Déformation médiatique des propos liés à la culture « arabo

Des questions sur une terminologie dérogatoire
Déformation médiatique des propos liés à la culture
« arabo-musulmane »
Présentation de l’auteur :
Hicham Rouibah, étudiant en année de préparation de doctorat à l’Ecole des Hautes Etudes en
Sciences Sociales (EHESS), parcours socio-économie en Etudes Comparatives de
Développement (ECD), sous la direction de Mme Monique Selim1. Titulaire d’un master 2
professionnel en Ingénierie de l’enquête à l’université de Lille1 (2014), après validation d’une
maitrise (M1) en sociologie-anthropologie sous la direction de M. Laurent Bazin2 et d’une
licence en Ressources humaines, Organisation et Travail à l’université de Bejaïa (2011) sous
la direction de M. Mohand A. Faradji3.
Les thèmes de recherche : la Chine-Afrique, la politique économique en Algérie, la
formation universitaire en Algérie, la production statistique des organismes de sécurité sociale
en France, le fanatisme en Islam.
Adresse mail : hrouibah@ehess.fr
Introduction :
« Islamiste », « jihadiste », « salafiste », « antisémite », « monde arabe », « monde
musulman », « musulman modéré »,… des propos et des expressions qui hantent au quotidien
notre actualité. Pourtant, très peu d’intellectuels connaissent le vrai sens de ces termes, dans la
plupart des cas, à connotation islamique.
Cette contribution propose un éclaircissement et un questionnement sur la terminologie d’un
sujet brûlant qui dissimule continuellement les valeurs de la religion musulmane et augmente
le malaise des musulmans, notamment d’occident et de France. Un malaise causé
principalement par une médiatisation massive et diffamatoire qui pointe du doigt le
radicalisme et l’extrémisme qui découle de l’islam, et place donc les musulmans sur le
podium des infréquentables.
Sans prétendre être un connaisseur de la religion musulmane ou de la théologie, je sollicite
simplement la logique et le bon sens pour mettre évidence certains faits qui sont
commodément vérifiables sur les bibliographies des sciences de religion, de langue et
d’histoire.
Lune des aberrations monumentales des médias et de nombreux intellectuels ; l’incapacité
d’établir une différence entre certains termes du même champ lexical tels qu’islamiste et
islamique, « jihadiste » et moujahid, arabe et musulman, alors que les règles grammaticales et
le vocabulaire de la langue française nous enseignent que la terminaison des mots -parfois de
la même racine- peut modifier entièrement le sens des termes.
1 Directrice de recherche à l’IRD (axe Travail, Finance, Globalisation). L’INALCO/CESSMA, et associée à l’EHESS.
2 Anthropologue attaché à l’IRD, l’INALCO, CESSMA et associé au CNRS.
3 Sociologue et économiste, maitre de conférences à l’université de Bejaïa.
Hicham ROUIBAH ECD, EHESS
Islamiste / islamique, quelle différence et quel lien avec le terrorisme ?
Tout commence lors d’un débat sur l’Islam et le « monde arabe » dans un établissement
parisien d’études supérieures en décembre 2014. J’ai posé des questions à des chercheurs et à
des étudiants : quelle est la différence entre musulman, islamiste, islamique ? Entre
« jihadiste » et « moujahid » ? Dans une salle d’une cinquantaine de personnes on n’arrive pas
à m’apporter une seule réponse valable et argumentée par rapport à mes questions. Ceci
reflète bien la méconnaissance du public, intellectuel ou pas, des mots qu’ils utilisent dans
leurs discours d’une manière régulière et monotone.
Littéralement le mot islamique désigne ce qui appartient à l’islam, et islamiste ce qui en
rapport à l’islamisme, sachant que ce dernier (islamisme) englobe de différentes formes de
fondamentalisme et d’extrémisme en islam. Par ailleurs, les dictionnaires de la langue
française n’en donnent pas la même définition de l’islamisme, certains comme les 38 DRC4
le définissent par : « Ensemble des pays soumis à la loi du prophète Mohammed. Religion
musulmane ».
Tandis que le dictionnaire de Larousse le présente comme : « mouvement regroupant les
courants les plus radicaux de l'islam, qui veulent faire de celui-ci une véritable idéologie
politique par l'application rigoureuse de la charia…vieilli de l’islam ».
Les deux définitions proposées par ces dictionnaires produisent une forme d’hybridation
sémantique qui ne fait qu’accroitre l’amalgame autour de l’islam. On comprend par la
nature de la problématique qui caractérise les discours qui ne distinguent pas « islam » et
« islamisme ».
Concrètement, selon les dias, un terroriste « musulman » se traduit inévitablement par
l’islamiste en férence à son islamisme et à son radicalisme. Toutefois, et à titre de
comparaison, les partis politiques dans certains pays musulmans (les frères musulmans en
Egypte, Al-Nahdha en Tunisie…) sont présentés par les médias comme des partis islamistes
et non pas islamiques. Ainsi, en suivant la logique de ces présentations, les partis politiques
islamistes seraient donc des partis potentiellement terroristes ? Pourtant, le lien que l’on veut
accorder ici, et dans la plupart des cas, est l’attachement de ces partis politiques à l’islam et
non pas à l’islamisme.
D’autre part, paradoxalement les groupes de DAESH sont présentés comme un « Etat
islamique » et non pas un « Etat islamiste », bien que les membres de DAESH, selon les
médias, sont bel et bien des islamistes-terroristes. Alors, pourquoi ne pas les qualifier d’« Etat
islamiste » ? Ou bien islamiste rime seulement avec une personne physique et islamique
uniquement avec une personne morale ? Si c’est le cas, pourquoi parle-t-on de partis
politiques islamistes (qui sont bien des organisations et non pas des individus) ? Je rappelle
tout de même que le dictionnaire nous apprend clairement : l’islamique est renvoyé à l’islam
et non pas à l’islamisme.
Ainsi, est-on conscients des enjeux suscités par ces termes significatifs sur l’image de l’islam
et des musulmans ? Ou bien veut-on effectivement former la figure de l’islam et mener des
attaques frontales contre ce dernier ? On peut poser de nombreuses questions autour de ces
propos choisis arbitrairement par d’innombrables intellectuels : journalistes, chroniqueurs,
4 38 Dictionnaires et Recueils de Correspondance. Un dictionnaire électronique sous forme de logiciel utilisé
par de nombreux journalistes et étudiants.
Hicham ROUIBAH ECD, EHESS
présentateurs… qui ne donnent jamais d’explications justifiées, seuls de rares penseurs
manifestent leur position, tel qu’Edgar Morin qui dit : «(…) le mot islamique est un mot valise
qui recouvre beaucoup de réalités(…) et qu’il est dommage, à mon avis, de réduire le mot
islamique comme on le fait actuellement (…) » (L’invité de Patrick Simon, TV5 Monde,
2013).
Des « islamistes » mais pas de « christianistes » ou de « judaïstes » !
On ne peut absolument pas garder le silence à propos de la malhonnêteté appliquée sur la
finalité des mots choisis dans le langage de la communication et de l’information.
Si on procède à un sondage 5 pour interroger les gens sur la définition des
mots « christianiste » ou « judaïste6 », la ponse sera incontestablement manifestée par la
méconnaissance ou la relativité, puisque, tout simplement, ces mots n’existent pas dans notre
vocabulaire, il n’y a que le mot « islamiste » qui s’est fait une renommée internationale avec
l’image du terroriste ou du musulman fondamentaliste.
Cependant, dans la langue française, le suffixe substantif « iste », -étouffant parfois les
racines des termes- servant à former un qualificatif, d’une manière générale, occupe trois
finalités : l’une définie le métier et/ou la spécialisation tel quéconomiste, biologiste, linguiste,
etc. L’autre désigne l’adepte d’une idéologie, ou d’une théorie comme communiste, socialiste,
marxiste etc. La dernière indique l’extrémisme, l’excessif 7 et l’abusif 8 par exemple
fondamentaliste, esclavagiste, fasciste etc.
Dans le champ sémantique et étymologique, le mot « islamiste » peut donc être renvoyer à
une personne spécialiste de l’islam. Par contre, dans le discours médiatique, politique et
collectif, tout mot lié au champ lexical de la religion musulmane terminant avec le suffixe
« iste » définit systématiquement extrémiste/excessif, mais jamais connaisseur/spécialiste.
Dans une perspective comparative, je m’interrogeais intrinsèquement sur la fabrication
linguistique et la construction symbolique autour des termes qui expriment manifestement
l’extrémisme dans la religion musulmane, en se mesurant à la représentation de l’extrémisme
dans les autres religions monothéistes (christianisme, judaïsme). On se permet de qualifier un
musulman terroriste spontanément d’ « islamiste » mais jamais un terroriste chrétien de
« christianiste » ou bien un terroriste juif de « judaïste ». Dans la dénomination la plus
critique on parle de fanatiques religieux chrétiens ou juifs. Les medias et intellectuels
craignent-ils d'employer ce terme « christianiste » ou « judaïste » au risque de voir une masse
de personnes s'excommunier lorsqu'ils entendent christianisme ou judaïsme ? En définitive,
l’islam est « suffixable » mais pas les autres religions.
Pourtant les exemples n’en manquent pas : dois-je évoquer les milices chrétiennes centres-
africaines qui se lancent dans des « pogromes » anti musulmans, ou bien la secte Heaven’s
Gate qui a organisé un suicide collectif au passage de la comète Hale-Bopp en 1997 dans le
but de faire joindre leur âme jusqu’au « vaisseau » censé transporter jésus. Devrais-je parler
des évangéliques en Afrique durant le colonialisme qui « enseignaient » aux africains que les
5 J’ai posé cette question en 2010 sur un blog de dialogues interreligieux, les échanges étaient trop vifs entre
les internautes musulmans et chrétiens.
6 Bien que le mot « judaïste » était évoqué auparavant par certains intellectuels juifs.
7 - 9 Peuvent aussi dérobés d’excès et d’abus idéologique (croyance, foi, …) qui se transforment ou non à un
acte.
Hicham ROUIBAH ECD, EHESS
noirs sont faits pour servir les blancs et c’est ainsi qu’ils gagneront le contentement de Dieu.
Cependant, en aucun cas la création du mot « christianiste » n’a été mise sur pied pour
qualifier les actes extrémistes et/ou terroristes de tous ces chrétiens.
Le cas exceptionnel reste celui de l’assassin norvégien Andres Behring Breivik, auteur des
attentas de juillet 2012 (explosion à Oslo et massacres d’Utøya) avec un bilan lourd de 77
morts et 151 blessés. Breivik affirme que le motif de ces crimes était de mettre fin au
multiculturalisme (présence de musulmans et de juifs au Norvège) pour préserver la chrétienté.
Cependant, Breivik est présenté comme terroriste norvégien d’extrême droite (pour ne pas
évoquer son endoctrinement à la religion chrétienne) ayant des troubles psychiatriques, mais
en aucun cas le mot « christianiste » ne fait surface comme c’est le cas avec tous les
terroristes musulmans. D’ailleurs, ces derniers font rarement preuve d’examens psychiatriques
ou psychologiques9, puisqu’ils sont en définitif des « islamistes » qui font leur Jihad. Le cas
de Mohamed Merah illustre bien la situation, le responsable de la fusillade de mars 2012 à
Toulouse causant 7 victimes et 6 blessés, il est présenté par les médias et les sites internet
comme un terroriste-islamiste tout court, sans évoquer ses problèmes psychologiques, bien
que son profil soit connu avant l’attentat commis : «( …) personne fragile, introvertie,
anxieuse, manifestant des troubles comportementaux (…) » a déclare le psychologue clinicien
qui a examiné Merah en 2011.
Prenons un autre exemple, le carnage de l’Etat israélien sur la bande de Gaza en juillet et aout
2014. Les roquettes lancées par le Hamas sont qualifiées d’actes terroristes à vocation
« islamiste » et/ou « jihadiste ». Par contre, le sous-marin israélien -et sans compter toutes les
attaques riennes sur des milliers de civils- qui a bombardé volontairement quatre
enfants palestiniens 10 en train de jouer au football sur l’une des plages de Gaza n'est
nullement qualifié d'acte terroriste ou « judaïste ».
A vrai dire, actuellement, dans la conscience et l’imaginaire collectif de la plupart des
occidentaux il y a une sorte d’instrumentalisation du religieux par le politique. Une attaque
accompagnée d’un cri « Allah Akbar » (qui signifie Dieu est grand) est considérée par
induction comme un acte terroriste, mais une attaque vide de cette même expression au
moment de l'action n'est pas forcément considérée comme un acte terroriste, mais plutôt
comme un attentat criminel ou de délinquance, ou bien de riposte comme fût le cas pour
l’armée israélienne. En d’autres termes, on a visiblement oublié que « terreur » est la racine
du mot terrorisme. Soit le terrorisme est blâmable partout, soit il ne l'est nul part. Mais l'on ne
peut fermer les yeux sur l'un tout en condamnant l'autre. Car c'est bel et bien celui que l'on
cache qui nourrit l'autre.
Du Jihad au « Jihadisme », du Salafiya au « Salafisme » !
Comme il l’explique si bien le sociologue Pierre Bourdieu, la raison scientifique nous
démontre qu’une information édifiée par la comparaison peut nous faire sortir du carcan
maintenu par le système médiatique.
9 Dounia Bouzar, spécialiste de la question du Jihadisme explique qu’il faut faire davantage un travail sur la
psychologie des jeunes jihadistes qui souffrent généralement de troubles et de déséquilibres.
10 Les palestiniens ne sont pas tous musulmans, il y a une forte communauté chrétienne orthodoxe.
Hicham ROUIBAH ECD, EHESS
Il ne nous échappe pas que parmi les termes connus par les auditeurs de toute confession
figurent « jihadiste » et « salafiste ». Ces descriptions du jihad et de la salafiya sont très
schématiques, (faute d’équivalent vocable en langue française) et ne répondront pas aux
attentes d’un acteur éclairé mais elles ont le mérite de s’efforcer de rester “scientifique” en
revenant aux sources du phénomène pour le décrire. Depuis des années, on nous conditionne
avec un vocabulaire choisi, bien que les médias nous les présentent jihadiste », « salafiste »)
comme des expressions qui signifient littéralement un extrémiste et/ou terroriste musulman,
sans montrer la segmentation linguistique et compréhensive du jihad et du salafiya. Il suffit de
feuilleter les grands ouvrages d’interprétation du coran et des hadiths (paroles de prophète)
pour appréhender les conformes énonciations de ces deux concepts.
Brièvement, Jihad en langue arabe peut prendre le sens de lutte ou d’effort sur soi, qui n’a rien
à voir avec la guerre ou la guérilla. Afin de proposer une grille de lecture contextualisée, il
n’est pas inutile de rappeler que le Jihad a trois formes en islam (certains savants les
catégorisent en quatre) : de la lutte contre les mauvaises inspirations de son âme, la lutte
contre les difficultés de la vie, à la lutte physique pour se libérer de l’oppression d’un ennemi.
De plus, le coran n’incite pas à tuer délibérément comme beaucoup de personnes
« zemmourisés »11 le pensent. Il faut vérifier les textes pour comprendre que le coran, bien au
contraire, interdit et condamne à plusieurs reprises l’assassinat d’innocents. (Voir Al-Baqara
[la Vache] : versets 84-85. An-Nisâ' [les femmes] : versets 29-30, 92-93,97. Al-Mâ'ida [la
table] : versets 27-32. Al-'An`âm [les animaux] : versets 137, 140, 151).
De plus, il faut que les intellectuels occidentaux et orientaux, musulmans et non-musulmans
révisent les gles de guerre en islam tels que les traditions prophétiques l’expliquent.
Plusieurs textes authentiques de différentes versions définissent ce que le prophète avait
recommandé à ses compagnons avant d’entamer une bataille (et je cite ici des sources
combinées avec une traduction approximative, voir Sahih Muslim) : « () Epargnez les civils,
femmes, enfants et vieillards, malades …ne coupez pas un arbre, () ne tuez pas d’animaux
sans cessité, () ne détruisez pas une habitation ». Je rappelle aussi qu’en islam le
suicide n’est pas autorisé y compris les attentas kamikaze comme l’approuvent plusieurs
savants sunnites.
D’autres haddiths l’expliquent clairement. Il est rapporté dans un récit authentique : « Celui
qui tue un pactisé12 hormis son temps, Allah lui aura interdit le paradis » [Abou-Dâoud 2760].
Dans un autre texte prophétique aussi : « celui qui tue quelqu’un parmi les gens de la ‘dimma’
(gens ayants la garantie de protection des musulmans) ne sentira pas l’odeur du paradis »
[Abou-Dâoud 2760, El-Nassâi 4747].
D’autres haddiths l’expliquent clairement. Il est rapporté dans un récit authentique : « Celui
qui tue un pactisé hormis son temps, Allah lui aura interdit le paradis » [Abou-Dâoud 2760].
Dans un autre texte prophétique aussi : « celui qui tue quelqu’un parmi les gens de la ‘dimma’
(gens ayants la garantie de protection des musulmans) ne sentira pas l’odeur du paradis »
[Abou-Dâoud 2760, El-Nassâi 4747].
Certes, l’interprétation individuelle des textes coraniques et prophétiques est au cœur de la
controverse, c’est la cause principale de la multiplication des dérives sectaires en islam. A
11 En référence à l’influence d’Eric Zemmour et son influence sur les auditeurs français.
12 Celui qui a un contrat de vie sociale et de paix avec les musulmans comme les juifs et les chrétiens.
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