Politiques énergie-climat aux Etats-Unis

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Synthèse de la conférence de la Chaire HEC Energie et Finance
Politiques énergie-climat aux Etats-Unis :
quels impacts pour l’Union européenne ?
18 février 2013, Paris
Programme
Introduction
Pr. Jean-Michel GAUTHIER, Executive Director, HEC Energy and Finance Chair
Jean-Pierre SICARD, Deputy CEO, CDC Climat
The US energy outlook: is shale gas extraction a game-changer?
Richard H. JONES, Deputy Executive Director, International Energy Agency
Decarbonization of the economy: crossed lessons in the US and the EU
Pr. Denny ELLERMAN, Director, Climate Policy Research Unit, European University Institute
Impacts of the US energy and climate policies for the EU energy companies
Yves-Louis DARRICARRERE, Executive Vice President, President Upstream, TOTAL
Impacts of the US energy and climate policies for EU energy intensive companies
Olivier IMBAULT, Vice President, European Industry Affairs, AIR LIQUIDE
Conclusion
Benoît LEGUET, Head of Research, CDC Climat
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Quelques jours après le discours de l’Union où le Président Barack Obama replaçait la politique
énergie-climat parmi les préoccupations politiques des Etats-Unis1, cette conférence organisée par la
Chaire Energie et Finance d’HEC, Deloitte et Société générale Investment Banking, en coopération
avec CDC Climat, venait à point nommé décrire les interactions énergétiques entre les deux continents.
Les conséquences de la politique énergie-climat des Etats-Unis pour l’Europe sont primordiales à
appréhender à l’heure du débat national sur la transition énergétique en France et des discussions de
l’Union européenne sur les feuilles de route énergie et pour une économie sobre en carbone d’ici 2050.
Le nouvel essor pétrolier et gazier aux Etats-Unis : une révolution qui change les
règles du jeu énergétique mondial
Quelles seront les conséquences de la révolution des gaz de schiste aux Etats-Unis sur le marché
énergétique mondial ? Elle pourrait être un moteur significatif de l’évolution des marchés de l’énergie
dans le monde dans la prochaine décennie.
La révolution du gaz et du pétrole non conventionnels bouleverse l’offre énergétique américaine
et mène à l’indépendance énergétique des Etats-Unis.
Après des décennies de déclin, la production pétrolière et gazière américaine connait un essor sans
précédent, d’après l’Agence Internationale de l’Energie2, grâce à l’extraction à grande échelle de pétrole
et de gaz de schiste, La production du gaz de schiste aux Etats-Unis s’est fortement accrue entre 2009
et 2011 pour atteindre 180 milliards de m3, soit 27 % de la production gazière américaine. Depuis 2010,
les Etats-Unis sont le premier producteur de gaz, devant la Russie. Cette révolution du gaz non
conventionnel conduit à l’augmentation
de la production de gaz aux Etats-Unis,
Révolution de l’offre énergétique aux Etats-Unis
qui réduit son prix et fait décliner ses
importations énergétiques.
La production croissante de gaz de
schiste a considérablement modifié le
mix électrique américain en diminuant
de 2006 à 2011 la consommation de
charbon (-220 TWh), moins compétitif
et plus polluant, et en augmentant
celle de gaz (+190 TWh). D’ici à 2020,
les Etats-Unis devraient accéder à une
indépendance gazière totale, voire
devenir exportateurs de 5 à 18
milliards de mètres-cubes de gaz par an.
Source : Agence Internationale de l’énergie, 2012
Avec la promesse d’une indépendance énergétique pour ainsi dire reconquise, les Etats–Unis
bouleversent le commerce énergétique mondial. Ils pourraient devenir le plus grand producteur de
pétrole et de gaz d’ici 2020 et un exportateur net de gaz voire de pétrole autour de 2030. Les Etats-Unis
pourront aussi se hisser à la place de premier producteur de pétrole mondial à égalité avec l’Arabie
Saoudite et réduire ainsi leurs importations de pétrole brut de quelque 6 millions de barils/jour.
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"J'ordonnerai à mon cabinet de me présenter les textes que nous pouvons prendre, maintenant et à l'avenir, pour réduire la pollution, préparer
nos communautés aux conséquences du changement climatique et accélérer la transition vers davantage de sources d'énergies renouvelables."
Le président américain a fixé "un nouvel objectif à l'Amérique : réduire de moitié l'énergie dépensée dans nos maisons et nos entreprises d'ici les
vingt prochaines années". Discours de Barack Obama le 13 février 2013.
2
IEA, World energy outlook 2012, Special report on non conventional gas, Golden rules for a golden age of gas.
2
Cependant, l’exportation de gaz de schiste est encore incertaine. En effet, les autorisations
d’exportation sont longues à délivrer. Le Congrès s’interroge actuellement sur l’opportunité d’exporter et
notamment sur la quantité de gaz disponible à l’export. Enfin, les pays signataires du Free Trade
Agreement (FTA) seront-ils les seuls bénéficiaires du GNL américain ?
La révolution silencieuse du gaz non conventionnel aux Etats-Unis va influencer la demande
énergétique européenne.
Depuis 2006, le prix du gaz naturel aux Etats-Unis est passé de 13$ à moins de 3$/Mbtu. Cette forte
diminution du prix du gaz américain a conduit à un découplage des prix américains par rapport au
niveau européen (10-12$) ou japonais (16-18$) L’afflux de quantités significatives de pétrole et de gaz à
des coûts faibles permet, depuis 2009, à l’économie américaine de restaurer sa compétitivité, en
donnant un avantage compétitif clair à l’industrie américaine consommatrice de gaz naturel : les grands
projets de nouvelles capacités de production d’éthylène, notamment, sont dorénavant situés aux EtatsUnis, accélérant la ré-industrialisation tant espérée par ce pays et développant de nouveaux bassins
d’emplois. En effet, le gaz n’est pas seulement un combustible. Les atomes de carbone et d’hydrogène
qu’il contient font aussi de lui la matière première des pétrochimistes, des raffineurs, des sidérurgistes
ou des producteurs de gaz industriels.
Cette importante baisse du prix fait du gaz un combustible de choix dans la production d’électricité
américaine par rapport au charbon.
Le découplage des prix régionaux du gaz naturel
Ainsi
cette
diminution
de
la
consommation de charbon permet aux
Etats-Unis d’exporter leur production
excédentaire vers l’Europe, où le
charbon a détrôné le gaz plus onéreux
parce que son prix y est arrimé à celui
du pétrole. Les Etats-Unis sont devenus
le second exportateur de charbon dans
le monde et l’Europe le second
contributeur à la croissance de la
demande charbonnière après la Chine.
Ainsi, les importations européennes se
Source : Agence Internationale de l’Energie, 2012
sont accrues depuis 2010 et le prix du
C02 actuellement à un niveau faible ne
parvient pas à les dissuader. Après l’exploitation du gaz de schiste, quel pourrait être le moteur d’une
prochaine révolution énergétique ? Le stockage de l’énergie pourrait constituer le prochain enjeu d’un
bouleversement du jeu énergétique mondial.
La politique climatique des Etats-Unis et de l’Europe : une stratégie opposée
La seule utilisation du gaz de schiste ne pourra pas soutenir la décarbonation des Etats-Unis.
L’impact de la révolution du gaz de schiste aux Etats-Unis sur le climat est important. En effet, la
compétitivité du gaz de schiste comparée à celle du charbon et son facteur d’émission bien moindre lui
permettent de jouer un rôle clef dans la décarbonation de l’économie. Cependant, l’utilisation du gaz de
schiste ne permettra pas à elle seule d’atteindre l’objectif d’une limitation du réchauffement climatique à
2 degrés Celsius. Par ailleurs, la place du gaz de schiste dans la décarbonisation de nos sociétés
soulève des inquiétudes environnementales telles que la protection des réservoirs d’approvisionnement
et de distribution d’eau ou le risque augmenté de tremblement de terre en raison de l’utilisation de
technologies de fracturation hydraulique.
3
D’après l’Agence Internationale de l’Energie3, les émissions de gaz à effet de serre (GES) des EtatsUnis, à en croire les déclarations politiques, retrouveront en 2025 leurs niveaux de 2005. Cette
prévision est différente de celle faite, par la même agence, il y a six ans. Comment expliquer cette
trajectoire baissière des émissions de gaz à effet de serre des Etats-Unis ? Le premier facteur est la
révision à la baisse de 25 % du taux de croissance économique du P.I.B (1,6 % en 2012 contre 2,5 %
en 2006), induite par la crise économique et financière de 2007-2008 mais également par le
vieillissement de la population active américaine. Le deuxième facteur est la réduction de 11 % de
l’intensité CO2 du PIB consécutive à la forte croissance de la production du gaz de schiste et de son
utilisation dans le mix-électrique en substitution au charbon. Malgré la baisse des émissions de GES
des Etats-Unis, les émissions de GES par habitant demeurent deux fois supérieures à celles observées
en Europe, et toujours supérieures de 10 % par rapport à leurs niveaux de 1990, tandis que les
émissions de GES européennes ont été réduites de 10 % dans le même temps.
Réduire les émissions de CO2 à long terme nécessite la mise en place d’une politique climatique
La grande différence entre les deux continents tient à l’existence d’une politique climatique en Europe et
à son absence aux Etats-Unis. Si les émissions de gaz à effet de serre américaines baissent
actuellement, ce sera une conséquence de la substitution du gaz au charbon, et non le résultat d’une
volonté politique. Or, sans politique climatique, personne ne peut savoir quelles seront les différentes
évolutions possibles dans les six prochaines années. Une politique climatique est plus qu’une simple
aspiration : elle exige l’utilisation d’instruments économiques et la définition d’un cadre légal et ne peut
être assimilée à une politique énergétique. L’Union européenne avec la mise en œuvre de l’EU ETS a
défini une politique climatique jusqu’en 2020 qui contraint à une réduction des émissions de CO2 des
secteurs concernés d’1,74 % par an.
Depuis l’échec en 2009 du projet de loi sur le changement climatique (Libermann bill) après son rejet
par le Sénat, les Etats-Unis ont une approche régionale ou sectorielle des politiques climatiques. En
mentionnant lors du discours sur l’Etat de l’Union la lutte contre le changement climatique et sa volonté
d’agir quelque soit la décision du Congrès, Barack Obama semble affirmer les prémices d’une
potentielle politique climatique. Cependant, il faut relativiser son effet. Il ne s’agit que d’une promesse
d’une action exécutive. Un décret peut mettre du temps à entrer en vigueur. C’est un long processus
tant administratif que légal qui peut dépasser la durée du mandat du président Obama et se retrouver
remis en cause par son successeur.
Le besoin d’un accord climatique international pour les entreprises multinationales.
L’Union européenne a une politique unifiée par le paquet Climat-Energie qui a pour but la réalisation de
l’objectif « 3 X 20 % » en 2020 (augmenter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique
à 20 %, réduire les émissions de G.E.S de 20 % et accroître l’efficacité énergétique de 20 %). A cette
politique climatique commune aux 27 Etats membres, s’ajoute une position forte dans les négociations
climatiques internationales. A l’inverse, les Etats-Unis ont une approche régionale ou sectorielle des
politiques climatiques telles que le développement de systèmes d’échanges de quotas d’émissions en
Californie ou dans le nord est des Etats-Unis avec le Regional Greenhouse Gas Initiative (R.G.G.I) et
témoignent d’un manque d’engagement dans les négociations internationales. Afin d’offrir un prix
énergétique « acceptable » qui intègre l’ambition de lutter contre le changement climatique, il est
nécessaire d’aboutir à un accord international de lutte contre le changement climatique qui impliquerait
les pays les plus émetteurs de GES comme la Chine et les Etats-Unis. L’action de l’Union européenne
en matière de climat restera en revanche inutile s’il n’y a pas d’action équivalente dans le reste du
monde, du simple fait que l’émission de toute tonne de CO2 accroît le niveau de concentration de GES
3
IEA, World Energy Outlook 2012, How will global energy markets evolve to 2035?
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dans l’atmosphère quel que soit le lieu où le CO2 est émis, et que la part des émissions de GES de l’UE
ne représente que 20 % des émissions mondiales.
La politique énergie-climat des Etats-Unis affecte la compétitivité européenne
Le changement des règles du jeu énergétique mondial impulsé par l’exploitation du gaz de schiste aux
Etats-Unis a un impact fondamental sur la compétitivité des entreprises européennes. Les grandes
sociétés manufacturières fortement consommatrices de gaz bénéficient aux Etats–Unis d’un avantage
compétitif du fait des prix américains, cinq fois moins élevés qu’en Europe. A l’inverse, leurs
homologues européennes telles que les industries de l’acier, de la pétrochimie, de l’aluminium, du
ciment et de la chimie sont affectées par des approvisionnements gaziers peu compétitifs. Ces impacts
négatifs se résument à une perte nette de compétitivité, accrue par la dépendance énergétique
européenne et la dépendance à la volatilité des prix. Et que dire des exportations de produits pétroliers
américains qui dépriment plus avant les marges de raffinage des opérateurs européens ? En effet, les
raffineries américaines, qui traitent les nouvelles quantités de pétrole américain de schiste, tournent à
plein, privent de ce fait leurs homologues européennes des revenus d’exportations que constituait la
« driving season » américaine fortement consommatrice d’essence et dépriment davantage le raffinage
européen dans son ensemble.
La compétitivité des entreprises européennes doit être soutenue par une législation européenne
prévisible et anticipée qui favorise au cours de cette décennie les investissements à faible émission de
gaz à effet de serre. Certes, l’objectif « -20 % en 2020 » sera atteint, quoique du seul fait de la crise
économique. Mais le ralentissement économique a aussi pour conséquence un niveau de prix du
carbone au plus bas, sans perspective de redressement à moyen terme sur le système européen
d’échange de quotas (EU ETS), principal outil de la politique climatique européenne. L’efficacité de la
politique climatique est aujourd’hui menacée comme la compétitivité des entreprises. Enfin, dans le
cadre de l’EU ETS, les incertitudes sur la liste révisée des secteurs exposés à la concurrence
internationale comme sur le pourcentage d’allocations gratuites qui leur sera conféré constituent
d’autres freins aux investissements des industriels européens.
Directeur Exécutif de la Chaire Energie et Finance d’HEC : Jean-Michel Gauthier
Contact : [email protected]
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Créée en 2005 par Deloitte au sein d’HEC, la Chaire Energie & Finance est aujourd’hui parrainée conjointement par Deloitte
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un leader de l’audit et du conseil, la Chaire Energie & Finance vise le développement d’une expertise unique sur les
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entier, cinq modules d’enseignement dont un Certificat anglophone diplômant, une vingtaine de thèses professionnelles ou
Master Thesis soutenues chaque année, la Chaire Energie & Finance constitue aujourd’hui une référence internationalement
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Ce document n’engage pas la responsabilité de la Chaire Energie et Finance d’HEC, de ses sponsors Deloitte et Société
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