
rétrospectivement et par abstraction1, ainsi que la thèse d’une contamination
incessante des sensations les unes par les autres à travers le phénomène des
« franges » de la conscience. Dans l’étude précédemment évoquée, nous
avons montré combien, de l’aveu même de Husserl, les analyses jamesiennes
du caractère continu et de la nature « rétentionnelle » — le mot est de James
— et « protentionnelle » du flux de conscience, et, plus généralement, ses
analyses du phénomène des « franges » et des « halos » avaient, au même
titre que les travaux de Stumpf, été déterminantes pour la manière —
résolument non atomiste — dont Husserl conçoit la conscience et, in fine,
pour sa caractérisation de l’intentionalité comme structure d’horizon du vécu.
En définitive, ce que Husserl trouve chez James, c’est une théorie
dynamique de l’intentionalité de la conscience, théorie qui renouvelle les
travaux de Brentano et permet de penser la genèse même de l’orientation de
la conscience vers des contenus objectifs : parce que les sensations ne sont
jamais isolées mais empiètent (overlap) sans cesse les unes sur les autres
dans la conscience, apparaissent également à la conscience des ressem-
blances et des contrastes entre ces sensations, de sorte que celles-ci ne valent
plus seulement en tant que pures impressions mais aussi en tant qu’elles
présentent certaines qualités objectives qui peuvent se représenter à l’iden-
tique dans d’autres sensations. La simple fréquentation sensible (acquain-
tance) devient alors perception et connaissance à propos de… (knowledge
about). Ce dépassement, qui n’est rien d’autre que l’intentionalité, trouve
dans la théorie des « franges » une élucidation d’autant plus intéressante
qu’elle se double, chez James d’une explication neurophysiologique très
1 Contrairement à ce que soutient l’empirisme atomiste et associationniste, la
psychologie ne doit pas partir du « simple » et en montrer la synthèse, mais bien
partir du donné complexe — le flux sans cesse changeant — pour en faire l’analyse
par « discrimination ». En croyant recomposer le flux par des combinaisons –
naturelles ou rationnelles — d’unités simples, l’associationnisme comme
l’intellectualisme ne parviennent jamais à retrouver ce qui fait précisément le flux, à
savoir son changement perpétuel : « Ce qu’on doit admettre, c’est que les images
délimitées de la psychologie traditionnelle ne forment que la toute petite partie de la
vie effective de nos esprits. La psychologie traditionnelle parle comme celui qui
dirait qu’une rivière ne consiste en rien d’autre qu’en seaux, en cuillerées, en flacons,
en barils et en autres formes moulées d’eau. Même si les seaux et les flacons se
trouvaient vraiment dans le flux, l’eau continuerait à s’écouler entre eux. C’est
précisément cette eau libre de la conscience que les psychologues négligent
résolument » (William James, The Principles of psychology, vol. I, New York, Dover
Publications, 1950, chap. IX, p. 255 ; passage marqué par Husserl en marge de son
propre exemplaire des Principles (consultable aux Archives Husserl de Leuven)).
Bulletin d’analyse phénoménologique IV 3 (2008) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm © 2008 ULg BAP
83