Une Axiomatisation des Topos sans les Monomorphismes
Alain Prout´e1
esum´e
Dans un topos, la fl`eche caract´eristique de la diagonale d’un objet est appel´ee “´egalit´e
interne”. On peut se demander si axiomatiser l’´egalit´e interne via un classifiant des diagonales
au lieu d’un classifiant des sous–objets serait suffisant pour avoir un topos. La r´eponse est
non, mais elle devient oui si on ajoute un axiome demandant l’existence d’un “op´erateur de
description”, qui permet d’extraire d’un singleton son unique ´el´ement. Dans une conclusion
“linguistique”, on montre comment ceci ´eclaire le rˆole que jouent des phrases comme “l’unique
xdans Atel que . . .” dans le langage math´ematique ordinaire.
1 Pr´eliminaires.
On rappelle bri`evement quelques faits fondamentaux concernant les topos.
Nos notations pour les objets des cat´egories sont faites de telle fa¸con qu’elles sont non ambigu¨es. Pour
les fl`eches, les notations peuvent ˆetre ambigu¨es, mais deviennent non ambigu¨es d`es qu’une notation de
l’objet source est connue. Si fest une notation pour une fl`eche, et si une notation Ade son objet source,
est n´ecessaire pour rendre fnon ambigu¨e, on pourra ´ecrire f(rel. A), au lieu de f. De mˆeme, si fet g
sont des notations pour deux fl`eches parall`eles (mˆeme source, mˆeme but), on pourra ´ecrire f=g(rel. A),
au lieu de f=g, o`u Arepr´esente l’objet source commun `a fet g. On note 1 : AAla fl`eche identit´e
de n’importe quel objet, et gf:ACla composition de f:ABet g:BC.
Rappelons qu’une cat´egorie Cest dite cart´esienne si elle a un objet final 1, et un “foncteur produit”
×:C×C → C, adjoint `a droite du foncteur diagonal ∆ : C → C×C. L’unique fl`eche d’un objet quelconque
Avers l’objet final 1 est not´ee :A1. L’´equation f=est valide pour tout f, et on a 1 = (rel. 1).
On utilise les notations π1:A×BAet π2:A×BB, pour les projections canoniques du
produit (qui forment la co–unit´e de l’adjonction), et <f, g> :XA×Bpour l’unique fl`eche telle que
π1<f, g> =fet π2<f, g> =g. La notation f×gest une abbr´eviation pour <f π1, g π2>, et ∆
un nom pour la fl`eche diagonale <1,1>:AA×A. L’´equation 1, π2>= 1 (rel. A×B) est aussi
valide.
Si de plus, pour tout objet B, le foncteur PB:C → C, defini sur les objets par PB(A) = A×B, et sur
les fl`eches f:AA0par PB(f) = f×1 (rel. A×B), a un adjoint `a droite, alors la cat´egorie est dite
cart´esienne ferm´ee. Cet adjoint `a droite est not´e (sur les objets) C7→ CB. La co–unit´e de cette adjonction
est appel´ee “evaluation” et est not´ee ev : CB×BC.`
A toute fl`eche f:A×BCcorrespond par
l’adjonction une fl`eche, appel´ee son “abstraction”, et not´ee ΛB(f) : ACB. C’est la seule fl`eche telle
que ev B(f)×1) = f. L’´equation ΛB(ev (g×1)) = gest aussi valide.
Un “carr´e” :
1Universit´e Denis Diderot, Paris, FRANCE.
B D
A C
-
k
-
f
?
g
?
h
est dit cart´esien, s’il est commutatif et si pour toutes fl`eches ϕ:XBet ψ:XC, telles que
kϕ=hψ, il existe une unique fl`eche θ:XA, telle que gθ=ϕet fθ=ψ.
B D
A C
-
k
-
f
?
g
?
h
X
AAAAAAAAA
AU
ϕ
HHHHHHHHH
Hj
ψ
@@@@
@R
θ
Si f:ABet ξ:EBsont deux fl`eches de mˆeme but, un pullback de ξle long de f, est une
`eche f(ξ), telle qu’on ait le carr´e cart´esien :
A B
P E
-
f
-
?
f(ξ)
?
ξ
Un monomorphisme est une fl`eche qui est simplifiable `a gauche pour la composition. Il est facile de
v´erifier qu’un pullback d’un monomorphisme le long d’une fl`eche quelconque est un monomorphisme (dans
toute cat´egorie).
Deux monomorphismes m:SAet m0:S0Ade but A, sont dits ´equivalents, s’il y a un
isomorphisme ϕ:SS0tel que m0ϕ=m. Noter qu’il suffit de demander deux fl`eches ϕ:SS0
et ψ:S0Stelles que m0ϕ=met mψ=m0, pour que met m0soient ´equivalents. Un sous–objet
d’un objet A, est une classe d’´equivalence de monomorphismes m:SA. On note Sub(A) l’ensemble
des sous–objets de A.
Un classifiant du foncteur des sous–objets (ou “monomorphisme universel”) est une fl`eche >: 1 Ω,
telle que pour tout objet A, la correspondance f7→ f(>) (pullback de >le long de f) est une bijection
entre les fl`eches de Avers Ω, et les sous–objets de A. Noter qu’il n’est pas n´ecessaire de sp´ecifier un pullback
particulier de >, puisque deux pullbacks de >le long de la mˆeme fl`eche, donneront des monomorphismes
´equivalents, donc le mˆeme sous–objet. Le eme genre d’argument montre que la correspondance A7→
Sub(A) est un foncteur, et que la bijection C(A, Ω) Sub(A) d´ecrite ci–dessus est naturelle en A.
2
D´esormais, cette bijection sera not´ee K. L’objet source de K(f) sera not´e KA(f), et K(f) lui–mˆeme sera
not´e J.
S’il y a un monomorphisme universel, alors pour tout monomorphisme m:AB, il existe une
unique fl`eche not´ee χm:BΩ telle que msoit ´equivalent (comme monomorphisme de cible B) au
monomorphisme χ
m(>). La fl`eche χmest appel´ee la fl`eche caract´eristique de m.
Un topos est une cat´egorie cart´esienne ferm´ee avec des pullbacks et un classifiant du foncteur des
sous–objets.(2)
Il y a de nombreux exemples de topos, parmi lesquels la cat´egorie des ensembles. Dans cette cat´egorie,
le classifiant du foncteur des sous–objets est juste n’importe quelle application d’un singleton vers un
ensemble `a deux ´el´ements. Plus g´en´eralement, dans un topos quelconque, l’objet Ω doit ˆetre compris
comme “l’ensemble des valeurs de v´erit´e”, et les fl`eches d’un objet Avers Ω doivent ˆetre comprises comme
des “pr´edicats” sur A. Dans un topos arbitraire, Ω peut avoir plus de deux ´elements (i.e. fl`eches de 1 vers
Ω).
Dans une cat´egorie quelconque, il n’est pas vrai qu’un pullback d’un ´epimorphisme (une fl`eche sim-
plifiable `a droite) est un ´epimorphisme. Toutefois, c’est vrai dans un topos. Pour le voir, on peut prou-
ver d’abord que le foncteur de pullback fa un adjoint `a droite. Ce fait est une partie du th´eor`eme
dit “Th´eor`eme fondamental des topos ” (voir P. Freyd [1], ou tout livre de r´ef´erence sur les topos).
En cons´equence, fcommute aux colimites. Mais il est facile de voir qu’une fl`eche ABest un
´epimorphisme si et seulement si Best la colimite du diagramme BAB.
L’´egalit´e interne eq : A×AΩ, pour un objet Adans un topos, est la fl`eche caract´eristique de la
`eche diagonale ∆ : AA×A. On doit la comprendre comme le pr´edicat sur A×A, qui teste l’´egalit´e
de ses deux arguments.
Il est facile de v´erifier que l’´egalit´e interne est ´equivalente `a l’´egalit´e externe. En d’autres termes,
que deux fl`eches fand gde mˆeme source Aet de mˆeme cible B, sont ´egales si et seulement si la fl`eche
eq <f, g> de Avers Ω est ´egale `a >◦∗.
On d´efinit les fl`eches fg,fg,B(h) et B(h) (toutes de Avers Ω), pour toutes fl`eches f, g :
AΩ, et h:A×BΩ, par :
fg= eq <<f, g>, <>◦∗,>◦∗>>
fg= eq <f, f g>
• ∀B(h) = eq <ΛB(h),ΛB(>◦∗)>
• ∃B(h) = ((B(h(π1×1) π2π1)) π2)
Ces d´efinitions ne sont pas tr`es myst´erieuses, sauf peut–ˆetre la derni`ere. Toutefois, c’est juste la version
intuitionniste de l’´equivalence bien connue en math´ematique classique entre xBh[x] et ¬∀xB¬h[x].
Les faits suivants sont des cons´equences imm´ediates des d´efinitions (pour toute fl`eche ϕ:XA) :
(fg)ϕ= (fϕ)(gϕ)
(fg)ϕ= (fϕ)(gϕ)
• ∀B(h)ϕ=B(h(ϕ×1))
• ∃B(h)ϕ=B(h(ϕ×1))
Nous expliquons maintenant la “s´emantique de Kripke–Joyal” relative aux connecteurs logiques d´efinis
ci–dessus.
Conjonction. Il est clair, d’apr`es les propri´et´es de l’´egalit´e interne, que fg=> ◦ ∗ si et seulement
si f=>◦∗and g=>◦∗.
Implication.fgest ´egal `a > ◦ ∗ si et seulement si pour tout ϕ:XA, tel que fϕ=> ◦ ∗,
on a gϕ=>◦∗. En effet, si fg=> ◦ ∗, les fl`eches fet fgsont ´egales. Si ϕ:XAest une
`eche telle que fϕ=> ◦ ∗,ona(fg)ϕ=>◦∗, donc gϕ=>◦∗.
2En fait, il n’est pas n´ecessaire de demander tous les pullbacks. Il suffit de demander tous les pullbacks de >.
3
R´eciproquement, prenons pour ϕ:XAun pullback de >le long de f. On a fϕ=> ◦ ∗, de telle
sorte que gϕ=>◦∗, et donc (fg)ϕ=>◦∗. Soit ψ:YAun pullback de >le long de fg.
On a (fg)ψ=> ◦ ∗, et a fortiori fψ=>◦∗. Pour prouver que fgest >◦∗, en d’autres termes
que f=fg, il suffit de montrer que ϕet ψsont des monomorphismes ´equivalents. Mais la condition
(fg)ϕ=>◦∗implique que ϕse rel`eve le long de ψ. De mˆeme, la condition fψ=> ◦ ∗ implique
que ψse rel`eve le long de ϕ. Ceci donne l’isomorphisme souhait´e et son inverse.
Quantificateur universel.B(h) = >◦∗ (rel. A) est clairement ´equivalent `a h=>◦∗ (rel. A×B).
Quantificateur existentiel.B(h) = >◦∗ (rel. A) a lieu si et seulement s’il existe un ´epimorphisme
e:XA, et une fl`eche ϕ:XB, tels que h<e, ϕ> => ◦ ∗ (rel. X).
Nous le d´emontrons ci–dessous pour le lecteur int´eress´e, mais nous ne l’utiliserons pas. Voici quelques
explications intuitives.
Un ´enonc´e comme B(h) peut survenir dans un contexte quelconque. Dans notre pr´esentation, le rˆole
du contexte est jou´e par l’objet A. C’est pourquoi notre ´enonc´e est une fl`eche de source A. S’il n’y a pas
de contexte (plus pr´ecis´ement, si le contexte est vide), il aurait ´et´e une fl`eche de source 1. Maintenant, la
notion d’“´el´ement” de X(o`u Xest un objet) d´epend aussi du contexte. Un ´el´ement de Xdans le contexte
Aest une fl`eche de Avers X. Si e:XYest un ´epimorphisme, les ´el´ements de Ydans le contexte
An’ont pas n´ecessairement d’“ant´ec´edents” dans X, dans le sens o`u une fl`eche AYpeut ne pas
se relever le long de e, si An’est pas un objet projectif. Pour cette raison, la “surjectivit´e intuitive” des
´epimorphismes ne s’applique pas aux ´el´ements d´efinis ci–dessus, mais `a une sorte d’´el´ements plus abstraits.
Cette nouvelle notion, mˆeme si elle n’est pas d´efinie de fa¸con pr´ecise, aide n´eanmoins `a comprendre notre
interpr´etation du quantificateur existentiel. En effet, selon elle, notre ´enonc´e est vrai si et seulement si on
a le diagramme commutatif suivant :
A×B
X
-
h
?
<e, ϕ>
@@@@
@R
>◦∗
On le comprend intuitivement comme suit (o`u les “´el´ements” sont hautement abstraits). Pour toute valeur
que peuvent prendre les variables du contexte, i.e. pour tout “´el´ement” xde A, il y a un “´el´ement” yde B
(“relever” xle long de e, et redescendre par ϕ) tel que h(x, y) soit vrai. En d’autres termes, c’est pesque
la signification usuelle du quantificateur existentiel.
Par exemple, consid´erons le topos des G–ensembles et applications G´equivariantes, pour un groupe
non trivial G. Remarquer que Glui–mˆeme n’a pas d’´el´ements (dans le sens fort) relativement au contexte
vide (repr´esent´e par l’objet final 1), car Gagissant sur lui–mˆeme n’a pas de point fixe. Toutefois, G
est “non vide”, car non isomorphe au G–ensemble vide (l’objet initial 0). Donc, Gne peut avoir que
des ´el´ements abstraits, et il est de fait abstraitement non vide, comme on peut facilement le v´erifier en
prouvant que G(>◦∗) est ´egal `a >◦∗. Bien sˆur, 1 n’est pas projectif dans le topos des G–ensembles.
On peut noter que le quantificateur universel n’est pas moins ´etrange que le quantificateur existentiel.
En effet, l’´enonc´e G(⊥ ◦ ∗) (o`u , d´efini comme (π2), signifie “faux”) n’est pas vrai dans le topos des
G-ensembles (pourvu que la Th´eorie des Ensembles soit consistante). En effet, s’il ´etait ´egal `a >◦∗, on
aurait ⊥◦∗ =>◦∗ (rel. 1 ×G), ce qui implique que le topos des G–ensembles est d´eg´en´er´e (i.e. est
un groupo¨ıde), et que la Th´eorie des Ensembles est inconsistante. N´eanmoins, il est vrai que pour tout
´el´ement de G, l’´enonc´e ⊥◦∗ est ´egal `a >◦∗, simplement parce qu’il n’y a pas d’´el´ement dans G. Ceci
donne un exemple tr`es simple d’´enonc´e universellement quantifi´e qui n’est pas d´emontrable, mais dont
toutes les particularisations sont d´emontrables.
4
La question des objets projectifs dans un topos est li´ee `a l’axiome du choix(3) Le lecteur ineress´e
pourra consulter un livre de r´ef´erence sur les topos, par exemple [2], [3], [4].
Maintenant, nous prouvons notre interpr´etation du quantificateur existentiel. Supposons d’abord que
l’´epimorphisme eet la fl`eche ϕexistent, satisfaisant f<e, ϕ> =>◦∗ (rel. X). Pour montrer que
B(h) = >◦∗ (rel. A), il suffit de prouver que :
(B(h(π1×1) π2π1)) π2=> ◦ ∗ (rel. A×Ω).
Pour cela, il suffit, en supposant que <u, v> :YA×Ω est une fl`eche telle que (B(h(π1×1)
π2π1)) <u, v> => ◦ ∗, de prouver que π2<u, v> => ◦ ∗, i.e. que v=>◦∗ (rel. Y).
Notre nouvelle hypoth`ese est :
h(π1×1) (<u, v> ×1) π2π1(<u, v> ×1) = >◦∗ (rel. (A×Ω) ×B)
La conclusion de l’implication s’´ecrit, apr`es simplification, vπ1, et la pr´emisse se simplifie en h(u×1).
Soit ψ:PY×Ble pullback de <e, ϕ> le long de u×1. Dans le diagramme suivant, les deux
carr´es sont cart´esiens.
Y A
Y×B A ×B
P X
-
u
-
u×1
-
?
π1
?
ψ
?
π1
?
<e, ϕ>
Comme π1<e, ϕ> est ´egal `a e, on voit que π1ψest un ´epimorphisme. Mais comme h<e, ϕ> =>◦∗,
on a h(u×1) ψ=>◦∗, donc vπ1ψ=> ◦ ∗ => ◦ ∗ ◦ π1ψ(rel. P). Maintenant, π1ψ´etant un
´epimorphisme, on voit que v=> ◦ ∗.
R´eciproquement, supposons que B(h) = >◦∗ (rel. A). Posons X=KA×B(h), e=π1
J(rel. KA×B(h)) et ϕ=π2◦ J (rel. KA×B(h)). Alors, on a J=<e, ϕ>, donc h<e, ϕ> => ◦ ∗, et
il reste `a prouver que e:KA×B(h)Aest un ´epimorphisme. Soient uet vdeux fl`eches de Avers un
objet Y, telles que ue=ve. Il suffit de prouver que u=v.
Notre hypoth`ese est :
(B(h(π1×1) π2π1)) π2=> ◦ ∗ (rel. A×Ω).
En composant la pr´emisse de cette implication sur la droite par <1,eq <u, v>>, et en ´eliminant le
quantificateur, on obtient la formule :
h(π1×1) (<1,eq <u, v>> ×1) π2π1(<1,eq <u, v>> ×1).
3qui a deux formes non ´equivalentes : interne et externe. L’axiome du choix externe dit que tous les objets sont projectifs,
alors que l’axiome du choix interne dit que tous les objets sont int´erieurement projectifs, i.e. que pour tout objet A, et tout
´epimorphisme BC, la fl`eche correspondante BACAest un ´epimorphisme. Le lecteur peut facilement v´erifier que
dans le topos des G–ensembles, tous les objets sont inerieurement projectifs..
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