Quelle place réserver à la jet-ventilation - Reanesth

Quelle place réserver à la jet-ventilation ?
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Quelle place réserver à la jet-ventilation ?
Carlos Lopez
SAR III, CHU de Bordeaux, Centre François Xavier Michelet
Introduction
En France, la jet-ventilation est une spécificité de la chirurgie ORL pratiquée par quelques
anesthésistes dans certains centres spécialisés [1]. Nous verrons dans ce texte les principes de cette
technique, basés sur les recommandations du CARORL [1].
1. Définition et principes [1, 2]
En 1967, Sanders a utilisé une technique de ventilation à fréquence élevée à travers le canal latéral
d’un bronchoscope. En 1971, Spoerel a décrit la ventilation à travers l’orifice trans-trachéal. La jet-
ventilation a ensuite été utilisée dans les blocs opératoires à la fin des années 70, notamment en
ORL, avec l’apparition des premiers respirateurs dédiés spécifiquement à la jet-ventilation.
Le jet ventilateur délivre, de façon manuelle ou automatique, du gaz avec un volume courant faible
(1-3 ml.kg
-1
) à haute vélocité à travers un injecteur de faible diamètre (2 à 3 mm). Une valve
solénoïde tronçonne le flux gazeux à haute fréquence jusqu’à 600 coups.min
-1
, soit une fréquence de
1 à 10 Hz (en moyenne 2 à 3 Hz). La pression en amont doit être élevée pour insuffler du gaz en
quantité suffisante qui va entraîner à la sortie de l’injecteur le gaz environnant dans la trachée. Dès
que la pression dans les voies aériennes devient supérieure à la pression à la sortie de l’injecteur, il y
a un reflux de gaz. La ventilation alvéolaire (VA) dépend du volume délivré par l’appareil (Vd) et du
volume entraîné par le gaz (Ve encore appelé effet venturi) moins le volume de reflux (Vr) qui est
souvent négligeable en clinique.
La VA est donc le produit de la fréquence respiratoire (FR) par le volume courant (Vt) avec Vt = (Vd +
Ve) – Vr.
La ventilation alvéolaire est donc très variable (entre 50 et 250 ml/insufflation) et dépend de
nombreux paramètres (figure 1).
Figure 1 : Schéma du montage [1]
- En amont, plus la pression de travail augmente, plus la VA augmente. Mais aussi la durée
d’insufflation avec un rapport temps inspiratoire sur temps total qui ne doit pas excéder 1/3
permettant une vidange complète du poumon. Sinon il y a un risque d’auto-PEP et de distension
pulmonaire. Enfin, l’injecteur dont le diamètre et la longueur doivent permettre au gaz de se
décomprimer, d’où l’importance de n’utiliser que des connecteurs adaptés.
- En aval : la compliance et les résistances dans les voies aériennes (VAS) du patient. Des résistances
élevées, ou une compliance basse, vont augmenter la pression diminuant ainsi le volume courant
délivré aux alvéoles et majorant le Vr.
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Il est impératif de contrôler les limites de pression dans les VAS, que ce soit la pression inspiratoire
de pointe (PIP), mais aussi la pression télé-expiratoire (PTE) avec arrêt de l’injection suivante si la
limite est atteinte pour éviter tout barotraumatisme (figure 2).
Figure 2 : Monitorage de la ventilation [1]
Cette technique de ventilation présente de nombreux avantages :
-
Absence de traumatismes des cordes vocales (CV) après la mise en place d’un tube en position
endotrachéale (TET)
-
Le champ opératoire est pratiquement libre avec une vision complète de la glotte
-
Les cathéters utilisés sont en téflon ininflammables.
Deux inconvénients majeurs : l’absence de mesure du volume minute avec un monitorage du CO2
souvent aléatoire et le risque de barotraumatisme.
2. Techniques d’anesthésie [1-3]
Nous ne parlerons que des particularités liées à la jet-ventilation.
La mesure continue du CO
2
est possible grâce aux cathéters double lumière. Mais le lange entre
les gaz inspirés et expirés ne permet pas une mesure précise avec un gradient élevé entre le PetCO
2
et la PaCO
2
. Pour avoir une mesure plus fiable, on peut stopper la ventilation pendant 10 sec
permettant alors d’avoir un échantillon de gaz représentatif. En pédiatrie ou lors d’intervention
longue, il est recommandé d’utiliser le CO
2
transcutané.
La température doit être monitorée dès que l’intervention dépasse 30 min. En effet, lors de la
décompression, la température des gaz chute en dessous de 15° avec le risque d’hypothermie
nécessitant le réchauffement et l’humidification des gaz.
Le matériel de drainage thoracique doit être disponible et accessible.
La SpO
2
est d’autant plus importante que la coloration du patient sera modifiée lors de l’utilisation
du laser car le personnel devra porter des lunettes de protection.
Les réglages du jet-ventilateur :
- La pression de travail : 2 bars chez la femme, 3 bars chez l’homme
- La fréquence respiratoire entre 120 et 150.min
-1
- Le temps inspiratoire : 30 % du cycle
- Le réglage des alarmes de pression avec une PTE de 5 mbars et une PIP de 20 mbars.
L’anesthésie débutera par une préoxygénation avec un respirateur conventionnel car les jet-
respirateurs ne disposent que d’un bypass de secours. L’anesthésie générale en AIVOC avec propofol
et rémifentanil est la technique de choix avec monitorage de l’index bispectral permettant un veil
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rapide sur ces interventions souvent courtes. Les halogénés ne peuvent être utilisés du fait de la
ventilation avec fuite de la jet-ventilation. On utilisera un mélange gazeux classique avec O
2
et air. La
curarisation avec monitorage est de règle pour obtenir une immobilité parfaite des CV, surtout lors
de l’utilisation du laser. L’atropine permet d’assécher les muqueuses en présence de salive qui
diminue l’efficacité du laser dont l’énergie risque d’être en partie absorbée.
La surveillance clinique est importante : coloration, auscultation symétrique et la palpation
thoracique à la recherche d’emphysème.
La chirurgie étant peu douloureuse, l’emploi d’antalgiques classiques est suffisant : paracétamol avec
anti-inflammatoires non stéroïdiens ou néfopam/tramadol. En fonction du geste chirurgical, des
corticoïdes intraveineux sont administrés avant extubation.
Le réveil se fera sur un patient réintubé avec un TET classique ou après introduction d’un dispositif
supraglottique (masque laryngé, Igel). La décurarisation est systématique. L’antibioprophylaxie n’est
pas recommandée.
Il est possible de réveiller un patient sur un cathéter de jet-ventilation. A l’inspiration, la pression
trachéale devient négative, permettant l’insufflation par la jet-ventilation. A l’expiration, la pression
trachéale étant positive, la jet-ventilation s’arrête permettant l’expiration du patient.
3. La jet-ventilation en pratique
De nombreux problèmes peuvent se poser au bloc opératoire :
- Une PIP haute : présence de sécrétions, bronchospasme ou baisse de la compliance. Il faudra
renforcer l’anesthésie après avoir aspiré le patient.
- Une PTE haute : elle signe une gêne à l’expiration avec un airway non dégagé. La subluxation de
la mâchoire, l’introduction d’une canule oropharyngée voire la suspension par la spatule
chirurgicale, régleront le problème. Il peut aussi s’agir de l’obstruction par les mouvements du
cathéter ou par les instruments chirurgicaux.
- Une désaturation avec hypoxémie : la ventilation est insuffisante ou sélective unipulmonaire. Il
faudra stopper le geste et reventiler le patient avec une FiO
2
à 1.
La jet-ventilation peut être administrée par 3 voies différentes :
- La voie supra ou préglottique avec un cathéter de jet-ventilation est peu pratiquée car elle
expose au risque d’insufflation gastrique. Par contre, elle est possible lors d’une bronchoscopie
en ventilant par le canal latéral.
- La voie infra ou transglottique avec un cathéter de jet-ventilation qui peut être oro ou
nasotrachéal est la voie la plus utilisée. Le cathéter est introduit après une laryngoscopie
classique comme un TET. Le guide du cathéter permettant de le rigidifier est retiré après
intubation.
- La voie transtrachéale par abord percutané de la membrane intercricothyroïdienne garde
quelques indications. Les repères sont souvent faciles chez l’homme : sous le cartilage thyroïde
(pomme d’Adam) et au-dessus du cartilage cricoïde. Ils peuvent être plus difficiles chez la femme,
chez le patient obèse, en présence d’un goitre ou après radiothérapie. Les échecs [4] sont faibles
(3/1000). La technique de pose est simple et nécessite peu d’apprentissage. Après l’induction
anesthésique et désinfection cutanée, le larynx est maintenu par une main. L’autre main effectue
une ponction médiane avec un angle de 15° vers le bas et une profondeur de 1 à 3 cm. Le
cathéter sur lequel est monté une seringue remplie d’air est introduit en le faisant coulisser et en
retirant le guide rigide. Il est possible d’injecter 3 à 5 ml de lidocaïne 2 %. Nous utilisons le
cathéter de Ravussin 13 G qui possède 2 connexions (« luer lock » et standard 15 mm). Mais il
existe d’autres dispositifs avec guide (cathéter de Cook, de Patil, de Melker ou Minitrach 2
Seldinger) ou sans guide (Trachéoquick, Quicktrach ou Minitrach). Quel que soit le dispositif, il
faut éviter les bricolages maison tels que la ponction avec un cathéter intraveineux 14 G sur
lequel est montée une seringue de 2 ml avec un raccord de TET de 7 mm.
Des complications ont été décrites, souvent sans conséquence, parfois gravissimes : cathétérisme
bronchique sélectif, déplacement secondaire, emphysème sous-cutané, pneumothorax, hémorragie,
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fausses routes, abcès sous-cutané. Il existe peu de contre-indications : une infection du site de
ponction, une intubation récente en raison d’un possible granulome post-intubation à l’origine d’un
saignement, une néoplasie laryngée avec extension sous-glottique. Ces contre-indications sont
relatives s’il existe une hypoxie aiguë.
4. Indications
En France, la jet-ventilation est surtout utilisée en chirurgie ORL [5, 6].
Chez l’adulte, les laryngoscopies directes en suspension (LES ou LDS), qu’elles soient diagnostiques
dans le bilan notamment des tumeurs ORL avec panendoscopie des VAS et biopsies, et/ou
thérapeutiques avec désobstruction ou cordectomie, peuvent s’effectuer sous jet-ventilation. Mais
l’indication principale reste la microchirurgie laryngée au laser ou par dissection selon les habitudes
du chirurgien ORL pour l’exérèse de granulomes, de polypes, de tumeurs limitées sur les CV. Le
faisceau du laser CO
2
utilisé en ORL étant dans l’infrarouge, donc invisible, il est couplé à un faisceau
guide à l’hélium visible (rouge).
Les complications spécifiques au laser peuvent être dramatiques avec perforations tissulaires,
embolie gazeuse et hémorragies parfois cataclysmiques.
Lors des laryngoscopies directes en suspension, trois complications possibles existent. La plus
redoutable est l’inflammation du TET (0.5 à 1.5 %) avec brûlure des VAS par effet de lance-flammes.
La seconde est la réflexion du rayon laser sur les instruments chirurgicaux (surface réfléchissante)
avec brûlures cutanées ou buccales pour le patient et brûlures oculaires pour le personnel. Enfin, la
troisième complication possible est l’inhalation de particules virales lors de la vaporisation laser de
tumeurs telles que la papillomatose laryngée. La conduite anesthésique va essayer de supprimer ces
complications. Pour éviter l’inflammation du TET, on peut utiliser des sondes laser en aluminium avec
double ballonnet (Laserflex Mallinckrodt) que l’on gonflera avec du sérum physiologique (évitant le
feu s’ils sont percés par le tir laser). Mais l’encombrement de ces sondes et leur rigidité peuvent
gêner le geste chirurgical. Les cathéters de jet-ventilation en téflon ininflammables évitent ces deux
inconvénients. L’anesthésie générale est classique en AIVOC propofol et rémifentanil, avec une FiO
2
de 30 % pendant les tirs laser. Les halogénés doivent être évités car ils produisent des composants
toxiques lors de la pyrolyse. Le chirurgien placera des tampons chirurgicaux autour du site opératoire
et recouvrira le patient de compresses ou linges humides. Enfin une aspiration continue, le port de
masque ultra-filtrant et de lunettes spécifiques (adaptées à la longueur d’onde du laser)
compléteront les dernières précautions.
Chez l’enfant, il existe quelques particularités de la jet-ventilation [7]. Elle ne peut s’effectuer que
dans des centres spécialisés avec des anesthésistes entraînés. Le monitorage transcutané du CO
2
est
recommandé. On réglera la pression de travail à 0.1 bar que l’on augmentera progressivement. Il est
indispensable de réchauffer les gaz insufflés. La FR doit être comprise entre 200 et 300/min.
La ponction transtrachéale (KT Ravussin 16 G) doit s’effectuer sous contrôle bronchoscopique avant
8 ans. Elle est déconseillée avant 5 ans et impossible à réaliser chez le nouveau-né.
La principale indication de la jet-ventilation est la laryngomalacie ou stridor congénital [8] avec
collapsus des structures laryngées à l’inspiration. Elle touche un nouveau-né sur 3000 et nécessite,
dans 10 % des cas, un traitement chirurgical endoscopique avec exérèse des tissus en excès au
niveau des replis aryépiglottiques par laser ou par microdébrideurs.
La seconde indication est la papillomatose laryngée [9] plus rare (2-4/100000), souvent par
contamination lors de l’accouchement par voie basse. Le traitement consiste soit à brouter (ou
éplucher) la lésion par micropince, soit à vaporiser au laser, avec parfois une injection in situ de
cidofovir (vistide®) préalable. Il existe 2 risques majeurs de cette pathologie : l’extension
bronchopulmonaire et la transformation carcinomateuse épidermoïde. La jet-ventilation par voie
supraglottique est contre-indiquée car responsable d’une possible dissémination. Actuellement, le
broutage est la technique la plus utilisée.
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Enfin, quelques autres indications beaucoup plus rares existent : les kystes de base de langue, la
sténose sous-glottique, l’hémangiome sous-glottique qui est maintenant traité par bêta-bloquant en
1
ère
intention.
La jet-ventilation a été utilisée dans plusieurs autres spécialités :
- La chirurgie thoracique : résection anastomose de trachée, mise en place de prothèse laryngée
ou trachéale, traitement des fistules broncho-pulmonaires.
- La pneumologie : bronchoscopie avec ventilation par le canal latéral.
- La radiologie interventionnelle : traitement des tumeurs hépatiques par radiofréquences et
lithotritie des calculs rénaux. La jet-ventilation permet de ventiler ces patients avec des petits
mouvements du diaphragme favorisant le geste des radiologues.
- La réanimation pour le traitement du SDRA [10], mais avec la nécessité d’y associer un
respirateur conventionnel.
Enfin, la jet-ventilation permet l’oxygénation en urgence chez un patient inintubable et inventilable
après abord transtrachéal et après échec de pose du Fastrach (SFAR 2006).
5. Complications [1, 2]
La complication la plus redoutée est le barotraumatisme, notamment lorsqu’il y a un obstacle à
l’expiration, d’où l’importance du contrôle de la pression télé-expiratoire. Mais il peut aussi survenir
par l’orifice sous-cutané en cas de ponction transtrachéale ou par plaie trachéale à l’extrémité distale
du cathéter en cas de cathétérisme infraglottique.
Il peut être à l’origine d’emphysème sous-cutané, de pneumothorax (1/100) parfois fatal si bilatéral
et de pneumomédiastin. Une embolie gazeuse est possible.
L’hypoventilation alvéolaire se rencontre chez le patient obèse ou bronchopathe chronique.
L’inhalation est possible en cas d’estomac plein ou de saignement local, les voies aériennes n’étant
pas protégées. Des ruptures gastriques ont été décrites sur des intubations oesophagiennes après
déplacement secondaire du cathéter. L’injecteur peut être détérioré (plicature, rupture) notamment
sur des injecteurs faits maison. Il existe un risque de délivrer un flux continu de gaz s’il n’a pas le
temps de se décomprimer avec des injecteurs non adaptés.
Enfin l’hypothermie survient sur des interventions de plus de 30 min.
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