’Est, la guerre a induit un incivisme dont l’éradication prendra
nécessairement du temps.
Au-delà, malgré les avancées enregistrées sur tous les plans depuis une dizaine
d’années, les acquis restent fragiles.
B. Axes d’intervention en matière de gestion du développement urbain
Le diagnostic a mis en exergue d’importants déficits à combler au moins partiellement
pour permettre aux villes congolaises d’apporter leur pleine contribution à la croissance
économique. Il apparaît que, d’une manière générale, les besoins sont importants et les
populations, après ces décennies de turbulence, sont très impatientes. Face à elles les
pouvoirs publics apparaissent démunis, aussi bien en termes financiers, humains que
d’outils de gestion. Les contraintes sont nombreuses.
Dès lors, si l’on veut trouver un moyen terme entre la dimension « économique » de
la ville défendue ici et la vision « sociale » privilégiée par le DSCRP, la démarche doit
s’articuler autour de deux axes complémentaires :
• avoir une vision globale permettant de trouver un compromis entre les
interventions d’intérêt « économique » et celles à dimension plus « sociale » ;
• avoir une approche progressive, en acceptant de commencer avec des objectifs
relativement modestes, plutôt que de viser tout de suite des niveaux de service
très élevés.
Un préalable aux actions à engager est l’amélioration du niveau d’information
sur les villes
Améliorer l’information sur les villes
Mettre en place une politique urbaine nécessite de disposer d’un système permettant
de définir les investissements publics qui auront le plus d’impact sur le développement
économique et la réduction de la pauvreté. A un autre niveau et dans une perspective plus
macroéconomique, il doit également permettre d’évaluer le poids démo-économique
de chacune d’entre elles, de caractériser sa fonction et son importance dans l’armature
235
urbaine du Congo, afin de déterminer son impact sur la croissance à l’échelle du pays.
En l’absence de ces données, le choix des villes d’intervention et la définition des actions
prioritaires à réaliser dans chacune d’entre elles risquent de relever de l’arbitraire. Face
à l’ampleur des besoins à satisfaire à l’échelle du pays, une allocation non optimisée des
ressources serait un frein majeur pour le développement économique du pays tout entier.
Au regard de l’architecture institutionnelle du pays et des capacités limitées des
institutions chargées de la gestion urbaine, la structure la plus appropriée pour accueillir
un tel système est probablement le Bureau d’Etudes d’Aménagement et d’Urbanisme
(B.E.A.U.), qui est une structure rattachée au Ministère des Infrastructures, mais qui
assure une interface efficace avec le Ministère de l’Urbanisme. Pendant les années 1970 et
1980, cette structure a réalisé de nombreuses études d’urbanisme et d’aménagement du
territoire au Congo, grâce à un important appui financier et technique de la Coopération
française. Malheureusement, elle n’a pas résisté au difficile contexte traversé par le pays
ces dernières décennies ; les programmes ont été suspendus et les locaux ont été victimes
de pillages au cours desquels l’essentiel de la documentation a été perdu.
Avec l’appui de l’Agence Française de Développement et de l’Union Européenne,
le B.E.A.U. vient de voir ses locaux réhabilités et dispose désormais d’un atelier de
cartographie numérique entièrement équipé. Ces moyens lui permettent de se redéployer,
en particulier sur Kinshasa où, grâce au SIG produit par la Coopération Japonaise
( JICA), il apporte une importante contribution aux études de préfaisabilité de projets
(« 5 Chantiers »). La réputation établie et la place que cette structure a toujours occupée
dans la gestion urbaine au Congo font qu’il apparaît bien placées pour développer un tel
système, à partir de l’embryon existant, puisqu’il jouit d’une légitimité certaine auprès
de la plupart des acteurs du secteur.
Toutefois, il s’agira de rester réaliste, en collant au plus près de la réalité du pays et aux
besoins immédiats des utilisateurs des données, sans viser tout de suite des niveaux de
complexité sans rapport avec les capacités de gestion. Ainsi, cet observatoire des villes 24
pourrait s’attacher prioritairement à collecter, traiter et restituer les données sur les
aspects ci-après, d’abord pour les principaux pôles démo-économiques régionaux puis
pour les centres de moindre importance :
• géographie : élaboration de fonds de plans (« croquis urbains ») à partir des
images satellites complétées par de légères enquêtes au sol ;
• infrastructures : numérisation des linéaires des réseaux de voirie, électricité et
eau potable, transport public, dispositifs de collecte des ordures ménagères, puis
progressivement données numériques sur leurs caractéristiques (état, dimensions
etc.) ;
• équipements : localisation des écoles, centres de santé et autres, avec si possible,
données numériques sur leur niveau d’occupation ;
• démo-économie : population par quartier, budget de la commune, mais aussi
investissements publics et poids économique.
236
Pour cela, il s’agira principalement, dans un premier temps, d’acquérir les images
satellite des villes et d’en faire une restitution ; celles fournies par google earth sont
suffisantes dans un premier temps. Par la suite, il faudra collecter des données existantes
auprès des organismes qui sont en charge de les produire de manière régulière (autres
administrations, communes, concessionnaires des réseaux, agences d’exécution de
projets, établissements publics etc.), les mettre en cohérence et les traiter pour assurer le
suivi de l’évolution des indicateurs clés. Il s’agira donc plus de mettre en place un système
d’information commun entre le B.E.A.U. et les principaux producteurs de données au
niveau des secteurs public, parapublic et privé. En fonction des moyens disponibles, un
« Atlas des villes de la RD Congo » pourrait être produit, à une périodicité biennale.
Cela nécessitera probablement une assistance technique temporaire au B.E.A.U. ainsi
qu’aux fournisseurs de données pour que ces derniers produisent régulièrement celles
nécessaires au système d’informations sur les villes et la gestion urbaine.
Concevoir une vision pour l’aménagement du territoire
Définir et appliquer une politique d’aménagement du territoire
La revitalisation de l’économie des villes est tributaire des relations que celles-ci
entretiennent, d’une part, entre elles et, d’autre part, chacune d’elles avec son hinterland.
Les centres urbains, consommateurs de biens, sont des opportunités pour leur hinterland
ou à tout le moins les bassins de production locaux qui leur fournissent de quoi se nourrir.
Dans de nombreux cas, la vie économique de nombreux centres urbains est (ou devrait
être) assise sur l’agro-industrie, consommatrice des produits des campagnes. Dans une
vision plus large, les villes servent de marché, lieu d’échange pour les populations rurales
qui viennent s’y approvisionner en produits manufacturés et autres biens nécessaires à
l’amélioration de leurs conditions de vie.
De ce fait, les interventions en milieu urbain pourraient avoir des effets importants
non seulement sur les villes elles-mêmes mais aussi sur leur hinterland. Ces interventions
méritent une attention particulière compte tenu de leur importance stratégique dans la
lutte contre la pauvreté au plan national.
Améliorer la communication entre les centres urbains et leur hinterland productif
Améliorer la communication entre les centres urbains d’une part et les bassins de
production d’autre part est donc indispensable, en particulier dans les régions au
potentiel agricole important comme le Nord-Kivu, le Sud-Kivu et le Maniema. Dans
ces régions, la demande urbaine apparaît être le véritable « moteur » du développement
rural : les ruraux doivent pouvoir avoir accès, directement ou indirectement, à la clientèle
solvable qui se trouve dans les centres urbains. La réhabilitation des infrastructures de
transport rural apparaît donc comme une condition nécessaire pour le développement
économique des villes et des régions qui les entourent.
237
Toutefois, cette condition ne sera pas suffisante : il restera la question de la
mobilisation des opérateurs économiques. Il s’agira donc d’avoir une approche intégrée
prenant en compte non seulement le besoin en infrastructures de transport, mais aussi
les autres moyens à mettre en œuvre pour valoriser les potentialités de chaque territoire
(financements, mesures d’accompagnement du développement des filières etc.).
En ce qui concerne les infrastructures, l’objectif est de faciliter les échanges entre les
zones de production et les marchés de consommation, ainsi que l’approvisionnement en
intrants de ces zones, et assurer une meilleure valorisation du potentiel agricole des zones
concernées. Cela passe nécessairement par un inventaire socio-économique destiné à
définir les niveaux d’intervention, afin de rentabiliser les travaux. Même si cela touche
à la politique routière dans son ensemble, il semble important de souligner que face à
l’ampleur des besoins, il ne serait pas pertinent de dégager un « réseau prioritaire »
sur lequel on mettrait l’accent avec un niveau de service « normal ». Cette approche,
mise en œuvre dans de nombreux pays, a pour principal inconvénient son caractère
inéquitable, puisqu’il conduit inéluctablement à l’abandon des zones situées hors de ce
réseau.25
L’approche préconisée ici est donc que cet inventaire conduise à la définition de
niveaux de service (de confort des usagers)26, qui serviraient de base d’intervention
sur l’ensemble du réseau, en fonction de l’importance socio-économique de la piste
concernée, aussi bien en réhabilitation qu’en entretien. Les aménagements seraient
faits uniquement par rapport au niveau désiré, par arbitrage à l’intérieur de l’enveloppe
financière disponible. Les niveaux de confort pourraient alors être progressivement
revus à la hausse, en fonction des moyens disponibles. Cette approche est, bien entendu,
compatible avec l’association des populations bénéficiaires à l’entretien des routes
d’intérêt purement local.
Améliorer la communication entre les centres urbains
Les liaisons entre les différentes agglomérations, en favorisant la circulation des biens
et des personnes, participent au développement économique de celles-ci, en créant
des opportunités quasi inexistantes aujourd’hui et mutuellement bénéfiques pour
l’économie. Les agglomérations urbaines constituent des pôles émetteurs et récepteurs
de flux dont l’intensité est souvent en rapport avec la taille des villes, mais aussi les
complémentarités qui peuvent s’établir entre elles.
Ces liaisons, déjà démocratisées avec la téléphonie mobile, gagneraient à être rétablies
au plan physique. Un maillage principal est donc indispensable, au moins entre les
principales villes.
Il importe donc, là aussi, que les importants travaux en cours (routiers en particulier)
s’inscrivent dans un schéma d’ensemble articulé sur le réseau des villes, au regard du
rôle que les unes et les autres pourraient être amenées à jouer dans l’armature. Ceci
passe donc par l’élaboration d’un schéma national d’aménagement du territoire tirant
238
parti de la complémentarité entre différents modes de transport (ferroviaire, routier,
fluvial, lacustre), accordant une place de choix aux impératifs économiques plutôt qu’à
l’organigramme des encadrements administratifs.
Mettre la Ville au centre de la gestion urbaine
Les Villes devraient, conformément à la Loi, être au centre de la gestion des services
urbains. Elles devraient être responsables d’une part de l’arbitrage des demandes
permettant une définition appropriée des niveaux de service et d’autre part de la maîtrise
d’ouvrage des travaux de construction et d’entretien des infrastructures correspondantes.
Ceci passe par une clarification des attributions des multiples institutions impliquées
actuellement dans les différents aspects de la gestion urbaine; cela nécessitera également
un renforcement des moyens financiers, afin qu’elles puissent faire face à leurs nouvelles
attributions. Dans un contexte de décentralisation, il paraît logique que ce soit les Villes
qui gèrent ces aspects, sachant que les gouvernements provinciaux doivent s’occuper de
toute la province et souvent des différentes villes ou cités qui peuvent s’y trouver. En
outre, que la gestion urbaine soit prise en charge sur le budget provincial peut entraîner
des déséquilibres dans les choix de dépenses, et léser le reste de la province au profit de
la Ville dans laquelle se situe le Gouvernement provincial, par simple effet de proximité.
Pour rappel, les compétences transférées à la Ville selon la Constitution et la loi
organique N°08/016 du 2 juillet 2008 portent sur les domaines ci-après: infrastructures :
construction des voiries, éclairage public, aménagement du drainage et eaux usées, collecte
et évacuation des ordures ménagères, aménagement des sources et forages de puits d’eau,
construction et exploitation des microcentrales pour la distribution d’énergie électrique ;
équipements publics : aménagement et gestion des marchés (d’intérêt urbain) ; initiative
de création d’écoles et construction/entretien des bâtiments scolaires d’Etat ; autres
bâtiments (musées, centres socioculturels,…) et espaces publics ; développement urbain
et foncier : plan d’aménagement de la ville ; actes de disposition d’un bien du domaine
privé de la ville et actes de désaffectation d’un bien du domaine public de la ville.
Hormis les bâtiments abritant les équipements de santé, la Ville se retrouverait
compétente dans la majorité des infrastructures et des équipements publics. Mais, audelà de ces aspects législatifs et réglementaires, il y a la logique fonctionnelle, qui voudrait
que certaines activités soient menées à l’échelle où on peut en tirer la meilleure efficacité
(principe de subsidiarité). Les compétences de la Ville devraient donc non seulement
intégrer des investissements (constructions neuves) évoqué par la Loi, mais également
porter sur les préoccupations liées à l’entretien et à la gestion.
Il en va de même pour la planification urbaine. Jusqu’à aujourd’hui les Villes ne
jouaient aucun rôle dans les décisions concernant les extensions urbaines, les Affaires
Foncières au niveau Provincial en étant les seules responsables, alors que ce sont aux
Villes ensuite de réaliser les équipements, les routes, le drainage, l’éclairage public,
d’organiser le ramassage des ordures…
239
Le nouveau texte lui confère la compétence d’élaborer le plan d’aménagement,
et de veiller à son application. Cette décentralisation devrait être accompagnée de la
mise en place d’une plus grande autonomie financière des Villes. Sans des avancées sur
cet autre terrain, le double objectif d’améliorer les conditions de vie des citadins et de
renforcer le rôle économique des villes se trouve compromis. Un transfert de ressources
supplémentaires au profit des villes apparaît donc indispensable pour améliorer
l’efficience des villes et contribuer au taux de croissance escompté dans le cadre du
DSCRP et des objectifs du millénaire.
Toujours parmi les priorités, le renforcement drastique et rapide des capacités des
entités administratives décentralisées et des services déconcentrés de l’Etat apparaît
primordial. Les capacités de maîtrise d’ouvrage locale, qu’elle soit déléguée ou non,
devraient également être notoirement renforcées.
Mettre en place un cadre contractuel entre les Villes et les Provinces, associant les
autres acteurs
En attendant l’aboutissement des réformes en cours sur le fonctionnement des EAD
(élections locales, textes d’application des lois de 2006 et 2008, etc.), il serait pertinent, au
regard de la pluralité des parties prenantes et de leurs interventions parfois concurrentes,
de mettre en place un cadre contractuel de type « Contrat de Ville » sur 3 ans entre la
Ville et la Province, associant le secteur privé ainsi que la société civile dans ses différentes
composantes. Une telle démarche aurait pour objectif de clarifier le rôle de chacun dans
cette période de transition où l’ensemble des dispositions législatives et règlementaires
n’a pas encore été pris. Elle permettrait de tester la capacité des différents acteurs à se
coordonner autour d’objectifs clairs bénéficiant de l’appui des bailleurs de fonds dans le
cadre de projets spécifiques. Cette recommandation résulte du constat que les différentes
parties prenantes ont avantage à rechercher, d’abord entre elles et avec les moyens qui
sont les leurs, des solutions pour améliorer l’action publique sur le territoire de la ville;
cela sans forcément attendre que la législation et ses décrets d’application soient pris.
Le contrat de ville apparaît donc comme une solution à la complexité des relations
entre les organismes centraux de l’Etat et les autres niveaux de gouvernance urbaine par
une démarche à la fois empirique et opérationnelle qui permettrait d’atténuer, au cas par
cas, les problèmes de conflit de compétence et de centralisme excessif.
Ce Contrat engagerait la Province et la Ville27 (et le cas échéant les opérateurs
économiques, en particulier les miniers) sur des actions communes ou respectives visant
à améliorer les services à la population. Il s’agirait d’arrêter (i) un programme unique
triennal d’investissement et d’entretien et d’en partager les modalités d’exécution ; (ii) les
modalités de gestion urbaine (mobilisation des ressources, mise en place de procédures
et outils de gestion, actions de formation pour améliorer les capacités des acteurs…). Par
exemple, ce Contrat mentionnerait en clair les engagements de la Province en matière de
240
rétrocession financière à la Ville ; cette dernière s’engagerait à affecter le produit de cette
rétrocession à certaines actions. De même, les différentes parties disposeraient d’une
plate-forme pour optimiser la mobilisation des ressources locales.
Dans le même temps, un tel dispositif permettrait aux opérateurs privés de trouver
un cadre d’expression de leur contribution au développement de la ville, aussi bien au
niveau décisionnel qu’à celui plus opérationnel.
En ce qui concerne la société civile, en fonction du contexte de la ville, il s’agirait de
lui donner l’occasion, à travers à la fois une participation au processus de décision mais
surtout au suivi, d’apporter une contribution significative à la gestion des affaires locales.
Cela suppose toutefois, en fonction du contexte de chaque ville, une clarification de leur
rôle ainsi que des modes de représentation. Des initiatives comme celle mise en place par
l’entreprise TFM à Fungurume (les « Forces Vives ») vont dans ce sens.
Rétablir les outils de base en matière de gestion urbaine et foncière
Réformer les textes sur l’urbanisme et la construction, produire des plans
La législation et la réglementation en vigueur en matière d’urbanisme et de construction
nécessitent d’être mis en adéquation avec le contexte socio-économique du pays ainsi
que la décentralisation. Il s’agira d’agir à la fois dans le sens de la mise en conformité
avec les textes sur la décentralisation et de simplifier les procédures. En particulier, les
points ci-après devraient être abordés dans le cadre de la révision de ces textes : les plans
d’aménagement devraient être consacrés aux principales villes (capitales provinciales
par exemple), et ils seront accompagnés de plans particuliers d’aménagement ; pour les
villes secondaires, on devrait pouvoir, dans un premier temps, se contenter de « plans
sommaires d’aménagement » se limitant à un schéma de structure des voiries ainsi
qu’une délimitation des zones urbanisables ; il faudrait édicter de nouvelles règles de
portée générale de construction (qui seront alors seules valables dans les zones non
couvertes par des plans particuliers d’aménagement), mais aussi revoir les procédures
relatives aux autorisations de bâtir, la taxe de bâtisse etc.
Bien entendu, il est indispensable, dès à présent, de redémarrer le processus de
planification urbaine. Pour Kinshasa, l’Agence Française de Développement a mis à
disposition du Gouvernorat un financement pour la réalisation de plan d’aménagement
et la révision/élaboration de trois ou quatre plans particuliers. Ces documents devraient
être disponibles courant 2011. Au niveau de Lubumbashi, un schéma de structure de voirie
élaboré dans la cadre du Plan urbain de Référence de la ville (BEAU – financement AFD)
devrait être approuvé dans les prochains jours, et aidera à (re)structurer l’occupation des
espaces. Au niveau des autres villes, il y a urgence pour des plans d’aménagement, au
moins pour les villes de plus de 300 000 habitants.
241
Réformer la gestion foncière
La réforme de la gestion foncière est incontournable si l’on veut améliorer le climat
des affaires à travers une sécurisation des investissements. La sécurité foncière, qui est la
base des investissements tant pour les opérateurs économiques que pour les habitants,
doit donc être l’un des chantiers. En ce sens, la loi foncière nécessite probablement
d’être revue pour être adaptée à la réalité socio-économique des villes congolaises
d’aujourd’hui, mais il s’agira davantage de réformer l’administration afin de mettre
un terme aux pratiques frauduleuses. Cela passe par une simplification des procédures,
l’amélioration de l’information du citoyen ainsi que le renforcement de la transparence.
En attendant l’aboutissement de cette réforme qui est difficile parce que charriant
de nombreux enjeux, il semble intéressant de lancer, même dans le contexte actuel, des
actions de sécurisation des titres, dans une logique de régularisation, afin de reconstituer
les fichiers fonciers. Au regard de l’importance et du caractère sensible d’une telle
opération, on pourrait démarrer par un projet pilote sur le secteur du centre-ville de
Kinshasa, afin de constater et consolider les droits. En plus de l’administration foncière,
les tribunaux seraient mis à contribution avec, si besoin est, des audiences foraines pour
trancher certains litiges.
Améliorer la mobilité dans les principaux centres urbains
La mobilité est un des éléments essentiels de la compétitivité des villes aujourd’hui,
le transport public agissant comme le système nerveux de la ville. L’objectif général
sera donc d’améliorer la mobilité urbaine par une réduction du coût et de la durée des
déplacements. Cela passe par des travaux de remise à niveaux certes, mais surtout par une
planification et une meilleure programmation des investissements, ainsi que des actions
de réglementation et de régulation, en plus de l’accent à mettre sur l’entretien.
Elaborer des outils d’aide à la décision
Les opérations menées ou en cours dans les principaux centres urbains du pays,
réalisées dans une logique de rattrapage, permettent de parer au plus pressé. Elles sont
indispensables dans le contexte d’urgence. Toutefois, au regard à la fois de l’immensité
des besoins et de la taille des villes ainsi que de leur rythme d’évolution, il importe d’avoir
une approche plus structurée, en mettant plus de cohérence grâce à une planification et
une programmation rigoureuses des investissements pour la gestion des déplacements.
Il s’agit également d’anticiper sur la demande future, induite non seulement par
l’augmentation inéluctable du niveau de vie (et donc de la motorisation) mais aussi
par la reprise de l’activité économique au sein ou en dehors des principaux centres
urbains. Les coûts de « rattrapage » des désordres futurs seront trop importants pour la
collectivité si un effort d’anticipation n’est pas fait dès aujourd’hui. Tout comme se fier
aux impressions peut conduire à des dépenses superflues ou tout au moins à passer à côté
des priorités28.
242
En ce sens, les décideurs doivent disposer d’outils pouvant leur permettre de faire des
choix cohérents dans l’espace et dans le temps, avec une vision prospective, fixant des
objectifs à moyen et long termes, ainsi que la recherche d’actions concrètes à mettre en
œuvre rapidement.
Pour les villes de plus d’un million d’habitants, et en particulier Kinshasa et
Lubumbashi où les enjeux sont importants, il sera indispensable d’avoir recours à des
outils élaborés du type Plan des Déplacements Urbains.
Ce travail aurait les objectifs spécifiques suivants :
• améliorer l’accessibilité aux quartiers périphériques ;
• limiter les risques et les nuisances : améliorer la sécurité routière pour toutes
les catégories d’usagers, réduire les nuisances liées à la circulation routière, en
particulier en ce qui concerne le bruit et la pollution de l’air ;
• élargir l’offre globale de transport par le développement des modes de transport
(exploitation de bus de plus grande capacité, exploitation du réseau ferré et du
fleuve pour le transport urbain des personnes et des biens) ;
• améliorer les conditions de déplacement des piétons à l’échelle de l’agglomération ;
• améliorer les conditions du transit urbain et améliorer la gestion des ruptures de
charge : gare routières, plates-formes et aires de stationnement (réglementation,
en particulier étude d’une éventuelle tarification) ;
• prévoir des aménagements permettant de dissocier le transport des autres activités
urbaines, en particulier la réalisation de voies de contournement de la ville (cas de
Lubumbashi, voir concurrence rail/route) ;
• proposer une stratégie de régulation de l’offre globale de transport collectifs et les
principes d’exploitation des réseaux de transport ;
• proposer un schéma d’organisation des transports à l’horizon 2020 ou 2025, avec
une programmation des actions.
La conduite de telles études nécessitera la réalisation d’enquêtes qualitatives et
quantitatives sur les déplacements (en particulier comptages et enquêtes Origine/
Destination) pour constituer les matrices des déplacements et évaluer le trafic de transit
et les flux d’échanges entre ces agglomérations et le reste du pays d’une part et entre les
principales zones des agglomérations d’autre part. Il y aura également des enquêtes sur
les transports en commun, le transport interurbain de personnes, les temps de parcours et
le transit des marchandises, ainsi que des comptages au niveau des principaux carrefours.
Pour les autres villes, on pourra se contenter de plans de circulation, même simplifiés,
visant à assurer la continuité des itinéraires principaux comme les voies de transit, les
grandes liaisons entre les principaux ensembles à l’intérieur de la ville ou encore celles
desservant les principales zones émettrices/réceptrices de trafic (marché central, zone
industrielle etc.).
243
Quelques précautions seront à prendre dans le cadre de ces études :
• trouver un compromis entre « économique » et « social », c’est-à-dire se
préoccuper à la fois du « structurant d’intérêt économique » et du désenclavement
des zones sous-équipées ;
• faire attention à la problématique des deux roues et en particulier des motostaxis qui, bien organisées, peuvent constituer une alternative intéressante pour
les plus pauvres puisque moins cher tout en assurant un service en porte à porte,
en permettant surtout de contourner la difficulté que constitue l’état des voiries.
Poursuivre la mise à niveau du réseau, mais accorder plus d’importance à l’entretien
En même temps que la mise en place des outils d’aide à la décision, il faudra poursuivre
les efforts de mise à niveau engagés. Bien entendu, le réseau « économique » continuera
à occuper une bonne place, mais il sera indispensable d’intervenir également sur les voies
de désenclavement des quartiers, avec pour objectif de réduire la distance par rapport
à un point accessible aux moyens de transport en commun (l’idéal étant 500 m, ce
qui correspond à environ 5mn de marche à pied). La productivité globale de la ville
en dépend, au regard de l’incidence du transport de la population sur les déplacements
d’intérêt économique.
Si le développement local nécessite la réhabilitation d’un environnement physique
propice, cela passe d’abord par l’entretien du patrimoine public. Cet entretien est
aujourd’hui très faiblement assuré. Les effets directs et induits de cette négligence
sont considérables, tant sur la pauvreté (accès aux services de base à la population)
que sur la productivité des entreprises. Sans entretien, l’effet keynésien de la dépense
publique locale sur l’économie locale est perdu. Ces effets négatifs pourraient même être
ressentis sur le comportement des ménages : pourquoi embellir son habitat et respecter
l’environnement si le secteur public ne montre pas l’exemple ?
Ici, plus que pour la réhabilitation et les aménagements, une approche globale
s’impose : au regard de l’ampleur de la demande sociale, il semble indispensable
d’intervenir sur l’ensemble du réseau, avec des niveaux de service différenciés et non
se limiter à un réseau dit « prioritaire », qui condamnerait pour longtemps encore
celles des populations desservies par les axes « non prioritaires ». Ce qui veut dire que
l’entretien (courant) doit être étendu aux voies de desserte dans les quartiers. Il s’agit
là d’un point essentiel car les améliorations apportées à cette catégorie de voiries, aussi
sommaires soient-elles (limitées par exemple au passage des camions de livraison), sont
susceptibles d’avoir un effet positif sur l’économie populaire dans les zones desservies.
Pour ce qui est du niveau d’intervention, il est évident que, pour des raisons
d’efficacité, l’entretien doit être réalisé au niveau de la Ville, qui doit lui affecter une part
suffisante de ses ressources29. Dans ce cadre, il n’est pas inutile, ici, de tempérer quelque
peu l’enthousiasme au niveau de diverses instances avec la mise sur pied du FONER
244
(Fonds National d’Entretien Routier). Si cet organe, lorsqu’il aura atteint sa vitesse de
croisière, sera un élément pivot de l’entretien routier, il n’en demeure pas moins qu’il est
d’abord destiné aux routes interurbaines.
De ce fait, la part qui revient à l’entretien des voiries urbaines devra être gérée
judicieusement, la tentation étant en général forte, dans un contexte de pénurie comme
c’est le cas ici, d’utiliser cette ressource pour la réhabilitation, voire des constructions
neuves. Il apparaît donc urgent d’ouvrir un champ de réflexion sur les modalités
d’affectation de cette ressource aux centres urbains : clé de répartition entre les villes,
réseaux privilégiés à l’intérieur des villes, types d’intervention etc. En tout état de cause
donc, dans les villes, l’éventuelle dotation du FONER devra simplement être utilisée
pour amorcer le dispositif d’entretien, des moyens propres devant être mobilisés pour
l’entretien.
Améliorer la réglementation et la régulation
Les infrastructures et en particulier la voirie ne doivent pas être considérées comme une
finalité, mais plutôt comme le support d’un service qu’il faut réglementer et contrôler.
Les interventions sur l’offre en infrastructures, si elles sont indispensables, ne seront
malheureusement pas suffisantes pour atteindre les objectifs de réduction de la durée et
du coût des déplacements. Contrairement aux apparences, le taux de motorisation dans
les centres urbains du Congo reste relativement bas, la mobilité (motorisée) limitée,
par rapport aux autres villes africaines. C’est que, ici comme ailleurs, la réglementation
et la régulation des transports publics sont indispensables car les gains attendus des
importants travaux en cours risquent d’être substantiellement réduits par les différents
désordres observés dans la circulation. Ces désordres, en pénalisant l’ensemble des
usagers et opérateurs économiques, réduisent la capacité des transporteurs à s’investir
pour moderniser leurs moyens. Même sans action sur l’offre en voiries urbaines, une
meilleure réglementation et une régulation des activités de transports permettraient de
limiter les effets néfastes de la concurrence sauvage que se livrent les artisans.
Il est dès lors indispensable d’agir sur les plans réglementaire et institutionnel. L’accès
à l’exercice de cette profession devrait être réglementé avec la mise en place d’un système
d’autorisations dont le renouvellement serait conditionné par le respect d’un cahier de
charges.
Les règles de circulation devraient également être revues, en accompagnement des
aménagements sur la voirie, pour accorder la priorité aux véhicules de transport de masse,
en particulier au niveau des carrefours.
La réglementation n’a de sens que s’il y a une autorité pour la faire respecter. En ce
sens, il apparaît urgent de mettre en place, au niveau de chacune des grandes villes, une
structure chargée de l’organisation et du contrôle. Celle-ci serait chargée de l’analyse
des besoins, de la définition du réseau (plan des déplacements ou de circulation), de
la répartition du marché (attribution des lignes de transport), du contrôle de l’accès
245
à ce marché (autorisations d’exploitation etc.), de la réglementation des tarifs, de la
délégation de service publics etc. Dans le sens de la décentralisation, l’idéal serait que
cette tâche soit assumée au niveau des Villes, les ministères n’ayant des responsabilités
qu’en termes de politique nationale et d’infrastructures primaires, ainsi que de matériel
ou subventions pour les entreprises à capitaux publics.
Améliorer le fonctionnement des équipements marchands
Les marchés constituent un des éléments clé de l’économie populaire, dont la contribution
à la croissance économique est loin d’être négligeable. Il faudrait donc, à l’échelle de
chaque ville du Congo et en fonction du contexte local, permettre à ces équipements
d’avoir le meilleur rendement possible à la fois pour les usagers (et principalement les
commerçants) mais aussi pour la ville à travers leur apport aux ressources publiques, ainsi
que la réduction des nuisances qu’ils peuvent occasionner.
Cela passe par une intervention sur leur niveau d’aménagement, mais également par
une amélioration de leur gestion. Les marchés doivent cesser d’être perçus comme des
équipements sociaux (au même titre que les écoles et les centres de santé) mais plutôt
comme des équipements marchands devant être rentables au plan financier. Toutefois,
au regard de l’ampleur des besoins face à la modicité des ressources publiques, il sera
indispensable d’envisager des partenariats public-privé, aussi bien pour les travaux
que pour la gestion. En ce qui concerne les aménagements, l’argent public devrait
être exclusivement affecté à l’amenée de l’infrastructure principale (eau, électricité,
circulations, assainissement, etc.) ainsi que les équipements collectifs (hangars, sanitaires,
poste de police etc.), la construction des boutiques étant laissée à l’initiative privée,
encadrée par les pouvoirs publics.
Au plan de la gestion, la politique tarifaire est probablement à revoir au niveau de
chaque ville ou marché, en fonction de la qualité des services offerts. Il sera également
indispensable, pour une meilleure efficacité des actions et en particulier tout ce qui a trait
à l’entretien, d’y associer les bénéficiaires (commerçants).
Au niveau des très grandes villes (Kinshasa en particulier) il sera indispensable de faire
précéder ces actions par l’étude d’un schéma directeur mettant en exergue les relations
entre les marchés, afin de mieux planifier et programmer les interventions.
VII. Améliorer la compétitivité économique de Kinshasa et Bukavu
a. Vers un nouveau modèle de croissance urbaine : orientations et principes
Kinshasa
La structure économique et sociale actuelle de Kinshasa exacerbe les inégalités internes
de la ville, et entre la ville et les autres provinces. La consommation effrénée de la ville
détruit des ressources précieuses, non renouvelables, et sans bénéfices pour le reste du
pays.
246
Un nouveau modèle de croissance pour Kinshasa devrait être fondée sur deux
objectifs principaux: (i) permettre le retour des activités à haute valeur ajoutée et créatrices
d’emplois et, (ii) se focaliser sur la lutte contre la pauvreté urbaine, la décroissance du le
chômage et du sous-emploi.
Concernant le premier objectif, plusieurs volets pourraient être développés. Un
premier volet pourrait se concentrer sur l’augmentation des activités urbaines à haute
valeur ajoutée; un second sur le rétablissement de la position historique et centrale de la
ville, au cœur d’un système d’investissement, de production, de transport et de circuit de
commercialisation et d’exportation de produits d’origine rurale – un retour au modèle
de croissance du pole-réseau.
Concernant le premier volet, il y a d’importantes opportunités d’investissement dans
les industries de substitution aux importations, onéreuses, hautement consommatrices
en infrastructure et créant peu d’emplois. Les premiers signes de cette dynamique sont
visibles, mais à très petite échelle. Les obstacles aux investissements et à la rentabilité des
opérations commerciales sont trop élevés. Ce fait est largement documenté. Cependant,
une orientation concertée vers les industries de substitutions aux importations pourrait
produire d’énormes bénéfices: investissement, emploi, ressources fiscales, prix à la
consommation moins élevés et réduction du déficit commercial résultant d’une rétention
croissante de la rente minière, etc.
Une telle orientation pourrait générer de la valeur ajoutée significative et inverser
en partie le caractère non viable du paradigme économique de la métropole. Cela
pourrait également servir de catalyseur au redéveloppement de la culture industrielle,
au développement des compétences, à la création d’une culture entrepreneuriale et
industrielle, formelle et structurée. Développé sur le principe des pôles de croissance,
cette orientation pourrait permettre de cibler les efforts d’infrastructures à consentir, et
améliorer le climat des affaires en général. Cette orientation pourrait permettre d’obtenir
des résultats significatifs à court terme, compte tenu du volume du marché intérieur et la
perspective de marges élevées.
Le second volet est orienté vers le développement progressif d’une agriculture à la fois
exportatrice et capable de répondre à la demande intérieure. Cet effort devra s’inscrire
dans la durée, est à l’échelle d’une génération et doit être mené avec prudence ; il exige
la remise en marche préalable du système de transports, et des efforts d’investissement
public importants et une amélioration sensible du climat des affaires. Des projets
pionniers dans la région de Bandundu et dans l’Equateur ont montré qu’il est possible
de rétablir l’agriculture formelle, mais les risques sont encore élevés. Une économie
rurale prospère créerait de nombreux avantages pour Kinshasa comme pour le monde
rural: (i) elle apporterait la renaissance du secteur agro-industriel de Kinshasa; (ii) elle
permettrait de fixer la population rurale à travers l’augmentation de l’emploi, notamment
247
via l’agriculture vivrière, et par conséquent de réduire la pression démographique sur
les villes tout en diminuant la pauvreté rurale; (iii) elle augmenterait la sécurité rurale
en ouvrant des régions isolées où la présence de l’Etat est faible. Des progrès rapides
pourraient être enregistrés sur la base d’une stratégie progressive et initialement focalisée
sur l’hinterland rapproché, et sur des projets et entreprises existantes qui pourraient être
appuyées. Les régions prioritaires disposant d’un potentiel à court et moyen termes
devraient être identifiées, et les investissements focalisés sur les obstacles principaux à
la mise en œuvre d’investissements, à la production et à l’écoulement des produits. En
temps voulu, ces régions pourraient servir de catalyseur pour les autres régions.
Il est fort probable que les obstacles principaux pour ces deux volets porteraient sur:
(i) le manque d’infrastructures – les routes et l’électrification; (ii) la trop forte pression
fiscale, tarifaire et administrative (officielle et non-officielle); (iii) l’accès au foncier et
sa rétention; (iv) les financements disponibles. La volonté de l’Etat et sa capacité sont
probablement la contrainte principale.
Bukavu
Comme Kinshasa, Bukavu a besoin de prendre une nouvelle perspective de terme de
croissance. La ville est incapable de s’auto suffire, et n’a pas les opportunités de rente que
possède Kinshasa. Si la rétrocession va certainement améliorer les revenus de la ville, cela
ne changera pas cette donne.
A l’inverse de Kinshasa, et vue la taille réduite de son marché, la ville ne dispose
pas d’importantes opportunités d’industrialisation, à l’exception du secteur limité et
spécialisé de l’agro-industrie (transformation du thé, du sucre et du café, entre autres).
Le développement de Bukavu repose sur la reconstitution de ses relations avec une
économie rurale revitalisée. Cela est essentiel pour deux raisons principales: (i) d’abord,
Bukavu n’est pas en mesure de fournir le foncier, les emplois et les revenus requis par sa
population, dont une grande partie pourrait bénéficier d’un retour à la vie rurale; (ii)
deuxièmement, la ville elle-même tirerait d’important bénéfices à redécouvrir son rôle
de centre agricole et agro-logistique.
A cet égard, la ville représente une opportunité unique pour l’ensemble de la
province. Elle a servi de refuge pour le Gouvernement et les forces de maintien de la
paix des Nations Unies. A partir de Bukavu, la sécurité s’est progressivement améliorée
aux abords de la ville, et principalement au long des routes principales. La tendance au
redémarrage économique à proximité de Bukavu et le long de ces routes est manifeste.
En effet, la conjonction de la sécurité et de l’amélioration des infrastructures a conduit
de manière visible à redynamiser les communautés rurales. Tout aussi crucial, le retour
progressif de la distribution des produits agricoles agit comme catalyseur des tentatives
de relance de l’économie rurale dans ces zones.
248
Ce processus spontané, encore fragile, peut rapidement être interrompu et renversé
si il n’est pas appuyé ; pour le moment, il repose uniquement sur les efforts d’entreprises
pionnières qui fournissent des emplois et un accès aux infrastructures de base. Lorsque
cela est fait de manière appropriée, les emplois ainsi crées génèrent des revenus
additionnels qui peuvent être réinvestis dans l’agriculture vivrière. Une économie rurale
locale renait. Avec des formations adaptées et un soutien ciblé, cette économie pourrait
être consolidée, la production agricole pourrait être augmentée pour approvisionner les
marchés locaux, en utilisant les routes sécurisées. Là aussi, l’amélioration de la sécurité
physique et la réhabilitation des infrastructures jouent un rôle crucial.
Comme à Kinshasa, mais avec une focalisation accrue sur la sécurité, une stratégie
spécifique pourrait s’attacher à l’hinterland déjà sécurisé en réduisant les contraintes
principales à l’investissement, à la production et à la commercialisation des produits.
Tout aussi important, cette stratégie devrait servir d’exemple à toutes les parties
prenantes, proposant les bases d’une sorte de « pacte social de sécurité et de croissance »
où la garantie de la sécurité, la fourniture d’infrastructures de base et l’établissement
d’entreprises créatrices d’emplois revitaliseraient les liens sociaux. Avec le temps, ce
modèle de croissance pourrait progressivement être étendu vers la campagne plus
éloignée.
Les éléments constitutifs d’une stratégie de croissance urbaine durable
Les éléments constitutifs de ces stratégies s’adapteraient aux volets et aux contextes de
leur mise en œuvre.
Le volet import-substitution
Un élément central de cette stratégie serait la création de pôles de croissance industrielle
appuyés par:
• Une infrastructure et un environnement commercial amélioré mettant en relation
les villes pilotes aux points d’entrées et de distribution ; c’est-à-dire d’abord
Kinshasa, puis d’autres villes, avec une approche graduelle. Cela reviendrait à
réduire progressivement les goulots d’étranglement le long de l’axe stratégique
de Matadi-Kingabwa-Limete, en ouvrant également la route vers la future zone
économique spéciale de N’Sele. Cette composante devrait faire partie du pôle de
croissance industrielle, mais ne devrait pas être la seule. Kingabwa et Limete ont
une longue vocation industrielle qui bénéficie d’activités déjà existantes, d’une
main d’œuvre déjà en place, et d’une liaison directe au port de Kinshasa. Pour la
plupart des entreprises déjà existantes qui pourraient jouer un rôle dans le pôle de
croissance industrielle, N’Sele est une option, mais elle ne devrait pas être la seule.
L’électricité reste une priorité majeure. Des solutions à court et moyen termes
devront être trouvées.
249
• Une réduction significative des lourdeurs administratives et du fardeau fiscal,
officiel et officieux. Ce point devrait permettre à l’Etat de prouver son engagement
actif et de générer des investissements et des activités pérennes. A cet égard, la
zone économique spéciale devra agir comme catalyseur et devrait être étendue à
des sous zones urbaines, comme cela existe dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne. La priorité devrait être accordée aux mesures proposées dans le chapitre
sur les facilités commerciales favorisant les substitutions aux importations.
• Les mécanismes pour l’amélioration des investissements de long terme devraient
être explorés, les lacunes en termes de financement étant un autre obstacle majeur
à l’investissement industriel.
Le volet de l’expansion agricole
Ici, une option déterminante est la création de pôles de croissance agricole appuyés par:
Des infrastructures de base ciblées, dans des zones ayant une capacité de production
commercialisable ou rapidement commercialisable. Ces infrastructures comprendraient
la construction de routes, l’électrification, et des équipements marchands. Concernant
l’électrification, des options incitant à une production décentralisées, comme dans le cas
des environs de Bukavu avec la production hydro-électrique à petite échelle, devraient
être encouragées. Pour les équipements marchands, les infrastructures dédiées au
commerce d’importation et d’exportation doivent être intégrées, mais d’une manière
sélective. Par exemple, à Bukavu un des obstacles majeurs à l’importation est l’absence
de parking en zone neutre pour les camions, entre les postes de frontières Rwandais et
Congolais à Goma. Cela conduit à d’importants délais de transaction, et à des surcoûts
pour l’économie domestique largement dépendante de l’importation d’intrants de
production.
Les procédures préconisées dans le chapitre sur les équipements marchands visant
à dynamiser la production agricole et les exportations devraient être priorisées. Cela
pourrait inclure, par exemple, la simplification des formalités commerciales, un coût de
transport réduit, la diminution ou la suppression des agences d’exportation telles que
l’ONC, l’OCC et l’OGEFREM. On estime qu’une réduction ciblée pourrait conduire
à l’augmentation rapide de la production et à l’exportation des produits tels que le thé,
le café et la quinine. Ainsi, autour de Bukavu les capacités de production disponibles
existent, ainsi que la demande pour les produits de la région. Il y a de forte chance pour que
la diminution des droits et taxes – pour lesquels il n’y a aucun retour en termes de service
public –conduise à l’augmentation de la production: (i) thé : de 40 tonnes par mois a
60-75 tonnes par mois en l’espace de un ou deux ans; (ii) café : de 600 à 1 200 tonnes
par an. Un impact similaire pourrait être attendu dans le secteur de la quinine. D’un
point de vue économique, cela conduirait à la création rapide d’emplois, probablement
250
2 000 emplois directs à court terme sans compter les emplois indirects. Du point de vue
des recettes de l’Etat, cette diminution des droits et taxes pourrait être compensée par
l’augmentation des volumes de marchandises produites et commercialisées.
Le financement est également un facteur déterminant, compte tenu des moyens
limités et du coût des investissements à engager à Bukavu. La clé du succès de cette
stratégie repose sur une collaboration efficace entre les différentes parties prenantes au
développement de Bukavu comme pôle de croissance agricole: (i) le secteur privé; (ii) les
communautés; (iii) les organisations non gouvernementales; et (iv) le Gouvernement.
Pour que cette stratégie soit un succès, la collaboration de l’ensemble des partenaires est
nécessaire, chacun apportant son savoir-faire et ses ressources. Cette approche conjointe
devrait progressivement générer une appropriation partagée et réduire le risque de
capture des bénéfices par certains au détriment des autres. Le Gouvernement a un rôle
de régulateur à jouer ; il doit apporter les infrastructures, améliorer l’environnement
administratif pour encourager les investissements et offrir des conditions favorables à la
croissance. Concernant le secteur privé, on attend qu’il investisse de manière responsable
et développe des partenariats exemplaires, sources de croissance. Pour les communautés,
il s’agirait qu’elle fournit la main d’œuvre, pour passer d’une économie de subsistance
à une économie génératrice de marges et de bénéfices. On attendrait des ONG qu’elles
appuient les communautés sur la durée, en offrant des formations, en renforçant les
compétences, etc.
Dans le cadre de la stratégie des pôles de croissance agricole, ces mesures pourraient
être rapidement mises en œuvre avec le « pôle de croissance prioritaire de Bukavu et
de son hinterland », correspondant aux zones actuellement sécurisées où la production
existe et où les effets de ces mesures pourraient être évalués après une période de 2 ans à 2
ans et demi. Une stratégie de développement du tourisme pourrait être intégrée au pôle
de croissance agricole prioritaire, compte tenu du vaste potentiel que représentent le lac
Kivu et le Parc national de Kauzi-Biega, refuge des gorilles et des éléphants, et dans la
frange Est a ont été en grande partie sécurisée.
Actions en matière de gestion urbaine
Kinshasa
• Quatre activités sont envisageables sur Kinshasa, au-delà de celles annoncées ou
envisagées comme la poursuite des travaux de voiries et, sur un plus long terme, la
réalisation du pont rail-route vers Brazzaville:
• L’étude du Plan directeur des déplacements qui, accompagné d’un ensemble
de mesures d’ordre institutionnel et réglementaire, permettra de mettre plus
de cohérence dans les actions envisagées en matière de transport public dans
la ville ; il viserait à cet effet : (i) l’amélioration de l’accessibilité aux pôles
251
d’activités économiques (Kingabwa – Gombe – Limete et relation avec Matadi) ;
(ii) l’amélioration de la gestion de la circulation ; (iii) la mise en place d’une
réglementation et des infrastructures accordant la priorité aux transports en
commun ; (iv) la prise en compte des deux-roues, suivant des modalités à définir
(infrastructures ou périmètres dédiés, contrôle de l’activité) ; (v) la régulation et le
contrôle de l’activité de transporteur ; (vi) la prise en compte de l’inter modalité et
en particulier rail-route ; (vii) l’amélioration de la gestion des opérateurs publics ;
(viii) la prise en compte de grands projets structurants à l’instar du pont rail-route
avec Brazzaville ainsi que la Zone Economique Spéciale de la N’sele.
• L’amorce de la régularisation foncière, avec comme périmètre pilote celui de la
Gombe, au travers d’enquêtes foncières visant à sécuriser les titres de propriété,
c’est à dire aboutir pour chaque parcelle à un certificat d’enregistrement.
• L’élaboration et la mise en application effectives du plan général et des plans
particuliers d’aménagement, avec pour éléments clé : (i) la décongestion du centreville par la création de pôles secondaires ; (ii) la réglementation de l’occupation
du site, en particulier la désaffectation/affectation de certains sites afin de dégager
plus d’espaces pour l’activité économique au centre-ville ; (iii) la prise en compte
de grands projets structurants à l’instar du pont rail-route avec Brazzaville ainsi
que la Zone Economique Spéciale de la N’sele.
• L’élaboration d’une stratégie de développement économique et social de la ville
(City Development Strategy – CDS) dont le processus de préparation a été engagée
en 2010, à travers la formulation d’une requête adressée à Cities Alliance, pour le
financement des activités préparatoires. L’objectif principal de cet exercice serait
d’identifier de manière plus détaillée et exhaustive les actions spécifiques visant
à renforcer l’attractivité et la compétitivité de la ville de Kinshasa, permettant
ainsi in fine, de créer les conditions de la croissance d’un pôle économique sousrégional compétitif, capable d’attirer les investisseurs et promouvoir de nouvelles
activités, et l’amélioration de la gouvernance, en portant un intérêt particulier à
la dynamisation du secteur informel.
Bukavu
Au niveau de Bukavu, plusieurs axes sont envisageables :
• le renforcement de la relation avec l’hinterland à travers une amélioration des
voies de communication en général et du réseau routier en particulier ;
• le renforcement des relations internationales via la Tanzanie (route d’Uvira puis
transport sur le lac Tanganyika) et le Rwanda (route) ;
• l’amélioration de l’accès aux zones d’activités économiques de la ville et en
particulier aménagement/réhabilitation de la route de la zone industrielle qui
dessert également le grand marché de Kadutu.
252
Carte 3.6: Actions proposées sur Bukavu
Source: Autorités provinciales
La réglementation et la gestion de circulation et du stationnement sur les principales
artères du centre-ville, en même temps que l’aménagement de parkings gros porteurs et
d’aires de stationnement, en concertation avec les opérateurs du secteur et en particulier
les transporteurs de produits pétroliers ; l’amélioration de la compétitivité du marché
de Kadutu à travers : (i) une réorganisation de l’occupation du site, l’amenée de
l’infrastructure principale (eau, électricité, circulations internes, drainage), la réalisation
d’équipements collectifs (hangars, poste de police, poste administratif…), après une étude
socio-économique permettant de définir son positionnement par rapport aux marchés
de quartier (et donc d’en faire un marché de gros) ; (ii) ainsi que la restructuration de
la gestion à travers : la redéfinition des modalités de partage des responsabilités entre
la Ville et la commune, la mise en place d’une nouvelle politique tarifaire ainsi que la
délégation de la gestion à un prestataire privé ; l’élaboration et la mise en application
d’un plan d’aménagement de la ville intégrant les zones périurbaines afin de créer des
pôles secondaires et limiter l’envahissement des zones érodables et inondables par les
onstructions.
253
Commentaires de Gabriel Kankonde
Directeur Général du Bureau d'Etudes d'Aménagement et d'Urbanisme (BEAU)
Disposer de l’information pertinente est essentielle pour permettre des prises de décision
responsables, en bonne connaissance de cause. L’initiative de rassembler et de présenter
en un document synthèse, le diagnostic de la problématique du développement urbain en
R.D.C. ne peut être que bien accueilli et correspond à une attente, en tant que référence
devant servir de justification au choix des actions à entreprendre. Ce rapport a le mérite de
traiter du phénomène urbain en RDC dans toutes ses facettes, en privilégiant l’économie
comme porte d’entrée, et en touchant aux aspects d’aménagement du territoire, de la
décentralisation et du développement local qui y sont liés.
L’approche territoriale consistant à articuler la programmation des investissements
publics dans une perspective qui distingue le monde rural du monde urbain est une
pratique nouvelle qui complète l’approche purement sectorielle utilisée jusque là, comme
axe de répartition des masses budgétaires (secteur agricole, transports et communications,
énergétique,…).
Elle est intéressante dans la mesure où elle permet d’inscrire la planification
économique dans une vision spatiale, compatible avec la politique de décentralisation en
cours d’expérimentation en RDC, et dans laquelle la Ville émerge comme centre d’intérêt,
une entité autonome vivante et vivifiante, rayonnant sur l’espace rural environnant où elle
assume le rôle moteur d’animation du développement intégré.
Ce rapport, dans ses constats établis et les solutions préconisées, contient des faits
qui s’affichent comme des constantes, bien en phase avec les conclusions et projections
de nombreuses études antérieures menées par le B.E.A.U.; les problèmes majeurs relevés
demeurent sensiblement les mêmes, mais se sont amplifiés au fil des années pour cause
d’inaction et laisser faire, des principaux acteurs que sont, la population, les gouvernants
et les partenaires financiers internationaux. Une telle inaction ne peut se prolonger
indéfinitivement sans susciter des réactions appropriées.
Ce constat, dans le volet qui traite du fait urbain, dans une perspective d’aménagement
du territoire, souligne l’existence d’une armature urbaine diffuse sur le territoire national,
en omettant de souligner que la plus part de ces centres, n’ont de ville que le nom, et
sont dépourvus des fonctions essentielles qui confèrent à une entité le statut d’une ville
véritable. Bien plus, ces centres nombreux et d’importances très relatives, ne constituent
pas « un réseau urbain » interconnecté qui fonctionne. A l’image de l’espace physique
congolais dont la caractéristique principale est d’être écartelée par manque d’un réseau
routier national intégrateur, ce sont des ilots de concentration humaine relative, sans
254
activités économiques et sans équipements, reflet de la grande pauvreté qui accable nos
populations.
Les besoins ressentis et exprimés dans le secteur urbain sont énormes et bien connus.
Ils nécessitent des solutions urgentes et une mobilisation des ressources financières
conséquentes. Tout est prioritaire, tout est urgent. Vouloir tout faire à la fois est le meilleur
moyen de ne rien réussir de consistant.
Le plan d’action qui se dégage de l’analyse est cohérent et susceptible d’apporter
quelques améliorations sur certains aspects de la situation décrite, à condition que l’Etat
joue son rôle d’aiguilleur et de régulateur du développement urbain, et que soient prises
des mesures d’intervention ambitieuses, à la hauteur des problèmes posés. L’urbanisme est
en effet, un secteur d’activité où l’intervention de la Puissance Publique est primordiale,
particulièrement en période de crise, en agissant soit directement soit au moyen des mesures
incitatives impliquant des partenaires bien identifiés.
• Toutes les actions préconisées sont importantes au regard des effets attendus,
mais les ressources qu’elles requièrent varient ; les financements lourds reviennent
aux infrastructures et équipement de viabilisation des sites, ceux touchant à
l’organisation, à la conception, à la réglementation et à l’information représentent
des coûts moindres. Ces dernières peuvent donc être privilégiées comme
interventions amont, prioritaires et indispensables.
• Quelles que soient les raisons que l’on puisse faire prévaloir, la priorité des priorités
aujourd’hui s’appelle « AGIR ». Le diagnostic est suffisamment connus ; on
ne peut admettre que le Congo demeure un des rares pays, pourtant réputé pour
la croissance spectaculaire de sa population urbaine, à n’avoir jamais bénéficié
d’un projet urbain d’envergure, financé par la Banque Mondiale et portant
sur des composantes multiples et essentielles telles que le logement, le foncier,
l’assainissement, la planification urbaine etc.
• La priorisation des actions à entreprendre est nécessaire ; elle devrait tenir compte de
la hiérarchie des besoins ressentis et exprimés par la population et ses gouvernants,
en tant que sujets des besoins et agents de la mise en valeur. Il y a lieu d’y distinguer
celles liées à la fonction planification spatiale, réglementation de la construction
et de la gestion du foncier, pour maîtriser l’épineux problème des constructions
anarchiques, et celles plus onéreuses touchant aux équipements et infrastructures
de première nécessité (eau, électricité, transport urbain et son corolaire, la voirie,…).
Enfin, au plan organisationnel, se pose la question des outils de mise en œuvre du plan
d’action sur lesquels il faudra s’appuyer. Une évaluation sérieuse du secteur dans ce
255
domaine nous semble capitale pour prendre la réelle mesure des carences et en sortir un
programme de valorisation et de mise à niveau des ressources humaines et matérielles,
ainsi que de formation aux nouveaux métiers de l’urbanisme, thème non suffisamment
abordé dans le rapport. Des structures existent qui détiennent un potentiel à exploiter et à
promouvoir, telles que le B.E.A.U., souvent cité comme point d’appui solide pouvant servir
de rampe de lancement, de creuset d’animation et de coordination d’un vaste programme
de développement urbain concerté à plusieurs composantes, qu’il faut engager tout de
suite afin de rattraper le temps perdu.
256
Notes
1. Réappropriation nationale de l'économie au travers d'un retour à l'authenticité culturelle et à la
nationalisation des biens et des terres.
2.
Cf. Ulloa, Kast and Khekhe, non-publié.
3.
A la fin de 1995, le gouvernement devait US$ 217 millions à la SNEL (électricité) et US$ 156 millions à la
REGIDESO (Eau). Gécamines, REGIDESO et les autres entreprises publiques devaient US$ 152 millions
à la SNEL.
4.
Le Schéma National d’Aménagement du Territoire de 1982 reposait d’ailleurs sur un réseau structurant
organisé autour de 3 métropoles d’influence (Kinshasa, Lubumbashi et Kisangani), 4 centres régionaux
(Matadi, Kananga, Mbuji-Mayi et Bukavu), 9 centres sous-régionaux ainsi que 13 autres localités. Il n’a pas
connu d’application.
5. Dans PMPTR en RDC - 2004
6.
Au moins 800 m², avec une prédominance de 1 200 m². Ces parcelles sont par la suite subdivisées et
revendues en lots, constituant ainsi des îlots de promiscuité.
7.
Document d’évaluation du “Regional and Domestic Power Markets Development Project” (Southern
African Power Market Program), Banque mondiale, 2007
8.
Les données sur la localisation sont issues du rapport final de « l’Etude de Faisabilité pour la Zone
Economique Spéciale Pilote en République Démocratique du Congo », Analyse de la demande, 14 avril
2010, IFC & World Bank.
9.
Pain écrit en 1984 que: « Au delà du schéma classique d’une grande ville tropicale, on méconnaît le
vrai visage de Kinshasa. Ce qu’on dit de la capitale du Zaïre reste le plus souvent le fait de témoignages
étroits et partiels dont la formulation prouve l’ignorance des faits essentiels (…). On sait peu de choses
finalement sur la pauvreté et les efforts du plus grand nombre pour subsister sur la vie quotidienne, si
abusivement simplifiée par ceux qui ne la vivent pas » (page 5). Plus récemment, Freund écrit: « Kinshasa
est une ville particulière, dont le fonctionnement est particulièrement difficile à comprendre. D’un coté,
la ville continue d’être le lieu ou l’Etat congolais exerce sa présence, de manière problématique en termes
politiques. L’Etat continue d’être présent pour délivrer les titres de propriété, imposer une bureaucratie,
et injecter des revenus, y compris des revenus émanant de l’extérieur du pays. Kinshasa a un rôle clé de
transit et de communication pour l’Ouest du pays. L’aide extérieure implique une multitude de personnes.
Un nombre croissant de congolais, vivant hors du pays comme dans les provinces aspirent à posséder une
propriété à Kinshasa. La ville a les meilleurs services en termes de santé et d’éducation, tout comme le
meilleur accès aux produits importés. Malgré cela, la logique du fonctionnement économique de Kinshasa
est difficile à comprendre. Un cliché répandu est que les gens arrivent à subvenir à leurs besoins dans cette
ville de manière mystérieuse» (Page 17).
10. Jean-Louis Lacroix, 1967.
11. Basé sur plusieurs sources dont l’Enquête 1-2-3, PNUD 2009, et Shapiro et al.
12. UCLG 2007 « Support paper on local finance » et « dynamics of urban expansion »
13. D’autres méthodes, davantage axées sur la réalité des besoins par pays, peuvent être citées : méthode AICD
ou encore évaluation développée à partir des données UN-Habitat sur le traitement des slums et les besoins
de financement liés aux extensions urbaines.
14. Mouvement Populaire de la Révolution.
15. Cf. Rapport de mission préparatoire, Groupe Huit, mars 2009.
16. Alimentation en eau et assainissement – OTUI – LCHF – BIRD/PNUD
17. Les développements faits ici sont largement inspirés des rapports phase 1 (proposition de solutions) de
l’« étude de réforme du cadre institutionnel des transports urbains en République Démocratique du
Congo ». CIMA International, avril 2006. Programme Multisectoriel d’Urgence pour la Réhabilitation et
la Reconstruction (PMURR).
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18. La plupart des villes africaines se situent autour de 1 déplacement/jour/personne. Il s’agit de déplacements
motorisés, y compris en deux roues. Ouagadougou présente l’un des taux les plus élevés, en raison de la place
faite aux deux roues dans cette ville.
19. « Satisfaction des besoins de mobilité : Enjeux sociaux, économiques et politiques - Cas du phénomène des
passagers non payants dans le transport en commun à Kinshasa en République Démocratique du Congo »,
Venance WOTO NDJONDO, 2008
20. ONATRA, Département des Chemins de fer, Direction des Chemins de fer urbains, « Rapport d’activités
2008 », Kinshasa, Janvier 2009, p.4.
21. D’une manière générale, on y dénombre plusieurs marchés aménagés et leur distribution est plus équitable
sur le territoire de l’agglomération. Situés pour la plupart aux entrées de la ville, ils sont commodes pour le
monde rural en même temps qu’ils gênent peu la circulation.
22. Extrait du rapport « Plan de Gestion pour le Développement Urbain de Fungurume », TFM, réalisé par
GROUPE HUIT, novembre 2009.
23. Programme d’Assainissement Urbain de Kinshasa.
24. Il pourrait être dénommé CIVIC : Centre d’Information sur les Villes du Congo.
25.La politique du « réseau prioritaire » sur lequel on concentrerait les moyens suppose que ceux-ci soient
suffisants pour réaliser un entretien « normal ». Or, dans la plupart des cas – et ce sera probablement le
cas au Congo, ceux-ci sont insuffisants. Résultat : non seulement la part en « bon état » sur le réseau dit
prioritaire stagne voire régresse, mais surtout le « non prioritaire » est à l’abandon.
26. Tous les itinéraires seraient caractérisés à partir d’un indice de circulation, qui pourrait être défini pour
un véhicule type (même le camion dans un premier temps) comme suit : NS0 : Interrompue de façon
permanente, NS1 : Interrompue de façon momentanée, NS2 : Pas d’interruption mais gêne permanente;
NS3 : Pas d’interruption mais vitesse réduite ; NS4 : Ni interruption ni gêne particulière. En raison de la
modicité attendue du trafic, on ne viserait pas des niveaux de confort très élevés (le NS3 serait un maximum,
le NS4 étant réservé aux routes nationales en terre).
27. A Kinshasa, ce serait plutôt entre l’Etat et la Province.
28. A titre d’exemple, en ce qui concerne Kinshasa, il n’est pas certain que l’élargissement de certaines voies soit
justifié, tout au moins du point de vue de leur capacité.
29. On citera à cet effet les villes de Douala et Yaoundé, qui ont mis sur pied chacune son « Compte d’Entretien
Voirie », sorte de fonds routier local, alimenté à hauteur d’un minimum de 15% de leurs ressources.
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