Hicham ROUIBAH ECD, EHESS
présentateurs… qui ne donnent jamais d’explications justifiées, seuls de rares penseurs
manifestent leur position, tel qu’Edgar Morin qui dit : «(…) le mot islamique est un mot valise
qui recouvre beaucoup de réalités(…) et qu’il est dommage, à mon avis, de réduire le mot
islamique comme on le fait actuellement (…) » (L’invité de Patrick Simon, TV5 Monde,
2013).
Des « islamistes » mais pas de « christianistes » ou de « judaïstes » !
On ne peut absolument pas garder le silence à propos de la malhonnêteté appliquée sur la
finalité des mots choisis dans le langage de la communication et de l’information.
Si on procède à un sondage 5 pour interroger les gens sur la définition des
mots « christianiste » ou « judaïste6 », la réponse sera incontestablement manifestée par la
méconnaissance ou la relativité, puisque, tout simplement, ces mots n’existent pas dans notre
vocabulaire, il n’y a que le mot « islamiste » qui s’est fait une renommée internationale avec
l’image du terroriste ou du musulman fondamentaliste.
Cependant, dans la langue française, le suffixe substantif « iste », -étouffant parfois les
racines des termes- servant à former un qualificatif, d’une manière générale, occupe trois
finalités : l’une définie le métier et/ou la spécialisation tel qu’économiste, biologiste, linguiste,
etc. L’autre désigne l’adepte d’une idéologie, ou d’une théorie comme communiste, socialiste,
marxiste etc. La dernière indique l’extrémisme, l’excessif 7 et l’abusif 8 par exemple
fondamentaliste, esclavagiste, fasciste etc.
Dans le champ sémantique et étymologique, le mot « islamiste » peut donc être renvoyer à
une personne spécialiste de l’islam. Par contre, dans le discours médiatique, politique et
collectif, tout mot lié au champ lexical de la religion musulmane terminant avec le suffixe
« iste » définit systématiquement extrémiste/excessif, mais jamais connaisseur/spécialiste.
Dans une perspective comparative, je m’interrogeais intrinsèquement sur la fabrication
linguistique et la construction symbolique autour des termes qui expriment manifestement
l’extrémisme dans la religion musulmane, en se mesurant à la représentation de l’extrémisme
dans les autres religions monothéistes (christianisme, judaïsme). On se permet de qualifier un
musulman terroriste spontanément d’ « islamiste » mais jamais un terroriste chrétien de
« christianiste » ou bien un terroriste juif de « judaïste ». Dans la dénomination la plus
critique on parle de fanatiques religieux chrétiens ou juifs. Les medias et intellectuels
craignent-ils d'employer ce terme « christianiste » ou « judaïste » au risque de voir une masse
de personnes s'excommunier lorsqu'ils entendent christianisme ou judaïsme ? En définitive,
l’islam est « suffixable » mais pas les autres religions.
Pourtant les exemples n’en manquent pas : dois-je évoquer les milices chrétiennes centres-
africaines qui se lancent dans des « pogromes » anti musulmans, ou bien la secte Heaven’s
Gate qui a organisé un suicide collectif au passage de la comète Hale-Bopp en 1997 dans le
but de faire joindre leur âme jusqu’au « vaisseau » censé transporter jésus. Devrais-je parler
des évangéliques en Afrique durant le colonialisme qui « enseignaient » aux africains que les
5 J’ai posé cette question en 2010 sur un blog de dialogues interreligieux, les échanges étaient trop vifs entre
les internautes musulmans et chrétiens.
6 Bien que le mot « judaïste » était évoqué auparavant par certains intellectuels juifs.
7 - 9 Peuvent aussi dérobés d’excès et d’abus idéologique (croyance, foi, …) qui se transforment ou non à un
acte.